Elle avait 56 ans. Virginia Choquintel est décédée à Río Grande. Elle avait souffert du déracinement, de la solitude, de l’alcoolisme et de la contradiction d’être la descendante d’un père et d’une mère selk’nam tout en ignorant l’histoire et la culture de son peuple.
Le décès de Virginia Choquintel à Río Grande à l’âge de 56 ans marque la fin d’une vie marquée par le déracinement et la quête d’identité. Née en 1942, à une époque où la population Selk’nam était décimée par la violence et les maladies, Choquintel incarna la paradoxale condition d’être descendante d’un peuple autochtone qu’elle ne connaissait pourtant pas.
Elle ne gardait que quelques souvenirs flous de son père, durant son enfance à la Mission salésienne : « Tous les après-midis, il venait me chercher et m’emmenait faire des promenades à cheval », mais elle ne se souvenait pas « si nous parlions ». Sa mère succomba à une épidémie : « De ma mère, je me souviens à peine… elle est morte quand j’étais toute petite » (entretien avec l’auteur en mai 1994).
Son enfance s’est déroulée dans une mission salésienne, où ses liens culturels se sont affaiblis. Ses souvenirs de ses parents étaient fragmentaires, et l’histoire de son peuple lui était étrangère. Les informations sur les massacres d’indigènes, qu’elle n’apprit que tardivement, la plongèrent dans l’angoisse.
Après des années de travail comme employée domestique à Buenos Aires, une rencontre fortuite favorisa son retour à Río Grande en 1989. Là, elle commença à reconstruire son passé et à renouer avec ses racines. Son histoire attira l’attention d’étudiants et de chercheurs, bien qu’elle reconnaissait elle-même sa connaissance limitée de la culture Selk’nam.
« On me demande si je sais comment les Indiens faisaient du feu, je ne savais pas… eux me disaient que c’était avec des pierres, maintenant je le sais. Ils me posaient beaucoup de questions, au final ils en savaient plus que moi… »
Dans ses dernières années, Choquintel connut la reconnaissance tardive d’une société tentant d’atténuer sa culpabilité face au génocide. Cependant, ces hommages ne parvinrent pas à dissiper le sentiment de solitude et d’oubli qui l’accompagnait. Tourmentée par les contradictions, elle se sentit à la fois reconnue comme « la dernière Selk’nam » et profondément étrangère à son propre héritage. Sa vie fut un témoignage éloquent de l’impact dévastateur de la perte culturelle et de la difficulté à retrouver une identité arrachée.
La Pacification de l’Araucanie : analyse exhaustive de l’invasion, de la dépossession et du génocide Mapuche
L’histoire du Chili comporte un chapitre écrit avec des euphémismes et du sang : la mal nommée « Pacification de l’Araucanie ». Cet article plonge dans les détails de ce processus (1861-1883), déconstruisant le récit officiel pour révéler une opération complexe de conquête militaire, de dépossession légale et de colonisation forcée qui a redéfini le destin de l’État chilien et du peuple Mapuche, laissant un héritage de conflit qui perdure jusqu’à aujourd’hui.
Pacification de l’Araucanie ou ¿Génocide Mapuche? (01/06/2025, conociendo.cl)
Contexte historique : Le Wallmapu autonome et l’État chilien expansionniste
Les acteurs clés du conflit
Le plan de l’État : La proposition d’occupation de Cornelio Saavedra
L’exécution militaire : Phases d’une guerre asymétrique
4.1. Première phase (1861-1868) : Avancée et fortification
4.2. Deuxième phase (1869-1881) : Pause diplomatique et consolidation
4.3. Troisième phase (1881-1883) : L’offensive finale
La dépossession légale : Comment les lois ont anéanti la propriété mapuche
5.1. La loi de radication de 1866 : L’arme juridique
5.2. Les « titres de merced » : Le confinement dans les réductions
La colonisation dirigée : Terres pour certains, dépossession pour d’autres
La catastrophe humaine et le débat sur le génocide
7.1. Génocide et ethnocide : Le débat conceptuel
7.2. Perspectives historiographiques en débat
7.3. Éléments de la dévastation démographique
L’impact total : La désarticulation de la société mapuche
Résistance et résilience mapuche
Héritage et dette historique : Les racines du conflit actuel
Analyse comparative : Araucanie, le « désert » argentin et l’Ouest américain
1. Contexte historique : Le Wallmapu autonome et l’État chilien expansionniste
Au milieu du XIXe siècle, la frontière sud du Chili était clairement délimitée par le fleuve Biobío. Au sud s’étendait le Wallmapu, territoire ancestral du peuple Mapuche, nation indépendante de facto ayant résisté à la conquête espagnole pendant plus de 300 ans. La société Mapuche était organisée en une structure sociale et politique complexe basée sur le lof (clan familial), l’ayllarewe (fédération de lofs) et les butalmapus (grandes alliances territoriales).
