La toponymie argentine : un enjeu de pouvoir pour le gouvernement de Javier Milei

La toponymie argentine : un enjeu de pouvoir pour le gouvernement de Javier Milei

Il y a trois jours un mouvement que je pensais inaliénable pour la reconnaissance des peuples de Patagonie s’est brusquement interrompu : Manuel Adorni, porte-parole du gouvernement de Javier Milei, a annoncé depuis la Casa Rosada le changement de nom d’un lac situé à quelques kilomètres à l’ouest d’Ushuaia, pour “rétablir l’ordre dans le sud du pays”, “protéger les propriétaires des terres prises” dans le cadre d'”usurpations de terres par des pseudo-mapuches”. La décision a été prise par le gouvernement le vendredi 7 juin 2024 et est soutenue par le Président de l’Administration des Parcs Nationaux, Cristian Larsen.

Cela pourrait sembler dérisoire, un nom de lac, mais la symbolique qu’il revêt dépasse de loin ce que mon esprit pouvait imaginer. Ce n’est que depuis le début des années 2000, sous la présidence de Cristina Kirchner, que ce lac avait retrouvé son nom yagan “Acigami”, s’ajoutant ainsi à la liste des rares toponymes d’origine yagan, selk’nam, haush ou kawesqar encore présents dans les bases de données géographiques officielles en Argentine et au Chili.

Selon mes analyses du catalogue de l’Institut Géographique National d’Argentine, en 2019 moins de 8% des toponymes de la province de Terre de Feu avaient une origine indigène, ce qui signifie que plus de 90% des noms de lieux sont liés aux différentes vagues d’exploration et de colonisation de cette région. Le lac Acigami faisait donc partie jusqu’à il y a peu des rares noms yagan a avoir retrouvé sa place après qu’un autre nom, “Lac Roca”, lui ait pris sa place durant de nombreuses décennies.

Lors de la revue de presse du 12 juin 2024, Manuel Adorni a déclaré : “le lac Acigami, qui est un nom aborigène qui signifie “poche allongée”, Dieu sait ce que cela a à voir avec, le lac Roca a été rebaptisé, comme il l’était avant 2008, en l’honneur du héros, ancien président de la République et architecte de la consolidation de l’État-nation, qui avec sa vision et son leadership a fini par délimiter l’extension de notre territoire” (“El lago Acigami, que es un nombre aborigen que significa ‘bolsa alargada’, vaya a saber Dios qué tenía que ver, se volvió a llamar al lago Roca, como lo hizo hasta 2008, en honor al prócer, expresidente de la República y artífice de la consolidación Estado-nación, quien con su visión y liderazgo terminó por delimitar la extensión en nuestro territorio”).

En plus d’un ton dépréciatif non dissimulé à l’égard de ce nom yagan et plus généralement envers ce peuple qualifié de “pseudo-mapuche”, nous pouvons reprocher aux décisionnaires une méconnaissance de l’histoire argentine liée à ce lieu. Ce lac se nommait ainsi bien avant que les terribles effets de la Conquête du Désert (qui n’en était pas un!) menée par le Général Roca ne s’y manifestent. Pour rappel, et ce rappel démontre à quel point ce changement de nom est idéologiquement terrible, Julio Argentino Roca, avant de devenir président de 1880 à 1886, était un militaire et a eu pour mission de conquérir les terres situées au sud du Rio Negro, la Patagonie donc, afin d’y affirmer la souveraineté argentine. Nommée “Conquête du Désert”, cette expédition de plusieurs années a eu pour effet le génocide des peuples de Patagonie, encore trop peu documenté à ce jour et d’une ampleur effroyable, afin que des colons les remplacent en s’y installant avec leurs ovins.

Il est à noter que nous retrouvons la mention de ce nom de lieu dès 1883, à la page 81 du rapport d’expédition de Giacomo Bove réalisée à la demande du gouvernement argentin et en partenariat avec le Consulat Italien à Buenos Aires, durant la présidence de Julio Argentino Roca. Il apparaît également dans de nombreuses sources (Thomas Bridges, Nathalie Goodall,…) et pas toujours orthographié de la même manière (Acacima, Ucasimae, Acagimi, Asigami,…).

carte extraite de “Expedición Austral Argentina” (p.81) de Giacomo Bove, imprimé à Buenos Aires par le Département National de l’Agriculture et présenté au sein du Ministère de l’Intérieur et du Ministère de la Guerre et de la Marine.

Affirmer qu’avant 2008 ce lac avait pour seul nom “Roca” démontre une méconnaissance des archives de l’Institut Géographique National et un mépris protéiforme pour l’histoire. Les yagans habitent ces territoires depuis des milliers d’années et le retour de ce nom de lieu était lié à des obligations légales relatives aux peuples indigènes, l’Argentine ayant ratifiée la Convention 169 de l’OIT en 2000.

