[#8 – Irlande – Ecosse 2024] de Loch Buie à l’île sacrée Iona

Iona Cathedral, Iona Abbey, Inner Hebrides, Scotland

De bon matin nous levons l’ancre au moment de l’étale et à quelques encablures du château Moy, dans le Loch Buie (île Mull). La nuit dans ce loch ouvert au sud-ouest a été moyennement agréable : en cause une petite houle du sud arrivée avant le vent prévu dans la même direction et qui fait que Milagro a eu la fâcheuse tendance à se maintenir travers à cette houle (et à nous bercer, certes, mais nous nous en serions passé!).

Entre le démarrage moteur, la levée du mouillage, le nettoyage du lot de graviers et vase qui maculait la chaîne et l’ancre, et l’envoi des voiles pour n’avancer que grâce à elles, nous établissons un nouveau record du temps d’utilisation minimale du moteur : 20 minutes ! C’est sous artimon et yankee que nous sortons du loch, au près à 5,5 noeuds : à quoi bon forcer ?

Les prévisions sont bonnes (Sud 3 à 5 évoluant 2 à 4 durant quelques heures, avant de passer 3 à 5 puis de changer de direction pour Nord-Ouest 4 à 6 au sud de l’île Mull. Nous profitons de la marée descendante pour rester à bonne distance de la côte sud malgré une allure travers. Cette partie de l’île située entre le Loch Scridain (au nord) et la fin du Firth of Lorn (au sud) forme une péninsule appelée Ross of Mull. Plus nous nous dirigeons vers l’ouest plus les fonds deviennent complexes, avec de nombreux récifs entre lesquels passer pour atteindre notre objectif : Iona.

Les falaises de basalte (encore des orgues!) ont par endroit pris la forme de grottes et d’arches sculptées par l’érosion, et sont entrecoupées de magnifiques cascades et de criques de couleur turquoise. Abstraction faite de la température de l’eau (14 dégrés), cette couleur nous inciterait à la baignade ! Interpelés par la beauté du paysage, nous changeons de cap pour nous approcher au portant de la cascade de Malcolm’s Point, avant de reprendre notre route vers l’ouest.

Progressivement apparaissent les passages plus exigeants, dont ceux des Torran Rocks signalés par la cardinale Bogha nan Ramfhear et l’entrée vers le sud du Sound of Iona. Une fois encore, de nombreux moments de solitude (et de rire évidemment) ponctuent nos indications de noms des rochers, baies, écueils, îles et caps ! Nos rencontres avec des locaux ne parlant pas gaélique nous ont tout de suite rassurés quand nous avons évoqué ce point avec eux : ils bredouillent eux aussi ! Pour vous faire une petite idée, nous vous invitons à jeter un oeil à la carte de cette zone!

Carte de navigation Ross of Mull - Iona, du CCC du Kintyre à Ardnamurchan.

Carte extraite de la 3e édition du guide du Clyde Cruising Club, du Kintyre à Ardnamurchan (p.180)

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Nous entrons dans le chenal séparant le Ross of Mull de Iona à la voile (au portant, 5,5 noeuds). Seul voilier à la voile dans le chenal en cette fin d’après-midi, nous nous refusons de gagner le nord à l’aide du moteur. Nous préférons prendre le temps de bien étudier la carte et de chercher les repères visuels à terre pour réaliser la traversée du chenal en nous basant exclusivement sur les alignements (cathédrale, Bull Hole,…) et indications du sondeur, plutôt que de suivre les écrans. Nous réalisons plusieurs relèvements au compas et manoeuvres d’empannage dans des passages relativement étroits pour contourner des sondes d’un grand banc de sable et rochers comprises entre 10cm et 1m60, puis l’île Eilean nam Ban et ses couleurs incroyables sur notre tribord. A la sortie l’espace s’ouvre à nouveau et nous rejoignons le mouillage de Port na Fraing et sa plage de sable blanc, rien que pour nous et sur 7m de fond ! (ceux de Martyrs’ Bay ou de Bull Hole sont plus fréquentés). Les 4 à 6 Beaufort prévus arrivent en fin de journée et nous sommes bien à l’abri dans le chenal, sous le vent d’Iona.

Après une nuit reposante, nous partons en annexe vers le quai du ferry de Martyrs’ Bay pour visiter ce lieu sacré de l’histoire écossaise dont nous avait parlé Vicky Gunn, chercheuse en histoire médiévale que nous avions rencontré à Loch Melfort.