Pour l’État chilien, consolidé après les guerres d’indépendance et sous l’influence des idées européennes de progrès, cette autonomie était un problème. Les élites politiques et économiques, sous les présidences de Manuel Montt (1851-1861) puis José Joaquín Pérez (1861-1871), ont vu l’occupation comme une nécessité pour :
S’approprier les ressources : les terres de l’Araucanie étaient considérées comme le « grenier du Chili ».
Unifier le territoire : relier la zone centrale aux colonies de Valdivia et Llanquihue.
Affirmer la souveraineté : éliminer la frontière intérieure et projeter une image de nation moderne.
2. Les acteurs clés du conflit
Ce processus historique a été mené par des figures et groupes aux intérêts radicalement opposés.
Catégorie
Acteurs principaux
Rôle dans le conflit
État chilien (officiels)
José Joaquín Pérez, Federico Errázuriz Z., Aníbal Pinto, Domingo Santa María
Présidents ayant impulsé la politique d’occupation
Colons chiliens et européens, Orélie Antoine de Tounens
Occupé les terres, prétexte pour la conquête
3. Le plan de l’État : La proposition de Cornelio Saavedra
En 1861, le colonel Cornelio Saavedra Rodríguez a présenté au Congrès chilien un plan détaillé de « Pacification de l’Araucanie ». Il proposait d’abandonner la politique des traités pour une occupation matérielle, fondée sur trois axes :
Avancer la frontière militaire du Biobío au Malleco, avec des forts.
Subdiviser et vendre les terres « sécurisées ».
Promouvoir l’installation de colons chiliens et étrangers pour « chileniser » la région.
Le plan a suscité débat, mais a été approuvé par le Congrès, déclenchant l’invasion.
4. L’exécution militaire : Phases d’une guerre asymétrique
La conquête militaire s’est déroulée en plusieurs phases, interrompues par des soulèvements Mapuche et la Guerre du Pacifique.
Première phase (1861-1868) : Avancée et fortification Fondation de forts (Angol, Mulchén, etc.), résistance Mapuche immédiate, tactique de « terre brûlée » appliquée par l’armée.
Deuxième phase (1869-1881) : Pause diplomatique et consolidation Ralentissement de l’avancée, consolidation territoriale, introduction du télégraphe et du chemin de fer.
Troisième phase (1881-1883) : L’offensive finale Dernier grand soulèvement Mapuche en 1881, répression militaire massive, fondation de Temuco, fin militaire de la « Pacification ».
5. La dépossession légale : Comment les lois ont anéanti la propriété Mapuche
La conquête militaire fut indissociable d’une conquête juridique. Loi de Radication de 1866 :
Définition de « terres vacantes » : toute terre non « occupée continuellement » par les indigènes devient propriété de l’État.
Imposition de la propriété privée individuelle, étrangère à la culture Mapuche.
Création de commissions de radication, processus entaché d’abus et de corruption.
Les « Titres de Merced » : Confinement dans des réductions
Attribution de petites portions de terres (environ 6 hectares/personne), insuffisantes pour l’économie traditionnelle.
Perte de plus de 90% du territoire Mapuche.
Fragmentation sociale et isolement des communautés.
6. La colonisation dirigée : Terres pour certains, dépossession pour d’autres
Traitement du peuple Mapuche : confinement dans des réductions, absence de soutien étatique, statut de « mineurs » sous tutelle. Traitement des colons européens/chiliens : grandes parcelles, soutien étatique (voyages, outils, animaux, assistance médicale), statut de citoyens à part entière.
