La Cordillère Darwin, Terra Incognita des Andes australes

La Cordillère Darwin, Terra Incognita des Andes australes

La cordillère Darwin représente l’une des dernières frontières sauvages de notre planète, un massif montagneux d’une beauté saisissante mais d’une hostilité redoutable, situé à l’extrême sud-ouest de la Terre de Feu chilienne. Cette chaîne de montagnes, connue des Européens en 1832 par Charles Darwin lors de son voyage historique à bord du HMS Beagle, constitue le prolongement le plus austral de la cordillère des Andes et demeure jusqu’à aujourd’hui l’un des environnements les plus extrêmes et les moins explorés de la planète.

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Le voilier Milagro au mouillage dans la caleta Beaulieu, face au glacier Pia (Expédition Karukinka, Cordillère Darwin, Terre de Feu, Chili, 2025)

Nichée entre 54°15′ et 54°50′ de latitude sud et 69°15′ et 71°30′ de longitude ouest, cette “terre inconnue” s’étend sur 170 kilomètres d’ouest en est et 60 kilomètres du nord au sud, abritant un champ glaciaire de plus de 2 300 km² – soit l’équivalent de la superficie totale des glaciers alpins. Jusqu’en 2011, année de la première traversée intégrale réalisée par le Groupe Militaire de Haute Montagne (GMHM) français, la cordillère Darwin demeurait l’un des derniers “rectangles blancs” sur les cartes du monde, témoignant de la difficulté extrême que représente son exploration.

Géographie et géologie : un laboratoire naturel exceptionnel

Localisation et configuration géographique de la cordillère Darwin

La cordillère Darwin occupe une position géographique unique au monde, formant une péninsule montagneuse à l’ouest de la grande île de la Terre de Feu. Cette chaîne de montagnes est entourée d’eau sur trois côtés : au nord par le canal Almirantazgo relié au détroit de Magellan, au sud par le canal Beagle, et à l’ouest par le canal Cockburn qui débouche sur l’océan Pacifique. Seule sa partie orientale reste connectée à la terre ferme, près de la frontière argentino-chilienne, rendant tout accès terrestre pratiquement impossible.

Le massif s’étend du mont Sarmiento à l’ouest (2 404 m) jusqu’à la vallée de Yendegaia à l’est, en passant par son point culminant, le mont Shipton (2 469 m), souvent confondu avec le mont Darwin (2 429 m). Cette confusion historique provient de l’expédition d’Eric Shipton en 1961, qui pensait avoir gravi le mont Darwin mais avait en réalité atteint un sommet plus élevé, baptisé par la suite en son honneur.

Une structure géologique complexe

La géologie de la cordillère Darwin révèle une histoire tectonique complexe et fascinante. Le massif est principalement constitué d’un complexe métamorphique comprenant des roches de haute qualité métamorphique, notamment des schistes cristallins contenant de la kyanite et de la sillimanite. Ces minéraux témoignent de conditions de pression et de température extrêmes lors de la formation de la chaîne de montagnes.

Vue panoramique du glacier Marinelli avec des sommets enneigés et des growlers cordillere de darwin
Vue panoramique du glacier Marinelli avec des sommets enneigés et des growlers (Cordillère Darwin, wikipedia)

Le métamorphisme de haut grade observé dans la cordillère Darwin est directement lié à la fermeture du bassin de Rocas Verdes au Crétacé, un événement géologique majeur qui a façonné la structure actuelle de la région. Ce complexe métamorphique constitue le seul ensemble de ce type dans les Andes australes à présenter des roches d’amphibolite à kyanite et sillimanite, faisant de la cordillère Darwin un laboratoire géologique unique pour comprendre l’évolution tectonique de la pointe sud de l’Amérique du Sud.

La séparation progressive de l’Amérique du Sud et de l’Antarctique au Cénozoïque a transformé la tectonique locale en un régime transpressif caractérisé par des failles transformantes. L’ouverture du passage de Drake il y a 45 millions d’années a également contribué à modeler la géomorphologie actuelle de la région.

Le champ glaciaire et ses caractéristiques

Le champ glaciaire de la cordillère Darwin couvre une superficie impressionnante de 2 300 km², rivale des plus grands systèmes glaciaires non polaires de la planète. Ce manteau de glace alimente une multitude de glaciers qui s’écoulent vers la mer, créant un paysage de fjords profonds et de parois glaciaires spectaculaires.

Parmi les glaciers les plus remarquables, le glacier Marinelli occupe une position particulière en tant que glacier le plus actif et le plus étudié de la cordillère. Situé dans le parc national Alberto de Agostini, ce glacier s’étend sur plusieurs kilomètres depuis la cordillère Darwin jusqu’à la baie Ainsworth dans le fjord Almirantazgo. Le glacier Marinelli est reconnu pour son importante vitesse de recul, documentée depuis plusieurs décennies, ce qui en fait un témoin significatif du changement climatique dans la région.

Climat extrême : les Cinquantièmes Hurlants

Des conditions météorologiques dantesques

Le climat de la cordillère Darwin figure parmi les plus extrêmes de la planète, façonné par sa position dans les redoutables cinquantièmes hurlants. Cette région subit l’influence directe des dépressions cycloniques qui se succèdent sans relâche, alimentées par la différence de température entre les eaux relativement chaudes de l’océan Austral et les masses glaciaires antarctiques.

Les vents constituent l’élément climatique le plus caractéristique et le plus redoutable de la cordillère Darwin. La vitesse moyenne annuelle des vents atteint 70 km/h, mais les pointes peuvent dépasser 250 km/h lors des phénomènes appelés williwaw ou ayayema selon la terminologie des peuples autochtones kawésqar et yagán. Ces vents d’une violence inouïe ont été minutieusement décrits par l’amiral FitzRoy lors de son exploration avec Darwin, qui les considérait comme une “divinité mauvaise” capable de déferler sans prévenir.

Un glacier du fjord Pia lors d'une expédition en voilier dans les canaux de Patagonie Cordillère Darwin, Terre de Feu, Chili,
Un des glaciers de la Cordillère Darwin lors d’une expédition en voilier dans les canaux de Patagonie (Association Karukinka, Chili, 2025)

Précipitations et variabilité saisonnière

Les précipitations dans la cordillère Darwin sont abondantes et quasi permanentes, alimentant le vaste système glaciaire. La région reçoit en moyenne plus de 3 000 mm de précipitations annuelles, principalement sous forme de neige en altitude et de pluie dans les zones côtières. Cette humidité constante, combinée aux vents violents, crée des conditions de visibilité souvent réduites qui compliquent considérablement toute tentative d’exploration.

La température moyenne varie entre 0 et 5°C pendant la saison froide (hiver austral) et entre 5 et 10°C pendant la saison chaude (été austral). Ces variations thermiques relativement faibles reflètent l’influence modératrice de l’océan, mais masquent l’effet refroidissant constant du vent qui abaisse considérablement la température ressentie.

Biodiversité : un écosystème subantarctique unique

Faune terrestre et marine

La cordillère Darwin abrite une biodiversité remarquable, adaptée aux conditions extrêmes de cette région subantarctique. Parmi les mammifères terrestres, le guanaco (Lama guanicoe) constitue l’espèce emblématique des steppes et zones montagneuses, évoluant en troupeaux dans les secteurs les moins hostiles. Ces camélidés sauvages, parfaitement adaptés aux vents violents et aux températures froides, représentent une source alimentaire importante pour les prédateurs de la région.

troupeau de guanacos lama guanicoe lors d'une expedition en terre de feu argentine
Troupeau de guanacos (lama guanicoe) lors d’une expédition de l’association Karukinka en Terre de Feu (2018)

La région abrite également plusieurs espèces de canidés adaptées aux conditions australes, notamment le renard de Magellan (Lycalopex culpaeus) et le renard gris (Lycalopex griseus), qui occupent divers habitats allant des forêts aux zones rocheuses.

Une mention particulière doit être faite concernant les castors canadiens (Castor canadensis), introduits dans les années 1940 et devenus depuis une espèce exotique envahissante majeure. Ces rongeurs semi-aquatiques, dont la population atteint aujourd’hui plusieurs dizaines de milliers d’individus, modifient profondément l’écosystème local en construisant des barrages qui perturbent l’hydrologie naturelle des cours d’eau.

Barrage de castors sur l'île Hoste (Réserve de Biosphère du cap Horn, Chili, expédition en voilier fjords chili canaux de patagonie
Barrage de castors sur l’île Hoste (Réserve de Biosphère du cap Horn, Chili, expédition automne-hiver 2018)

Avifaune : quelques maîtres du ciel austral

La diversité aviaire de la cordillère Darwin témoigne de la richesse écologique de cette région. Plus de 90 espèces d’oiseaux ont été recensées, réparties entre espèces terrestres et marines. Le condor des Andes (Vultur gryphus), avec son envergure impressionnante pouvant atteindre 3 mètres, domine les cieux de la cordillère et constitue l’un des spectacles les plus saisissants pour les rares observateurs.

Les rapaces sont bien représentés avec les caranchos (caracaras) et chimangos. Dans les zones boisées, le pic de Magellan, les comesebos et les rayaditos animent la forêt magellanique de leurs chants caractéristiques.

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Un Carancho noir (Réserve du Cap Horn, le 10 avril 2025 lors d’une expédition en voilier au cap Horn et dans les canaux de Patagonie)

Les environnements aquatiques et côtiers abritent une faune marine exceptionnelle. Les eaux du canal Beagle et des fjords environnants servent d’habitat à des colonies de manchots de Magellan (Spheniscus magellanicus), une espèce emblématique de la région. Plus remarquable encore, la cordillère Darwin abrite la seule colonie de manchots royaux (Aptenodytes patagonicus) située en dehors de l’Antarctique et des îles subantarctiques, témoignant du caractère exceptionnel de cet écosystème.

manchots de Magellan (pingüinos) en Patagonie insulaire
Petit groupe de manchots de Magellan (pingüinos) en Patagonie insulaire

Mammifères marins des fjords patagons

Les eaux entourant la cordillère Darwin constituent un sanctuaire pour de nombreuses espèces de mammifères marins. Les baleines franches australes (Eubalaena australis) et les baleines à bosse (Megaptera novaeangliae) fréquentent régulièrement ces eaux riches en nutriments. Les léopards de mer trouvent refuge dans les fjords protégés, profitant de la richesse halieutique de la région.

Les éléphants de mer (Mirounga leonina) forment des colonies temporaires sur certaines plages isolées, particulièrement dans la zone du glacier Marinelli où une population en voie de disparition subsiste encore. Les otaries à crinière (Otaria flavescens) sont également présentes en grand nombre, créant des colonies bruyantes sur les îlots rocheux des fjords.

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Colonie d’otaries à fourrure dans le canal Beagle (expédition en voilier Karukinka 2025)

Flore : les forêts magellaniques et leur adaptation

L’écosystème forestier subantarctique

La végétation de la cordillère Darwin se caractérise par la présence de forêts magellaniques subantarctiques, également appelées forêts fuégiennes. Ces écosystèmes forestiers uniques au monde sont dominés par des espèces du genre Nothofagus, parfaitement adaptées aux conditions climatiques extrêmes de la région.