Et surtout, cette décision ne manque pas d’ironie puisque sous couvert de modernisation et de regard tourné vers un Occident présenté comme modèle, le gouvernement de Milei fait l’exact inverse de ce qui se passe de plus en plus généralement en Europe, avec la cohabitation de toponymes dans diverses régions, la mienne par exemple (Bretagne, avec des noms en français, gallo et breton).

En tant que chercheuse dédiée aux questions de toponymie (>3000 noms de lieux recensés), je dénonce cette attaque contre les yagan et apporte tout mon soutien à ce peuple dont le porte-parole, Victor Vargas Filgueira, n’a de cesse de lutter pour visibiliser son peuple, comme il a pu le faire en présentiel en France lors du festival Haizebegi de Bayonne en 2019 et durant lequel l’association Karukinka était investie.

Pour terminer cet article bien amer, je citerai les mots réconfortants de David Alday, ex-président de la communauté yagan de la baie Mejillones au Chili : “L’histoire et la mémoires de nos peuples originaires ont des milliers d’années et cela ne s’efface pas comme ça, quelque soit les annonces qu’ils font, il y a toujours quelqu’un pour enseigner et souligner la réalité de notre riche toponymie. Il est temps d’écouter et d’observer tranquillement Marraku [Victor], écouter et observer.” (“La historia y memoria de nuestros pueblos originarios tienen miles de años, no se borra por más anuncios que se hagan, siempre hay alguien que enseñe y señale la realidad de nuestra rica toponimia. Es tiempo de escuchar y observar tranquilos Marraku, escuchar y observar.”)

Ecoutons et observons, ils ne peuvent rien contre la mémoire collective.

Lauriane Lemasson

Pour ceux qui souhaitent :

Peuples racines : « 5 à 6 % de l’humanité préserve 80 % de la biodiversité de la planète » (We Planet, 06/06/2024)

À l’occasion du Green Shift Festival, qui se tient du 5 au 7 juin à Monaco, Jorge Quilaqueo, chamane Mapuche, a échangé avec Sabah Rahmani, journaliste anthropologue, et Hélène Collongues, anthropologue spécialiste du peuple Jivaro.

Le 06/06/2024 par Florence Santrot

Green Shift Festival

Sur la scène du Green Shift Festival, de gauche à droite, Jorge Quilaqueo, Sabah Rahmani, Hélène Collongues et Sébastien Uscher (mdérateur). Crédit : Philippe Fitte / FPA2

Jorge Quilaqueo est chamane Mapuche. Ce peuple autochtone du Chili et d’Argentine occupait, jusqu’à l’arrivée des Espagnols, une grande partie du territoire de part et d’autre de la cordillère des Andes, de l’océan Pacifique à l’océan Atlantique. Jorge Quilaqueo défend les droits de son peuple qui a été spolié d’une grande partie de ses terres et a été décimé au fil des siècles – il resterait moins d’un million de Mapuches aujourd’hui. Il œuvre aussi pour inciter les peuples, tous les peuples, à se reconnecter au vivant.

De passage en Europe, il a ouvert, mercredi 5 juin, le Green Shift Festival 2024 de Monaco par une cérémonie de l’eau. Cet événement, dédié aux nouveaux imaginaires d’un monde plus durable, est l’occasion d’aborder « l’écologie du sensible plus que du rationnel », comme l’a expliqué Olivier Wenden, vice-président de la Fondation Prince Albert II de Monaco, qui organise le festival et dont WE DEMAIN est partenaire.

la suite sur leur site : https://www.wedemain.fr/respirer/peuples-racines-5-a-6-de-lhumanite-preserve-80-de-la-biodiversite-de-la-planete/

[Cap Nord 2023] #1 : Petit retour en images à Ingøya, l’une de nos îles “coup de cœur” de l’été dernier.

[Cap Nord 2023] #1 : Petit retour en images à Ingøya, l’une de nos îles “coup de cœur” de l’été dernier.

Située à l’ouest du Cap Nord, cette petite île de 18km² appartient à la municipalité de Måsøy (comté du Troms og Finnmark) et est habitée par une vingtaine de personnes.

Ingøya abrite la plus grande antenne de Scandinavie. Elle sert de relais radio géostratégique entre les deux extrémités de la Norvège : Oslo et le Svalbard.

A l’ouest de l’île culmine le phare Fruholmen (Fruholmen fyr) qui, après avoir été détruit en 1944 par les Allemands, a été reconstruit et remis en service en 1949. Il mesure 18m et est visible à plus de 19 milles nautiques.