Iona ferry pontoon

Iona est une petite île ouverte sur l’Atlantique avec pour seul terre émergée vers l’ouest à cette latitude les dangereux parages de Skerryvore (après eux c’est le Canada). Elle est bordée de récifs dont les noirs rochers contrastent avec des plages de sable blanc. Dotée d’un petit village comprenant tous les services essentiels (dont une petite école primaire) et plusieurs artisans (potiers, sculpteurs sur bois, joaillers, vanniers, tisseurs…), Iona est considérée comme l’un des principaux lieux spirituels d’Ecosse. Nombreux sont ceux qui y viennent en pèlerinage et/ou pour trouver le calme lors de retraites spirituelles.

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Pourquoi cette petite île est-elle donc si importante ? C’est ce que nous allons vous partager plus en détails grâce aux informations transmises par Vicky, lors de notre visite puis des lectures et recherches qui s’en sont suivies.

Le premier constat est que l’importance culturelle et historique d’Iona est complètement disproportionnelle à sa taille. Habitée au moins depuis l’Âge du Bronze comme le montrent le site de Blàr Buidhe, ce n’est qu’à partir du VIe siècle que l’importance d’Iona est documentée. Plusieurs toponymes lui sont associés, dont “Ì”, “Ì Challuim Chille” (Iona de St Columba pour éviter les confusions), “Eilean Idhe” (l’île de Iona) et “Ì nam ban bòidheach” (Iona de la belle femme en gaélique), et ses habitants s’appellent les Idheach.

En 563 arrivèrent du nord de l’Irlande et à la voile Columba et ses douze disciples. Ils fondèrent la deuxième mission de christianisation de l’Ecosse, un siècle et demi après la précédente menée par Ninian sur l’île Whithorn en 397 et dont les préceptes auraient été diffusés jusqu’aux îles Shetlands. Le choix d’établir une église et un monastère sur Iona était stratégique puisque cette île était située sur une voie navigable permettant de relier Inverness et l’Irlande, mais aussi tout le monde celte. Comme Holy Island et Portmahomack, Iona devint rapidement un pôle de diffusion de la version celte de la religion chrétienne et de nouvelles idées et créations (dont enluminure/calligraphie, musique, peinture et artisanat d’art). Le faire depuis cet endroit était très efficace car il était situé sur un axe d’échanges culturels et commerciaux principal de l’époque. La petite communauté installée là développa également une économie de subsistance avec une importante activité agricole (cultures céréalières et élevage), de pêche et de construction. Ils n’étaient pas non plus complètement autonomes puisque pour un usage liturgique ils faisaient venir du vin, des pigments et des huiles du sud de la France ! Durant 34 ans, Columba développa des liens étroits avec la royauté, convertissant par exemple le roi Bruce et les Picts au christianisme, à la suite d’un combat spirituel qu’il gagna contre le référent de leur royaume. Columba aida également, jusqu’à sa mort en 597, à l’établissement d’un royaume indépendant en Ecosse de l’ouest : l’Argyll. La plupart de ces informations est parvenue jusqu’à nous grâce à Adomnàn, diplomate, successeur et biographe de St Columba ayant dirigé la mission durant 25 ans, au VIIe siècle. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages majeurs pour comprendre cette époque dont La Vie de Saint Columba (“Vita Sancti Columbae”, env. 690) et La Loi des Innocents (“Lex Innocentium” de 697).

Aux VIIIe et IXe siècles, les Vikings attaquèrent à plusieurs reprises Iona, attirés par les trésors du monastère. En 825 eu lieu l’un des pires raids viking : l’abbé Blathmac et les moines l’accompagnant furent torturés dans le but de leur faire avouer le lieu où étaient cachées les reliques de St Columba, un poème indiquant qu’ils reposeraient dans un coffre recouvert d’or et d’argent. Suite à l’absence d’aveux, ils furent massacrés dans une baie nommée ensuite Martyrs’ Bay. La peur de ces raids et leur répétition étaient telles que s’en était déjà suivit un exode de nombreux religieux qui avaient pris le soin d’emporter avec eux les plus importantes reliques (dont les os de St Columba) et un autre trésor: le Livre de Kells (créé à Iona 200 ans après la mort de St Columba, ce livre est considéré comme l’un des plus remarquables ouvrages religieux de l’époque et est désormais visible au Trinity College de Dublin). Malgré ces attaques continues, le monastère resta actif et ce n’est qu’au Xe siècle que la fréquence des raids diminua, lorsque les Vikings installés dans les Hébrides se convertirent au christianisme, adoptant St Columba comme leur saint patron. Plusieurs pierres tombales gravées et conservées dans le musée montrent l’influence viking avec des inscriptions runiques.