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Forêt magellanique photographiée lors d’une expédition en voilier en Patagonie (canal Beagle, Réserve de Biosphère du Cap Horn, Chili, 2025)

Le lenga (Nothofagus pumilio) constitue l’espèce forestière la plus caractéristique et la plus répandue de la cordillère Darwin. Cet arbre caduc, capable de résister aux vents violents et aux températures glaciales, forme des peuplements denses jusqu’à 700 mètres d’altitude. Sa capacité d’adaptation remarquable lui permet de survivre dans des conditions où peu d’autres espèces arborescentes peuvent prospérer.

Le coihue (Nothofagus betuloides) et le ñire (Nothofagus antarctica) complètent le cortège des hêtres du sud qui dominent le paysage forestier. Ces espèces, associées au canelo (Drimys winteri), forment un écosystème forestier dense et complexe, façonné par les vents violents qui sculptent littéralement la silhouette des arbres.

Adaptation à l’extrême : lengas nains et toundra

Au-delà de 700 mètres d’altitude, les conditions deviennent trop rigoureuses pour maintenir des forêts de taille normale. C’est dans cette zone de transition que l’on observe un phénomène remarquable d’adaptation : la formation de lengas nains, des arbres de la même espèce mais dont la croissance est considérablement ralentie et la taille réduite par les conditions extrêmes.

Paysage de toundra dans la réserve de Biosphère du cap Horn (expédition hiver 2018)

Cette zone de transition marque la limite entre l’étage forestier et l’étage alpin, où la végétation se compose principalement de mousses et de lichens capables de résister aux vents desséchants et aux températures négatives. Cette toundra magellanique constitue un écosystème unique, abritant des espèces végétales hautement spécialisées.

Flore spécialisée et endémisme

Les sous-bois des forêts magellaniques recèlent une diversité floristique remarquable, adaptée aux conditions d’humidité constante et de faible luminosité. Parmi les espèces remarquables, la drosera uniflora, une petite plante carnivore, illustre parfaitement les adaptations extraordinaires développées par la flore locale pour survivre dans cet environnement pauvre en nutriments.argentina-excepcion

Végétation de la forêt magellanique (Réserve de Biosphère du cap Horn, 2018)

Les arbustes à baies occupent une place importante dans l’écosystème, notamment le calafate, l’épine-vinette de Darwin et le groseillier de Magellan. Ces espèces constituent une source alimentaire précieuse pour la faune locale et témoignent de l’interconnexion complexe des réseaux trophiques dans cet environnement extrême.

La flore herbacée comprend des espèces endémiques remarquables telles que la primevère de Magellan, la benoîte de Magellan, diverses espèces d’orchidées et la violette jaune. La période de floraison, concentrée sur le printemps austral (septembre à décembre), transforme brièvement les paysages en un kaléidoscope de couleurs contrastant avec la rudesse habituelle du milieu.

La découverte historique par Charles Darwin

L’histoire moderne de la cordillère Darwin débute le 12 février 1834, lorsque le capitaine Robert FitzRoy baptise cette chaîne de montagnes en l’honneur du 25e anniversaire de Charles Darwin. Cette dénomination intervient lors du second voyage du HMS Beagle, une expédition hydrographique britannique qui révolutionne la compréhension géographique et scientifique de la Terre de Feu.

Darwin lui-même, alors âgé de 25 ans, découvre ces montagnes avec un mélange de fascination et d’appréhension. Dans ses écrits, il décrit un paysage d’une beauté saisissante mais d’une hostilité redoutable, pressentant déjà les défis considérables que représenterait l’exploration de cette région. FitzRoy avait initialement nommé un canal au sud-ouest de la montagne “canal Darwin” pour honorer le courage du jeune naturaliste lors du sauvetage des barques du navire menacées par la chute d’une masse de glace.

L’époque des premières tentatives

Pendant plus d’un siècle après sa découverte, la cordillère Darwin demeure largement inexplorée, défiant les tentatives d’exploration les plus audacieuses. Les rares incursions se limitent aux extrémités orientale et occidentale de la chaîne, laissant le cœur du massif dans un mystère quasi total.

Le père Alberto de Agostini, missionnaire et explorateur italien, compte parmi les premiers à pénétrer sérieusement dans la région au début du XXe siècle. Ses expéditions, menées entre 1910 et 1960, permettent d’identifier et de cartographier plusieurs sommets et glaciers, notamment les monts Italia et Francés. Ses photographies et ses récits constituent les premiers témoignages visuels de l’intérieur de la cordillère Darwin, révélant au monde la magnificence de ces paysages glaciaires.

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Alberto de Agostini et ses compagnons de cordée, pionniers de l’alpinisme dans la cordillère Darwin au début du XXe siècle

L’exploit de l’alpiniste Eric Shipton (1961)

L’année 1961 marque un tournant dans l’histoire de l’exploration de la cordillère Darwin avec l’expédition menée par Eric Shipton, l’un des plus grands explorateurs britanniques du XXe siècle. Accompagné de trois alpinistes chiliens – Eduardo Garcia, Francisco Vivanco et Cedomir Marangunic – Shipton réalise ce qu’il croit être la première ascension du mont Darwin.

Cette expédition révèle une confusion géographique qui perdurera jusqu’en 1970. L’équipe de Shipton gravit en réalité un sommet situé au nord-ouest du véritable mont Darwin, culminant à 40 mètres de plus que ce dernier. Cette méprise sera clarifiée par une expédition néo-zélandaise en 1970, qui propose de baptiser le sommet gravi par Shipton du nom de mont Shipton, proposition acceptée par les autorités géographiques chiliennes.

L’expédition de Shipton marque néanmoins une étape cruciale dans la connaissance de la cordillère Darwin, démontrant la faisabilité de l’alpinisme de haut niveau dans cette région extrême. Les descriptions détaillées de Shipton révèlent les difficultés extraordinaires posées par le climat, avec des vents d’une violence inouïe qui obligent les alpinistes à ramper à quatre pattes pour progresser.

La première traversée intégrale par les alpinistes du GMHM (2011)

Le 6 octobre 2011 marque l’achèvement de l’un des derniers grands exploits d’exploration terrestre du XXIe siècle. Six membres du Groupe Militaire de Haute Montagne (GMHM) de Chamonix réussissent la première traversée intégrale de la cordillère Darwin, un exploit sportif et humain longtemps considéré comme impossible.

L’équipe de l’expédition nommée “sur le fil de Darwin”, dirigée par le capitaine Lionel Albrieux et composée du lieutenant Didier Jourdain, de l’adjudant-chef Sébastien Bohin, du sergent-chef François Savary, du caporal Sébastien Ratel et du grimpeur civil Dimitri Munoz, traverse 150 kilomètres en ligne droite (250 kilomètres réels) en totale autonomie pendant 29 jours.

Les alpinistes du GMHM au départ de l’expédition (Yendegaia) en 2011 http://www.gmhm.terre.defense.gouv.fr/

Cette expédition historique nécessite une préparation minutieuse d’une année entière. Chaque membre porte 75 kilogrammes de matériel, incluant 40 kilogrammes de nourriture lyophilisée, le tout tracté sur des pulkas (traîneaux) spécialement testées en Norvège. L’absence de cartographie fiable – la dernière datant de 1954 – oblige l’équipe à s’appuyer sur un système GPS non conventionnel associé à des photographies aériennes.

Les conditions rencontrées dépassent tout ce que les alpinistes français avaient pu imaginer. Face au mont Darwin, l’équipe doit négocier une arête effilée de 5 kilomètres, oscillant entre 40 centimètres et 1,5 mètre de largeur. Les vents atteignent régulièrement 150 km/h, contraignant les explorateurs à progresser à quatre pattes ou même allongés pour éviter d’être emportés.

Deux alpinistes du Groupe Militaire de Haute Montagne sur une crête http://www.gmhm.terre.defense.gouv.fr/

Le succès de cette expédition transforme définitivement la cordillère Darwin d’une “terra incognita” en territoire accessible, ouvrant la voie à de futures explorations scientifiques et sportives. Le film documentaire “Sur le fil de Darwin“, réalisé à partir des images tournées par l’équipe, témoigne de cet exploit exceptionnel et révèle au grand public la beauté sauvage de cette région.

Conservation et statut de protection

Le Parc National Alberto de Agostini

La protection de la cordillère Darwin s’articule principalement autour du parc national Alberto de Agostini, créé le 22 janvier 1965 par le décret suprême n°80 du ministère de l’Agriculture du Chili. Avec une superficie de 1 460 000 hectares, ce parc constitue la troisième plus grande aire protégée du Chili et englobe la majeure partie de la cordillère Darwin.

Le parc national porte le nom du père Alberto María De Agostini (1883-1960), missionnaire salésien, explorateur, photographe, géographe et ethnologue italien qui consacra une grande partie de sa vie à l’exploration et à la documentation de la Patagonie et de la Terre de Feu. Ses travaux pionniers, incluant une importante collection photographique et une vingtaine d’ouvrages sur la région, constituent un patrimoine scientifique et culturel inestimable.

Le parc s’étend sur trois provinces chiliennes : Magallanes, Tierra del Fuego et l’Antarctique chilien, illustrant la complexité administrative de cette région frontalière. Il inclut de nombreuses îles (Gordon, Londonderry, une partie de l’île Hoste), la totalité de la cordillère Darwin avec ses glaciers, ainsi que de nombreux fjords.

Reconnaissance internationale et Réserve de Biosphère UNESCO

En 2005, le parc national Alberto de Agostini obtient une reconnaissance internationale majeure en intégrant la réserve de biosphère Cabo de Hornos (cap Horn) de l’UNESCO. Cette désignation souligne l’importance écologique et culturelle mondiale de la région et place la cordillère Darwin parmi les 24 écorégions les plus pristines de la planète

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L’un des nombreux fjords du parc national Alberto de Agostini (expédition en voilier, Canaux de Patagonie, Chili, 2025)

Le statut de réserve de biosphère implique un engagement de conservation à long terme, associé à des programmes de recherche scientifique et de développement durable. Cette reconnaissance favorise également le développement d’un écotourisme responsable, permettant aux visiteurs de découvrir cette région exceptionnelle tout en contribuant à sa préservation.

La cordillère Darwin bénéficie également de la protection offerte par diverses conventions internationales, notamment celles relatives à la protection des zones humides et des espèces migratrices. Sa position géographique unique en fait un corridor essentiel pour de nombreuses espèces d’oiseaux marins et de mammifères marins qui transitent entre l’Atlantique et le Pacifique.

Défis de conservation actuels

Malgré son statut de protection, la cordillère Darwin fait face à plusieurs défis de conservation significatifs. Le changement climatique constitue la menace la plus préoccupante, avec un recul documenté de la plupart des glaciers de la région. Le glacier Marinelli, en particulier, subit un retrait accéléré qui témoigne de l’impact du réchauffement global sur ces écosystèmes fragiles.

L’introduction d’espèces exotiques, notamment les castors canadiens, pose un défi écologique majeur. Ces ingénieurs de l’écosystème modifient profondément l’hydrologie locale en construisant des barrages, perturbant les habitats naturels et compromettant l’intégrité des forêts magellaniques.

