Le Conicet étudie le canal Beagle et ouvre la voie à la production industrielle de moules

Le Conicet étudie le canal Beagle et ouvre la voie à la production industrielle de moules

Une étude menée par le Conicet dans le canal Beagle pourrait constituer un tournant pour la production aquacole en Terre de Feu. L’analyse de variables telles que la température de l’eau, la salinité et la concentration d’oxygène vise à poser les bases du premier élevage de moules à l’échelle industrielle à Ushuaïa, dans le cadre d’un projet porté par Newsan Food. #moules canal Beagle

L’étude est dirigée par Irene Schloss, spécialiste en océanographie biologique, avec une équipe du Centre Austral de Recherches Scientifiques (Cadic). Les chercheurs étudient les conditions environnementales dans les zones proches de Puerto Almanza, où il existe déjà une culture naturelle de moules, et évaluent d’autres zones à potentiel productif. Il s’agit d’une espèce autochtone du canal Beagle, présentant un fort potentiel pour l’aquaculture régionale.

Le travail s’inscrit dans le cadre d’un Service Technologique de Haut Niveau (STAN) demandé par Newsan Food, qui développe des activités de pêche dans la province depuis 15 ans et, ces cinq dernières années, a progressé dans l’aquaculture pour l’approvisionnement interne selon un modèle durable. En février dernier, l’entreprise dirigée par Rubén Cherñajovsky a lancé la première production nationale de moules industrielles.

« Les moules sont des organismes marins sensibles qui nécessitent des conditions environnementales optimales pour croître et prospérer. Il est donc essentiel de comprendre et d’évaluer l’environnement dans lequel leur culture est envisagée, pour garantir le succès à long terme de l’activité productive », explique Schloss.

L’étude considère des variables environnementales et biologiques clés : température, salinité, concentration d’oxygène et d’ammonium, présence de chlorophylle et de phytoplancton, en mettant l’accent sur les espèces productrices de toxines (marée rouge). Tout cela vise à déterminer si les conditions du canal sont adaptées au développement de cette industrie.

« Étudier l’environnement marin du canal Beagle est important pour de multiples raisons, mais il est encore plus appréciable que ces études puissent avoir un impact réel sur les activités productives de la région la plus australe du continent. Lorsqu’on travaille ensemble, tout le monde y gagne : de meilleures décisions sont prises et la science se traduit concrètement dans la société », ajoute la chercheuse.

Pour les opérations de terrain, le Bâtiment de Recherche Scientifique (BIC) Shenu sert de base de navigation et de relevés, avec une campagne mensuelle sur cinq stations côtières entre Puerto Almanza et l’est de l’île Gable, en face de Puerto Williams (Chili). Le projet prévoit douze campagnes jusqu’en octobre. Le navire est équipé d’instruments multiparamètres (CTD, capteurs de lumière et de chlorophylle) ainsi que de matériel pour conserver et traiter les échantillons prélevés entre 5 et 8 mètres de profondeur, qui sont ensuite analysés dans les laboratoires du Cadic.

Du côté de Newsan Food, le directeur Fabio Delamata précise : « L’objectif de l’entreprise est de mener une étude de l’environnement marin pour consolider la création d’un pôle de développement aquacole, basé sur la durabilité, la protection de l’environnement et une perspective industrielle. Travailler avec le Conicet, c’est s’appuyer sur des données et des informations pour aboutir à un résultat solide, fiable et sur le long terme. »

L’entreprise a investi près de 10 millions de dollars dans des lignes de culture, des embarcations et des plateformes de récolte et de semis, ainsi que dans un hub opérationnel à Puerto Almanza. Le plan global prévoit un investissement de 17 millions de dollars pour étendre la production avec de nouvelles lignes de captage et d’élevage.

Le projet vise à répondre à la demande locale, qui oscille entre 300 et 400 tonnes de moules par an, actuellement importées du Chili, et à ouvrir la porte à l’exportation. L’été dernier, Newsan a envoyé à Buenos Aires un lot de 10 tonnes de moules cultivées dans le canal Beagle, entières, congelées et préalablement cuites dans l’eau du canal.

Les résultats des recherches du Conicet pourraient non seulement diversifier la matrice productive de la Terre de Feu, mais également générer de l’emploi et sensibiliser la communauté à l’environnement. « Cela renforcerait la conscience environnementale comme alternative de diversification de la matrice productive et encouragerait la durabilité du développement à Almanza », soulignent les membres du Cadic.

Source: https://fmfuego.com.ar/ushuaia/conicet-estudia-el-canal-de-beagle-y-abre-camino-a-la-produccion-industrial-de-mejillones.htm Traduit de l’espagnol par l’association Karukinka

Le canal Beagle (Onashaga) : Lieu de rencontre des océans à l’extrémité australe de l’Amérique

Le canal Beagle (Onashaga) : Lieu de rencontre des océans à l’extrémité australe de l’Amérique

Le canal Beagle, connu par le peuple yagan sous le nom d’Onashaga (“canal des chasseurs Onas”, i e, leurs voisins de l’île de Terre de Feu, les Selk’nam), est l’un des passages maritimes remarquables de notre planète. Ce détroit interocéanique d’approximativement 270 kilomètres de longueur connecte les océans Atlantique et Pacifique à l’extrême sud de l’Amérique du Sud, séparant la grande île de Terre de Feu d’un archipel d’îles plus petites entre les 54°50′ et 55°00′ de latitude sud.

Pour nous qui naviguons régulièrement dans ces eaux mythiques, Onashaga, le canal Beagle, représente bien plus qu’un simple passage maritime : c’est un univers à part entière, où se rencontrent deux océans et où résonnent sept millénaires de navigation yagan.

carte du canal beagle oriental karukinka île navarino terre de feu
Carte de la partie orientale du canal Beagle (c) Karukinka

Genèse d’un paysage exceptionnel : l’héritage glaciaire

Quand les glaces sculptaient les canaux

La formation du canal Beagle constitue un exemple de sculpture glaciaire quaternaire qui a modelé l’un des paysages les plus spectaculaires de l’hémisphère sud. Durant les multiples glaciations du Pléistocène, des glaciers de centaines de mètres d’épaisseur ont excavé des vallées comme Carbajal, ainsi que le lac Kami (Fagnano), créant la topographie complexe qui caractérise actuellement la région.

Vallée Carbajal durant l'expédition de Lauriane Lemasson en février 2013
Photographie de la vallée Carbajal par Lauriane Lemasson, lors de l’expédition 2013 en Terre de Feu argentine

Le glacier responsable de la formation du canal Beagle se déplaçait d’ouest en est, s’alimentant depuis la cordillère Darwin où l’on peut encore observer de magnifiques glaciers et névés qui constituent les vestiges de sa genèse. Ce processus glaciaire a laissé des dépôts morainiques dans les zones de moindre profondeur, particulièrement dans la zone de l’île Gable et face à la baie Ushuaia, créant les complexes bathymétriques actuels.

La structure tectonique sous-jacente du canal correspond à une vallée tectonique longitudinale qui fut postérieurement modifiée par l’action glaciaire. Cette combinaison de processus tectoniques et glaciaires a résulté en une morphologie caractérisée par des bassins semi-isolés pouvant atteindre 400 mètres de profondeur, séparés par des seuils topographiques peu profonds qui contrôlent la circulation des masses d’eau.

Une architecture sous-marine complexe

La bathymétrie du canal Beagle révèle une architecture complexe dominée par une série de seuils peu profonds qui divisent le canal en plusieurs micro-environnements distincts. Dans le secteur occidental, les seuils de l’île Diablo (approximativement 50 mètres de profondeur) et de la baie Fleuriais (environ 100 mètres) séparent les branches nord-occidentale et sud-occidentale du secteur central.

Cette configuration bathymétrique génère un système de circulation complexe où les seuils agissent comme des barrières qui limitent l’échange des masses d’eau profondes, créant des micro-environnements aux propriétés physiques, chimiques et biologiques distinctives. C’est cette diversité d’habitats qui fait du canal Beagle un écosystème si riche et si particulier, comme l’expliquent les chercheurs du Centro IDEAL qui étudient ces eaux depuis des années.

Un système hydrographique unique au monde

La rencontre des océans

Le canal Beagle fonctionne comme un corridor interocéanique qui facilite le transport d’eaux superficielles depuis le Pacifique vers l’Atlantique, un patron impulsé essentiellement par les différences de niveau entre les deux océans et l’influence des forts vents d’ouest dans le Courant Circumpolaire Antarctique.

Le Courant du Cap Horn constitue la principale source des eaux qui pénètrent dans le canal, transportant l’Eau Subantarctique (SAAW) à des profondeurs supérieures à 100 mètres le long du bord de la plateforme continentale patagonienne du Pacifique. Cette masse d’eau pénètre sur la plateforme continentale à travers un canyon sous-marin situé à l’entrée occidentale du canal, caractérisée par des températures de 8-9°C, une salinité supérieure à 33 et des concentrations d’oxygène relativement faibles.

Carte illustrant le courant du cap Horn (c) Karukinka

Des eaux qui racontent l’histoire du climat

Les apports d’eau douce provenant du Champ de Glace de la Cordillère Darwin génèrent un système à deux couches avec une pycnocline prononcée qui délimite la distribution verticale de la fluorescence du phytoplancton. Cette Eau Estuarienne se caractérise par sa pauvreté en nutriments, sa température froide (4-6°C) et sa forte oxygénation.

Les analyses de séries temporelles révèlent que le cycle annuel explique entre 75-89% de la variabilité de la température océanique, tandis que le cycle atmosphérique explique 53% de la variabilité. Ces données nous permettent de comprendre comment le canal réagit aux changements climatiques, soulignent les océanographes qui surveillent ces eaux.

Un sanctuaire de biodiversité marine

Le royaume des mammifères marins

Le canal Beagle abrite une diversité exceptionnelle de mammifères marins, reconnue internationalement comme Zone Marine d’Importance pour les Mammifères Marins (IMMA), s’étendant sur 26 572 km² depuis le canal jusqu’au cap Horn. Cette zone abrite au moins onze espèces primaires de mammifères marins en plus de huit espèces de support.

Parmi les espèces résidentes toute l’année se distinguent trois espèces de petits cétacés : le dauphin austral (Lagenorhynchus australis), le dauphin sombre (L. obscurus) et le marsouin épineux (Phocoena spinipinnis), accompagnés de deux pinnipèdes : l’otarie à crinière (Otaria byronia) et l’otarie à fourrure australe (Arctocephalus australis).

Otaries à fourrure australes dans le canal Beagle
Colonie d’otaries à fourrure australes dans le canal Beagle, près de la baie d’Ushuaia, photographiée en avril 2025 lors d’une expédition en voilier

Nous avons eu la chance d’observer ces dauphins australs lors de nos navigations dans les canaux de Patagonie, de l’entrée orientale du canal à la baie Cook son extrémité sud occidentale. Leur association étroite avec les forêts de macroalgues est fascinante : ils y réalisent 40,5% de leurs activités d’alimentation et 14,3% de leurs comportements de recherche de proies.

Les forêts sous-marines de kelp

Les forêts sous-marines de Macrocystis pyrifera, connues localement sous le nom de “cachiyuyos”, constituent l’un des écosystèmes les plus importants du canal Beagle, s’étendant depuis la péninsule Valdés jusqu’à la Terre de Feu. Ces forêts fournissent un habitat critique pour une diversité exceptionnelle d’espèces marines, fonctionnant comme pépinières, refuges et zones d’alimentation.