Au XIe siècle Iona et la plupart des îles de l’ouest écossais étaient sous le pouvoir du roi de Norvège. La distance compliquant grandement les possibilités de gouverner la région, ce dernier confia cette tâche à un guerrier gaélico-norvégien : Somerled. Ce dernier devint le premier Seigneur des Îles, prenant le contrôle d’une région s’étendant du Kintyre aux Hébrides extérieures et ayant pour descendants les MacDougalls of Lorn, MacDonalds of Islay et MacRuairis of Garmoran, plusieurs d’entre eux ayant joué un rôle essentiel dans les manoeuvres politiques et guerres d’indépendance du XIVe siècle.

Lors de notre excursion à terre et pour nous rendre à l’abbaye, nous avons traversé les ruines d’un couvent et suivi la rue des morts (“Sràid nam marbh”), une rue pavée de granit rose reliant la baie des Martyrs avec le tombeau de St Columba situé au centre de l’abbaye bénédictine construite au XVe siècle. Cet itinéraire n’est autre que celui emprunté par les pélerins et lors des processions dédiées aux sépultures d’acteurs importants du monde gaélique dans le cimetière Reilig Odhrain entourant la chapelle St Oran construite au XIIe siècle (la plus vieille structure intacte de l’île). Dans ce cimetière reposeraient 48 rois d’Ecosse (dont Macbeth / Mac Bethad), des membres du clan MacDonald Seigneur des Îles ayant pour certains des ascendants Norse (MacKinnons, MacLeans et Macleods) et, dans la petite chapelle d’une simplicité déconcertante, les corps des plus importants seigneurs et chefs de guerre des îles de l’ouest écossais. De nombreuses pierres tombales anciennes sculptées sont encore dans ce cimetière et d’autres ont été déplacées pour mieux les préserver dans le musée ou le cloître de l’abbaye. Les premières croix sur les tombes, assez conventionnelles aujourd’hui, seraient apparues à Iona aux environs de l’an 600, comme le montre les plus anciennes croix ornées de symboles sophistiqués et aux designs variés, comme le montrent les différents exemples vus dans le musée adjacent à l’abbaye.

St Oran Chapel

Nous sortons ensuite de ce cimetière pour nous rendre sur le promontoire rocheux (“Torr an aba”) faisant face à l’abbaye et d’où Columba travaillait. Cet emplacement offre une vue imprenable sur le Sound of Iona, l’extrémité du Ross of Mull et la petite chapelle abritant le tombeau de St Columba située juste derrière la réplique d’une imposante croix en granit sculptée et dédiée à St Jean (l’originale est dans le musée). Cette abbaye a été construite après l’arrivée au XIIIe siècle de moines bénédictins et de soeurs augustiniennes invités par Ranald, Seigneur des Îles et descendant de Somerled, pour revitaliser la vie religieuse sur l’île et moyennant des moyens de subsistances plus conséquents. Plusieurs attaques armées vinrent saboter ce nouveau monastère, plusieurs chefs religieux irlandais n’acceptant pas de perdre leur connexion et leur influence sur Iona. A la suite du traité de Perth (1266) entre la Norvège et l’Ecosse, Iona revint au royaume d’Ecosse et devint progressivement un important lieu de pèlerinage, jusqu’à la Réformation de 1560 qui signa la fin des monastères en Ecosse.

Plusieurs tentatives de restauration ont ensuite été menées, sans succès, conduisant progressivement les bâtiments à l’état de ruines à la fin du XIXe siècle, comme l’attestent plusieurs photographies prises avant d’importants travaux. Le 8e Duc d’Argyll, propriétaire de l’île, commissionna un architecte pour consolider les ruines puis céda l’abbaye, le cimetière et le couvent au Iona Cathedral Trust en 1899. D’importants travaux de rénovation furent lancés et 6 ans plus tard, un premier office pu déjà être réalisé dans l’église partiellement rénovée. Les décennies suivantes furent dédiées à la restauration du monastère et de toute la partie ouest du cloître, sous l’impulsion de la Iona Community, une communauté chrétienne travaillant pour la paix et la justice sociale et ayant des membres dispersés dans le monde entier. En 2000 le Iona Cathedral Trust finit par céder l’abbaye, le cimetière, l’église Saint Ronan et le couvent au monuments historiques d’Ecosse. La cathédrale est aujourd’hui en bon état et entretenue grâce aux fonds issus des visites et de dons.