La pression touristique, bien que limitée par l’accessibilité difficile de la région (uniquement par voie maritime), nécessite une gestion attentive pour éviter la dégradation des sites les plus sensibles. Le développement de croisières spécialisées vers les glaciers de la cordillère Darwin requiert un équilibre délicat entre accessibilité publique, sensibilisation aux risques (ne pas faire de feu par exemple à cause du vent et des sites archéologiques yagan présents sur le littoral) et préservation environnementale.

Recherche scientifique et enjeux contemporains

Laboratoire du changement climatique

Cette cordillère constitue un laboratoire naturel exceptionnel pour l’étude du changement climatique et de ses impacts sur les écosystèmes subantarctiques. Les glaciers de la région, en particulier le glacier Marinelli, font l’objet d’un monitoring scientifique continu depuis plusieurs décennies.

Les recherches menées révèlent une tendance préoccupante au recul glaciaire généralisé. Le glacier Marinelli, qui était l’un des glaciers les plus stables de la région jusqu’aux années 1960, présente désormais un taux de retrait parmi les plus élevés au monde. Cette évolution rapide en fait un indicateur privilégié des modifications climatiques à l’échelle régionale et globale.

Les études géomorphologiques et climatologiques menées dans la cordillère Darwin contribuent également à la compréhension des mécanismes d’interaction entre océan, atmosphère et cryosphère dans les hautes latitudes australes. Ces recherches revêtent une importance particulière pour les modèles de prédiction climatique globale.

Biodiversité et adaptation évolutive

La position géographique unique de la cordillère Darwin, à l’interface entre les domaines tempéré et subantarctique, en fait un terrain d’étude privilégié pour comprendre les mécanismes d’adaptation et d’évolution des espèces dans des conditions environnementales extrêmes.

Les recherches sur la faune marine révèlent l’importance de la région comme corridor biologique entre les océans Atlantique et Pacifique. Les populations de mammifères marins qui fréquentent les fjords de la cordillère Darwin présentent des caractéristiques génétiques particulières, témoignant de l’isolement relatif de ces écosystèmes.

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Deux baleines franches australes dans le canal Beagle (2018)

L’étude de la flore magellanique contribue à la compréhension des mécanismes d’adaptation des végétaux aux conditions de vent extrême et de stress hydrique. Les formes naines développées par certaines espèces arborescentes constituent un modèle d’étude pour comprendre la plasticité phénotypique des organismes face aux contraintes environnementales.

Vulnérabilité et résilience des écosystèmes

Les écosystèmes de la cordillère présentent une vulnérabilité particulière aux perturbations extérieures, du fait de leur isolement géographique et de leurs conditions environnementales déjà extrêmes. Cette fragilité intrinsèque rend d’autant plus crucial le développement de stratégies de conservation adaptatives.

Les recherches sur la résilience des forêts magellaniques face aux changements climatiques révèlent des capacités d’adaptation variables selon les espèces et les sites. Certaines populations de lenga montrent des signes de stress croissant, tandis que d’autres semblent maintenir leur vitalité malgré les modifications environnementales.

L’impact des espèces introduites sur l’équilibre écologique local fait l’objet d’études approfondies, notamment concernant les castors canadiens dont la prolifération modifie radicalement la structure des habitats aquatiques et forestiers. Ces recherches contribuent au développement de stratégies de gestion des espèces invasives adaptées aux conditions spécifiques de la cordillère Darwin.

Un patrimoine mondial à préserver

La cordillère Darwin demeure aujourd’hui l’un des derniers sanctuaires sauvages de notre planète, un territoire où la nature règne encore en maître absolu malgré la pression croissante des activités humaines. Cette chaîne de montagnes exceptionnelle, façonnée par des millions d’années d’évolution géologique et climatique, constitue un patrimoine naturel d’une valeur inestimable pour l’humanité entière.

L’exploit réalisé par le GMHM en 2011 a certes levé le voile sur cette “terra incognita”, mais il a également révélé la fragilité de ces écosystèmes uniques face aux défis du XXIe siècle. Le recul accéléré des glaciers, l’impact des espèces introduites et les pressions du changement climatique global menacent l’intégrité de ce joyau naturel.

La préservation de la cordillère Darwin nécessite une approche globale associant protection stricte, recherche scientifique de pointe et développement d’un écotourisme responsable. Cette région extraordinaire nous rappelle que certains territoires de notre planète méritent d’être préservés dans leur état sauvage, non seulement pour leur beauté intrinsèque, mais aussi pour leur rôle irremplaçable dans la compréhension des mécanismes fondamentaux qui régissent notre biosphère.

Le détroit de Magellan : passage légendaire entre les océans

Le détroit de Magellan : passage légendaire entre les océans

Au cœur de la Patagonie chilienne s’étend l’un des passages maritimes les plus emblématiques de la planète : le détroit de Magellan. Cette voie d’eau naturelle de 570 kilomètres, qui sépare la Patagonie continentale de la Terre de Feu, constitue le principal corridor bi-océanique reliant les océans Atlantique et Pacifique. Habité depuis plusieurs millénaires par les peuples autochtones Selknam, Kawesqar et Tehuelches et découvert il y a plus de 500 ans par Ferdinand Magellan, ce passage stratégique continue de fasciner par son histoire exceptionnelle, sa géographie unique et sa biodiversité remarquable.

Histoire et découverte : sur les traces de Magellan

L’expédition historique de 1520

Le 21 octobre 1520 marque une date cruciale dans l’histoire de la navigation mondiale. C’est ce jour-là que l’expédition espagnole menée par le navigateur portugais Ferdinand Magellan découvre l’entrée orientale du détroit qui portera son nom. Parti de Séville en septembre 1519 avec cinq navires et 237 hommes, Magellan recherchait un passage vers les îles Molucas, sources lucratives d’épices.

L’explorateur baptise initialement ce passage “Estrecho de Todos los Santos” (Détroit de Tous les Saints) en référence à la fête religieuse célébrée le jour de sa découverte. Ce n’est qu’après sa mort aux Philippines que Charles Quint, souverain d’Espagne, rebaptise le détroit en l’honneur de son découvreur.

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Carte du détroit par Antonio Pigafetta

Une navigation périlleuse et révolutionnaire

La traversée du détroit par l’expédition de Magellan s’avère particulièrement difficile. Les navigateurs doivent affronter des vents violents, des courants imprévisibles et un labyrinthe de canaux bordés de montagnes enneigées. Antonio Pigafetta, chroniqueur de l’expédition, décrit ce passage comme ayant “110 leguas de long” (environ 440 milles) avec “des ports très sûrs, d’excellentes eaux, du bois de cèdre, du poisson, des sardines, des moules et du céleri”.

Cette découverte révolutionne la navigation mondiale en offrant une alternative au redoutable passage du cap Horn. De nombreuses expéditions furent menées pour faire évoluer les connaissances hydrographiques nécéssaires pour améliorer la sécurité de la navigation; parmis celles-ci, l’expédition de Beauchesne. Avant l’ouverture du canal de Panama en 1914, le détroit de Magellan devint rapidement la principale route maritime reliant l’Europe aux côtes pacifiques des Amériques.

carte du détroit de magellan établie sur les observations de l'expédition beauchesne
Carte du détroit de Magellan (1699) établie sur les observations de l’expédition française de Beauchesne

Géographie et caractéristiques physiques

Dimensions et configuration

Le détroit de Magellan s’étend sur 570 kilomètres de longueur, depuis la pointe Dungeness à l’est jusqu’aux îlots Evangelistas à l’ouest. Sa largeur varie considérablement : elle atteint seulement 2 kilomètres à son point le plus étroit près de l’île Carlos III, tandis qu’elle peut s’élargir jusqu’à 32 kilomètres dans certaines sections.

Les profondeurs du détroit sont remarquables, oscillant entre 28 mètres minimum près de l’île Magdalena et 1,080 mètres maximum au niveau du phare Cooper Key. Cette configuration géologique complexe résulte de millions d’années d’activité tectonique et glaciaire qui ont façonné le paysage patagonique.

Formation géologique

L’origine du détroit remonte au Crétacé tardif, il y a environ 80 millions d’années. Les mouvements terrestres ont créé des fractures aux parois plates qui ont donné naissance aux canaux de patagonie. Durant le Pléistocène, il y a 1,5 million d’années, l’action glaciaire a approfondi et élargi ces passages naturels.

Cette histoire géologique explique la morphologie unique du détroit, caractérisée par des fjords profonds, des îles rocheuses et des canaux tortueux qui créent un véritable labyrinthe maritime.

Climat et conditions de navigation

Ce passage maritime historique présente des conditions météorologiques particulièrement exigeantes pour la navigation. Le climat subantarctique se caractérise par des vents d’ouest persistants, souvent appelés “williwaw” (un mot kawésqar), qui peuvent atteindre des vitesses de plus de 100 nœuds (185 km/h).

Ces vents descendant des montagnes côtières (vents catabatiques) créent des rafales violentes et imprévisibles, rendant la navigation périlleuse. Les températures varient généralement entre -5°C et 15°C, avec des précipitations fréquentes et une visibilité souvent réduite par le brouillard.

Les peuples autochtones : premiers gardiens du détroit

Bien avant que Ferdinand Magellan ne découvre ce passage maritime en 1520, le détroit et ses environs étaient habités depuis plus de 11,000 ans par différents peuples autochtones. Ces premiers habitants avaient développé des cultures complexes et diversifiées, parfaitement adaptées aux conditions extrêmes de la Patagonie australe. Trois groupes ethniques principaux coexistaient dans cette région : les Kawésqar, les Tehuelche (Aónikenk) et les Selknam.

Homme selk'nam assis avec son arc, et une femme kawésqar et son enfant
Photographies des archives salésiennes : un homme selknam assis avec son arc, et une femme kawésqar avec son fils

Ces peuples originaires possédaient une connaissance approfondie du territoire et naviguaient déjà ces eaux difficiles des siècles avant l’arrivée des Européens. C’est d’ailleurs leurs feux de camp, observés par l’expédition de Magellan, qui donnèrent son nom à la “Tierra del Fuego” (Terre de Feu).

Avant de s’appeler “détroit de Magellan” et dans le cadre des activités de reconstruction des cartographies autochtones de l’association Karukinka, l’une des transcriptions du nom selknam de ce passage entre le continent et la Terre de Feu est Hatitelen. Pour en savoir plus sur ce projet, rdv ici : https://karukinka.eu/fr/cartographie-autochtone-toponymes-yagan-selknam-haush/

Les Kawésqar : nomades des canaux

Les Kawésqar ou Kawashkar, également appelés à tords Alacalufs par les navigateurs européens, constituent l’un des peuples des canaux patagoniques. Nomades des mers, ils parcouraient en canoës les canaux et fjords entre le golfe de Penas et le détroit de Magellan depuis environ 6,000 ans.

Mode de vie et territoire

Le territoire kawésqar s’étendait sur une zone immense, comprenant la partie occidentale du détroit, l’île Wellington, l’île Santa Inés et l’île Desolación. Ces navigateurs exceptionnels vivaient pratiquement sur leurs embarcations, des canoës construits en écorce d’arbre qui leur permettaient de se déplacer à travers le labyrinthe de canaux patagons.