La recherche doctorale d’Adriana Milena Cruz Jiménez a révélé la complexité des assemblages de poissons associés à ces forêts, étudiant différentes strates : la partie inférieure où se situe le crampon (structure de fixation de l’algue) et la partie moyenne de la colonne d’eau où se trouvent les frondes. Cette diversité ichtyologique associée aux forêts de kelp témoigne de l’importance cruciale de ces écosystèmes pour la biodiversité marine, explique cette spécialiste.

Un équilibre délicat menacé

La distribution des nutriments dans le canal Beagle montre des patrons clairement différenciés selon les masses d’eau présentes. Le système présente une limitation notable en nitrate avec un rapport N:P de 8,42, cohérent dans toutes les masses d’eau. Cette caractéristique influence directement la productivité primaire du système.

La biomasse phytoplanctonique modérée se restreint généralement à la partie supérieure de la pycnocline dans le secteur occidental, tandis que le mélange sur les seuils altère la stratification, déplaçant les cellules phytoplanctoniques sous la couche photique, ce qui peut limiter la production primaire. Les chercheurs locaux insistent que le fait que comprendre ces mécanismes est essentiel pour préserver l’équilibre de cet écosystème unique.

L’héritage des grandes explorations

Sur les traces de Darwin et FitzRoy

Le canal doit son nom au HMS Beagle, le navire britannique qui réalisa le premier relevé hydrographique des côtes du sud de l’Amérique du Sud entre 1826 et 1830. La découverte européenne proprement dite du canal eut lieu en avril 1830, lorsque le HMS Beagle se trouvait au mouillage en baie Orange (sud-est de l’île Hoste).

Pendant la seconde expédition du Beagle (1831-1836), FitzRoy emmena avec lui Charles Darwin comme naturaliste autofinancé. Darwin eut sa première vision de glaciers lorsqu’ils atteignirent le canal le 29 janvier 1833, écrivant dans son carnet de terrain : “Il est presque impossible d’imaginer quelque chose de plus beau que le bleu béryl de ces glaciers, spécialement contrasté avec le blanc mort de l’étendue supérieure de neige”.

glacier de la cordillère darwin pendant une expédition en voilier de l'association Karukinka dans le canal Beagle
Et pour nous y rendre régulièrement… c’est à chaque fois un émerveillement ! Expédition en voilier, février 2025 (Karukinka)

Les méticuleuses observations de Darwin sur la géologie, la faune et les populations indigènes de la région fournirent des preuves cruciales pour sa compréhension de l’adaptation des espèces et de la distribution géographique. Le canal devint ainsi l’un des laboratoires naturels clés de l’histoire des sciences naturelles.

De la cartographie aux conflits géopolitiques

Les relevés hydrographiques réalisés par le capitaine FitzRoy et son équipage établirent les fondements de la navigation moderne dans la région, suivi de ces de la Mission scientifique du cap Horn. Cependant, cette précision cartographique révéla également l’importance stratégique du canal, source historique de tensions géopolitiques entre le Chili et l’Argentine.

Le Conflit du Beagle de 1978 mena ces pays au bord de la guerre pour la souveraineté de trois petites îles —Picton, Lennox et Nueva— dont la possession déterminerait le contrôle sur de vastes territoires maritimes. La dispute fut finalement résolue par médiation papale, avec le Pape Jean-Paul II jouant un rôle crucial dans la négociation du Traité de Paix et d’Amitié de 1984.

En jaune les îles concernées lors du Conflit du Beagle de 1978

La science moderne au service de la connaissance

Un laboratoire naturel sous surveillance

Le canal représente actuellement l’un des systèmes marins subantarctiques les plus étudiés, constituant une sentinelle régionale et exhaustive du changement global. Depuis octobre 2016, le Centro IDEAL de l’Université Australe du Chili conduit des transects hydrographiques annuels depuis l’extrémité occidentale jusqu’à la baie Yendegaia.

Un jalon scientifique significatif fut la réalisation en juillet-août 2017 du premier relevé océanographique complet à haute résolution le long de tout le canal, grâce à la collaboration entre le Centro IDEAL et une expédition argentine à bord du navire océanographique Bernardo HoussayCette coordination internationale a permis de générer pour la première fois une section hydrographique complète du canal, expliquent les chercheurs impliqués dans ce projet pionnier.

Le voilier Bernardo Houssay, de la Préfecture Navale argentine, lors de son arrivée au port d’Ushuaia en 2021 (source)

Des défis scientifiques uniques

La recherche dans le canal Beagle fait face à des défis uniques dus à sa localisation isolée, sa géomorphologie complexe et le fait qu’il soit partagé entre le Chili et l’Argentine, ce qui a historiquement limité les efforts coordonnés. Les besoins de recherche future incluent des études orientées vers les processus dans chaque bassin semi-fermé et l’implémentation de modèles couplés atmosphère-océan-glacier pour déterminer les temps de résidence. Ces recherches sont cruciales pour comprendre comment cet écosystème va répondre aux changements climatiques futurs.

Menaces et enjeux de conservation

Les défis du changement climatique

Le canal Beagle fait face à des défis sans précédent dérivés du changement climatique, avec des températures en hausse, des moyennes de précipitation changeantes et une acidification océanique qui menacent l’équilibre délicat de ces écosystèmes. Le recul glaciaire dans la région s’est accéléré dramatiquement ces dernières décennies, altérant les apports d’eau douce et affectant potentiellement la productivité marine.

Nous observons déjà des changements lors de nos expéditions : le recul des glaciers entre 2018 et 2025 nous a marqué. Les scientifiques surveillent étroitement ces changements, utilisant la région comme laboratoire naturel pour comprendre les impacts plus larges du changement climatique.

La controverse de la salmoniculture

L’expansion de l’industrie salmonicole vers le canal Beagle a généré un rejet catégorique de la part des organisations regroupées dans le Forum pour la Conservation de la Mer Patagonique, qui expriment leur préoccupation face aux dommages catastrophiques et irréversibles que son exploitation provoquerait dans l’une des régions les plus précieuses de l’écosystème marin patagon.

Nous soutenons fermement cette position : le canal se distingue par ses eaux pristines et abrite l’une des plus grandes réserves mondiales de biodiversité, avec une grande hétérogénéité d’habitats marins-côtiers qui contiennent de nombreux invertébrés et vertébrés marins encore trop peu étudiés. L’introduction d’espèces étrangères comme le saumon est considérée “terrible et risquée” pour cet écosystème par les chercheurs spécialisés. Plusieurs saumons d’élevage s’étaient déjà échappés par le passé dans des élevages situés au nord et nous retrouvons désormais des saumons “sauvages” dans la réserve de biosphère du cap Horn et qui menacent à présent des espèces endémiques comme le robalo.

Un exemple de saumon pêché par José dans les environs du bras nord du canal Beagle lors d’une de nos expéditions en voilier en 2025 (photo Christine Stein, association Karukinka)

L’héritage culturel yagan : le canal Onashaga (Beagle)

Sept millénaires de navigation

La dénomination Onashaga signifie “canal des chasseurs Onas” en langue yagan et reflète la connexion intime de ce peuple maritime avec ces eaux depuis environ 7 000 ans. Les Yagan développèrent une culture nomade basée exclusivement sur l’exploitation des ressources marines et la navigation constante dans l’archipel fuégien, s’adaptant à un environnement que les Européens considéraient comme totalement inhospitalier.

Quand nous naviguons dans ces eaux, nous ressentons encore la présence de ces navigateurs, témoignent nos équipiers. Leur territoire traditionnel s’étendait depuis la côte sud de la grande île de Terre de Feu (Onaisin) jusqu’à l’archipel du cap Horn, incluant le canal Beagle qu’ils appelaient Onashaga. Ce nom de lieu (toponyme) est l’un des milliers de noms que la colonisation avait effacé des cartes officielles et qu’il nous faut utiliser pour redonner un sens lié aux premiers habitants de ces territoires.

Un canal aussi témoin archéologique

L’évidence archéologique le long du Canal Beagle révèle une occupation humaine qui s’étend sur des milliers d’années, avec des amas coquilliers (conchales), des ateliers d’outils lithiques, des pêcheries et d’anciens campements.

Les sites archéologiques notables incluent des preuves d’établissement yagan ancien dans des lieux comme la baie Wulaia sur l’île Navarino qui indique une occupation de plus de 7000 ans avant le présent. 

Un enjeu de préservation et de coopération internationale et multiculturelle

Depuis 2005, avec l’objectif de préserver cette merveille de notre planète, la majorité des îles au sud du Canal Beagle font partie de la Réserve de Biosphère du Cap Horn, gérée par l’UNESCO, la CONAF et la Marine chilienne. Cette désignation reconnaît l’importance exceptionnelle de l’écosystème et établit des cadres pour sa conservation à long terme.

Nous croyons fermement que la préservation de la culture yagan et l’intégration de leurs savoirs ancestraux sont essentielles pour comprendre et protéger cet écosystème unique. L’incorporation du savoir écologique traditionnel yagan dans les stratégies contemporaines de gestion environnementale représente une opportunité de développer des approches novatrices pour la conservation. Les connaissances sur la navigation, les observations climatiques, les ressources marines et les cycles saisonniers constituent un patrimoine scientifique de grande valeur et complètent les méthodologies de recherche modernes.


Bibliographie

Sources scientifiques primaires

Ferreyra, G. & González, H. “General Hydrography of the Beagle Channel, a Subantarctic Interoceanic Passage at the Southern Tip of South America”. Frontiers in Marine Science, 30 septembre 2021.

Marine Mammal Protected Areas Task Force. “Beagle Channel to Cape Horn IMMA – Marine Mammal Protected Areas Task Force”. Marine Mammal Habitat, 18 mars 2024.

Lodolo, E., Menichetti, M. & Tassone, A. “Shallow architecture of Fuegian Andes lineaments based on marine geophysical data”. Andean Geology, vol. 45, n°1, 2018.

Publications institutionnelles

Yaghan’s, Explorers and SettlersMuseo Yaganusi, Gouvernement du Chili. Document PDF, 2021.

Canal Beagle sin salmonerasMar Patagónico, Déclaration régionale, 2024.

The Beagle Channel free from salmon farmingMar Patagónico, Regional statement, 2024.

Biodiversidad fitoplanctónica y calidad de las aguas del Canal Beagle, Argentina, período 2017-2021Gobierno de Argentina, Document PDF.

Articles

El Rompehielos. “La importancia de la biodiversidad marina del Canal Beagle”. 29 janvier 2020.

Radio del Mar. “Canal Beagle es un ecosistema clave de investigación científica de biología marina”. 22 mai 2023.

Centro IDEAL. “Científicos logran desentrañar la estructura del canal Beagle”. 11 novembre 2021.

Documentation audiovisuelle

“Descubrimiento del Canal Beagle”YouTube, 20 juin 2021.

“La importancia de la biodiversidad marina del Canal Beagle”YouTube, 29 janvier 2020.

Organisations de conservation

Rewilding Chile. “Beagle Channel: Exploring the end of the world”. 3 septembre 2023.

Rewilding Chile. “Canal Beagle: explorando el confín del mundo”. 3 septembre 2023.

[Canaux de Patagonie 2025] Le carnet de bord de Sébastien (partie 1)

[Canaux de Patagonie 2025] Le carnet de bord de Sébastien (partie 1)

Mardi 28 Janvier 2025 : départ de l’expédition en voilier dans les canaux de Patagonie chilienne

            Réveil difficile ce matin, la nuit a été courte et la journée précédente riche, comme toujours la veille d’un départ pour 18 jours d’expédition en voilier dans la réserve de biosphère du cap Horn : ravitaillement, avitaillement… une foule de choses qui ne peuvent bien-sûr se faire qu’au dernier moment à Ushuaia !