Iona LL

Bref, vous l’aurez compris, Iona est le lieu à ne pas manquer lorsque vous vous rendez aux Hébrides, c’est un peu le “St Jacques de Compostelle” écossais et quitte à faire le pèlerinage, celui-ci se fait selon nous plutôt à la voile qu’à pieds. Même si vous n’êtes pas passionné.e d’histoire, la beauté du monument et de ses environs sont marquants, ils ouvrent une parenthèse qui vous transporte à différentes époques et permettent de porter ensuite un autre regard sur ces îles. Iona crée un véritable espace pour l’imaginaire, faisant finalement écho à ce que nous recherchons aussi dans la navigation et les longues déconnexion du tumulte qu’elle procure, en harmonie avec car dépendants des éléments. Cette sensation se retrouve aussi résumée dans les mots du compositeurs Felix Mendelssohn, en 1829, mentionnés sur l’un des murs de la sortie du cloître : “When in some future time I shall sit in a madly crowded assembly with music and dancing round me, and the wish arises to retire into the loneliest loneliness, I shall think of Iona.” (traduction : “Quand dans le futur je serai assis au sein d’une assemblée follement bondée, avec de la musique et des danses autour de moi, et que se fera sentir le désir de me retirer dans la solitude la plus solitaire, je penserai à Iona.”)

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N’ayant pas vu le temps passer, ce n’est que tard dans l’après-midi que nous rejoignons Milagro, grignotant rapidement quelque chose avant de lever l’ancre pour profiter des bonnes conditions pour rejoindre Staffa puis Ulva avant la tombée de la nuit.

Iona LL 8

Petit bonus : les lumières du couchant sur les récifs et embruns au sud de Iona quelques semaines plus tard, au retour des îles Treshnish.


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Pour aller plus loin, voici nos sources :

  • “Pocket Scottish History”, ouvrage collectif dirigé par James Mackay, Lomond Books, Broxburn, 2019.
  • “About Mull, Iona, Ulva, Staffa, Treshnish isles”, dirigé par Rosalind Jones, St Columba Gruline, Argyll, ?.
  • “Iona Abbey and Nunnery”, Peter Yeoman et Nicki Scott, Historic Scotland Alba Aosmhor, Édinbourg, 2022.
  • “Kintyre to Ardnamurchan” Clyde Cruising Club, Imray, Cambridgeshire, 2020.
  • “Hebridean Voyages : an anthology of sea crossings to the western islnads of Scotland, 1822-1955” Colin Tucker, Acair, Stornoway, 2023.
  • “A Journey to Scotland and the Hebrides” Samuel Johnson et James Boswell, Everyman’s Library, Londres, 2002 (1909)
  • “The Placenames of Scotland” Iain Taylor, Birlinn, Édinbourg, 2022.
  • “Mull family names for ancestor hunters” Jo Currie, Brown et Whittaker, Tobermory, 2017.
  • https://www.dailymail.co.uk/sciencetech/article-4682486/Archaeologists-prove-wooden-hut-used-St-Columba.html
[#6 – Cap au nord 2024] Escale à Loch Melfort

[#6 – Cap au nord 2024] Escale à Loch Melfort

C’est en fin de journée que nous arrivons tranquillement à la voile à l’extrémité Est du Loch Melfort, jetant l’ancre dans un fond vaseux bien collant (pour la chaîne et le pont aussi d’ailleurs…). A peine arrivés, Damien reçoit un appel d’un de ses amis et ancien élève, Christian, en route depuis Leeds pour nous rejoindre à bord pour la soirée ! Passionné par l’Ecosse, il est une source intarissable d’idées de lieux à visiter, tous plus reculés, intéressants et sauvages les uns que les autres. Les cartes papier et celles de la tablette se sont progressivement retrouvées garnies de petits points supplémentaires et d’annotations. S’ajoute à cela une petite liste de livres à consulter… De quoi répondre à nos envies d’explorer et d’apprendre pour des semaines voire des mois… !

Loch Melfort Karukinka 052024 4

Le lendemain matin, à l’arrivée au petit ponton de l’hôtel de Kilmelfort avant de faire route avec Christian vers Oban pour un avitaillement en produits frais, une deuxième belle surprise nous attend : la rencontre avec Vicky et Margaret, toutes deux occupées sur leur magnifique petit voilier. Nous pensions prendre le bus pour revenir d’Oban, c’est finalement Vicky qui passera nous chercher directement au supermarché ! Lors de ce trajet sinueux entre lochs et collines, nous l’invitons, ainsi que Margaret, à venir visiter notre “huge sailboat”, qui appartient à l’association Karukinka. S’ensuivent les questions sur le pourquoi du comment de l’association, du navire, des recherches de Lauriane et de notre venue en Ecosse… et elle nous apprend qu’elle est chercheuse en histoire médiévale à l’université de Glasgow.