Leur société était organisée en petits groupes familiaux qui se déplaçaient constamment en quête de ressources marines. Ils se nourrissaient principalement de loups marins, mollusques, poissons et collectaient également des cholgas (moules géantes pouvant atteindre 17 cm). Leur nom signifie littéralement “personne” ou “être humain” dans leur langue.

Spiritualité et rituels

Les Kawésqar possédaient un système de croyances centré sur Xólas, être créateur omnipresent et céleste. Leurs rituels complexes impliquaient des cérémonies où les femmes se rassemblaient dans des chozas spécialisées, le corps peint, pour communier avec les forces spirituelles.

L’utilisation de peinture corporelle constituait un élément central de leur culture, particulièrement lors des cérémonies religieuses et des rituels de passage/initiatiques. Ces pratiques révélaient une cosmovision sophistiquée adaptée à leur environnement maritime extrême.

Les Tehuelche (Aónikenk) : géants de la steppe continentale

Les Aónikenk, branche la plus australe du groupe Tehuelche, occupaient les vastes steppes patagoniennes entre le río Santa Cruz et le détroit de magellanique. Ces chasseurs-cueilleurs nomades furent les premiers autochtones rencontrés par l’expédition de Magellan en 1520.

Les “Géants patagons”

Les navigateurs européens furent impressionnés par la stature imposante des Aónikenk, qui mesuraient généralement plus d’1,80 mètre, soit une taille remarquable comparée aux Européens de l’époque (moins d’1,65 mètre). Cette différence physique donna naissance au mythe des “géants patagons” et au nom même de Patagonie.

Le terme “Patagón” fut créé par Antonio Pigafetta en référence au géant Pathoagon, personnage de roman de chevalerie, marquant ainsi l’imaginaire européen. Les Aónikenk se désignaient eux-mêmes comme “aonek’enk”, signifiant “gens du sud”.

Organisation sociale et territoire

La société aónikenk était fondamentalement égalitaire, organisée en bandes de chasseurs-recolecteurs qui se déplaçaient à pied à travers leurs territoires de chasse. Ils possédaient une connaissance détaillée de leur environnement et établissaient périodiquement leurs campements (aike) dans des lieux stratégiques.

Leur territoire était divisé zones de chasse familiales aux limites géographiques clairement établies. La transgression de ces territoires pouvait provoquer des conflits entre groupes, démontrant l’importance de l’organisation spatiale dans leur société.

Les Selknam : gardiens de la Terre de Feu

Les Selknam, également appelés Onas par leurs voisins Yagans, habitaient la grande île de la Terre de Feu et représentaient l’une des cultures les plus sophistiquées de la région. Arrivés à pieds sur l’île avant la fin de la dernière glaciation, alors que le détroit était encore fermé par les glaces, ils développèrent une société complexe avec des rituels élaborés.

Organisation territoriale et sociale

La société selknam était structurée autour de lignages habitant des territoires communs appelés haruwen. L’île était divisée en plusieurs de ces territoires, regroupés en sept “cielos” (cieux), divisions majeures à caractère exogamique qui obligeaient les membres d’un groupe à se marier avec des personnes d’un autre.

Cette organisation complexe révélait une société hautement stratifiée où chaque élément de la nature était associé à des ancêtres mythiques et à des territoires spirituels spécifiques.

La cérémonie du Hain

Le rituel le plus remarquable des Selknam était la cérémonie du Hain, complexe initiation masculine qui pouvait durer plusieurs mois. Cette cérémonie servait à initier les jeunes à l’âge adulte tout en maintenant la domination masculine au sein de la société selk’nam, à travers une représentation théâtrale sophistiquée.

Durant le Hain, les hommes adultes se déguisaient en esprits en utilisant des peintures corporelles élaborées et des masques, terrorisant les femmes qui devaient croire en la réalité de ces manifestations surnaturelles. Les Selknam utilisaient uniquement trois couleurs : noir (charbon et cendre), blanc (argile blanche) et rouge (ocre).

Tanu, l'une des divinités représentée lors du Hain, rituel selknam
Tanu, l’une des divinités représentées durant le Hain, rituel initatique des jeunes hommes selknam (photographie de Martin Gusinde)

Chamanisme et spiritualité

Les chamanes selknam, appelés xo’on, jouissaient d’un grand prestige social. Ils entraient en transe par des chants prolongés, leur âme tentant d’ascendre vers l’un des “cielos” pour obtenir leur pouvoir spirituel. Ces pratiques chamaniques témoignaient d’une spiritualité complexe connectée à leur cosmovision territoriale.

Impact de la colonisation et génocide

L’arrivée de la colonisation européenne au XIXe siècle marqua le début d’une tragédie humaine sans précédent pour ces peuples. La colonisation chilienne et argentine, avec l’établissement d’estancias ovines et le développement de l’industrie baleinière, déclencha un véritable génocide contre les populations autochtones.

L’extermination systématique

Entre 1870 et 1900, les autorités chiliennes et argentines organisèrent des campagnes d’extermination contre les peuples patagons et fuégiens. Les estancieros payaient des primes pour les oreilles d’autochtones tués, transformant la chasse à l’homme en activité lucrative.

La population selknam, estimée à plus de 3,000 personnes en 1896, chuta dramatiquement à 279 en 1919 selon l’ethnologue Martín Gusinde, puis à seulement 25 en 1945 selon les chiffres officiels. Ces chiffres se doivent d’être pris avec beaucoup de précautions puisqu’ils prennenent en compte l’un des filtres de l’époque, le métissage, et la nécéssité de ne pas revendiquer d’appartenance autochtone pour se protéger.

Exhibitions humaines

L’humiliation culmina avec l’exhibition de groupes d’autochtones dans les “zoos humains” européens et sudaméricains. Entre 1878 et 1900, des représentants des peuples Tehuelche, Selknam et Kawésqar furent capturés pour être exposés comme des curiosités. Beaucoup ne survécurent pas à ces exhibitions dégradantes, l’une des expressions les plus abjectes du colonialisme et fondement même du racisme.

Zoos humains exhibitions coloniales selknam à paris jardin d'acclimatation Maurice Maître
M. Maître et plusieurs personnes Selknam capturées en accord avec les autorités chiliennes pour être exhibées lors des zoos humains organisés en Europe (1889)

Renaissance et reconnaissance contemporaine

Malgré les tentatives d’extermination, ces peuples ne sont pas totalement éteints. Une renaissance culturelle et politique remarquable s’observe depuis les dernières décennies.

Reconnaissance officielle

L’Argentine reconnut officiellement les Selknam en 1994, tandis que le Chili les reconnut en 2023 par la loi 21.606. Le recensement argentin de 2010 révèle l’existence de 2,761 personnes s’identifiant comme Selknam, dont plus de 294 vivent en Terre de Feu. Au Chili, 1,144 personnes se déclarent Selknam selon le recensement de 2017.

Les Kawésqar sont reconnus par la loi indígena 19.253 depuis 1993 et s’organisent en 14 Communautés Indigènes. Selon le recensement chilien de 2017, 3,448 personnes se déclarent Kawésqar.

Recherche et réhabilitation

Des universités chiliennes, notamment l’Universidad de Magallanes et l’Universidad Católica Silva Henríquez, mènent des recherches pour documenter l’histoire réelle de ces peuples. Ces travaux révèlent que les Selknam étaient plus nombreux qu’estimé précédemment et remet en question les narratifs historiques établis par les colonisateurs.

Cette renaissance culturelle témoigne de la résilience extraordinaire de ces peuples qui, malgré un génocide systématique, maintiennent vivante leur identité et revendiquent leur place dans l’histoire du détroit de Magellan.

Biodiversité et écosystèmes marins

Faune marine exceptionnelle

Le détroit de Magellan abrite une biodiversité marine remarquable qui en fait l’une des zones les plus riches de l’hémisphère sud. Les eaux froides et riches en nutriments favorisent le développement d’un écosystème unique où prospèrent de nombreuses espèces endémiques.

Les manchots de Magellan

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Manchots de Magellan sur l’île Magdalena

L’île Magdalena, située à 32 kilomètres au nord-est de Punta Arenas, héberge la plus importante colonie de manchots de Magellan (Spheniscus magellanicus) du détroit. Cette colonie compte environ 50,000 couples reproducteurs qui se rassemblent chaque année entre octobre et mars pour la saison de reproduction.

Ces manchots, nommés en l’honneur de Ferdinand Magellan qui les observa en 1520, peuvent mesurer jusqu’à 76 centimètres et peser entre 2,7 et 6,5 kilogrammes. Ils se distinguent des autres espèces par leurs deux bandes noires caractéristiques sur la poitrine.

Mammifères marins

Le détroit accueille également une riche population de mammifères marins. Les baleines à bosse fréquentent particulièrement l’aire marine protégée Francisco Coloane, créée spécifiquement pour leur conservation. Cette zone constitue l’un des meilleurs sites d’observation de cétacés au monde.

Les lions de mer d’Amérique du Sud (Otaria flavescens) et les éléphants de mer du Sud établissent leurs colonies sur les îles rocheuses du détroit. L’île Marta, proche de l’île Magdalena, abrite plus de 1,000 lions de mer ainsi que diverses espèces d’oiseaux marins.

otaries à fourrure canaux de patagonie biodiversite subantarctique patagonie chilienne
Petite colonie d’otaries à fourrure (Otaria flavescens) en Patagonie chilienne

Diversité aviaire

Les eaux du détroit attirent de nombreuses espèces d’oiseaux marins. Les cormorans impériaux, les albatros à sourcils noirs, les pétrels géants antarctiques et les majestueux condors des Andes survolent régulièrement ces eaux.

Flore terrestre et écosystèmes côtiers

La végétation des côtes du détroit reflète l’adaptation remarquable de la flore aux conditions climatiques extrêmes de la Patagonie. Les forêts de Nothofagus, comprenant le coigüe de Magellan (Nothofagus betuloides), le lenga (Nothofagus pumilio) et le ñirre (Nothofagus antarctica), dominent les paysages boisés marqués par l’anémomorphose.

Patagonia is a massive, untouched, wind blown and raw land of southern South America. It is typically divided into three principle sections: northern, central, and southern. The climate of southern Patagonia is most extreme. On the Chilean side it is heavily influenced by the close proximity of the ocean. Antarctic currents with average temperatures of 4°C flow past the coast and violent westerlies bring the famous Patagonia wind along with staggering quantities of snow or rain.
Un hêtre impacté par les vents de Patagonie, Estrecho de Magallanes, Chili

Dans les zones plus exposées se développent des matorrals composés de romerillo (Chiliotrichum diffusum), de chaura (Pernettya pumila) et du célèbre calafate (Berberis microphylla), arbuste à petits fruits emblématique de Patagonie. La région abrite également une diversité exceptionnelle de mousses et lichens, véritables forêts miniatures de bryophytes emblématiques de ces écosystèmes subantarctiques.

Pilotage obligatoire et sécurité maritime

Depuis 1978, la navigation dans le détroit de Magellan requiert un pilotage obligatoire pour tous les navires commerciaux. Cette mesure, mise en place par l’autorité maritime chilienne, vise à garantir la sécurité dans ces eaux difficiles et à préserver l’environnement marin exceptionnel.