7. La catastrophe humaine et le débat sur le génocide
La « Pacification » fut une catastrophe humaine ayant décimé la population Mapuche, alimentant un débat sur le terme « génocide » selon la définition de l’ONU (1948).
Destruction de l’économie, dépossession des terres, confinement dans des zones invivables, famines et épidémies massives.
Etnocide : destruction de la culture par interdiction de la langue, de la religion, de l’éducation propre.
Perspectives historiographiques
Traditionnelle : processus inévitable pour l’unification du Chili.
Révisionniste : conquête impérialiste, violence systématique, étiquette d’etnocide ou génocide.
Mapuche : invasion d’un pays souverain, début d’une relation coloniale persistante.
Effondrement démographique
Entre 20 000 et 30 000 Mapuche morts de faim et de maladies entre 1881 et le début du XXe siècle.
La population Mapuche, estimée à un demi-million avant la conquête, a subi un effondrement démographique dont elle ne s’est remise qu’après plus d’un siècle.
8. L’impact total : Désarticulation de la société Mapuche
La « Pacification » a provoqué une rupture structurelle dans tous les aspects de la vie Mapuche :
Politique : perte d’autorité des lonkos.
Économique : passage d’une société prospère à la pauvreté.
Sociale : fragmentation et migration forcée vers les villes.
Culturelle : assimilation forcée, menace sur la langue et la vision du monde Mapuche.
9. Résistance et résilience Mapuche
Malgré la dévastation, la résistance Mapuche a perduré, se transformant en luttes politiques et juridiques au XXe siècle. La mémoire et l’identité culturelle ont survécu clandestinement, témoignant d’une résilience remarquable.
10. Héritage et dette historique : Les racines du conflit actuel
La « Pacification de l’Araucanie » est à l’origine directe du conflit actuel au Chili. Les revendications territoriales et d’autonomie du mouvement Mapuche s’appuient sur cette dépossession historique. La « dette historique » est centrale dans le débat public, et les recommandations de réparation restent largement non appliquées.
11. Analyse comparative : Araucanie, le « désert » argentin et l’Ouest américain
Le processus chilien n’est pas isolé :
Conquête du Désert (Argentine, 1878-1885) : justification idéologique similaire, tactiques de guerre totale, objectif de libération des terres pour l’élevage.
Guerres indiennes (États-Unis, XIXe siècle) : expansion vers l’ouest, réserves, dépossession et violence similaires.
Dans tous les cas, les États-nations ont utilisé leur supériorité militaire et un cadre légal pour déposséder les peuples autochtones, laissant un legs de traumatisme et de lutte pour la justice.
Conclusion : Une histoire à revendiquer
La « Pacification de l’Araucanie » fut une guerre de conquête qui a dépossédé un peuple de son territoire et cherché à anéantir sa culture. La comprendre dans toute sa complexité est un devoir pour toute société aspirant à la justice. Reconnaître ce passé n’est pas rouvrir des blessures, mais commencer à les guérir sur la base de la vérité et de la réparation.
Un camp de base flottant polyvalent en Patagonie insulaire
Milagro est un voilier d’expédition acquis par l’association Karukinka en 2023 grâce au soutien de ses membres. C’est un ketch Bruce Roberts de 20 mètres en acier qui joue un rôle fondamental dans la réalisation de nos activités associatives. Ce navire, construit en Suède et ayant déjà effectué deux tours du monde, est un véritable « camp de base flottant » permettant d’accueillir diverses initiatives qu’elles soient artistiques, scientifiques ou sportives. #voilier patagonie
Avec ses caractéristiques techniques adaptées (longueur de 20m, maître-bau de 5m25, tirant d’eau de 2m30, motorisation Cummins 180CV, voilure 180m² au près et 295m² au portant), le Milagro offre une plateforme robuste et adaptée pour nos expéditions en régions polaires et subpolaires, domaines d’activité privilégiés de Karukinka.