C’est après le déjeuner du lendemain qu’elle vient nous faire un magnifique cadeau : plusieurs heures de cours d’histoire médiévale écossaise dans le carré de Milagro ! Carte à l’appui, références historiques, informations sur l’histoire cachée de lieux et de dynamiques de peuplement,… nous n’en perdons pas une miette. “Ici l’histoire a été faite par les navigateurs, à la voile” . Cette remarque pleine de bon sens compte tenu de la morphologie des lieux nous rappelle qu’effectivement, les échanges d’idées, les influences culturelles, les batailles, les invasions de toutes parts, les processus de colonisation, les vagues de réformes religieuses, les évolutions technologiques,… ont existé grâce à la voile (et à la rame…).

Notre parcours, de la Bretagne à la Norvège via l’Irlande et l’Ecosse n’est autre que celui d’un axe d’échanges majeur depuis des milliers d’années. Présence celte puis romaine, premières missions chrétiennes (VIe siècle), guerres tribales entre les Picts et d’autres groupes, invasions vikings, fonctionnement clanique très ancré dans la culture écossaise… Chaque île, des Hébrides aux Shetlands, porte en elle des histoires chargées de vent et d’embruns que l’érosion efface progressivement à notre vue mais que des archives précieusement gardées au fil des siècles sauvent de l’oubli. C’est un véritable travail de fourmi que Vicky Gunn et nombre de chercheurs en histoire écossaise réalisent pour comprendre le territoire à différentes époques. Ils donnent du sens à ce qui nous entoure, des mégalithes aux ruines de châteaux, nous invitant à nous documenter toujours plus.

La bibliothèque de Milagro s’est donc à nouveau étoffée de quelques ouvrages supplémentaires, sans parler de ceux que Vicky prévoit de nous recommander d’avoir à bord, et c’est sous peu qu’un dictionnaire gaélique-anglais embarquera pour nous aider à comprendre ce que signifient les noms des lieux où nous naviguons. Un rdv est pris : à notre prochain passage à Loch Melfort, c’est sûr nous irons rendre visite à Vicky et Margaret !

Avant de reprendre notre route vers le nord, le week-end passé, est venu le temps des retrouvailles pour Damien : le retour à Kames Fish Farm. C’est anxieux qu’il est venu se présenter à l’accueil de la ferme : après 20 ans sans nouvelles, les gérants de cette entreprise familiale seraient-ils encore là ? La ferme aurait-elle été rachetée par des sociétés norvégiennes, comme de nombreux élevages de poissons écossais ? Damien se présente et c’est alors qu’un homme d’une trentaine d’années lui sert la main : Andrew, celui avec qui Damien s’était occupé des lapins, joué aux jeux vidéo avec son frère Charles et lui,.. quand il était tout petit ! Dans la foulée Andrew appelle son père, Stuart, l’entrepreneur à l’origine de cette ferme et avec qui travaillait Damien. Quelques minutes plus tard, il arrive et nous fait visiter l’écloserie, le bureau de contrôle à distance de la sécurité des cages dispersées dans les îles, la distribution de nourriture en cliquant derrière un écran, la sélection des spécimens plus aptes à s’adapter au changement climatique… Toujours en quête d’amélioration, il nous apprend aussi qu’il a dû faire face à une catastrophe sanitaire s’étant abattue sur sa ferme il y a plusieurs années (une fièvre aphteuse venue de Norvège), l’obligeant à abattre l’ensemble de ses saumons plutôt que de tomber dans les excès largement documentés des dérives des élevages. Kames n’élève donc plus de saumons comme il y a 20 ans, mais des truites, et en nombre qui donne le tournis : quand Damien y travaillait, la ferme commercialisait entre 200 et 300 tonnes de saumons par an, et aujourd’hui c’est plus de 3000 tonnes de truites exportées jusqu’aux USA.

Nous sommes ensuite repartis à bord de Milagro, non sans curiosité pour le mystérieux voisin chilien évoqué lors de nos échanges avec les locaux.