Les pilotes embarquent généralement à la baie Posesión pour l’entrée orientale et accompagnent les navires jusqu’à la sortie occidentale près des îlots Evangelistas. Ce service de pilotage s’appuie sur un réseau de phares et de stations de contrôle du trafic maritime répartis tout au long du détroit. Le site de l’Armada chilienne DIRECTEMAR fournit les détails de ces aides à la navigation.

Renaissance économique et géopolitique

Contrairement aux prédictions pessimistes suivant l’ouverture du canal de Panama, le détroit de Magellan connaît aujourd’hui une renaissance stratégique remarquable. L’Armada du Chili rapporte une augmentation de 25% du trafic maritime en 2024 par rapport à l’année précédente, avec une projection d’augmentation de 70% pour l’ensemble de l’année.

Cette croissance s’explique par plusieurs facteurs convergents : les tensions géopolitiques mondiales, les limitations du canal de Panama face aux navires de grande taille, et l’émergence de l’Asie-Pacifique comme centre économique mondial. La route du détroit présente l’avantage d’être 390 milles nautiques plus courte que le passage par le cap Horn, économisant environ 32 heures de navigation.

Le potentiel de l’hydrogène vert

La région de Magallanes se positionne actuellement comme un acteur majeur de l’hydrogène vert grâce à ses conditions climatiques exceptionnelles. Les vents constants et puissants du détroit offrent un potentiel éolien capable de produire sept fois la capacité actuelle de la matrice électrique chilienne.

Ce développement controversé transformerait le détroit en corridor énergétique stratégique pour l’approvisionnement mondial en hydrogène vert. Les investissements chinois et japonais dans la région témoignent de l’intérêt international croissant pour cette nouvelle activité économique.

Tourisme et découverte

Croisières et observation de la faune

Le détroit de Magellan s’est imposé comme une destination touristique de premier plan, attirant près de 77,691 passagers lors de la saison 2024-2025. Punta Arenas, principal port de la région, accueille 175 croisières de 47 navires différents, positionnant la région comme le principal système portuaire chilien pour le tourisme de croisière.

Les excursions vers l’île Magdalena représentent l’activité touristique phare. Ces navigations d’une demi-journée permettent aux visiteurs d’observer les manchots de Magellan et les baleines dans leur habitat naturel, accompagnés de guides spécialisés qui partagent leurs connaissances sur la biologie et le comportement de ces oiseaux et cétacés remarquables.

Tourisme antarctique

Le détroit constitue également la porte d’entrée privilégiée vers l’Antarctique. Plus de 60% des croisiéristes (47,222 passagers) optent pour des programmes antarctiques, faisant de Punta Arenas et Puerto Williams les points de départ principaux de ces expéditions polaires via le passage de Drake.

punta arenas route commerciale atlantique pacifique naturelle et transit maritime international
Vue sur la ville de Punta Arenas, une escale pour le transit maritime international (Province de Magallanes, Chili, Amérique du Sud)

Cette spécialisation renforce la position stratégique de la région dans le tourisme polaire international, avec des infrastructures adaptées aux standards de l’Association Internationale des Opérateurs Touristiques Antarctiques (IAATO).

Conservation et défis environnementaux

Aires protégées marines

La conservation de l’écosystème unique du détroit s’appuie sur plusieurs aires marines protégées. Le parc marin Francisco Coloane constitue le premier parc marin du Chili, créé spécifiquement pour protéger les cétacés et leur habitat.

Le Monument Naturel Los Pingüinos, établi en 1982, protège les îles Magdalena et Marta ainsi que leur faune exceptionnelle. Ces mesures de conservation visent à préserver l’équilibre écologique tout en permettant un tourisme durable.

Enjeux climatiques

Le changement climatique représente un défi majeur pour l’écosystème du détroit. Les modifications des courants marins, l’évolution des températures et les changements dans la distribution des espèces nécessitent une surveillance scientifique constante.

La région de Magallanes fait l’objet d’études approfondies pour comprendre l’impact du réchauffement climatique sur la biodiversité subantarctique. Ces recherches contribuent à la compréhension globale des changements environnementaux dans les régions polaires.

Un passage d’avenir

Le détroit de Magellan incarne parfaitement la rencontre entre l’histoire et l’avenir, entre la préservation et le développement. Ce passage mythique, découvert il y a plus de cinq siècles, retrouve aujourd’hui une importance stratégique majeure dans un monde en transition énergétique et géopolitique.

Corridor bi océanique unique et sanctuaire d’une biodiversité exceptionnelle, le détroit de Magellan s’affirme comme l’un des espaces les plus fascinants de notre planète. Sa capacité à concilier développement économique, préservation environnementale et rayonnement touristique en fait un potentiel modèle pour les régions polaires du XXIe siècle.

Pour les voyageurs en quête de découvertes exceptionnelles, ce passage maritime offre une expérience inoubliable à l’extrême sud de la Patagonie, avec une rive continentale et l’autre insulaire. Entre histoire maritime, faune extraordinaire et paysages grandioses, ce passage légendaire continue d’écrire les plus belles pages de l’aventure humaine aux confins du monde.

Bibliographie – Le Détroit de Magellan

Article publié par l’association Karukinka – 4 août 2025


Sources Historiques et Exploration

 Revista de Marina (2025). La incorporación del estrecho de Magallanes. Article de revue maritime. Disponible en ligne : https://revistamarina.cl/articulo/la-incorporacion-del-estrecho-de-magallanes

 Wikipedia Contributors (2003-2025). Strait of Magellan. Encyclopedia Britannica Online. https://en.wikipedia.org/wiki/Strait_of_Magellan

 National Geographic España (2025). Fernando de Magallanes y la insaciable búsqueda del Estrecho. Historia National Geographic. https://historia.nationalgeographic.com.es/a/fernando-magallanes-insaciable-busqueda-estrecho_7378

 Encyclopædia Britannica (1998-2025). Strait of Magellan: Location, Map, Importance, Climate, & Facts. Encyclopedia Britannica. https://www.britannica.com/place/Strait-of-Magellan

 Memoria Chilena (2000). Navegantes europeos en el estrecho de Magallanes. Biblioteca Nacional de Chile. https://www.memoriachilena.gob.cl/602/w3-article-641.html

 Google Arts & Culture (2024). Estrecho de Magallanes: la frontera de agua. Exposition virtuelle collaborative. https://artsandculture.google.com/story/estrecho-de-magallanes-la-frontera-de-agua/OgVBx7rjDX9OLQ


Géographie et Géologie

 WorldAtlas (2021). Strait Of Magellan. Atlas géographique mondial. https://www.worldatlas.com/straits/strait-of-magellan.html

 Wikipedia Colaboradores (2004-2025). Estrecho de Magallanes. Wikipedia, la enciclopedia libre. https://es.wikipedia.org/wiki/Estrecho_de_Magallanes

 Revista Mittofire (2019). El Estrecho de Magallanes – Origen geológico (Parte 1). Publication scientifique régionale. https://mittofire.com/origen-geologico-del-estrecho-de-magallanes-parte-1/

 iMariners (2023). Everything You Need to Know About the Strait of Magellan. Guide maritime professionnel. https://imariners.com/strait-of-magellan/

 DIRECTEMAR (2022). Generalidades del Estrecho de Magallanes. Dirección General del Territorio Marítimo y de Marina Mercante, Chile. https://www.directemar.cl/directemar/generalidades-del-estrecho-de-magallanes

 Marine Insight (2024). 5 Strait of Magellan Facts You Must Know. Maritime Knowledge Platform. https://www.marineinsight.com/know-more/5-strait-of-magellan-facts-you-must-know/


Peuples autochtones

Sources générales

Peuple Kawésqar

Peuple Tehuelche-Aónikenk

Peuple Selknam

Chamanisme et spiritualité

Contexte colonial et génocide


Faune et Biodiversité

 Ladera Sur (2020). Los pioneros vegetales del Estrecho de Magallanes. Revista de montaña y naturaleza. https://laderasur.com/fotografia/los-pioneros-vegetales-del-estrecho-de-magallanes/

 The Modern Postcard (2021). Magdalena Island and the Magnificent Magellanic Penguins. Guide touristique Punta Arenas. https://www.themodernpostcard.com/punta-arenas-chile-magdalena-island-the-magnificent-magellanic-penguins/

 AFAR Media (2022). Wildlife in the Strait of Magellan. Guide de voyage spécialisé. https://www.afar.com/places/strait-of-magellan-e7d95066-c6bf-4619-971d-650efbca0c6a

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 Redacción El Español (2022). La asombrosa biodiversidad de Magallanes (Chile) que cautivó a exploradores. El Español – Enclave ODS. https://www.elespanol.com/enclave-ods/noticias/20220124/asombrosa-biodiversidad-magallanes-chile-cautivo-exploradores/644935772_0.html

 Swoop Patagonia (2015-2025). See Penguins in Chile & Argentina. Guide spécialisé Patagonie. https://www.swoop-patagonia.com/visit/wildlife/penguins

 Howlanders Travel (2025). Navegación Isla Magdalena e Isla Marta. Opérateur touristique Punta Arenas. https://www.howlanders.com/es/tours-chile/punta-arenas/navegacion-isla-magdalena

 Patagonia Chile Tourism (2020). Flora y Fauna. Portail officiel du tourisme patagonique. https://patagonia-chile.com/experiencia/florayfauna/

 Aquarium of the Pacific (2024). Magellanic Penguins. Documentation scientifique marine. https://www.aquariumofpacific.org/exhibits/penguin_habitat/magellanic_penguins

 Colegio Sofia Infante Hurtado (2021). Manual Flora Nativa de Magallanes. Guide pédagogique régional (PDF). https://www.colegiosofiainfantehurtado.cl/wp-content/uploads/2021/06/Manual-Flora-Nativa-de-Magallanes.pdf


 Mundo Marítimo (2025). Puerto de Punta Arenas y el Estrecho de Magallanes aumentan su importancia para el transporte marítimo global. Publication maritime spécialisée. https://www.mundomaritimo.cl/noticias/puerto-de-punta-arenas-y-el-estrecho-de-magallanes-aumentan-su-importancia-para-el-transporte-maritimo-global

 Armada de Chile (2025). Autoridad Marítima de Punta Arenas y el paso del “Boka Vanguard” por el Estrecho de Magallanes. Communiqué officiel de la marine chilienne. https://www.armada.cl/noticias-navales/seguridad-e-intereses-del-territorio-maritimo/autoridad-maritima-de-punta-arenas-y-el-paso-del-boka-vanguard-por-el

 DIRECTEMAR (2025). Pilotaje en el Estrecho de Magallanes. Réglementation maritime officielle. https://www.directemar.cl/directemar/site/edic/base/port/estrechodemagallanes_es.html

 DIRECTEMAR (2020). Pilotaje por el estrecho de magallanes, canales y fiordos chilenos. Manuel de navigation officiel. https://web.directemar.cl/pilotaje/paginaa.html

 GetBoat Blog (2025). Sailing the Strait of Magellan – Ultimate Boater’s Navigation Guide. Guide technique de navigation. https://blog.getboat.com/travel-tips-advice/sailing-the-strait-of-magellan-navigation-guide/