            8h donc, petit-déjeuner, et il y a du monde pour ce petit-déjeuner. En effet, hier nous avons accueillis 5 nouveaux équipiers : Annick et Jacques les gersois du bord, Pascal le grenoblois, Alain le vannetais et Françoise la parisienne ; le point commun: ils sont tous d’heureux retraités ! Avec Aude, qui décidément ne veut plus quitter le bord, Damien, Lauriane et moi-même nous serons 9 membres à bord !

            L’installation étant faite, le rituel se met en place : faire les formalités auprès des autorités locales d’Ushuaia : à chaque voyage, il faut passer par la préfecture navale, l’immigration et la douane, tant du côté argentin que du côté chilien !

expédition canaux de patagonie en voilier
L’équipage de Milagro, association Karukinka, à Ushuaia (Photo Pascal Madert)

            A l’issue de ces formalités, nous avons le droit à une visite de contrôle, comme cela nous est déjà arrivé à Bahia San Blas lors de notre croisière hauturière le long de la Patagonie argentine depuis Buenos Aires. En général, il s’agit principalement du contrôle des papiers du bateau, des moyens de communication et des moyens de sauvetage… et ça se passe toujours bien !

            Avec toutes ces obligations, nous ne quittons Ushuaia qu’à 13h, pour une arrivée à 18h à Puerto Williams, la ville la plus au sud du monde, sur l’île Navarino (province du cap Horn et de l’Antarctique chilien), après une navigation tranquille. Mouillage devant la ville, faute de place au port de pêche et à proximité du mythique Micalvi, bateau-ponton et patrimoine historique local bien connu des voileux qui passent dans le coin avant d’aller dans le grand Sud. Un peu plus tard un autre voilier français, présent depuis fort longtemps dans la région, jette l’ancre à nos côtés : le Podorange.

Mercredi 29 Janvier 2025 : en attendant les formalités -> randonnée sur l’île Navarino !

            Ce matin, et puisque nous voilà au Chili, c’est reparti pour les formalités d’entrée dans le pays avec les différentes autorités. Du coup, journée à terre pour tout le monde : Lauriane et Damien partent effectuer le marathon des formalités, Alain et Annick vont se promener sur la grève le long du canal Beagle et Pascal, Françoise, Jacques, Aude et moi partons faire le sommet « scolaire » au-dessus du village : le Cerro Bandera. Ce sommet, de 600m d’altitude, permet d’avoir une belle vue panoramique sur les environs.

L’accès à ce sommet est une exception dans la région : en effet, c’est un des seuls où il y a un sentier aménagé, bien tracé, ce qui rend la montée aisée. La majeure partie du temps ailleurs, les itinéraires il faut se les tracer, la nature est omniprésente et ne se laisse découvrir qu’après de vrais efforts !

            C’est une belle montée qui devient agréable après avoir quitté une piste pour 4X4 : nous traversons la superbe forêt fuégienne, puis les petits arbustes touffus battus par les vents avant d’accéder au niveau minéral, où seules des mousses réussissent à survivre, à l’approche du sommet. Le ciel est couvert mais sans vent et il y a une très bonne visibilité. Différents points de vue permettent d’admirer, à des altitudes variées, le canal et les sommets environnants.

            Chacun à son rythme, tout le monde se retrouve au sommet matérialisé par un cairn surmonté d’un drapeau chilien. De ce sommet, on voit différentes traces qui laissent supposer de nombreuses possibilités de randonnées, sur de nombreux jours, pour aller découvrir cette île ; ça donne des fourmis dans les jambes…!

            Le temps étant clément, c’est un pique-nique suivit d’une petite sieste réparatrice, qui précèdent la descente qui se fait par le même chemin, et qui va se terminer dans un petit salon de thé très cosy. Retour à bord vers 18h30 pour une soirée tranquille, après cette belle journée de balade.

Jeudi 30 Janvier 2025 : cap à l’Ouest dans le canal Beagle, vers l’île Hoste

            Réveil 6h, départ 7h, car ce matin nous avons de la route : nous retournons plein Ouest, pour passer devant Ushuaia puis continuer vers l’île Hoste. La navigation est calme, au moteur faute de vent. En début d’après-midi, c’est la surprise : le vent se lève et souffle en tempête, avec des rafales à 45 nœuds, le canal Beagle montre son visage sous mauvais temps, et c’est impressionnant. Une seule solution plutôt que de lutter bêtement au moteur vent dans le nez, aller se mettre à l’abri : direction la caleta Letier (péninsule Dumas, île Hoste, fjords chiliens). L’endroit est superbe, avec une petite baie bien protégée et la forêt qui vient mourir sur le rivage. La manœuvre de mouillage par contre, va être moins idyllique…

            L’ancre ne croche pas, la quantité de kelp au fond est telle qu’elle l’en empêche. Elle remonte couverte d’une montagne de ce kelp mélangé à un peu de vase. Il faut tout couper et faire tomber avant de refaire une tentative de mouillage, c’est fatiguant et salissant !! Finalement une nouvelle tentative se solde enfin par un succès : Milagro est enfin mouillé en toute sécurité ! Ouf !!

            Et c’est tant mieux, car le coup de vent, qui n’avait pas été annoncé, est violent : les bourrasques à 40 nœuds, sont puissantes et soudaines, inclinant Milagro sur le flanc, à l’abri dans sa baie. Dans le canal c’est pire : les rafales dépassent largement les 50 nœuds, le canal est blanc, les crêtes des vagues sont arrachées par le vent créant un brouillard blanc au-dessus des flots. L’armada chilienne annonce l’interdiction temporaire de la navigation dans le chenal et les ports d’Ushuaia et Puerto Williams sont fermés.

mouillage dans la caleta letier, fjords de patagonie chilienne
Mouillage dans la caleta Letier (île Hoste, province du cap Horn et de l’Antarctique chilien, 30/01/2025)

            L’endroit est rude mais superbe, avec les différentes criques, la forêt et les montagnes qui dominent le tout.

Vendredi 31 Janvier 2025 : premiers coups d’oeil vers les glaciers de la cordillère Darwin et mouillage dans une baie de l’île Gordon

            8h du matin petit tour matinal sur le pont : c’est magnifique ! Le vent est tombé, même le canal est calme. Moment de quiétude délicieux, seuls au fond de cette caleta.

            Nous partons vers l’Ouest, l’île Hoste sur notre gauche, la Terre de Feu sur notre droite, et au loin les glaciers de la cordillère Darwin scintillent au soleil… Les paysages qui défilent sont superbes : des chenaux avec de part et d’autre la dense forêt fuégienne subantarctique, les montagnes et, pour chapeauter le tout, des glaciers. C’est extraordinaire d’être au cœur d’un des derniers endroits de la planète où la Nature est toute puissante et l’Homme quasi-absent.

            Direction le bras Sud du canal: nous longeons toujours sur bâbord les rivages de l’île Hoste, mais sur notre tribord, les côtes de l’île Gordon succèdent à celles de la Terre de Feu. Nous longeons alors des glaciers d’altitude, qui hélas sont grandement réduits par le réchauffement climatique : comme pour les montagnes, les zones polaires sont les plus touchées par les bouleversements liés au réchauffement climatique.

            Nous bifurquons dans un fjord non hydrographié sur nos cartes et que nous remontons sur plusieurs km pour aller mouiller à son extrémité, au pied d’une cascade et d’un torrent en provenance d’un glacier en pleine fonte. Ce dernier nous domine de toute sa masse et sa fraîcheur : nous sommes dans la caleta Eva Luna. Le lieu est sublime et le bonheur d’y revenir se lit sur le visage de Lauriane qui y avait réalisé plusieurs enregistrements et images lors d’une expédition précédente (2018).

            Une petite promenade le long de la grève me ramène moi aussi quelques années en arrière : la forêt fuégienne, dense, difficilement pénétrable et le sol saturé d’eau avec ses tourbières, est fidèle à mes souvenirs. Toupie, notre fidèle mascotte à quatre pattes s’en donne à coeur joie, ce ne sont pas les morceaux de bois qui manquent pour jouer au lancer-ramener sur la rive !

Milagro au mouillage dans les canaux de patagonie expédition en voilier patagonie en voilier province du cap horn île gordon
Le voilier Milagro au mouillage dans la Caleta Eva Luna, île Gordon, province du cap Horn et de l’Antarctique chilien, janvier 2025

La soirée est calme et nous nous reposons pour continuer dès demain vers l’ouest… La suite dans un prochain post ;-)


Karukinka vous invite à écrire les prochaines pages de cette épopée unique, là où les cartes portent encore la mention énigmatique “non hydrographié”. Rejoindre Karukinka, c’est bien plus qu’adhérer à une association : c’est embarquer dans une aventure humaine et maritime exceptionnelle qui réconcilie exploration moderne et mémoire ancestrale.

Notre association rassemble aujourd’hui une centaine de membres de 12 nationalités différentes, unis par la passion des terres extrêmes et l’engagement pour la préservation des cultures autochtones. Que vous soyez marin expérimenté, scientifique, artiste, ou simplement passionné par les grands espaces et les causes justes, Karukinka vous offre l’opportunité unique de participer à des expéditions en voilier et à un projet d’exploration cartographique qui marquera l’histoire.

La Cordillère Darwin, Terra Incognita des Andes australes

La Cordillère Darwin, Terra Incognita des Andes australes

La cordillère Darwin représente l’une des dernières frontières sauvages de notre planète, un massif montagneux d’une beauté saisissante mais d’une hostilité redoutable, situé à l’extrême sud-ouest de la Terre de Feu chilienne. Cette chaîne de montagnes, connue des Européens en 1832 par Charles Darwin lors de son voyage historique à bord du HMS Beagle, constitue le prolongement le plus austral de la cordillère des Andes et demeure jusqu’à aujourd’hui l’un des environnements les plus extrêmes et les moins explorés de la planète.

croisiere voilier ushuaia et réserve naturelle du cap horn face à la cordillère darwin
Le voilier Milagro au mouillage dans la caleta Beaulieu, face au glacier Pia (Expédition Karukinka, Cordillère Darwin, Terre de Feu, Chili, 2025)

Nichée entre 54°15′ et 54°50′ de latitude sud et 69°15′ et 71°30′ de longitude ouest, cette “terre inconnue” s’étend sur 170 kilomètres d’ouest en est et 60 kilomètres du nord au sud, abritant un champ glaciaire de plus de 2 300 km² – soit l’équivalent de la superficie totale des glaciers alpins. Jusqu’en 2011, année de la première traversée intégrale réalisée par le Groupe Militaire de Haute Montagne (GMHM) français, la cordillère Darwin demeurait l’un des derniers “rectangles blancs” sur les cartes du monde, témoignant de la difficulté extrême que représente son exploration.

Géographie et géologie : un laboratoire naturel exceptionnel

Localisation et configuration géographique de la cordillère Darwin

La cordillère Darwin occupe une position géographique unique au monde, formant une péninsule montagneuse à l’ouest de la grande île de la Terre de Feu. Cette chaîne de montagnes est entourée d’eau sur trois côtés : au nord par le canal Almirantazgo relié au détroit de Magellan, au sud par le canal Beagle, et à l’ouest par le canal Cockburn qui débouche sur l’océan Pacifique. Seule sa partie orientale reste connectée à la terre ferme, près de la frontière argentino-chilienne, rendant tout accès terrestre pratiquement impossible.