Certains partent d’Europe vers l’Argentine ou le Chili, en Patagonie ou ailleurs, pour refaire leur vie, et d’autres font le chemin dans l’autre sens, comme le milliardaire chilien fondateur du FFP (Fondation Pour le Progrès). Connu au Royaume-Uni pour avoir acheté un lodge (Kilchoan) à plusieurs millions de livres, ce membre de la secte des Légionnaires du Christ a fait sa renommée locale en organisant la reforestation des collines avoisinantes et en faisant construire une chapelle inspirée de celle d’Iona, sur les rives de Loch Melfort. Pour cela il a fait appel à des artisans locaux et soigné son image, une image très éloignée de celle qui est la sienne à plusieurs milliers de kilomètres de là : ancien militaire dans les années 70, il multiplia les déclarations en faveur de Pinochet (“son énorme gratitude”), n’hésitant pas à affirmer que pour lui, les droits sociaux n’existeraient pas. Ses propos au Chili, aux antipodes de l’image renvoyée ici, auront largement suffit pour que nous nous abstenions de faire l’escale suggérée dans la baie faisant face à sa chapelle. Nos amis chiliens, qui subissent les effets dramatiques du libéralisme extrême mené depuis des décennies dans leur pays, sont nombreux à souffrir des décisions et idées développées par cet homme et ses partisans.

Loch Melfort Karukinka 052024 1

Ce ne sont pas ses activités locales et cette chapelle qui nous feront oublier les ombres et la violence du pinochetisme.

Laissons cette chapelle dans notre sillage, avec un nouveau chapitre qui s’ouvre dans l’étrave de Milagro : cap sur Mull !

PS: l’Ecosse nous plaît tellement que nous avons fait le choix de revoir notre programme pour y rester plus longtemps et simplifier la venue de ceux qui veulent nous rejoindre, sans galérer avec la logistique. Vous verrez donc (ici) que nous proposons à partir de samedi prochain 5 séjours d’une semaine simplifiés : départ et arrivée Oban ! Depuis Glasgow (vols directs depuis Paris, Nantes, Bordeaux, Lyon…) il faut compter 3h de train direct ou de bus dans les Highlands (un voyage dans le voyage !) pour nous rejoindre au port de Oban. Pour ceux qui voudraient éviter l’avion, cette destination est aussi accessible en train depuis la France (comptez 12h depuis Paris).

Bref, si vous avez besoin d’aide pour vous organiser, nous ne sommes pas une agence de voyage mais nous sommes là pour vous aider et serons ravis de vous accueillir pour partager ces lieux où , comme le montre notre dernière petite vidéo aux Treshnish Isles : il n’y a pas foule !

[#3 Cap au nord – 2024] de Bangor (Belfast Lough) à Port Charlotte

[#3 Cap au nord – 2024] de Bangor (Belfast Lough) à Port Charlotte

Après avoir laissé passer un sérieux coup de vent, nous faisons cap vers l’Ecosse. Les prévisions sont bonnes : vent NE 3 à 5, occasionnellement 6, avec une mer belle à peu agitée et une visibilité bonne malgré de rares pluies.

Nous sortons de la baie de Belfast, laissant sur notre babord la ville de White Head et son phare, le Black Head.

Nous hissons la Grand-Voile tout en prenant un ris par précaution, hissons haut l’artimon et déroulons le yankee et la trinquette. Les falaises surplombées de verts pâturages, ainsi que les nombreux mouillages dans de petites baies repérées sur la carte défilent et nous invitent à revenir plus longuement en Irlande du Nord. La prochaine fois !

Vers 16h, c’est 20-22 noeuds qui nous arrivent pleine face, ce qui n’était pas prévu. Nous réduisons, GV 2 ris, artimon 1 ris, trinquette 2/3 et un petit bout de yankee pour continuer, au près, de dépasser l’île de Rathlin et le phare d’Altacarry Head, avec beaucoup de courant et des “eddies” (tourbillons).

Un brin têtus nous insistons en direction du Loch Indaal, enchaînant les virements de bord pour gagner à l’ouest. Puis apparaissent les éclats du phare laissé dans notre sillage, nous rappelant que la nuit arrivera bientôt. Peu enclins à jeter l’ancre de nuit, et fatigués d’insister à 3 nœuds avec le courant devenant cette fois vraiment contraire, nous nous résignons à faire cap au nord, en direction de Kilnaughton Bay. Le pavillon de courtoisie écossais est désormais hissé pour plusieurs semaines !

Nous jetons l’ancre en Ecosse, à Islay, près du Flying Dutchman, un voilier ancien de 28m et le lendemain la découverte du paysage autour est magique : plage de sable blanc, collines aux teintes ocres et grises,… et les fumées de la malterie de Port Ellen sur notre tribord. Tout cela rien que pour nous, Milagro étant tout seul dans cette grande baie. Port Ellen est le nom du village mais aussi celui d’une ancienne distillerie ayant fermé il y a plusieurs décennies et qui se dédie désormais à la préparation du malt pour les distilleries environnantes (elles sont neuf sur Islay). Les quelques bouteilles de whisky Port Ellen ayant été conservées se vendent aujourd’hui à des prix parfois astronomiques.