 DIRECTEMAR (2008). Sailing along strait of magellan or drake passage. Guide technique bilingue. https://web.directemar.cl/pilotaje/pageb.html

 DIRECTEMAR (2000). Pilotaje por el estrecho de magallanes, canales y fiordos chilenos. Manuel de pilotage maritime. https://web.directemar.cl/pilotaje/paginab.html


Climat et Météorologie

 Armada de Chile (2020). Comprendiendo la meteorología en el Estrecho de Magallanes. Étude météorologique officielle – 500 ans du détroit. https://www.armada.cl/estrecho-de-magallanes-500-anos/comprendiendo-la-meteorologia-en-el-estrecho-de-magallanes

 Sea Temperature Info (2025). Pronóstico del tiempo Estrecho de Magallanes. Service météorologique maritime. https://seatemperature.info/es/estrecho-de-magallanes-prevision-del-tiempo.html

 Wikipedia Colaboradores (2009-2025). Williwaw. Encyclopédie des phénomènes météorologiques. https://es.wikipedia.org/wiki/Williwaw


Tourisme et Croisières

 Chile Excepcion (2025). Observation des baleines du détroit de Magellan en Patagonie. Opérateur touristique spécialisé. https://www.chile-excepcion.com/circuits-chili/escapades-chili/baleines-detroit-magellan-patagonie

 InterPatagonia (2025). Magdalena and Santa Marta Islands. Guide touristique Punta Arenas. https://www.interpatagonia.com/puntaarenas/navigation-magdalena-santa-marta-islands.html

 ITV Patagonia (2025). Magallanes cierra temporada de cruceros 2024-2025 con un total de 77 mil pasajeros. Média régional – statistiques touristiques. https://www.itvpatagonia.com/noticias/regional/25-04-2025/magallanes-cierra-temporada-de-cruceros-2024-2025-con-un-total-de-77-mil-pasajeros/


Économie et Développement

 Liga Marítima de Chile (2025). “El Estrecho de Magallanes es una joya en bruto”. Association maritime professionnelle. https://www.ligamar.cl/el-estrecho-de-magallanes-es-una-joya-en-bruto

 TRT Global Español (2024). ¿Por qué el estrecho de Magallanes es un paso estratégico en el comercio mundial?. Analyse géopolitique internationale. https://trt.global/espanol/article/1493351100

 Revista de Marina (2025). Estrecho de Magallanes e hidrógeno verde, gran potencial económico. Publication navale officielle. https://revistamarina.cl/articulo/estrecho-de-magallanes-e-hidrogeno-verde-gran-potencial-economico

 SP Logistics (2025). Punta Arenas y Estrecho de Magallanes ganan relevancia en el transporte marítimo global. Analyse logistique spécialisée. https://web.splogistics.com/blog/post/1135/punta-arenas-y-estrecho-de-magallanes-ganan-relevancia-en-el-transporte-maritimo

 BioBío Chile (2025). El estrecho de Magallanes como gran corredor bioceánico de Chile. Article d’opinion stratégique. https://www.biobiochile.cl/noticias/opinion/columnas-bbcl/2025/06/05/estrecho-magallanes-corredor-bioceanico-estrategia-chile.shtml

 Memoria Chilena (2002). Punta Arenas y la economía magallánica (1848-1950). Archives historiques nationales. https://www.memoriachilena.gob.cl/602/w3-article-784.html

Réserve de biosphère de Cabo de Hornos : un sanctuaire subantarctique d’exception

Réserve de biosphère de Cabo de Hornos : un sanctuaire subantarctique d’exception

La réserve de biosphère de Cabo de Hornos (Réserve naturelle cap Horn), établie en 2005, constitue l’une des aires protégées les plus méridionales et les plus vastes du globe, couvrant plus de 4 884 000 hectares de terres et d’eaux australes. Elle concentre des écosystèmes terrestres et marins uniques, des forêts subantarctiques intactes, une biodiversité exceptionnelle – notamment plus de 5% de la diversité mondiale de brióphytes – et les dernières populations du peuple Yaghan, qui perpétuent un lien millénaire avec ces paysages extrêmes.

La réserve de biosphère de Cabo de Hornos a été inscrite au programme « L’Homme et la biosphère » de l’UNESCO en juin 2005, devenant la plus australe et l’une des plus étendues du continent sud-américain. S’étendant sur environ 4 884 274 hectares, elle se compose d’une aire terrestre de 1 917 238 ha et d’une zone marine de 2 967 036 ha, intégrant pour la première fois au Chili des écosystèmes marins et terrestres sous un statut unique de conservation1. Les parcs nationaux Alberto de Agostini et Cabo de Hornos constituent la zone cœur protégée, où tout développement d’infrastructures est strictement interdit.


1. Géographie et zonation de la réserve naturelle cap Horn

Géographiquement, la réserve s’étend dans l’archipel de Terre de Feu, entre les latitudes 54,1° S et 56,2° S, et les longitudes 66,1° W et 72,5° W. Elle englobe les îles Wollaston, Hermite, Navarino et Hoste, ainsi que les canaux (dont le canal Beagle), fiords et courants qui dessinent un paysage façonné par les glaciations et l’activité tectonique. La zonation de la réserve MAB Unesco (réserve de biopshère Cabo de Hornos, soit la réserve marine sud du Chili) comprend trois niveaux :
– La zone cœur (Parc national Alberto de Agostini comprenant la cordillère Darwin, et le parc national Cabo de Hornos) strictement protégée.
– La zone tampon, où des activités légères et durables sont autorisées.
– La zone de transition, incluant des villages isolés comme Puerto Williams et des infrastructures limitées sous un schéma de développement durable.

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Carte issue de l’ouvrage “Reservas de la biosfera de Chile: laboratorios para la sustentabilidad” de Moreira-Muñoz, Andrés et Borsdorf, Axel, UNESCO, 2014 (page 55).

2. Écosystèmes terrestres et marins

2.1 Forêt subantarctique et tourbières

Les forêts subantarctiques de la réserve sont les plus méridionales sur Terre. Dominées par trois essences de Nothofagus – N. pumilio, N. betuloides et N. antarctica –, elles forment des peuplements caducifoliés et sempervirents, entrecoupés de turberas et de landes d’altitude. Ces massifs constituent l’un des rares cas de forêt tempérée non fragmentée à l’échelle mondiale. Les sols riches en matière organique abritent de vastes tapis de bryophytes, caractéristique d’un environnement humide et frais, qui jouent un rôle crucial dans le cycle hydrologique et la séquestration du carbone.

2.2 Écosystèmes marins et côtiers

La composante marine de la réserve s’articule autour d’un réseau complexe de fjords, canaux et plateaux sous-marins. Les courants de Humboldt et le mélange des eaux froides du Pacifique et de l’Atlantique ont favorisé le développement de forêts de kelp (Macrocystis pyrifera, Durvillaea antarctica) formant des « forêts sous-marines » abritant une riche faune invertébrée et des communautés de poissons. Les habitats intertidaux hébergent des espèces de macroalgues et un cortège d’invertébrés endémiques, tandis que l’eau froide et oxygénée soutient des populations de phoques, de lions de mer et de plusieurs espèces de cétacés.

3. Diversité biologique et endémisme : la biodiversité subantarctique

3.1 Bryophytes et lichens

Avec plus de 300 espèces d’hépatiques et 450 espèces de mousses, la réserve représente un hotspot mondial des bryophytes, soit plus de 5% de la diversité mondiale, sur moins de 0,01% de la surface terrestre de la planète. Ces communautés, qualifiées de « bosquets miniatures », servent de sentinelles pour évaluer l’impact du changement climatique et de l’augmentation des radiations UV.

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Exemple de bryophytes / forêt miniature (mousses, hépatiques et lichens) de la réserve de biopshère du cap Horn (MAB-UNESCO); île Navarino, 2020 (c) Lauriane Lemasson.

3.2 Faune terrestre et marine

La faune terrestre inclut le huillín ou loutre australe (Lontra provocax), le carpintero negro ou pic de Magellan (Campephilus magellanicus) et d’autres oiseaux endémiques. En milieu marin, les eaux environnantes abritent des albatros à sourcil noir, des pétrels géants, des manchots de Magellan et des populations stables d’otaries à fourrure et de phoques léopards, témoignant de l’importance écologique de cette aire protégée.

4. Dimension bioculturelle et ethnologie Yaghan

La réserve est aussi un sanctuaire culturel. Les Yagan, peuple nomade des canaux australs, sont les plus méridionaux au monde : leur présence remonte à plus de 7 500 ans, comme en attestent les sites archéologiques de l’île Navarino. Toujours porteurs d’une connaissance fine de la navigation en canoë et de l’écologie subantarctique, ils ont activement collaboré aux recherches menées dans la réserve, en particulier via le parc ethnobotanique Omora, situé à proximité de Puerto Williams. Leurs traditions orales, leur langue et leurs savoirs sur la flore et la faune locales sont intégrés dans les programmes éducatifs et de conservation. L’écotourisme en patagonie est également l’une des activités phares des activités d’Omora.

5. Gouvernance et gestion

La gestion de la réserve est assurée par un conseil d’administration présidé par le gouverneur régional, associé à des services publics et à des organisations locales. Le comité scientifique, coordonné par le parc Omora et l’Université de Magallanes, pilote la recherche, le suivi écologique et les actions de conservation participative. En 2006, la réserve a rejoint le réseau Ibero-MAB de l’UNESCO, renforçant ainsi la coopération transnationale pour la recherche et la formation.

6. Menaces et enjeux de conservation

Malgré son isolement, la réserve fait face à plusieurs menaces :
– Le développement touristique non maîtrisé, notamment les croisières de l’extrême sud et l’augmentation des passages autour du Cap Horn, génère un risque de pollution et de perturbation de la faune marine.
– L’élevage intensif de saumons dans les fjords situés plus au nord dissémine des espèces exotiques et altère la qualité de l’eau. Des saumons se reproduisent désormais dans les eaux de cette réserve, impactant les espèces natives dont le robalo.
– L’expansion du castor d’Amérique et du vison, deux espèces introduites, met en péril les forêts proches des cours d’eau, les habitats rivulaires et la nidification des oiseaux de rivage.
Les programmes de suivi à long terme, comme celui de l’initiative Omora et les stations LTER (Long-Term Ecological Research), évaluent l’impact de ces pressions et proposent des mesures adaptatives. Ce suivi est fortement limité par le gigantisme de l’aire considérée et son accès complexe en terme de logistique.

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Lac créé au pied d’un glacier par les castors, photographié lors d’une expédition en voilier en Patagonie (canal Beagle, île Hoste, Réserve de Biosphère du Cap Horn, Chili)

7. Initiatives de recherche et d’éducation

7.1 Parc ethnobotanique Omora

Créé en 2000, l’Omora Ethnobotanical Park est le cœur d’une approche transdisciplinaire alliant écologie, philosophie environnementale et éducation par la « philosophie du terrain ». Il propose des circuits pédagogiques, dont les « forêts miniatures », pour sensibiliser le public à la richesse des bryophytes et au lien entre biodiversité et culture Yagan.