Le massif s’étend du mont Sarmiento à l’ouest (2 404 m) jusqu’à la vallée de Yendegaia à l’est, en passant par son point culminant, le mont Shipton (2 469 m), souvent confondu avec le mont Darwin (2 429 m). Cette confusion historique provient de l’expédition d’Eric Shipton en 1961, qui pensait avoir gravi le mont Darwin mais avait en réalité atteint un sommet plus élevé, baptisé par la suite en son honneur.

Une structure géologique complexe

La géologie de la cordillère Darwin révèle une histoire tectonique complexe et fascinante. Le massif est principalement constitué d’un complexe métamorphique comprenant des roches de haute qualité métamorphique, notamment des schistes cristallins contenant de la kyanite et de la sillimanite. Ces minéraux témoignent de conditions de pression et de température extrêmes lors de la formation de la chaîne de montagnes.

Vue panoramique du glacier Marinelli avec des sommets enneigés et des growlers cordillere de darwin
Vue panoramique du glacier Marinelli avec des sommets enneigés et des growlers (Cordillère Darwin, wikipedia)

Le métamorphisme de haut grade observé dans la cordillère Darwin est directement lié à la fermeture du bassin de Rocas Verdes au Crétacé, un événement géologique majeur qui a façonné la structure actuelle de la région. Ce complexe métamorphique constitue le seul ensemble de ce type dans les Andes australes à présenter des roches d’amphibolite à kyanite et sillimanite, faisant de la cordillère Darwin un laboratoire géologique unique pour comprendre l’évolution tectonique de la pointe sud de l’Amérique du Sud.

La séparation progressive de l’Amérique du Sud et de l’Antarctique au Cénozoïque a transformé la tectonique locale en un régime transpressif caractérisé par des failles transformantes. L’ouverture du passage de Drake il y a 45 millions d’années a également contribué à modeler la géomorphologie actuelle de la région.

Le champ glaciaire et ses caractéristiques

Le champ glaciaire de la cordillère Darwin couvre une superficie impressionnante de 2 300 km², rivale des plus grands systèmes glaciaires non polaires de la planète. Ce manteau de glace alimente une multitude de glaciers qui s’écoulent vers la mer, créant un paysage de fjords profonds et de parois glaciaires spectaculaires.

Parmi les glaciers les plus remarquables, le glacier Marinelli occupe une position particulière en tant que glacier le plus actif et le plus étudié de la cordillère. Situé dans le parc national Alberto de Agostini, ce glacier s’étend sur plusieurs kilomètres depuis la cordillère Darwin jusqu’à la baie Ainsworth dans le fjord Almirantazgo. Le glacier Marinelli est reconnu pour son importante vitesse de recul, documentée depuis plusieurs décennies, ce qui en fait un témoin significatif du changement climatique dans la région.

Climat extrême : les Cinquantièmes Hurlants

Des conditions météorologiques dantesques

Le climat de la cordillère Darwin figure parmi les plus extrêmes de la planète, façonné par sa position dans les redoutables cinquantièmes hurlants. Cette région subit l’influence directe des dépressions cycloniques qui se succèdent sans relâche, alimentées par la différence de température entre les eaux relativement chaudes de l’océan Austral et les masses glaciaires antarctiques.

Les vents constituent l’élément climatique le plus caractéristique et le plus redoutable de la cordillère Darwin. La vitesse moyenne annuelle des vents atteint 70 km/h, mais les pointes peuvent dépasser 250 km/h lors des phénomènes appelés williwaw ou ayayema selon la terminologie des peuples autochtones kawésqar et yagán. Ces vents d’une violence inouïe ont été minutieusement décrits par l’amiral FitzRoy lors de son exploration avec Darwin, qui les considérait comme une “divinité mauvaise” capable de déferler sans prévenir.

Un glacier du fjord Pia lors d'une expédition en voilier dans les canaux de Patagonie Cordillère Darwin, Terre de Feu, Chili,
Un des glaciers de la Cordillère Darwin lors d’une expédition en voilier dans les canaux de Patagonie (Association Karukinka, Chili, 2025)

Précipitations et variabilité saisonnière

Les précipitations dans la cordillère Darwin sont abondantes et quasi permanentes, alimentant le vaste système glaciaire. La région reçoit en moyenne plus de 3 000 mm de précipitations annuelles, principalement sous forme de neige en altitude et de pluie dans les zones côtières. Cette humidité constante, combinée aux vents violents, crée des conditions de visibilité souvent réduites qui compliquent considérablement toute tentative d’exploration.

La température moyenne varie entre 0 et 5°C pendant la saison froide (hiver austral) et entre 5 et 10°C pendant la saison chaude (été austral). Ces variations thermiques relativement faibles reflètent l’influence modératrice de l’océan, mais masquent l’effet refroidissant constant du vent qui abaisse considérablement la température ressentie.

Biodiversité : un écosystème subantarctique unique

Faune terrestre et marine

La cordillère Darwin abrite une biodiversité remarquable, adaptée aux conditions extrêmes de cette région subantarctique. Parmi les mammifères terrestres, le guanaco (Lama guanicoe) constitue l’espèce emblématique des steppes et zones montagneuses, évoluant en troupeaux dans les secteurs les moins hostiles. Ces camélidés sauvages, parfaitement adaptés aux vents violents et aux températures froides, représentent une source alimentaire importante pour les prédateurs de la région.

troupeau de guanacos lama guanicoe lors d'une expedition en terre de feu argentine
Troupeau de guanacos (lama guanicoe) lors d’une expédition de l’association Karukinka en Terre de Feu (2018)

La région abrite également plusieurs espèces de canidés adaptées aux conditions australes, notamment le renard de Magellan (Lycalopex culpaeus) et le renard gris (Lycalopex griseus), qui occupent divers habitats allant des forêts aux zones rocheuses.

Une mention particulière doit être faite concernant les castors canadiens (Castor canadensis), introduits dans les années 1940 et devenus depuis une espèce exotique envahissante majeure. Ces rongeurs semi-aquatiques, dont la population atteint aujourd’hui plusieurs dizaines de milliers d’individus, modifient profondément l’écosystème local en construisant des barrages qui perturbent l’hydrologie naturelle des cours d’eau.

Barrage de castors sur l'île Hoste (Réserve de Biosphère du cap Horn, Chili, expédition en voilier fjords chili canaux de patagonie
Barrage de castors sur l’île Hoste (Réserve de Biosphère du cap Horn, Chili, expédition automne-hiver 2018)

Avifaune : quelques maîtres du ciel austral

La diversité aviaire de la cordillère Darwin témoigne de la richesse écologique de cette région. Plus de 90 espèces d’oiseaux ont été recensées, réparties entre espèces terrestres et marines. Le condor des Andes (Vultur gryphus), avec son envergure impressionnante pouvant atteindre 3 mètres, domine les cieux de la cordillère et constitue l’un des spectacles les plus saisissants pour les rares observateurs.

Les rapaces sont bien représentés avec les caranchos (caracaras) et chimangos. Dans les zones boisées, le pic de Magellan, les comesebos et les rayaditos animent la forêt magellanique de leurs chants caractéristiques.

carancho negro rapace île herschel cap horn patagonie chili
Un Carancho noir (Réserve du Cap Horn, le 10 avril 2025 lors d’une expédition en voilier au cap Horn et dans les canaux de Patagonie)

Les environnements aquatiques et côtiers abritent une faune marine exceptionnelle. Les eaux du canal Beagle et des fjords environnants servent d’habitat à des colonies de manchots de Magellan (Spheniscus magellanicus), une espèce emblématique de la région. Plus remarquable encore, la cordillère Darwin abrite la seule colonie de manchots royaux (Aptenodytes patagonicus) située en dehors de l’Antarctique et des îles subantarctiques, témoignant du caractère exceptionnel de cet écosystème.

manchots de Magellan (pingüinos) en Patagonie insulaire
Petit groupe de manchots de Magellan (pingüinos) en Patagonie insulaire

Mammifères marins des fjords patagons

Les eaux entourant la cordillère Darwin constituent un sanctuaire pour de nombreuses espèces de mammifères marins. Les baleines franches australes (Eubalaena australis) et les baleines à bosse (Megaptera novaeangliae) fréquentent régulièrement ces eaux riches en nutriments. Les léopards de mer trouvent refuge dans les fjords protégés, profitant de la richesse halieutique de la région.

Les éléphants de mer (Mirounga leonina) forment des colonies temporaires sur certaines plages isolées, particulièrement dans la zone du glacier Marinelli où une population en voie de disparition subsiste encore. Les otaries à crinière (Otaria flavescens) sont également présentes en grand nombre, créant des colonies bruyantes sur les îlots rocheux des fjords.

otaries à fourrure canaux de patagonie
Colonie d’otaries à fourrure dans le canal Beagle (expédition en voilier Karukinka 2025)

Flore : les forêts magellaniques et leur adaptation

L’écosystème forestier subantarctique

La végétation de la cordillère Darwin se caractérise par la présence de forêts magellaniques subantarctiques, également appelées forêts fuégiennes. Ces écosystèmes forestiers uniques au monde sont dominés par des espèces du genre Nothofagus, parfaitement adaptées aux conditions climatiques extrêmes de la région.

cascade dans la forêt native des canaux de patagonie lors d'une expédition en voilier au cap horn
Forêt magellanique photographiée lors d’une expédition en voilier en Patagonie (canal Beagle, Réserve de Biosphère du Cap Horn, Chili, 2025)

Le lenga (Nothofagus pumilio) constitue l’espèce forestière la plus caractéristique et la plus répandue de la cordillère Darwin. Cet arbre caduc, capable de résister aux vents violents et aux températures glaciales, forme des peuplements denses jusqu’à 700 mètres d’altitude. Sa capacité d’adaptation remarquable lui permet de survivre dans des conditions où peu d’autres espèces arborescentes peuvent prospérer.

Le coihue (Nothofagus betuloides) et le ñire (Nothofagus antarctica) complètent le cortège des hêtres du sud qui dominent le paysage forestier. Ces espèces, associées au canelo (Drimys winteri), forment un écosystème forestier dense et complexe, façonné par les vents violents qui sculptent littéralement la silhouette des arbres.

Adaptation à l’extrême : lengas nains et toundra

Au-delà de 700 mètres d’altitude, les conditions deviennent trop rigoureuses pour maintenir des forêts de taille normale. C’est dans cette zone de transition que l’on observe un phénomène remarquable d’adaptation : la formation de lengas nains, des arbres de la même espèce mais dont la croissance est considérablement ralentie et la taille réduite par les conditions extrêmes.

Paysage de toundra dans la réserve de Biosphère du cap Horn (expédition hiver 2018)

Cette zone de transition marque la limite entre l’étage forestier et l’étage alpin, où la végétation se compose principalement de mousses et de lichens capables de résister aux vents desséchants et aux températures négatives. Cette toundra magellanique constitue un écosystème unique, abritant des espèces végétales hautement spécialisées.

Flore spécialisée et endémisme

Les sous-bois des forêts magellaniques recèlent une diversité floristique remarquable, adaptée aux conditions d’humidité constante et de faible luminosité. Parmi les espèces remarquables, la drosera uniflora, une petite plante carnivore, illustre parfaitement les adaptations extraordinaires développées par la flore locale pour survivre dans cet environnement pauvre en nutriments.argentina-excepcion

Végétation de la forêt magellanique (Réserve de Biosphère du cap Horn, 2018)

Les arbustes à baies occupent une place importante dans l’écosystème, notamment le calafate, l’épine-vinette de Darwin et le groseillier de Magellan. Ces espèces constituent une source alimentaire précieuse pour la faune locale et témoignent de l’interconnexion complexe des réseaux trophiques dans cet environnement extrême.