Le voilier Milagro au pied d’un glacier de la Cordillère Darwin, Tierra del Fuego, canaux de Patagonie, Chili (Photographie: Diego Quiroga, du voilier Pic La Lune, Ushuaia)
Un navire support pour la logistique de nos expéditions scientifiques, sportives et artistiques
Une infrastructure adaptée aux recherches de terrain
Le Milagro constitue un support logistique essentiel pour les expéditions scientifiques et artistiques menées par Karukinka. Entièrement équipé et isolé, ce navire permet d’accueillir jusqu’à 12 personnes (10 personnes pour les projets de plus d’une semaine) grâce à ses cinq cabines (quatre doubles et une quadruple). Cette capacité d’accueil importante facilite la constitution d’équipes pluridisciplinaires, conformément à l’approche de notre association qui réunit des compétences sportives, artistiques et scientifiques.
L’autonomie considérable du navire (1500L de gasoil, 1000L d’eau + dessalinisateur, groupe électrogène, panneaux solaires…) lui permet d’atteindre des zones reculées et d’y séjourner suffisamment longtemps pour mener à bien nos travaux. Le navire est également équipé pour les télécommunications en zone A4 et d’un accès à internet, garantissant la sécurité et la connectivité même dans les régions les plus isolées comme les canaux de Patagonie (Terre de Feu, Cordillère Darwin, cap Horn, Antarctique…).
Exploration d’un fjord de la Cordillère Darwin (Terre de Feu) où vèle l’un des nombreux glaciers de Patagonie (voilier Milagro, canaux de Patagonie, Chili, mars 2025)
Un outil pour les projets ambitieux
Grâce au Milagro, Karukinka a pu élargir considérablement ses actions et mettre en place des expéditions et résidences de recherches scientifiques et artistiques en toute indépendance. Le navire est mené par un équipage professionnel bénévole composé de deux à trois personnes diplômées du Brevet d’État Voile et de la Marine Marchande française.
L’acquisition de ce voilier a notamment permis la réalisation de l’expédition Cap Nord – Cap Horn (2023-2025), un projet majeur soutenu par le programme « Mondes Nouveaux » du Ministère de la Culture. Cette expédition, qui relie à la voile le cap Nord en Norvège au cap Horn en Patagonie, s’est conclut par une arrivée en Terre de Feu le 24 janvier 2025, après un voyage de plus de 15 000 milles nautiques et par le passage du cap Horn à la voile en mars et avril 2025.
Milagro au mouillage dans une des nombreuses baies de la Réserve de Biosphère du Cap Horn (2025)
Financement des activités de l’association
Une section voile pour l’autofinancement
Depuis 2023, Karukinka dispose d’une section voile affiliée à la Fédération Française de Voile. L’association propose des stages de voile réservés à ses membres, ce qui permet de financer ses actions en faveur des peuples autochtones et de garantir la réalisation de projets ambitieux.
Compte tenu du budget nécessaire à la maintenance et à l’utilisation d’un voilier de 20 mètres, et de l’ampleur des projets à long terme de l’association (digitalisation de documents/archives, création de bases de données en ligne, financement de séjours en Europe pour des membres des communautés autochtones), Karukinka définit chaque année en Assemblée Générale la cotisation nécessaire pour participer aux différentes activités de navigation et ainsi pérenniser ses actions.
Navigation dans les canaux de Patagonie avec nos membres originaires d’Ecosse et Belgique : Norena, David, Morag et Morgan (Canal Beagle, Chili, février 2025)
Un soutien pour la recherche indépendante
Consciente des difficultés rencontrées par les laboratoires et chercheurs pour obtenir des financements en milieux polaires et subpolaires, Karukinka met tout en œuvre pour soutenir des projets scientifiques, artistiques, sportifs et humanistes. Le voilier Milagro joue ainsi un rôle crucial dans cette stratégie d’autofinancement et de soutien à la recherche indépendante.
Pêche artisanale dans les canaux de Patagonie avec José Germán Gonzalez Calderón (patron de pêche et artisan yagan, membre d’honneur de Karukinka et parrain du navire)
L’association propose également ses services pour la réalisation de missions de terrain à bord du Milagro pour des laboratoires, instituts et groupes de chercheurs et/ou artistes. Cette approche permet de mutualiser les ressources et de rendre accessibles des terrains d’étude difficiles d’accès.