7.2 Cape Horn International Center (CHIC)

Inauguré en 2020 à Puerto Williams, le CHIC a pour objectif de fédérer chercheurs, artistes et communautés autochtones pour développer un modèle de conservation bioculturelle, de formation technique et de développement durable. Ses programmes portent sur les réponses de la biodiversité aux changements climatiques, la gestion des invasives et la consolidation de politiques publiques adaptées aux zones subantarctiques.

……..

La réserve de biosphère de Cabo de Hornos reste l’un des rares refuges où s’exprime pleinement la cohabitation harmonieuse entre les habitants et des écosystèmes littéralement à la limite du monde. Pour assurer son avenir, il convient de renforcer la gouvernance participative, de contrôler les espèces invasives et d’encadrer le tourisme polaire sous la bannière d’un écotourisme responsable. Enfin, l’intégration permanente des savoirs Yagan dans les programmes de recherche et d’éducation garantira la préservation à la fois biologique et culturelle de ce sanctuaire subantarctique unique.

Glacier Pia, Canaux de Patagonie, Cordillère Darwin, Réserve de Biosphère du Cap Horn, Magallanes, Chili, 2025 reserve naturelle cap horn
Glacier Pia, Canaux de Patagonie, Cordillère Darwin, Réserve de Biosphère du Cap Horn, Magallanes, Chili, 2025

Bibliographie

  1. Rozzi, R. et al. (2006). Ten Principles for Biocultural Conservation at the Southern Tip of the Americas: The Cape Horn Biosphere ReserveEcology and Society, 11(1). https://www.ecologyandsociety.org/vol11/iss1/art43/
  2. Rozzi, R. et al. (2008). Multi-ethnic and Intercultural Education in the Biosphere Reserve at the Southern End of the Americas. In Price, M. F. (ed.), Biosphere Reserves of the World. UNESCO-MAB. https://www.unesco.org/new/en/natural-sciences/environment/ecological-sciences/biosphere-reserves/
  3. Rozzi, R. et al. (2004). Omora Ethnobotanical Park: A Model for Integrating Biocultural Conservation and Environmental Philosophy in the Cape Horn Biosphere ReserveEnvironmental Ethics, 26(2), 131–169. https://doi.org/10.5840/enviroethics200426226
  4. Mittermeier, R. A. et al. (2003). Hotspots: Earth’s Biologically Richest and Most Endangered Terrestrial Ecoregions. Conservation International. https://www.conservation.org
  5. CONAF (Corporación Nacional Forestal). (2023). Reserva de la Biósfera Cabo de Hornos. Gobierno de Chile. https://www.chilebosque.cl
  6. Cape Horn International Center (CHIC). (2021). CHIC Strategic Plan 2021–2026. Universidad de Magallanes. https://www.centrochic.cl
  7. Anderson, C.B. et al. (2011). Exotic ecosystem engineers transform sub-Antarctic forest structure and functionBiological Invasions, 13, 545–561. https://doi.org/10.1007/s10530-010-9841-4
  8. Anderson, C.B. et al. (2019). Cape Horn’s Lessons for SustainabilityScience Advances (UNESCO CHIC/UMAG). https://advances.sciencemag.org/
  9. Unesco-MAB. (2005). Cape Horn Biosphere Reserve Dossier. UNESCO. https://unesdoc.unesco.org/
  10. Rozzi, R. et al. (2010). La Reserva de Biósfera Cabo de Hornos: una propuesta educativa y de desarrollo sustentable en el extremo austral de Chile. Universidad de Magallanes. Disponible sur la bibliothèque CHIC.

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Où se trouve le cap Horn? Localisation et caractéristiques d’un point géographique mythique

Où se trouve le cap Horn? Localisation et caractéristiques d’un point géographique mythique

Le cap Horn (Cabo de Hornos en espagnol, Kaap Hoorn en néerlandais, Loköshpi en langue yagan) représente bien plus qu’un simple point géographique. Situé à 55°58′ de latitude sud et 67°16′ de longitude ouest, ce promontoire rocheux de 425 mètres d’altitude constitue le point le plus austral de l’archipel de la Terre de Feu et marque symboliquement la rencontre des océans Atlantique et Pacifique. À 965 kilomètres du continent antarctique et à seulement 138 kilomètres d’Ushuaia, le cap Horn se dresse comme l’ultime sentinelle de l’Amérique avant l’immensité des mers australes.

Localisation géographique précise du cap Horn

Position dans l’archipel fuégien

Le cap Horn est situé sur l’île Horn (Isla Hornos), l’île la plus méridionale de l’archipel L’Hermite, lui-même faisant partie du vaste complexe insulaire de la Terre de Feu. Cette île de dimensions modestes (environ 6 km sur 2 km) appartient administrativement à la commune de Cabo de Hornos, dans la province de l’Antarctique chilien, région de Magallanes et de l’Antarctique chilien.

Contrairement à une idée répandue, le cap Horn n’est pas le point le plus austral de l’Amérique du Sud – ce titre revient aux îles Diego Ramírez, situées à 105 kilomètres à l’ouest-sud-ouest du cap Horn. Cependant, il demeure le plus méridional des grands caps historiques de navigation et le point de repère nautique le plus symbolique de l’hémisphère sud.

Coordonnées et distances stratégiques

Les coordonnées exactes du cap Horn – 55°58’28” de latitude sud et 67°16’10” de longitude ouest – le placent dans une position géographique unique. Cette localisation en fait un point de convergence naturel entre les principaux océans de l’hémisphère sud :

  • Distance à Ushuaia (Argentine) : 138 kilomètres au nord-nord-ouest
  • Distance à Puerto Williams (Chili) : 56 kilomètres au nord
  • Distance au continent antarctique : 965 kilomètres au sud
  • Distance au pôle Sud géographique : 2 535 kilomètres
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Carte géographique montrant le cap Horn à l’extrémité sud de l’Amérique du Sud, les eaux adjacentes comprenant le passage de Drake, ainsi que les îles voisines situées dans les océans Pacifique, Atlantique et Austral (Source : Wikipedia)

Formation géologique et géomorphologie

Contexte géologique régional

La région du cap Horn s’inscrit dans l’histoire géologique complexe de la Terre de Feu, marquée par l’orogenèse andine et les glaciations quaternaires. L’archipel résulte de l’effondrement et de la fragmentation de l’extrémité australe de la cordillère des Andes, processus accentué par l’érosion glaciaire et l’élévation du niveau marin post-glaciaire.

Les formations géologiques de l’île Horn appartiennent principalement aux séries sédimentaires et volcaniques du Crétacé supérieur, témoins de l’intense activité tectonique qui a accompagné la fermeture du bassin marginal de Rocas Verdes et le début de la compression andine. Cette histoire géologique explique la topographie accidentée de la région, caractérisée par des reliefs modérés mais des côtes extrêmement découpées.

Morphologie côtière

Le cap Horn se présente aux navigateurs sous la forme d’une falaise de 425 mètres d’altitude plongeant directement dans l’océan. Cette configuration géomorphologique particulière résulte de l’action combinée de l’érosion marine, des cycles glaciaires-interglaciaires quaternaires et de la tectonique active de la région.

La faille de Magellan-Fagnano, système de décrochement sénestre actif qui traverse la Terre de Feu d’est en ouest, influence indirectement la géomorphologie de la région du cap Horn. Cette faille, avec une vitesse de déplacement d’environ 6,4 mm/an, témoigne de la dynamique tectonique continue qui façonne cette partie du monde.

Environnement océanographique et climatique

Le passage de Drake et ses caractéristiques

Le cap Horn marque la limite nord du passage de Drake, détroit de 809 kilomètres de largeur séparant l’Amérique du Sud de la péninsule Antarctique. Ce passage constitue la plus courte distance entre l’Antarctique et les autres terres du monde, avec seulement 135 kilomètres entre le cap Horn et l’île Snow au nord de la péninsule Antarctique.

Map of the Antarctic Circumpolar Current and seawater density fronts around Antarctica showing ocean depth and key fronts near the Southern Ocean and surrounding continents
Carte du courant circumpolaire antarctique et des fronts de densité de l’eau de mer autour de l’Antarctique indiquant la profondeur de l’océan et les principaux fronts près de l’océan Austral et des continents environnants (source : Wikipedia)

Courant circumpolaire antarctique

Le passage de Drake constitue le point de constriction maximale du courant circumpolaire antarctique, le plus puissant courant océanique de la planète. Ce courant, qui transporte en moyenne 150 millions de mètres cubes par seconde (soit environ 100 fois le débit de tous les fleuves du monde réunis), atteint son intensité maximale au niveau du cap Horn.

Cette particularité océanographique explique en grande partie les conditions météorologiques extrêmes qui règnent dans la région. Le courant circumpolaire, non entravé par des masses terrestres, génère un système de vents d’ouest permanents d’une violence exceptionnelle, connus sous les noms évocateurs de “Quarantièmes rugissants” et “Cinquantièmes hurlants”.

Climat subpolaire océanique

Le cap Horn bénéficie d’un climat subpolaire océanique caractérisé par des températures relativement stables mais fraîches toute l’année. Les températures moyennes oscillent autour de 5°C, avec des précipitations importantes atteignant 2 000 mm par an et 278 jours de pluie annuels.

Les vents constituent l’élément climatique dominant, avec des vitesses moyennes de 30 km/h et des rafales régulièrement supérieures à 100 km/h. Ces conditions extrêmes résultent de la position du cap dans la zone des “Cinquantièmes hurlants”, où les dépressions atmosphériques se succèdent sans être freinées par des obstacles continentaux.

Biodiversité et statut de conservation

Réserve de Biosphère du cap Horn (UNESCO)

Depuis 2005, le cap Horn fait partie de la Réserve de biosphère Cabo de Hornos, reconnue par l’UNESCO dans le cadre du Programme sur l’Homme et la Biosphère (MAB). Cette réserve couvre une superficie totale de 4 884 273 hectares, incluant une aire centrale de 1 347 417 hectares constituée des parcs nationaux Alberto de Agostini et Cabo de Hornos.

île horn expédition au cap horn en voilier canaux de patagonie
Le sud-ouest de l’île Horn lors du passage du cap Horn en voilier (Réserve de Biosphère du cap Horn, Patagonie, Chili, lors d’une expédition de l’association Karukinka, 2025)

Parc national Cabo de Hornos

Le Parc national Cabo de Hornos, créé le 26 avril 1945, s’étend sur 63 093 hectares et englobe les archipels des îles Wollaston et L’Hermite. Ce parc constitue l’aire protégée la plus australe de la planète et abrite des écosystèmes uniques adaptés aux conditions subantarctiques.

Biodiversité exceptionnelle

La région du cap Horn héberge l’écosystème forestier le plus méridional au monde et abrite 5% des espèces mondiales de bryophytes (mousses et hépatiques). La flore se caractérise par des forêts subpolaires de Magellan composées principalement de lengas et de coigües, ainsi qu’une grande variété de mousses, lichens et fougères adaptées aux conditions climatiques rigoureuses.

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Forêt primaire dans la baie Tekenika (Réserve de Biosphère du cap Horn, expédition Karukinka, 2018)

La faune marine présente une richesse exceptionnelle, avec la présence de baleines à bosse, dauphins australs, otaries à fourrure, éléphants de mer du sud. L’avifaune comprend notamment les albatros à sourcils noirs, pétrels géants, manchots de Magellan, cormorans royaux et condors des Andes.