La flore herbacée comprend des espèces endémiques remarquables telles que la primevère de Magellan, la benoîte de Magellan, diverses espèces d’orchidées et la violette jaune. La période de floraison, concentrée sur le printemps austral (septembre à décembre), transforme brièvement les paysages en un kaléidoscope de couleurs contrastant avec la rudesse habituelle du milieu.

La découverte historique par Charles Darwin

L’histoire moderne de la cordillère Darwin débute le 12 février 1834, lorsque le capitaine Robert FitzRoy baptise cette chaîne de montagnes en l’honneur du 25e anniversaire de Charles Darwin. Cette dénomination intervient lors du second voyage du HMS Beagle, une expédition hydrographique britannique qui révolutionne la compréhension géographique et scientifique de la Terre de Feu.

Darwin lui-même, alors âgé de 25 ans, découvre ces montagnes avec un mélange de fascination et d’appréhension. Dans ses écrits, il décrit un paysage d’une beauté saisissante mais d’une hostilité redoutable, pressentant déjà les défis considérables que représenterait l’exploration de cette région. FitzRoy avait initialement nommé un canal au sud-ouest de la montagne “canal Darwin” pour honorer le courage du jeune naturaliste lors du sauvetage des barques du navire menacées par la chute d’une masse de glace.

L’époque des premières tentatives

Pendant plus d’un siècle après sa découverte, la cordillère Darwin demeure largement inexplorée, défiant les tentatives d’exploration les plus audacieuses. Les rares incursions se limitent aux extrémités orientale et occidentale de la chaîne, laissant le cœur du massif dans un mystère quasi total.

Le père Alberto de Agostini, missionnaire et explorateur italien, compte parmi les premiers à pénétrer sérieusement dans la région au début du XXe siècle. Ses expéditions, menées entre 1910 et 1960, permettent d’identifier et de cartographier plusieurs sommets et glaciers, notamment les monts Italia et Francés. Ses photographies et ses récits constituent les premiers témoignages visuels de l’intérieur de la cordillère Darwin, révélant au monde la magnificence de ces paysages glaciaires.

alberto de agostini alpinisme cordillère darwin
Alberto de Agostini et ses compagnons de cordée, pionniers de l’alpinisme dans la cordillère Darwin au début du XXe siècle

L’exploit de l’alpiniste Eric Shipton (1961)

L’année 1961 marque un tournant dans l’histoire de l’exploration de la cordillère Darwin avec l’expédition menée par Eric Shipton, l’un des plus grands explorateurs britanniques du XXe siècle. Accompagné de trois alpinistes chiliens – Eduardo Garcia, Francisco Vivanco et Cedomir Marangunic – Shipton réalise ce qu’il croit être la première ascension du mont Darwin.

Cette expédition révèle une confusion géographique qui perdurera jusqu’en 1970. L’équipe de Shipton gravit en réalité un sommet situé au nord-ouest du véritable mont Darwin, culminant à 40 mètres de plus que ce dernier. Cette méprise sera clarifiée par une expédition néo-zélandaise en 1970, qui propose de baptiser le sommet gravi par Shipton du nom de mont Shipton, proposition acceptée par les autorités géographiques chiliennes.

L’expédition de Shipton marque néanmoins une étape cruciale dans la connaissance de la cordillère Darwin, démontrant la faisabilité de l’alpinisme de haut niveau dans cette région extrême. Les descriptions détaillées de Shipton révèlent les difficultés extraordinaires posées par le climat, avec des vents d’une violence inouïe qui obligent les alpinistes à ramper à quatre pattes pour progresser.

La première traversée intégrale par les alpinistes du GMHM (2011)

Le 6 octobre 2011 marque l’achèvement de l’un des derniers grands exploits d’exploration terrestre du XXIe siècle. Six membres du Groupe Militaire de Haute Montagne (GMHM) de Chamonix réussissent la première traversée intégrale de la cordillère Darwin, un exploit sportif et humain longtemps considéré comme impossible.

L’équipe de l’expédition nommée “sur le fil de Darwin”, dirigée par le capitaine Lionel Albrieux et composée du lieutenant Didier Jourdain, de l’adjudant-chef Sébastien Bohin, du sergent-chef François Savary, du caporal Sébastien Ratel et du grimpeur civil Dimitri Munoz, traverse 150 kilomètres en ligne droite (250 kilomètres réels) en totale autonomie pendant 29 jours.

Les alpinistes du GMHM au départ de l’expédition (Yendegaia) en 2011 http://www.gmhm.terre.defense.gouv.fr/

Cette expédition historique nécessite une préparation minutieuse d’une année entière. Chaque membre porte 75 kilogrammes de matériel, incluant 40 kilogrammes de nourriture lyophilisée, le tout tracté sur des pulkas (traîneaux) spécialement testées en Norvège. L’absence de cartographie fiable – la dernière datant de 1954 – oblige l’équipe à s’appuyer sur un système GPS non conventionnel associé à des photographies aériennes.

Les conditions rencontrées dépassent tout ce que les alpinistes français avaient pu imaginer. Face au mont Darwin, l’équipe doit négocier une arête effilée de 5 kilomètres, oscillant entre 40 centimètres et 1,5 mètre de largeur. Les vents atteignent régulièrement 150 km/h, contraignant les explorateurs à progresser à quatre pattes ou même allongés pour éviter d’être emportés.

Deux alpinistes du Groupe Militaire de Haute Montagne sur une crête http://www.gmhm.terre.defense.gouv.fr/

Le succès de cette expédition transforme définitivement la cordillère Darwin d’une “terra incognita” en territoire accessible, ouvrant la voie à de futures explorations scientifiques et sportives. Le film documentaire “Sur le fil de Darwin“, réalisé à partir des images tournées par l’équipe, témoigne de cet exploit exceptionnel et révèle au grand public la beauté sauvage de cette région.

Conservation et statut de protection

Le Parc National Alberto de Agostini

La protection de la cordillère Darwin s’articule principalement autour du parc national Alberto de Agostini, créé le 22 janvier 1965 par le décret suprême n°80 du ministère de l’Agriculture du Chili. Avec une superficie de 1 460 000 hectares, ce parc constitue la troisième plus grande aire protégée du Chili et englobe la majeure partie de la cordillère Darwin.

Le parc national porte le nom du père Alberto María De Agostini (1883-1960), missionnaire salésien, explorateur, photographe, géographe et ethnologue italien qui consacra une grande partie de sa vie à l’exploration et à la documentation de la Patagonie et de la Terre de Feu. Ses travaux pionniers, incluant une importante collection photographique et une vingtaine d’ouvrages sur la région, constituent un patrimoine scientifique et culturel inestimable.

Le parc s’étend sur trois provinces chiliennes : Magallanes, Tierra del Fuego et l’Antarctique chilien, illustrant la complexité administrative de cette région frontalière. Il inclut de nombreuses îles (Gordon, Londonderry, une partie de l’île Hoste), la totalité de la cordillère Darwin avec ses glaciers, ainsi que de nombreux fjords.

Reconnaissance internationale et Réserve de Biosphère UNESCO

En 2005, le parc national Alberto de Agostini obtient une reconnaissance internationale majeure en intégrant la réserve de biosphère Cabo de Hornos (cap Horn) de l’UNESCO. Cette désignation souligne l’importance écologique et culturelle mondiale de la région et place la cordillère Darwin parmi les 24 écorégions les plus pristines de la planète

glacier de patagonie navigation canaux de patagonie en voilier cordillère de darwin
L’un des nombreux fjords du parc national Alberto de Agostini (expédition en voilier, Canaux de Patagonie, Chili, 2025)

Le statut de réserve de biosphère implique un engagement de conservation à long terme, associé à des programmes de recherche scientifique et de développement durable. Cette reconnaissance favorise également le développement d’un écotourisme responsable, permettant aux visiteurs de découvrir cette région exceptionnelle tout en contribuant à sa préservation.

La cordillère Darwin bénéficie également de la protection offerte par diverses conventions internationales, notamment celles relatives à la protection des zones humides et des espèces migratrices. Sa position géographique unique en fait un corridor essentiel pour de nombreuses espèces d’oiseaux marins et de mammifères marins qui transitent entre l’Atlantique et le Pacifique.

Défis de conservation actuels

Malgré son statut de protection, la cordillère Darwin fait face à plusieurs défis de conservation significatifs. Le changement climatique constitue la menace la plus préoccupante, avec un recul documenté de la plupart des glaciers de la région. Le glacier Marinelli, en particulier, subit un retrait accéléré qui témoigne de l’impact du réchauffement global sur ces écosystèmes fragiles.

L’introduction d’espèces exotiques, notamment les castors canadiens, pose un défi écologique majeur. Ces ingénieurs de l’écosystème modifient profondément l’hydrologie locale en construisant des barrages, perturbant les habitats naturels et compromettant l’intégrité des forêts magellaniques.

La pression touristique, bien que limitée par l’accessibilité difficile de la région (uniquement par voie maritime), nécessite une gestion attentive pour éviter la dégradation des sites les plus sensibles. Le développement de croisières spécialisées vers les glaciers de la cordillère Darwin requiert un équilibre délicat entre accessibilité publique, sensibilisation aux risques (ne pas faire de feu par exemple à cause du vent et des sites archéologiques yagan présents sur le littoral) et préservation environnementale.

Recherche scientifique et enjeux contemporains

Laboratoire du changement climatique

Cette cordillère constitue un laboratoire naturel exceptionnel pour l’étude du changement climatique et de ses impacts sur les écosystèmes subantarctiques. Les glaciers de la région, en particulier le glacier Marinelli, font l’objet d’un monitoring scientifique continu depuis plusieurs décennies.

Les recherches menées révèlent une tendance préoccupante au recul glaciaire généralisé. Le glacier Marinelli, qui était l’un des glaciers les plus stables de la région jusqu’aux années 1960, présente désormais un taux de retrait parmi les plus élevés au monde. Cette évolution rapide en fait un indicateur privilégié des modifications climatiques à l’échelle régionale et globale.

Les études géomorphologiques et climatologiques menées dans la cordillère Darwin contribuent également à la compréhension des mécanismes d’interaction entre océan, atmosphère et cryosphère dans les hautes latitudes australes. Ces recherches revêtent une importance particulière pour les modèles de prédiction climatique globale.

Biodiversité et adaptation évolutive

La position géographique unique de la cordillère Darwin, à l’interface entre les domaines tempéré et subantarctique, en fait un terrain d’étude privilégié pour comprendre les mécanismes d’adaptation et d’évolution des espèces dans des conditions environnementales extrêmes.

Les recherches sur la faune marine révèlent l’importance de la région comme corridor biologique entre les océans Atlantique et Pacifique. Les populations de mammifères marins qui fréquentent les fjords de la cordillère Darwin présentent des caractéristiques génétiques particulières, témoignant de l’isolement relatif de ces écosystèmes.

faune cap horn baleine franche australe canal beagle
Deux baleines franches australes dans le canal Beagle (2018)

L’étude de la flore magellanique contribue à la compréhension des mécanismes d’adaptation des végétaux aux conditions de vent extrême et de stress hydrique. Les formes naines développées par certaines espèces arborescentes constituent un modèle d’étude pour comprendre la plasticité phénotypique des organismes face aux contraintes environnementales.

Vulnérabilité et résilience des écosystèmes

Les écosystèmes de la cordillère présentent une vulnérabilité particulière aux perturbations extérieures, du fait de leur isolement géographique et de leurs conditions environnementales déjà extrêmes. Cette fragilité intrinsèque rend d’autant plus crucial le développement de stratégies de conservation adaptatives.