Un outil de liberté pour les projets futurs
L’acquisition du Milagro a considérablement élargi les horizons de notre association. Grâce à ce navire nous avons désormais toute la liberté de poursuivre nos actions et recherches au sud du détroit de Magellan, pour commencer de 2025 à 2030 !
Le voilier permet à l’association de mener des projets pluridisciplinaires dans des régions difficiles d’accès, comme les canaux de Patagonie, l’Antarctique, la Géorgie du Sud… Il facilite également la poursuite des travaux avec les peuples autochtones selk’nam, haush et yagan du sud de la Patagonie, qui constituent l’un des axes principaux de travail de l’association.
Arrivée du voilier Milagro dans le canal Beagle, Patagonie, après 15 000mn (photographie de José Germán González Calderón, à côte de Puerto Williams, île Navarino, région du Cap Horn, Chili, 2025)
Le voilier Milagro représente bien plus qu’un simple moyen de transport et n’est pas une fin sinon un moyen. Il constitue un véritable outil stratégique qui permet à l’association de réaliser pleinement sa mission d’exploration, de recherche scientifique et de création artistique en régions polaires et subpolaires.
Grâce à ce navire, Karukinka peut mener des projets ambitieux, autofinancer ses activités, soutenir la recherche indépendante et poursuivre son travail avec les peuples autochtones. Le Milagro incarne ainsi la philosophie de l’association : indépendance, bienveillance et engagement au service de la connaissance et de la préservation des cultures et des environnements des régions extrêmes de notre planète.
Départ du voilier Milagro au port de pêche de Puerto Williams avec un équipage international (Argentine, Chili et France) Aude, Lauriane, Sébastien, Clément, Alejandro, Shenü, Damien, Mirtha (marraine du navire), Alicia, Maria et Vaïna, filmé par José, le parrain de Milagro (janvier 2025)
Une filiale de la multinationale TotalEnergies vient de soumettre une étude d’impact environnemental au SEA Magallanes, afin d’évaluer le plus grand projet énergétique d’Amérique du Sud et le troisième plus grand du monde. Quel a été son comportement d’entreprise au cours d’un siècle d’existence ? En accédant uniquement à des informations publiques, nous avons découvert des antécédents qui méritent d’être connus de toute la communauté.
Total Eren est une entreprise française spécialisée dans les énergies renouvelables. Depuis 2021, elle porte le projet H2 Magallanes, un projet de production et d’exportation d’hydrogène et d’ammoniac à grande échelle, qu’elle souhaite implanter à l’estancia Cañadón Grande, à 3,5 km du parc national Pali Aike, dans la région de Magallanes, au Chili.
Cette société est une filiale de TotalEnergies, multinationale au riche passé de dénonciations pour pratiques extractives dans des territoires vulnérables, alliances avec des dictatures, greenwashing d’entreprise, influence disproportionnée sur les politiques publiques et désastres socio-environnementaux. Ces antécédents, associés à l’ampleur de son mégaprojet, obligent à porter un regard critique et rigoureux sur ses intentions en Patagonie.
La société mère [TotalEnergies]
TotalEnergies est un groupe mondial du secteur pétrochimique et énergétique, qui produit et commercialise du pétrole, des biocarburants, du gaz naturel, des gaz verts, des énergies renouvelables et de l’électricité. Elle a été créée en 1924 sous le nom de Compagnie française des pétroles, s’attribuant la mission de « garantir l’indépendance énergétique de la France ».
Connue tout au long de son histoire comme la compagnie pétrolière Total, elle a décidé en mai 2021 de changer de nom pour « la production et la fourniture d’énergies de plus en plus abordables, fiables et propres ». C’est ainsi qu’elle a intégré des entreprises dédiées aux énergies renouvelables, comme Total Eren, acquise à 100 % en 2023.
En un siècle d’histoire, la multinationale a fait l’objet de graves accusations.