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Baleines observées lors d’une expédition en voilier dans les canaux de Patagonie (Chili) en automne 2018 (c) Karukinka

Histoire maritime et découverte européenne

La découverte de 1616

Le cap Horn fut découvert le 29 janvier 1616 par l’expédition hollandaise menée par Willem Schouten et Jacob Le Maire. Ces navigateurs cherchaient une route alternative au détroit de Magellan pour contourner le monopole de la Compagnie néerlandaise des Indes orientales.

Le cap reçut son nom en l’honneur de la ville de Hoorn aux Pays-Bas, port d’attache de l’expédition. Cette découverte bouleversa les équilibres maritimes mondiaux en ouvrant une nouvelle route océanique entre l’Atlantique et le Pacifique, plus large que le détroit de Magellan mais infiniment plus dangereuse.

Une route commerciale historique

Pendant près de trois siècles, le cap Horn constitua un passage crucial des routes commerciales mondiales. Les grands voiliers transportaient les marchandises entre l’Europe, l’Amérique et l’Asie, notamment le guano, le nitrate, les céréales, la laine et l’or en provenance d’Australie.

Cette époque des “cap-horniers” se termina avec l’ouverture du canal de Panama en 1914. Le dernier voilier commercial à passer le cap Horn fut le Pamir en 1949, marquant la fin d’une époque légendaire de la navigation à voile.

carte des îles du canal de Beagle au cap Horn mission française du cap horn 1882-1883
L’une des nombreuses cartes établies lors de la Mission Française du Cap Horn (1882-1883) dirigée par le Commandant Martial

Contexte culturel et peuples autochtones

Le peuple originel

Avant l’arrivée des Européens et la colonisation entre 1860 et 1920, la région du cap Horn était uniquement habitée par le peuple yagan (ou yámana), nomades marins qui naviguaient dans leurs canoës d’écorce entre les îles et canaux de l’archipel. Ces peuples chasseurs-cueilleurs avaient développé une culture maritime remarquablement adaptée aux conditions extrêmes de cette région.

Les Yagan appelaient le cap Horn “Loköshpi”, terme qui s’inscrit dans leur riche toponymie maritime. Selon les travaux de l’association Karukinka, plus de 3 000 toponymes en langues yagan, haush et selk’nam ont été recensés dans la région s’étendant du détroit de Magellan au cap Horn, témoignant d’une connaissance précise et sensible de ce territoire par ses premiers habitants.

Mémoire et transmission

L’association Karukinka, fondée en 2014 par Lauriane Lemasson, mène depuis plus de dix ans un travail de documentation et de préservation de la mémoire des peuples autochtones de la région. Leurs expéditions dans les canaux de Patagonie, de la Terre de Feu au cap Horn, contribuent à la collecte d’archives sonores et à la cartographie des toponymes autochtones.

Ce travail de mémoire prend une dimension particulière quand on sait que ces peuples ont été victimes d’un génocide au tournant du XXe siècle, leur population passant de plus de 10 000 personnes à moins de 500 dans les années 1920.

Enjeux contemporains et perspectives

Tourisme et conservation

Aujourd’hui, le cap Horn attire un tourisme d’expédition croissant, avec des croisières partant principalement d’Ushuaia ou de Punta Arenas. Cette fréquentation, bien que limitée par les conditions météorologiques extrêmes, pose des défis de conservation pour un écosystème particulièrement fragile.

La base militaire chilienne présente sur l’île Horn, comprenant une caserne, une chapelle et un phare, constitue les seules installations permanentes. Le gardien du phare et sa famille représentent les uniques résidents permanents de cette terre isolée.

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Le phare du cap Horn avec le promontoire du cap en arrière plan lors du passage du cap Horn en voilier en avril 2025 (Expédition Karukinka, voilier Milagro)

Recherche scientifique

La région du cap Horn continue d’attirer l’attention scientifique, notamment dans le cadre d’études sur le changement climatique et l’évolution des écosystèmes subantarctiques. Les recherches menées par l’association Karukinka et ses partenaires contribuent à la compréhension de ces environnements extrêmes et de leur évolution.

Conclusion

Le cap Horn occupe une position géographique exceptionnelle qui en fait bien plus qu’un simple point sur la carte. Situé à l’extrémité de l’île Horn dans l’archipel L’Hermite, par 55°58′ de latitude sud et 67°16′ de longitude ouest, il constitue le point de convergence symbolique entre les océans Atlantique et Pacifique, entre l’Amérique et l’Antarctique.

Cette localisation particulière explique les conditions océanographiques et climatiques extrêmes qui ont forgé sa réputation légendaire. Point de constriction du courant circumpolaire antarctique, théâtre des “Cinquantièmes hurlants”, le cap Horn demeure l’un des passages maritimes les plus redoutés de la planète.

Mais au-delà de sa géographie physique, le cap Horn s’inscrit dans une histoire humaine riche et complexe. Territoire ancestral des peuples yagan qui l’appelaient Loköshpi, découvert par les Européens en 1616, route commerciale majeure pendant trois siècles, il est aujourd’hui protégé comme réserve de biosphère UNESCO.

Cette multiplicité des dimensions – géographique, historique, écologique et culturelle – fait du cap Horn un lieu unique au monde, synthèse parfaite entre l’extrême et l’universel, entre l’isolement géographique et la connexion océanique mondiale. Comprendre où se trouve le cap Horn, c’est ainsi saisir la complexité d’un point géographique devenu symbole, sentinelle australe de notre planète face aux immensités antarctiques.

Bibliographie détaillée

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    https://www.unesco.org/en/mab/cabo-de-hornos
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    https://doi.org/10.1038/s41467-025-58458-2
  3. Goffinet B. & Mackenzie R. « First bryophyte records from Diego Ramírez Archipelago ». Anales del Instituto de la Patagonia 48-3 (2020).
    https://www.scielo.cl/pdf/ainpat/v48n3/0718-686X-ainpat-48-03-127.pdf
  4. Rozzi R. et al. Reserva de Biosfera Cabo de Hornos. Univ. de Magallanes, 2006.
    https://omora.org/biblioteca/
  5. Hall M. et al. « Glacier retreat in Cordillera Darwin since LGM ». Quaternary Science Reviews 221 (2019).
    https://doi.org/10.1016/j.quascirev.2019.105883
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    https://pubs.er.usgs.gov/publication/70010375
  7. New York Botanical Garden. « Bryoflora of Cape Horn Archipelago Project », 2017.
    https://www.nybg.org/science-project/bryoflora-of-cape-horn-archipelago/
  8. NASA Earth Observatory. « Cape Horn: A Mariner’s Nightmare », 2017.
    https://earthobservatory.nasa.gov/images/91472
  9. Wikipedia. « Cabo de Hornos National Park » (consulté 2025-07-20).
    https://en.wikipedia.org/wiki/Cabo_de_Hornos_National_Park
  10. Karukinka Association. « Cap Nord – Cap Horn Expedition », 2025.
    https://karukinka.eu/en/expedition-cape-north-to-cape-horn-2023-2025/
  11. Schouten W. & Le Maire J. Journal ou description du merveilleux voyage (éd. 1619).
    https://www.loc.gov/item/2021668424/
  12. Lamy F. et al. « Southern Ocean fronts and ACC during last glacial cycle ». Nature Geoscience 14-9 (2021).
    https://doi.org/10.1038/s41561-021-00818-5
  13. Rifo F. « Météorologie du passage de Drake ». Marine Chile, 2018.
    https://www.meteochile.gob.cl/drake
  14. Goffinet B. et al. « Biocultural conservation trail system reduces bryophyte richness ». Applied Vegetation Science 26-2 (2025).
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  15. Britannica. « Dangerous journey around Cape Horn », 2024 (vidéo).
    https://www.britannica.com/video/192449
[Projet carbone Patagonie] Une entreprise régionale pilote l’un des plus grands projets carbone à l’échelle nationale (Radio Polar, Chili, 17/07/2025)

[Projet carbone Patagonie] Une entreprise régionale pilote l’un des plus grands projets carbone à l’échelle nationale (Radio Polar, Chili, 17/07/2025)

Une entreprise spécialisée dans le développement de programmes environnementaux et la gestion stratégique des investissements issus de fonds climatiques, elle pilote le projet Respira Patagonia. #projet carbone patagonie

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Illustration du projet Respira Patagonia dans la partie nord de Tierra del Fuego

Un nouveau jalon a été franchi avec la mise en place d’une cartographie numérique inédite de la steppe magellanique en Patagonie chilienne, annoncée par la société Plan-C, spécialisée dans le développement de projets environnementaux et la gestion stratégique des investissements issus de fonds climatiques. Cet outil couvre une superficie de 350 000 hectares.

Manuel Sanhueza, directeur général de Plan-C et chef de projet Respira Patagonia, a indiqué que « cette cartographie numérique sera essentielle pour soutenir le modèle mathématique de la courbe carbone et pour les stratégies foncières basées sur des plans de gestion régénérative destinés à la restauration écosystémique et à la protection de la biodiversité, en accord avec les objectifs du projet ».

Grâce au haut niveau de résolution des images multispectrales obtenues par les satellites Sentinel-2 et Landsat 8, complétées par des images radar (SAR) de Sentinel-1, cette cartographie thématique a fourni des données inédites sur la couverture végétale à l’échelle foncière, telles que les formations végétales, les degrés d’érosion, la dégradation de la strate herbacée, entre autres aspects.

La zone d’étude a couvert 67 propriétés dans la région de Magallanes, pour une superficie totale de 350 000 hectares. « Nous sommes très fiers du travail et de la gestion des connaissances réalisés par notre équipe d’experts. Nous avons travaillé avec une cartographie inédite de la composition des sols, des statistiques sur les couvertures végétales par propriété, ainsi que des prélèvements sur le terrain, pour lesquels nous avons utilisé la technique d’analyse élémentaire, considérée comme la méthode la plus précise pour mesurer la concentration de carbone organique dans les sols, conjuguée à l’analyse des données satellitaires et aux croisements de données », a expliqué l’ingénieur agronome MSc Fernando Baeriswyl.

Qu’est-ce que le marché du crédit carbone et comment fonctionne-t-il ?

Il s’agit de titres liés à la réduction ou à l’élimination des gaz à effet de serre dans l’atmosphère, quantifiés en équivalent dioxyde de carbone. Les crédits carbone ont pour fonction de promouvoir l’atténuation des impacts du changement climatique global et se traduisent par une compensation financière et des bénéfices directs.

Pour garantir la transparence et la crédibilité de ces compensations, les organisations impliquées dans ces marchés — ONG, consultants, auditeurs, universités, entre autres — ont créé plusieurs standards pour vérifier la quantification des réductions d’émissions et des absorptions générées par les projets de compensation.

Source : https://www.radiopolar.com/empresa-regional-lidera-proyectos-carbono-nivel-pais traduit de l’espagnol par l’association Karukinka. Pour découvrir d’autres actualités de Patagonie, rdv sur cette page : https://karukinka.eu/fr/patagonie/