Les recherches sur la résilience des forêts magellaniques face aux changements climatiques révèlent des capacités d’adaptation variables selon les espèces et les sites. Certaines populations de lenga montrent des signes de stress croissant, tandis que d’autres semblent maintenir leur vitalité malgré les modifications environnementales.

L’impact des espèces introduites sur l’équilibre écologique local fait l’objet d’études approfondies, notamment concernant les castors canadiens dont la prolifération modifie radicalement la structure des habitats aquatiques et forestiers. Ces recherches contribuent au développement de stratégies de gestion des espèces invasives adaptées aux conditions spécifiques de la cordillère Darwin.

Un patrimoine mondial à préserver

La cordillère Darwin demeure aujourd’hui l’un des derniers sanctuaires sauvages de notre planète, un territoire où la nature règne encore en maître absolu malgré la pression croissante des activités humaines. Cette chaîne de montagnes exceptionnelle, façonnée par des millions d’années d’évolution géologique et climatique, constitue un patrimoine naturel d’une valeur inestimable pour l’humanité entière.

L’exploit réalisé par le GMHM en 2011 a certes levé le voile sur cette “terra incognita”, mais il a également révélé la fragilité de ces écosystèmes uniques face aux défis du XXIe siècle. Le recul accéléré des glaciers, l’impact des espèces introduites et les pressions du changement climatique global menacent l’intégrité de ce joyau naturel.

La préservation de la cordillère Darwin nécessite une approche globale associant protection stricte, recherche scientifique de pointe et développement d’un écotourisme responsable. Cette région extraordinaire nous rappelle que certains territoires de notre planète méritent d’être préservés dans leur état sauvage, non seulement pour leur beauté intrinsèque, mais aussi pour leur rôle irremplaçable dans la compréhension des mécanismes fondamentaux qui régissent notre biosphère.

Le détroit de Magellan : passage légendaire entre les océans

Le détroit de Magellan : passage légendaire entre les océans

Au cœur de la Patagonie chilienne s’étend l’un des passages maritimes les plus emblématiques de la planète : le détroit de Magellan. Cette voie d’eau naturelle de 570 kilomètres, qui sépare la Patagonie continentale de la Terre de Feu, constitue le principal corridor bi-océanique reliant les océans Atlantique et Pacifique. Habité depuis plusieurs millénaires par les peuples autochtones Selknam, Kawesqar et Tehuelches et découvert il y a plus de 500 ans par Ferdinand Magellan, ce passage stratégique continue de fasciner par son histoire exceptionnelle, sa géographie unique et sa biodiversité remarquable.

Histoire et découverte : sur les traces de Magellan

L’expédition historique de 1520

Le 21 octobre 1520 marque une date cruciale dans l’histoire de la navigation mondiale. C’est ce jour-là que l’expédition espagnole menée par le navigateur portugais Ferdinand Magellan découvre l’entrée orientale du détroit qui portera son nom. Parti de Séville en septembre 1519 avec cinq navires et 237 hommes, Magellan recherchait un passage vers les îles Molucas, sources lucratives d’épices.

L’explorateur baptise initialement ce passage “Estrecho de Todos los Santos” (Détroit de Tous les Saints) en référence à la fête religieuse célébrée le jour de sa découverte. Ce n’est qu’après sa mort aux Philippines que Charles Quint, souverain d’Espagne, rebaptise le détroit en l’honneur de son découvreur.

carte detroit de magellan 1520 histoire maritime pigafetta
Carte du détroit par Antonio Pigafetta

Une navigation périlleuse et révolutionnaire

La traversée du détroit par l’expédition de Magellan s’avère particulièrement difficile. Les navigateurs doivent affronter des vents violents, des courants imprévisibles et un labyrinthe de canaux bordés de montagnes enneigées. Antonio Pigafetta, chroniqueur de l’expédition, décrit ce passage comme ayant “110 leguas de long” (environ 440 milles) avec “des ports très sûrs, d’excellentes eaux, du bois de cèdre, du poisson, des sardines, des moules et du céleri”.

Cette découverte révolutionne la navigation mondiale en offrant une alternative au redoutable passage du cap Horn. De nombreuses expéditions furent menées pour faire évoluer les connaissances hydrographiques nécéssaires pour améliorer la sécurité de la navigation; parmis celles-ci, l’expédition de Beauchesne. Avant l’ouverture du canal de Panama en 1914, le détroit de Magellan devint rapidement la principale route maritime reliant l’Europe aux côtes pacifiques des Amériques.

carte du détroit de magellan établie sur les observations de l'expédition beauchesne
Carte du détroit de Magellan (1699) établie sur les observations de l’expédition française de Beauchesne

Géographie et caractéristiques physiques

Dimensions et configuration

Le détroit de Magellan s’étend sur 570 kilomètres de longueur, depuis la pointe Dungeness à l’est jusqu’aux îlots Evangelistas à l’ouest. Sa largeur varie considérablement : elle atteint seulement 2 kilomètres à son point le plus étroit près de l’île Carlos III, tandis qu’elle peut s’élargir jusqu’à 32 kilomètres dans certaines sections.

Les profondeurs du détroit sont remarquables, oscillant entre 28 mètres minimum près de l’île Magdalena et 1,080 mètres maximum au niveau du phare Cooper Key. Cette configuration géologique complexe résulte de millions d’années d’activité tectonique et glaciaire qui ont façonné le paysage patagonique.

Formation géologique

L’origine du détroit remonte au Crétacé tardif, il y a environ 80 millions d’années. Les mouvements terrestres ont créé des fractures aux parois plates qui ont donné naissance aux canaux de patagonie. Durant le Pléistocène, il y a 1,5 million d’années, l’action glaciaire a approfondi et élargi ces passages naturels.

Cette histoire géologique explique la morphologie unique du détroit, caractérisée par des fjords profonds, des îles rocheuses et des canaux tortueux qui créent un véritable labyrinthe maritime.

Climat et conditions de navigation

Ce passage maritime historique présente des conditions météorologiques particulièrement exigeantes pour la navigation. Le climat subantarctique se caractérise par des vents d’ouest persistants, souvent appelés “williwaw” (un mot kawésqar), qui peuvent atteindre des vitesses de plus de 100 nœuds (185 km/h).

Ces vents descendant des montagnes côtières (vents catabatiques) créent des rafales violentes et imprévisibles, rendant la navigation périlleuse. Les températures varient généralement entre -5°C et 15°C, avec des précipitations fréquentes et une visibilité souvent réduite par le brouillard.

Les peuples autochtones : premiers gardiens du détroit

Bien avant que Ferdinand Magellan ne découvre ce passage maritime en 1520, le détroit et ses environs étaient habités depuis plus de 11,000 ans par différents peuples autochtones. Ces premiers habitants avaient développé des cultures complexes et diversifiées, parfaitement adaptées aux conditions extrêmes de la Patagonie australe. Trois groupes ethniques principaux coexistaient dans cette région : les Kawésqar, les Tehuelche (Aónikenk) et les Selknam.

Homme selk'nam assis avec son arc, et une femme kawésqar et son enfant
Photographies des archives salésiennes : un homme selknam assis avec son arc, et une femme kawésqar avec son fils

Ces peuples originaires possédaient une connaissance approfondie du territoire et naviguaient déjà ces eaux difficiles des siècles avant l’arrivée des Européens. C’est d’ailleurs leurs feux de camp, observés par l’expédition de Magellan, qui donnèrent son nom à la “Tierra del Fuego” (Terre de Feu).

Avant de s’appeler “détroit de Magellan” et dans le cadre des activités de reconstruction des cartographies autochtones de l’association Karukinka, l’une des transcriptions du nom selknam de ce passage entre le continent et la Terre de Feu est Hatitelen. Pour en savoir plus sur ce projet, rdv ici : https://karukinka.eu/fr/cartographie-autochtone-toponymes-yagan-selknam-haush/

Les Kawésqar : nomades des canaux

Les Kawésqar ou Kawashkar, également appelés à tords Alacalufs par les navigateurs européens, constituent l’un des peuples des canaux patagoniques. Nomades des mers, ils parcouraient en canoës les canaux et fjords entre le golfe de Penas et le détroit de Magellan depuis environ 6,000 ans.

Mode de vie et territoire

Le territoire kawésqar s’étendait sur une zone immense, comprenant la partie occidentale du détroit, l’île Wellington, l’île Santa Inés et l’île Desolación. Ces navigateurs exceptionnels vivaient pratiquement sur leurs embarcations, des canoës construits en écorce d’arbre qui leur permettaient de se déplacer à travers le labyrinthe de canaux patagons.

Leur société était organisée en petits groupes familiaux qui se déplaçaient constamment en quête de ressources marines. Ils se nourrissaient principalement de loups marins, mollusques, poissons et collectaient également des cholgas (moules géantes pouvant atteindre 17 cm). Leur nom signifie littéralement “personne” ou “être humain” dans leur langue.

Spiritualité et rituels

Les Kawésqar possédaient un système de croyances centré sur Xólas, être créateur omnipresent et céleste. Leurs rituels complexes impliquaient des cérémonies où les femmes se rassemblaient dans des chozas spécialisées, le corps peint, pour communier avec les forces spirituelles.

L’utilisation de peinture corporelle constituait un élément central de leur culture, particulièrement lors des cérémonies religieuses et des rituels de passage/initiatiques. Ces pratiques révélaient une cosmovision sophistiquée adaptée à leur environnement maritime extrême.

Les Tehuelche (Aónikenk) : géants de la steppe continentale

Les Aónikenk, branche la plus australe du groupe Tehuelche, occupaient les vastes steppes patagoniennes entre le río Santa Cruz et le détroit de magellanique. Ces chasseurs-cueilleurs nomades furent les premiers autochtones rencontrés par l’expédition de Magellan en 1520.

Les “Géants patagons”

Les navigateurs européens furent impressionnés par la stature imposante des Aónikenk, qui mesuraient généralement plus d’1,80 mètre, soit une taille remarquable comparée aux Européens de l’époque (moins d’1,65 mètre). Cette différence physique donna naissance au mythe des “géants patagons” et au nom même de Patagonie.

Le terme “Patagón” fut créé par Antonio Pigafetta en référence au géant Pathoagon, personnage de roman de chevalerie, marquant ainsi l’imaginaire européen. Les Aónikenk se désignaient eux-mêmes comme “aonek’enk”, signifiant “gens du sud”.

Organisation sociale et territoire

La société aónikenk était fondamentalement égalitaire, organisée en bandes de chasseurs-recolecteurs qui se déplaçaient à pied à travers leurs territoires de chasse. Ils possédaient une connaissance détaillée de leur environnement et établissaient périodiquement leurs campements (aike) dans des lieux stratégiques.

Leur territoire était divisé zones de chasse familiales aux limites géographiques clairement établies. La transgression de ces territoires pouvait provoquer des conflits entre groupes, démontrant l’importance de l’organisation spatiale dans leur société.

Les Selknam : gardiens de la Terre de Feu

Les Selknam, également appelés Onas par leurs voisins Yagans, habitaient la grande île de la Terre de Feu et représentaient l’une des cultures les plus sophistiquées de la région. Arrivés à pieds sur l’île avant la fin de la dernière glaciation, alors que le détroit était encore fermé par les glaces, ils développèrent une société complexe avec des rituels élaborés.