Enfin, elle est entourée de récifs et pour accéder à son petit port de pêche les premières fois on passe de la carte à l’observation du balisage local (pas toujours conventionnel…) un paquet de fois ! Et comme nous sommes joueurs, nous y retournerons cet été encore, avec le voilier Milagro ! https://karukinka-exploration.com

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A vos agendas ! Exposition d’une rétrospective photographique et sonore pour les dix ans de Karukinka, à Nantes du 16 au 31 mars 2024

A vos agendas ! Exposition d’une rétrospective photographique et sonore pour les dix ans de Karukinka, à Nantes du 16 au 31 mars 2024

Quoi de mieux que de partager un maté, des empanadas et des alfajores pour faire un saut à l’extrême sud de l’Amérique ?

En partenariat avec El Almacén, un resto bar argentin situé à deux pas de la place Royale (4 rue de l’Arche sèche à Nantes), nous vous convions à l’exposition de sons et d’images réalisés en Patagonie lors de nos différentes expéditions à pieds et à la voile.

Pensée sous la forme d’une rétrospective de dix années passées en territoires selk’nam, yagan et haush, cette présentation d’une partie de nos activités sera complétée, le 16 mars à 18h30, par une conférence de Lauriane Lemasson, fondatrice de l’association.

Au plaisir de vous rencontrer et de vous faire découvrir nos activités passées, présentes et futures,

Jacques Sax, président de l’association Karukinka

PS: pour l’écoute, n’oubliez pas vos écouteurs et, si besoin, d’installer une application de lecture de QR codes

Un bateau d’expédition en escale à Nantes (Télénantes – Ouest France, 27/02/2024)

Un bateau d’expédition en escale à Nantes (Télénantes – Ouest France, 27/02/2024)

“Vous l’avez peut-être remarqué, un navire d’expédition a fait escale à Nantes, au ponton Belem. Il va rester encore un mois, avant de partir direction le grand nord. Pendant les vacances, il est possible de rencontrer l’équipage. Lauriane Lemasson est la fondatrice de l’association Karukinka.”

La vidéo de l’interview est disponible sur : https://www.ouest-france.fr/pays-de-la-loire/nantes-44000/video-un-bateau-d-expedition-en-escale-a-nantes-f14ea1d9-4690-3155-9c50-533f77182f61

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L’association Karukinka, l’une des “belles initiatives” mise à l’honneur par France Bleu (6 février 2024)

L’association Karukinka, l’une des “belles initiatives” mise à l’honneur par France Bleu (6 février 2024)

Depuis 2014, l’association Karukinka se dédie à l’exploration, à la recherche scientifique et à la création artistique en régions polaires et subpolaires…

L’association fête ses 10 ans cette année… C’est Lauriane qui a fondé cette asso au retour d’une expédition en Terre de Feu argentine, dans le cadre d’un master… Sur place elle doit étudier en quoi le paysage sonore a un impact sur le peuplement d’un territoire…Quand elle arrive en terre de feu elle pense que le peuple indigène étudié n’existe plus, d’ailleurs c’est ce qu’indique différents travaux scientifiques sauf qu’une fois sur place, elle se rend compte que le peuple indigène n’a pas du tout disparu…

C’est donc avec détermination qu’elle entreprend de rétablir la vérité… en créant Karukinka qui regroupe des membres d’univers différents autour d’un même objectif : explorer pour mieux comprendre, documenter, sensibiliser, soutenir, défendre et créer…

Un grand projet est de reconstituer des cartes dans la langue d’un peuple indigène car cela n’existe pas mais ce travail  ne peut pas se faire qu’avec des archives, il faut se rendre sur place avec eux, pour s’assurer que tel plan d’eau telle montagne existe toujours, noter son nom et l’intégrer dans une base de données…

Et en ce moment vous pouvez découvrir le travail et une partie de l’équipe au ponton Belem sur le voilier Milagro

Milagro, ça veut dire “miracle” en espagnol, Le voilier et son équipage se préparent avant de mettre le cap sur l’Ecosse et la Norvège…Au programme, plusieurs explorations mêlant navigations à la voile et randonnées… Si vous souhaitez rejoindre l’aventure à bord, c’est possible, pour contacter l’association : 06 72 83 03 94

Mail : karukinka@outlook.com

S’engager avec Karukinka c’est participer à la réalisation de projets de recherches scientifiques et créations artistiques ayant un impact social

https://www.francebleu.fr/emissions/la-belle-initiative-du-jour-en-loire-atlantique-et-vendee/rejoindre-des-expeditions-scientifiques-c-est-possible-avec-karukinka-8463110