Nous profitons de cette escale pour randonner à plusieurs reprises dans les environs, dont voici quelques images :

Et aussi, pour visiter les environs de Laophraig sous un ciel aussi beau que menaçant nous ayant fait choisir le pub de Port Ellen face à la plage, plutôt que de continuer vers Lagavullin Bay et Ardberg Bay :

Le surlendemain nous levons l’ancre, décidés à atteindre le loch Indaal, à hauteur de Bruidladdich. Les prévisions nous promettent une certaine lenteur à la voile (2 à 4 Beaufort) et nous faisons donc une partie du trajet au moteur, laissant sur notre tribord les falaises de la péninsule de Oa et le monument nommé Mull of Oa de 20m de haut, dédié à la mémoire de naufragés américains en 1918, lors de la Première Guerre Mondiale.

En fin d’après-midi nous arrivons à destination et laissons Milagro seul dans cette immense baie, au nord de Port Charlotte, entre Bruidladdich et Bowmore, des noms qui interpellent tout de suite les amateurs de whisky tourbé écossais !

La suite dans un prochain post ! La suite dans un prochain post ! Et pour ceux qui souhaitent nous rejoindre, il reste de la place pour nos prochaines étapes consultables ici : https://karukinka-exploration.com/ecosse/, pour la remontée des fjords de Norvège jusqu’à Tromsö puis au-delà, au Finnmark.

[#2 Cap au nord – 2024] de Dublin à Bangor (baie de Belfast)

[#2 Cap au nord – 2024] de Dublin à Bangor (baie de Belfast)

Après une petite escale à Dun Laoghaire, le tampon officiel sur le passeport de Toupie la mascotte (lui donnant droit d’aller au Royaume-Uni) et le passage d’un coup de vent, Milagro et son équipage ont repris leur route vers le nord, sous des pluies éparses et un vent de O à SO 4 à 6 Beaufort. Sous Grand-Voile 2 ris, Artimon 1 ris et Yankee, Milagro fait route à 6,5 nœuds, laissant dans son sillage le phare de Baily.

En soirée le vent mollit sérieusement et le choix est fait d’entrer dans la baie de Carlington (Carlington Lough, à la frontière entre l’Irlande et le Royaume-Uni), pour aller jeter l’ancre devant le village de Greencastle. L’entrée est étroite par le chenal nord et le balisage pas toujours éclairé la nuit tombée. Après un slalom de nuit entre les bouées de mouillage (merci la lampe torche!), nous jetons l’ancre à quelques encablures d’un ponton utilisé par les pêcheurs et les pilotes maritimes dédiés à la remontée de la rivière jusqu’aux ports de Warrenpoint et Newry.

Le lendemain matin nous découvrons les ruines du château qui surplombent le village. Nous apprenons quelques heures plus tard, lors de la visite, qu’il a été construit au XIIIè siècle et qu’il fût le théâtre de nombreux affrontements. Autour de nous de vertes collines et prairies, et un ciel bleu qui contraste avec les infos météo de France reçues de nos proches : à Nantes, il pleut !

Après galettes et gâteau au chocolat-bananes, nous reprenons la route pour mouiller devant le petit port de Kilkeel. Pas de vent et pas de houle, de quoi nous faire oublier que nous dormons dans un bateau ! Le lendemain matin même chose : pétole. Nous aurons la belle surprise, quelques jours plus tard, de découvrir que pendant que nous réglions un petit détail sur la Grand-Voile, Stuart Pirie a pris une belle image de Milagro et compléter sa fiche sur Marine Traffic !

Nous choisissons d’avancer malgré l’absence de vent, l’objectif étant d’être à Bangor le soir même. Nous remontons donc au moteur près de la côte pour profiter du paysage et Damien se dédie alors à repasser deux bosses de ris qui se croisaient dans la bôme. Parmi les choses vues ce jour-là, le phare de St John’s Point, l’entrée du port de Donnaghadee avec son église et ses maisons colorées, des grands dauphins gris nous escortant dans le Donnaghadee Sound, sous un coucher de soleil, jusque dans la Belfast Lough.

La nuit tombée et après un bref arrêt au ponton gasoil, nous nous amarrons dans la marina de Bangor. Le lendemain un fort coup de vent est prévu, nous resterons à l’abri !

[Cap Nord 2023] #1 : Petit retour en images à Ingøya, l’une de nos îles “coup de cœur” de l’été dernier.

[Cap Nord 2023] #1 : Petit retour en images à Ingøya, l’une de nos îles “coup de cœur” de l’été dernier.