Organisation territoriale et sociale

La société selknam était structurée autour de lignages habitant des territoires communs appelés haruwen. L’île était divisée en plusieurs de ces territoires, regroupés en sept “cielos” (cieux), divisions majeures à caractère exogamique qui obligeaient les membres d’un groupe à se marier avec des personnes d’un autre.

Cette organisation complexe révélait une société hautement stratifiée où chaque élément de la nature était associé à des ancêtres mythiques et à des territoires spirituels spécifiques.

La cérémonie du Hain

Le rituel le plus remarquable des Selknam était la cérémonie du Hain, complexe initiation masculine qui pouvait durer plusieurs mois. Cette cérémonie servait à initier les jeunes à l’âge adulte tout en maintenant la domination masculine au sein de la société selk’nam, à travers une représentation théâtrale sophistiquée.

Durant le Hain, les hommes adultes se déguisaient en esprits en utilisant des peintures corporelles élaborées et des masques, terrorisant les femmes qui devaient croire en la réalité de ces manifestations surnaturelles. Les Selknam utilisaient uniquement trois couleurs : noir (charbon et cendre), blanc (argile blanche) et rouge (ocre).

Tanu, l'une des divinités représentée lors du Hain, rituel selknam
Tanu, l’une des divinités représentées durant le Hain, rituel initatique des jeunes hommes selknam (photographie de Martin Gusinde)

Chamanisme et spiritualité

Les chamanes selknam, appelés xo’on, jouissaient d’un grand prestige social. Ils entraient en transe par des chants prolongés, leur âme tentant d’ascendre vers l’un des “cielos” pour obtenir leur pouvoir spirituel. Ces pratiques chamaniques témoignaient d’une spiritualité complexe connectée à leur cosmovision territoriale.

Impact de la colonisation et génocide

L’arrivée de la colonisation européenne au XIXe siècle marqua le début d’une tragédie humaine sans précédent pour ces peuples. La colonisation chilienne et argentine, avec l’établissement d’estancias ovines et le développement de l’industrie baleinière, déclencha un véritable génocide contre les populations autochtones.

L’extermination systématique

Entre 1870 et 1900, les autorités chiliennes et argentines organisèrent des campagnes d’extermination contre les peuples patagons et fuégiens. Les estancieros payaient des primes pour les oreilles d’autochtones tués, transformant la chasse à l’homme en activité lucrative.

La population selknam, estimée à plus de 3,000 personnes en 1896, chuta dramatiquement à 279 en 1919 selon l’ethnologue Martín Gusinde, puis à seulement 25 en 1945 selon les chiffres officiels. Ces chiffres se doivent d’être pris avec beaucoup de précautions puisqu’ils prennenent en compte l’un des filtres de l’époque, le métissage, et la nécéssité de ne pas revendiquer d’appartenance autochtone pour se protéger.

Exhibitions humaines

L’humiliation culmina avec l’exhibition de groupes d’autochtones dans les “zoos humains” européens et sudaméricains. Entre 1878 et 1900, des représentants des peuples Tehuelche, Selknam et Kawésqar furent capturés pour être exposés comme des curiosités. Beaucoup ne survécurent pas à ces exhibitions dégradantes, l’une des expressions les plus abjectes du colonialisme et fondement même du racisme.

Zoos humains exhibitions coloniales selknam à paris jardin d'acclimatation Maurice Maître
M. Maître et plusieurs personnes Selknam capturées en accord avec les autorités chiliennes pour être exhibées lors des zoos humains organisés en Europe (1889)

Renaissance et reconnaissance contemporaine

Malgré les tentatives d’extermination, ces peuples ne sont pas totalement éteints. Une renaissance culturelle et politique remarquable s’observe depuis les dernières décennies.

Reconnaissance officielle

L’Argentine reconnut officiellement les Selknam en 1994, tandis que le Chili les reconnut en 2023 par la loi 21.606. Le recensement argentin de 2010 révèle l’existence de 2,761 personnes s’identifiant comme Selknam, dont plus de 294 vivent en Terre de Feu. Au Chili, 1,144 personnes se déclarent Selknam selon le recensement de 2017.

Les Kawésqar sont reconnus par la loi indígena 19.253 depuis 1993 et s’organisent en 14 Communautés Indigènes. Selon le recensement chilien de 2017, 3,448 personnes se déclarent Kawésqar.

Recherche et réhabilitation

Des universités chiliennes, notamment l’Universidad de Magallanes et l’Universidad Católica Silva Henríquez, mènent des recherches pour documenter l’histoire réelle de ces peuples. Ces travaux révèlent que les Selknam étaient plus nombreux qu’estimé précédemment et remet en question les narratifs historiques établis par les colonisateurs.

Cette renaissance culturelle témoigne de la résilience extraordinaire de ces peuples qui, malgré un génocide systématique, maintiennent vivante leur identité et revendiquent leur place dans l’histoire du détroit de Magellan.

Biodiversité et écosystèmes marins

Faune marine exceptionnelle

Le détroit de Magellan abrite une biodiversité marine remarquable qui en fait l’une des zones les plus riches de l’hémisphère sud. Les eaux froides et riches en nutriments favorisent le développement d’un écosystème unique où prospèrent de nombreuses espèces endémiques.

Les manchots de Magellan

manchots de magellan ile magdalena
Manchots de Magellan sur l’île Magdalena

L’île Magdalena, située à 32 kilomètres au nord-est de Punta Arenas, héberge la plus importante colonie de manchots de Magellan (Spheniscus magellanicus) du détroit. Cette colonie compte environ 50,000 couples reproducteurs qui se rassemblent chaque année entre octobre et mars pour la saison de reproduction.

Ces manchots, nommés en l’honneur de Ferdinand Magellan qui les observa en 1520, peuvent mesurer jusqu’à 76 centimètres et peser entre 2,7 et 6,5 kilogrammes. Ils se distinguent des autres espèces par leurs deux bandes noires caractéristiques sur la poitrine.

Mammifères marins

Le détroit accueille également une riche population de mammifères marins. Les baleines à bosse fréquentent particulièrement l’aire marine protégée Francisco Coloane, créée spécifiquement pour leur conservation. Cette zone constitue l’un des meilleurs sites d’observation de cétacés au monde.

Les lions de mer d’Amérique du Sud (Otaria flavescens) et les éléphants de mer du Sud établissent leurs colonies sur les îles rocheuses du détroit. L’île Marta, proche de l’île Magdalena, abrite plus de 1,000 lions de mer ainsi que diverses espèces d’oiseaux marins.

otaries à fourrure canaux de patagonie biodiversite subantarctique patagonie chilienne
Petite colonie d’otaries à fourrure (Otaria flavescens) en Patagonie chilienne

Diversité aviaire

Les eaux du détroit attirent de nombreuses espèces d’oiseaux marins. Les cormorans impériaux, les albatros à sourcils noirs, les pétrels géants antarctiques et les majestueux condors des Andes survolent régulièrement ces eaux.

Flore terrestre et écosystèmes côtiers

La végétation des côtes du détroit reflète l’adaptation remarquable de la flore aux conditions climatiques extrêmes de la Patagonie. Les forêts de Nothofagus, comprenant le coigüe de Magellan (Nothofagus betuloides), le lenga (Nothofagus pumilio) et le ñirre (Nothofagus antarctica), dominent les paysages boisés marqués par l’anémomorphose.

Patagonia is a massive, untouched, wind blown and raw land of southern South America. It is typically divided into three principle sections: northern, central, and southern. The climate of southern Patagonia is most extreme. On the Chilean side it is heavily influenced by the close proximity of the ocean. Antarctic currents with average temperatures of 4°C flow past the coast and violent westerlies bring the famous Patagonia wind along with staggering quantities of snow or rain.
Un hêtre impacté par les vents de Patagonie, Estrecho de Magallanes, Chili

Dans les zones plus exposées se développent des matorrals composés de romerillo (Chiliotrichum diffusum), de chaura (Pernettya pumila) et du célèbre calafate (Berberis microphylla), arbuste à petits fruits emblématique de Patagonie. La région abrite également une diversité exceptionnelle de mousses et lichens, véritables forêts miniatures de bryophytes emblématiques de ces écosystèmes subantarctiques.

Pilotage obligatoire et sécurité maritime

Depuis 1978, la navigation dans le détroit de Magellan requiert un pilotage obligatoire pour tous les navires commerciaux. Cette mesure, mise en place par l’autorité maritime chilienne, vise à garantir la sécurité dans ces eaux difficiles et à préserver l’environnement marin exceptionnel.

Les pilotes embarquent généralement à la baie Posesión pour l’entrée orientale et accompagnent les navires jusqu’à la sortie occidentale près des îlots Evangelistas. Ce service de pilotage s’appuie sur un réseau de phares et de stations de contrôle du trafic maritime répartis tout au long du détroit. Le site de l’Armada chilienne DIRECTEMAR fournit les détails de ces aides à la navigation.

Renaissance économique et géopolitique

Contrairement aux prédictions pessimistes suivant l’ouverture du canal de Panama, le détroit de Magellan connaît aujourd’hui une renaissance stratégique remarquable. L’Armada du Chili rapporte une augmentation de 25% du trafic maritime en 2024 par rapport à l’année précédente, avec une projection d’augmentation de 70% pour l’ensemble de l’année.

Cette croissance s’explique par plusieurs facteurs convergents : les tensions géopolitiques mondiales, les limitations du canal de Panama face aux navires de grande taille, et l’émergence de l’Asie-Pacifique comme centre économique mondial. La route du détroit présente l’avantage d’être 390 milles nautiques plus courte que le passage par le cap Horn, économisant environ 32 heures de navigation.

Le potentiel de l’hydrogène vert

La région de Magallanes se positionne actuellement comme un acteur majeur de l’hydrogène vert grâce à ses conditions climatiques exceptionnelles. Les vents constants et puissants du détroit offrent un potentiel éolien capable de produire sept fois la capacité actuelle de la matrice électrique chilienne.

Ce développement controversé transformerait le détroit en corridor énergétique stratégique pour l’approvisionnement mondial en hydrogène vert. Les investissements chinois et japonais dans la région témoignent de l’intérêt international croissant pour cette nouvelle activité économique.

Tourisme et découverte

Croisières et observation de la faune

Le détroit de Magellan s’est imposé comme une destination touristique de premier plan, attirant près de 77,691 passagers lors de la saison 2024-2025. Punta Arenas, principal port de la région, accueille 175 croisières de 47 navires différents, positionnant la région comme le principal système portuaire chilien pour le tourisme de croisière.

Les excursions vers l’île Magdalena représentent l’activité touristique phare. Ces navigations d’une demi-journée permettent aux visiteurs d’observer les manchots de Magellan et les baleines dans leur habitat naturel, accompagnés de guides spécialisés qui partagent leurs connaissances sur la biologie et le comportement de ces oiseaux et cétacés remarquables.

Tourisme antarctique

Le détroit constitue également la porte d’entrée privilégiée vers l’Antarctique. Plus de 60% des croisiéristes (47,222 passagers) optent pour des programmes antarctiques, faisant de Punta Arenas et Puerto Williams les points de départ principaux de ces expéditions polaires via le passage de Drake.

punta arenas route commerciale atlantique pacifique naturelle et transit maritime international
Vue sur la ville de Punta Arenas, une escale pour le transit maritime international (Province de Magallanes, Chili, Amérique du Sud)

Cette spécialisation renforce la position stratégique de la région dans le tourisme polaire international, avec des infrastructures adaptées aux standards de l’Association Internationale des Opérateurs Touristiques Antarctiques (IAATO).