1. Conflits avec les populations autochtones et les communautés
En Afrique, l’oléoduc East African Crude Oil Pipeline (EACOP), qui traverse l’Ouganda et la Tanzanie, a été remis en question par des organisations telles que Human Rights Watch. Sur la base de plus de 90 entretiens avec des familles déplacées, un rapport a documenté les impacts dévastateurs sur les moyens de subsistance des familles, en raison du processus d’acquisition des terres.
Total a acquis une participation significative dans l’entreprise Suncor en 1997, pour exploiter des sables bitumineux sur des territoires ancestraux au Canada, jusqu’à ce qu’en octobre 2023, elle vende ses opérations à la même entreprise. Une enquête publiée dans Science a révélé que la pollution atmosphérique de ces sables bitumineux dépasse les émissions déclarées par l’industrie sur les sites étudiés, de 1 900 % à plus de 6 300 %. Pendant des décennies, les communautés autochtones de la région se sont plaintes de l’impact sur la santé de l’air toxique causé par ces opérations.
En Birmanie, au début des années 1990, Total s’est associée à la compagnie pétrolière Unocal et au régime militaire birman pour construire le gazoduc de Yadana. Le régime a créé un corridor de gazoducs hautement militarisé, dans lequel il a violemment réprimé la dissidence, forcé la population locale à construire l’infrastructure du gazoduc et à fournir du carburant à l’armée, obligé des villages entiers à se relocaliser, et commis des actes de torture, des viols et des exécutions sommaires. La plainte déposée par des villageois birmans a obligé Unocal à un accord en 2005, marquant la première fois qu’une plainte pour droits humains contre une multinationale aboutissait.
2. Désastres industriels et gestion des risques
En 1999, le naufrage du navire Erika – affrété par Total – a provoqué une marée noire dévastatrice pour la vie marine, terrestre et l’économie locale, sur plus de 400 kilomètres de côtes en France. En 2001, dans son usine chimique AZF à Toulouse, 300 tonnes de nitrate d’ammonium ont explosé, causant 31 morts, plus de 2 500 blessés, un cratère de près de 30 mètres de profondeur et 200 de diamètre, et une ville marquée par la tragédie. En 2012, une fuite de gaz incontrôlée sur la plateforme Elgin, en mer du Nord, a libéré 300 000 tonnes de méthane dans l’atmosphère, générant une crise environnementale et de sécurité dont les effets persistent aujourd’hui.
3. Sanctions judiciaires pour corruption
En 2013, la Securities and Exchange Commission (SEC) et le Département de la Justice des États-Unis ont infligé une amende à Total pour avoir soudoyé des fonctionnaires iraniens entre 1995 et 2004, afin d’obtenir des contrats d’exploitation d’un gisement de gaz naturel dans le golfe Persique. En 2018, un tribunal de Paris l’a sanctionnée pour la même affaire.
En 2023, le Tribunal de Strasbourg l’a condamnée pour avoir enfreint le programme « Pétrole contre nourriture », créé en 1996 pour l’achat de nourriture, de médicaments et de produits à des fins humanitaires pour la population irakienne, qui subissait les sanctions imposées par l’ONU après l’invasion militaire du Koweït. Une enquête menée par l’ancien président de la Réserve fédérale américaine, Paul Volcker, a détecté des détournements de fonds pour conclure des contrats secrets avec le gouvernement de Saddam Hussein.
4. Actions en justice avec de nouveaux outils juridiques
Un groupe d’organisations a poursuivi Total devant les tribunaux pour ne pas avoir élaboré et mis en œuvre son plan de vigilance environnementale et de droits humains, exigé en France par une loi de 2017 visant à lutter contre la négligence des entreprises. Cela concerne un mégaprojet pétrolier qu’elle souhaite installer dans un parc naturel protégé en Ouganda, pour forer plus de 400 puits, extraire près de 200 000 barils de pétrole par jour et construire un oléoduc de 1 445 km.
En 2024, une plainte pénale inédite a été déposée contre elle, l’accusant d’avoir contribué à l’aggravation de catastrophes naturelles en toute connaissance de cause, de saper la transition énergétique et de s’enrichir au détriment du changement climatique.