Située à l’ouest du Cap Nord, cette petite île de 18km² appartient à la municipalité de Måsøy (comté du Troms og Finnmark) et est habitée par une vingtaine de personnes.

Ingøya abrite la plus grande antenne de Scandinavie. Elle sert de relais radio géostratégique entre les deux extrémités de la Norvège : Oslo et le Svalbard.

A l’ouest de l’île culmine le phare Fruholmen (Fruholmen fyr) qui, après avoir été détruit en 1944 par les Allemands, a été reconstruit et remis en service en 1949. Il mesure 18m et est visible à plus de 19 milles nautiques.

Enfin, elle est entourée de récifs et pour accéder à son petit port de pêche les premières fois on passe de la carte à l’observation du balisage local (pas toujours conventionnel…) un paquet de fois ! Et comme nous sommes joueurs, nous y retournerons cet été encore, avec le voilier Milagro ! https://karukinka-exploration.com

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[Partenariat] “KRÉEH CHINEN” Le théâtre, la poésie et la musique s’entremêlent à Tolhuin (“ KRÉEH CHINEN” El drama, la poesía y la música entramados en Tolhuin, La Mirada, 15/04/2024)

[Partenariat] “KRÉEH CHINEN” Le théâtre, la poésie et la musique s’entremêlent à Tolhuin (“ KRÉEH CHINEN” El drama, la poesía y la música entramados en Tolhuin, La Mirada, 15/04/2024)

Le théâtre, la poésie et la musique se sont entremêlés à Tolhuin pour fournir la sensation nécessaire d’être vivants, pour démontrer le potentiel créatif de notre groupe au milieu de tant d’indifférence et de la folie des lois du marché.

La Mirada, 15/04/2024

Le week-end dernier s’est dérouler à Tolhuin la première cérémonie artistique fuégienne nommée “ Krèeh Chinen”, terme Selk’nam qui signifie “saisir la Lune [“Agarrado de la Luna”].

Ce fût une rencontre d’artistes à l’échelle de la province argentine de Terre de Feu, organisée par l’écrivain et poète Alejandro Pinto, lequel a été accompagné par plusieurs artistes d’Ushuaia, Río Grande et Tolhuin.

“L’idée était, au départ, de réunir les artistes de l’île avec la proposition de montrer au public leurs créations” dit Alejandro, celui qui fût le moteur de cette rencontre en présentiel, sachant que: “nous nous voyons toujours sur différents flyers d’événements qui se font à Ushuaia ou ici [Rio Grande] mais finalement nous ne partageons jamais ensemble et il me semble qu’il est nécessaire que nous nous réunissions, nous connaissions, nous écoutions, partagions”.

La Morada del Lago (la Demeure du Lac) fût le lieu de la rencontre, avec l’appui logistique du Flaco Tony, la Casa Refugio (la maison refuge) s’est retrouvée pleine et cela a été possible grâce à la collaboration et à la participation de : “Kau kren Artesanías de Tolhuin; Kloketen Cartonera, qui est une maison d’édition cartonera de Río Grande; la Ratonera, qui est un espace musical indépendant de Río Grande;  Neurona de Ushuaia, qui est une association qui réalise des produits locaux; et une association de France qui s’appelle Karukinka, avec laquelle nous avons le projet de réaliser une prochaine rencontre en octobre-novembre prochain, avec des artistes de Nantes, une ville française”, commenta satisfait Alejandro.

L’événement a été d’un tel impact émotionnel que déjà sont dans les pensées de tous de nouvelles éditions. “Bon… tout a été génial et la prochaine fois nous pensons le faire à Ushuaia, et la troisième serait à Rio Grande, avec la même méthodologie : réunir des artistes de la province pour qu’ils se connaissent, puissent partager et montrer au public en général les créations qui se réalisent artistiquement dans la province”.

Les artistes qui apportèrent leurs productions furent : Yanina Fracalossi; Francisco Martínez; Jason Cuello; Mailén Safanchik; Freddy Gallardo; Diego del Estal; Nadia Rojo; Sol Alhelí; Millacura Sur; Alejandro Pinto; Florencia Lobo et Ignacio Boreal.

Le théâtre, la poésie et la musique se sont entremêlés à Tolhuin pour fournir la sensation nécessaire d’être vivants, pour démontrer le potentiel créatif de notre groupe au milieu de tant d’indifférence et de la folie des lois du marché.

Source : “Krèeh Chinen” / Alejandro Pinto., https://lamirada.com.ar/87441-kreeh-chinen-el-drama-la-poesia-y-la-musica-entramados-en-tolhuin.html