Conservation et défis environnementaux

Aires protégées marines

La conservation de l’écosystème unique du détroit s’appuie sur plusieurs aires marines protégées. Le parc marin Francisco Coloane constitue le premier parc marin du Chili, créé spécifiquement pour protéger les cétacés et leur habitat.

Le Monument Naturel Los Pingüinos, établi en 1982, protège les îles Magdalena et Marta ainsi que leur faune exceptionnelle. Ces mesures de conservation visent à préserver l’équilibre écologique tout en permettant un tourisme durable.

Enjeux climatiques

Le changement climatique représente un défi majeur pour l’écosystème du détroit. Les modifications des courants marins, l’évolution des températures et les changements dans la distribution des espèces nécessitent une surveillance scientifique constante.

La région de Magallanes fait l’objet d’études approfondies pour comprendre l’impact du réchauffement climatique sur la biodiversité subantarctique. Ces recherches contribuent à la compréhension globale des changements environnementaux dans les régions polaires.

Un passage d’avenir

Le détroit de Magellan incarne parfaitement la rencontre entre l’histoire et l’avenir, entre la préservation et le développement. Ce passage mythique, découvert il y a plus de cinq siècles, retrouve aujourd’hui une importance stratégique majeure dans un monde en transition énergétique et géopolitique.

Corridor bi océanique unique et sanctuaire d’une biodiversité exceptionnelle, le détroit de Magellan s’affirme comme l’un des espaces les plus fascinants de notre planète. Sa capacité à concilier développement économique, préservation environnementale et rayonnement touristique en fait un potentiel modèle pour les régions polaires du XXIe siècle.

Pour les voyageurs en quête de découvertes exceptionnelles, ce passage maritime offre une expérience inoubliable à l’extrême sud de la Patagonie, avec une rive continentale et l’autre insulaire. Entre histoire maritime, faune extraordinaire et paysages grandioses, ce passage légendaire continue d’écrire les plus belles pages de l’aventure humaine aux confins du monde.

Bibliographie – Le Détroit de Magellan

Article publié par l’association Karukinka – 4 août 2025


Sources Historiques et Exploration

 Revista de Marina (2025). La incorporación del estrecho de Magallanes. Article de revue maritime. Disponible en ligne : https://revistamarina.cl/articulo/la-incorporacion-del-estrecho-de-magallanes

 Wikipedia Contributors (2003-2025). Strait of Magellan. Encyclopedia Britannica Online. https://en.wikipedia.org/wiki/Strait_of_Magellan

 National Geographic España (2025). Fernando de Magallanes y la insaciable búsqueda del Estrecho. Historia National Geographic. https://historia.nationalgeographic.com.es/a/fernando-magallanes-insaciable-busqueda-estrecho_7378

 Encyclopædia Britannica (1998-2025). Strait of Magellan: Location, Map, Importance, Climate, & Facts. Encyclopedia Britannica. https://www.britannica.com/place/Strait-of-Magellan

 Memoria Chilena (2000). Navegantes europeos en el estrecho de Magallanes. Biblioteca Nacional de Chile. https://www.memoriachilena.gob.cl/602/w3-article-641.html

 Google Arts & Culture (2024). Estrecho de Magallanes: la frontera de agua. Exposition virtuelle collaborative. https://artsandculture.google.com/story/estrecho-de-magallanes-la-frontera-de-agua/OgVBx7rjDX9OLQ


Géographie et Géologie

 WorldAtlas (2021). Strait Of Magellan. Atlas géographique mondial. https://www.worldatlas.com/straits/strait-of-magellan.html

 Wikipedia Colaboradores (2004-2025). Estrecho de Magallanes. Wikipedia, la enciclopedia libre. https://es.wikipedia.org/wiki/Estrecho_de_Magallanes

 Revista Mittofire (2019). El Estrecho de Magallanes – Origen geológico (Parte 1). Publication scientifique régionale. https://mittofire.com/origen-geologico-del-estrecho-de-magallanes-parte-1/

 iMariners (2023). Everything You Need to Know About the Strait of Magellan. Guide maritime professionnel. https://imariners.com/strait-of-magellan/

 DIRECTEMAR (2022). Generalidades del Estrecho de Magallanes. Dirección General del Territorio Marítimo y de Marina Mercante, Chile. https://www.directemar.cl/directemar/generalidades-del-estrecho-de-magallanes

 Marine Insight (2024). 5 Strait of Magellan Facts You Must Know. Maritime Knowledge Platform. https://www.marineinsight.com/know-more/5-strait-of-magellan-facts-you-must-know/


Peuples autochtones

Sources générales

Peuple Kawésqar

Peuple Tehuelche-Aónikenk

Peuple Selknam

Chamanisme et spiritualité

Contexte colonial et génocide


Faune et Biodiversité

 Ladera Sur (2020). Los pioneros vegetales del Estrecho de Magallanes. Revista de montaña y naturaleza. https://laderasur.com/fotografia/los-pioneros-vegetales-del-estrecho-de-magallanes/

 The Modern Postcard (2021). Magdalena Island and the Magnificent Magellanic Penguins. Guide touristique Punta Arenas. https://www.themodernpostcard.com/punta-arenas-chile-magdalena-island-the-magnificent-magellanic-penguins/

 AFAR Media (2022). Wildlife in the Strait of Magellan. Guide de voyage spécialisé. https://www.afar.com/places/strait-of-magellan-e7d95066-c6bf-4619-971d-650efbca0c6a

 Parque del Estrecho de Magallanes (2025). Flora y Fauna. Site officiel du parc national. https://parquedelestrecho.cl/flora-y-fauna-2/

 Wikipedia Contributors (2004-2025). Magellanic penguin. Encyclopedia of Wildlife. https://en.wikipedia.org/wiki/Magellanic_penguin

 Redacción El Español (2022). La asombrosa biodiversidad de Magallanes (Chile) que cautivó a exploradores. El Español – Enclave ODS. https://www.elespanol.com/enclave-ods/noticias/20220124/asombrosa-biodiversidad-magallanes-chile-cautivo-exploradores/644935772_0.html

 Swoop Patagonia (2015-2025). See Penguins in Chile & Argentina. Guide spécialisé Patagonie. https://www.swoop-patagonia.com/visit/wildlife/penguins

 Howlanders Travel (2025). Navegación Isla Magdalena e Isla Marta. Opérateur touristique Punta Arenas. https://www.howlanders.com/es/tours-chile/punta-arenas/navegacion-isla-magdalena

 Patagonia Chile Tourism (2020). Flora y Fauna. Portail officiel du tourisme patagonique. https://patagonia-chile.com/experiencia/florayfauna/

 Aquarium of the Pacific (2024). Magellanic Penguins. Documentation scientifique marine. https://www.aquariumofpacific.org/exhibits/penguin_habitat/magellanic_penguins

 Colegio Sofia Infante Hurtado (2021). Manual Flora Nativa de Magallanes. Guide pédagogique régional (PDF). https://www.colegiosofiainfantehurtado.cl/wp-content/uploads/2021/06/Manual-Flora-Nativa-de-Magallanes.pdf


 Mundo Marítimo (2025). Puerto de Punta Arenas y el Estrecho de Magallanes aumentan su importancia para el transporte marítimo global. Publication maritime spécialisée. https://www.mundomaritimo.cl/noticias/puerto-de-punta-arenas-y-el-estrecho-de-magallanes-aumentan-su-importancia-para-el-transporte-maritimo-global

 Armada de Chile (2025). Autoridad Marítima de Punta Arenas y el paso del “Boka Vanguard” por el Estrecho de Magallanes. Communiqué officiel de la marine chilienne. https://www.armada.cl/noticias-navales/seguridad-e-intereses-del-territorio-maritimo/autoridad-maritima-de-punta-arenas-y-el-paso-del-boka-vanguard-por-el

 DIRECTEMAR (2025). Pilotaje en el Estrecho de Magallanes. Réglementation maritime officielle. https://www.directemar.cl/directemar/site/edic/base/port/estrechodemagallanes_es.html

 DIRECTEMAR (2020). Pilotaje por el estrecho de magallanes, canales y fiordos chilenos. Manuel de navigation officiel. https://web.directemar.cl/pilotaje/paginaa.html

 GetBoat Blog (2025). Sailing the Strait of Magellan – Ultimate Boater’s Navigation Guide. Guide technique de navigation. https://blog.getboat.com/travel-tips-advice/sailing-the-strait-of-magellan-navigation-guide/

 DIRECTEMAR (2008). Sailing along strait of magellan or drake passage. Guide technique bilingue. https://web.directemar.cl/pilotaje/pageb.html

 DIRECTEMAR (2000). Pilotaje por el estrecho de magallanes, canales y fiordos chilenos. Manuel de pilotage maritime. https://web.directemar.cl/pilotaje/paginab.html


Climat et Météorologie

 Armada de Chile (2020). Comprendiendo la meteorología en el Estrecho de Magallanes. Étude météorologique officielle – 500 ans du détroit. https://www.armada.cl/estrecho-de-magallanes-500-anos/comprendiendo-la-meteorologia-en-el-estrecho-de-magallanes

 Sea Temperature Info (2025). Pronóstico del tiempo Estrecho de Magallanes. Service météorologique maritime. https://seatemperature.info/es/estrecho-de-magallanes-prevision-del-tiempo.html

 Wikipedia Colaboradores (2009-2025). Williwaw. Encyclopédie des phénomènes météorologiques. https://es.wikipedia.org/wiki/Williwaw


Tourisme et Croisières

 Chile Excepcion (2025). Observation des baleines du détroit de Magellan en Patagonie. Opérateur touristique spécialisé. https://www.chile-excepcion.com/circuits-chili/escapades-chili/baleines-detroit-magellan-patagonie

 InterPatagonia (2025). Magdalena and Santa Marta Islands. Guide touristique Punta Arenas. https://www.interpatagonia.com/puntaarenas/navigation-magdalena-santa-marta-islands.html

 ITV Patagonia (2025). Magallanes cierra temporada de cruceros 2024-2025 con un total de 77 mil pasajeros. Média régional – statistiques touristiques. https://www.itvpatagonia.com/noticias/regional/25-04-2025/magallanes-cierra-temporada-de-cruceros-2024-2025-con-un-total-de-77-mil-pasajeros/


Économie et Développement

 Liga Marítima de Chile (2025). “El Estrecho de Magallanes es una joya en bruto”. Association maritime professionnelle. https://www.ligamar.cl/el-estrecho-de-magallanes-es-una-joya-en-bruto

 TRT Global Español (2024). ¿Por qué el estrecho de Magallanes es un paso estratégico en el comercio mundial?. Analyse géopolitique internationale. https://trt.global/espanol/article/1493351100

 Revista de Marina (2025). Estrecho de Magallanes e hidrógeno verde, gran potencial económico. Publication navale officielle. https://revistamarina.cl/articulo/estrecho-de-magallanes-e-hidrogeno-verde-gran-potencial-economico

 SP Logistics (2025). Punta Arenas y Estrecho de Magallanes ganan relevancia en el transporte marítimo global. Analyse logistique spécialisée. https://web.splogistics.com/blog/post/1135/punta-arenas-y-estrecho-de-magallanes-ganan-relevancia-en-el-transporte-maritimo

 BioBío Chile (2025). El estrecho de Magallanes como gran corredor bioceánico de Chile. Article d’opinion stratégique. https://www.biobiochile.cl/noticias/opinion/columnas-bbcl/2025/06/05/estrecho-magallanes-corredor-bioceanico-estrategia-chile.shtml

 Memoria Chilena (2002). Punta Arenas y la economía magallánica (1848-1950). Archives historiques nationales. https://www.memoriachilena.gob.cl/602/w3-article-784.html