Aujourd’hui en Patagonie [Parc éolien, électrolyse, dessalinisateur, terminal maritime…]
La compagnie pétrolière française arrive au sud du continent avec un nouveau nom, et des niveaux d’intervention pour la phase 1 de son projet qui sont inimaginables, non seulement pour tout le continent, mais aussi pour la majorité du monde, puisqu’il s’agit du troisième plus grand projet d’hydrogène de la planète. Sur une surface foncière disponible de 72 000 ha, elle prévoit d’installer :
un parc éolien de 5 GW avec 616 éoliennes de 8 MW,
sept centres d’électrolyse totalisant 3,85 GW pour la production d’hydrogène,
une usine de dessalement permanente d’une capacité de 1 300 litres par seconde,
une usine d’ammoniac qui produira jusqu’à 10 800 tonnes par jour,
un terminal maritime pour l’importation d’équipements et l’exportation d’ammoniac,
une centrale à gaz et des ouvrages auxiliaires.
Tout cela serait situé à côté de l’un des patrimoines touristiques, archéologiques, géologiques et naturels les plus importants de la steppe australe : le parc national Pali Aike, caractérisé par la forte présence de vestiges des premières occupations humaines, des paysages lunaires, des cônes volcaniques, des cratères, des grottes et des champs de lave, où vit une grande variété de faune et de flore, dont de nombreuses espèces menacées.
Connaissons-nous les véritables implications sur le territoire et nos modes de vie qu’aura l’arrivée de ce géant français, dont les ambitions sont d’atteindre une capacité de production annuelle de 1,9 million de tonnes d’ammoniac, pour approvisionner énergétiquement les pays développés ? Que ce soit pour ce projet ou d’autres en cours d’évaluation ou à l’étude, nous ne le savons pas. Nous n’avons pas non plus de clarté sur la façon dont leur fonctionnement simultané nous affectera, une question que nous avons soulevée en août 2023, par le biais d’une lettre envoyée au gouvernement régional et à d’autres autorités locales, au milieu du processus de promotion de cette méga-industrie en Patagonie.
Après « Comment j’ai retrouvé Xavier Dupont de Ligonnès », l’auteur valentinois Romain Puértolas récidive avec « Ma vie sans moustache », un roman-quête aussi passionnant que drôle. L’hypothèse de départ : Adolf Hitler aurait trouvé refuge et coulé des jours heureux en Argentine après 1945.
Tout commence en 2015, lorsque Romain Puértolas reçoit un étrange message d’une centenaire argentine. Cette femme affirme avoir été la cuisinière d’Adolf Hitler en Patagonie de 1945 à 1963. Une affirmation qui, à première vue, semble farfelue. L’Histoire nous apprend que le dictateur se serait en effet donné la mort en 1945 dans son bunker berlinois. Intrigué par cette déclaration, Puértolas fait quelques recherche et découvre qu’en Argentine, il est communément admis que le Führer aurait coulé des jours heureux pendant près de vingt années après la fin de la guerre à San Carlos de Bariloche, commune de Patagonie. Il ne lui en faut pas plus pour prendre son billet d’avion et entreprendre une enquête sur les traces du tyran.
« Il n’y a aucune preuve à cent pour cent qu’Adolf Hitler s’est bien suicidé à Berlin en 1945 » Romain Puértolas
Rappelons que Romain Puértolas fut par le passé Lieutenant de police et que le « débunkage » de théories complotistes est son dada. Rappelons aussi qu’il est le facétieux auteur de Comment j’ai retrouvé Xavier Dupont de Ligonnès, mi-enquête mi-roman, drôlissime et passionnant. Il n’en fallait pas beaucoup plus pour qu’il récidive avec un roman-quête consacré cette fois au plus grand criminel de l’Histoire.
« C’est sérieux. C’est pas sérieux. Il y en a pour tous les goûts. C’est ce que j’aime faire ! » Romain Puértolas
Ma vie sans moustache, c’est une enquête fouillée et bourrée de références historiques. C’est aussi une aventure exotique qui nous embarque de Malaga à la Patagonie, en passant par Jérusalem et Beyrouth. C’est enfin un roman réjouissant où l’auteur nous mène par le bout du nez jusqu’au tour de passe-passe final !
Ma vie sans moustache de Romain Puértolas est paru chez Albin Michel