Nous avons quitté la baie de Tantum, sur l’île Brava (Cap Vert) le mardi 19 novembre à midi. Le waypoint est mis sur le traceur et nous annonce la couleur : 1858mn de Salvador de Bahia, en route directe et sans contourner la bosse de Natal. En réalité il faut prévoir 2000mn. Il fait beau et chaud : depuis notre arrivée au Cap Vert nous vivons en short et t-shirt, et il en sera de même jusqu’à l’autre bout de l’Atlantique. Les prévisions nous poussent à faire route au Sud/Sud-Ouest pour éviter la grande zone sans vent s’étendant depuis le sud de l’île volcanique Fogo. Nous hissons GV et artimon et déroulons le yankee. Milagro roule et nous nous trainons un peu à 4,5 noeuds. Nous décidons quelques heures plus tard de sortir le spinnaker, passant cette fois à une vitesse moyenne de 8 noeuds.
En fin de journée nous prenons la météo sur le site de l’Organisation Météorologique Mondiale pour la zone nous concernant : CAPE VERDE de la Metarea II. Est/Nord-Est 3/4, parfois 5 près des îles et mer peu agitée. Les milles défilent, nous faisant passer de la zone du Cap Vert à la zone SIERRA LEONE, les conditions restent les mêmes, nous croisons rarement de gros navires au loin, comme le tanker Abdias Nascimentos, et le calme n’est troublé que par le générateur qu’il nous faut parfois mettre en route pour recharger les batteries.
Le surlendemain du départ, nouvelle avarie : la poulie de la drisse du spinnaker se rompt et fait un grand plongeon. il nous faut agir vite pour affaler, le risque étant que la drisse s’use rapidement et se coupe à la sortie de tête de mât. Autrement dit, faute de réa pour la guider, le spi tire la drisse vers le bas et elle rague dans la fente du mât. Nous affalons donc la voile et déroulons le yankee. Faute de l’appui du spi par petit temps (8-10 noeuds de vent) et avec la houle sur le travers nous nous traînons et Milagro roule. Ce n’est que le lendemain matin que la situation s’améliore, avec plus de vent (12-20 noeuds). Les prévisions météo ne changent pas pour la zone SIERRA LEONE, hormis de gros orages au sud de la zone mais qui ne nous concernent pas. En début d’après-midi la houle ayant diminué, Etienne grimpe au mât pour remplacer la poulie de spi et nous rapporte ensuite ce qu’il reste de la poulie précédente : le support en inox du réa… A 17h nous voilà de nouveau spi en tête, à 7 noeuds et la vie à bord redevient très confortable.
Depuis notre départ la température du bateau est rapidement montée à 29 degrés (et plus…) à bord… Autant dire que cuisiner se révèle une idée aussi peu motivante que de préparer une fondue sous 35 degrés! Adieu gâteaux, pain maison, pâte à tarte… bref : tout ce qui nécessite un four. L’objectif principal est de ne pas réchauffer le bateau plus qu’il ne l’est déjà. A défaut de pouvoir cuire longuement des aliments au four, nous nous lançons dans des essais de cuisine « locale ». Parmis ceux-ci des foufous à base de farine de manioc (pour le façonnage il nous manque encore quelques transat pour que ce soit maîtrisé), accompagnés de choux rouge cuit à la noix de coco avec une sauce crémeuse au citron vert parfumée à la noix de muscade. Nous improvisons !
À notre grand désarroi, les fruits et légumes que nous avions acheté au marché de Praia se sont révélés d’une piètre capacité de conservation. Ils ont très vite pourri et pour en jeter le moins possible, nous avons cuisiné ce que nous avons pu. Nous avons tout de même dû faire quelques entorses au bannissement du four et des cuissons longues pour écouler l’équivalent de deux régimes de bananes ! François s’est retrouvé à passer un saladier de pâte à pancakes bananes, soit une petite activité hammam d’une heure de bon matin! Et Lauriane s’est chargée de faire un fondant banane-chocolat version famille nombreuse qui aura duré une journée. Nous avons transpiré mais nous nous sommes régalés ! Toupie et Parebat souffrent eux aussi de la chaleur et ont de fait le droit à plusieurs trempages par jour.
Malgré un frigo conséquent, nous avons du faire très attention à cuisiner la juste quantité afin qu’il n’y ait pas restes. La chaleur fait très vite passer les denrées. Aucun risque pour le scorbut, les cales de Milagro étant richement fournies en conserves de légumes, fruits et pâté Hénaff. Seules les quelques provisions fraîches supplémentaires de Brava résisteront, avec un premier prix difficile à décerner entre le chou frisé, les carottes et les betteraves.
La vie à bord est rythmée par les quarts : 3h chacun avec 2h en commun, l’heure seul.e est au milieu du quart. Damien et Lauriane continuent quant à eux leur alternance toutes les trois heures. La journée, il y a souvent quelqu’un qui est sur le pont en plus, à lire ou contempler l’horizon. La nuit, cette heure seul.e est un cadeau. Joie de la partager parfois avec Damien ou Lauriane. Durant ces périodes il nous faut rester éveillés puisque nous assurons la sécurité du bord pendant que les équipiers se reposent, vaquent à de multiples occupations, profitent de l’ombre et révisent le matelotage de base.
Régulièrement se fait entendre un : « dauphins !! » et tout le monde sort à la hâte, enfile un gilet de sauvetage et s’avance à la proue du navire pour les voir jouer à l’étrave. C’est toujours magique de les voir glisser, se croiser, plonger après avoir frôlé le bateau et parfois sauter hors de l’eau en se laissant retomber sur le côté. Nous avons aussi quelques visites de poissons volants qui malheureusement pour certains s’échouent sur le pont. Nous admirons régulièrement leurs dextérité en vol pour échapper aux prédateurs. Des fous de bassan viennent également nourrir leur curiosité en jouant dans les voiles et nous accompagnent durant tout le trajet. L’un d’eux nous gratifiera d’ailleurs d’un bel autographe sur la grand voile! Pas très grave en général mais, à 4m de haut, impossible à nettoyer!
Depuis St Nazaire jusqu’à l’équateur, ce sont 44 degrés de latitude qui ont été franchis. Si au début le décompte ne semble pas important, à l’approche de LA ligne nous nous réjouissons de cette avancée vers ce passage symbolique. Un changement majeur a eu lieu pendant ce trajet, nous sommes passé du Nord au Sud. Dans un premier temps, nous avons passé l’équateur météorologique plus au nord que l’équateur géographique. C’est, pour simplifier les choses, la zone de changement des vents avec, entre les deux zones nord et sud une zone appelée le pot au noir et connue pour son absence de vent et pour jouer avec la patience des voileux qui le traverse. Pour notre part, nous aurons du vent tout du long grâce à un routage bien mené par Damien !
Au petit matin, Lauriane est venue réveiller les derniers endormis : la ligne sera franchie dans quelques minutes! Le temps d’enfiler une tenue adéquate et nous voilà tous sur le pont pour regarder le GPS afficher 00’00.000. C’est court, c’est éphémère et c’est joyeux. Ça y est nous sommes dans l’hémisphère sud! Dans la mer, pas de ligne pour indiquer le passage mais notre skipper voulait tout de même marquer le coup. Donc nous voilà à 7h30 tous en maillot de bain sur le pont, Toupie et Parebat aussi (sans maillot de bain…). Le baptême consiste alors à remplir chacun son tour un seau d’eau et à se le verser sur la tête. Entre la température de l’eau et celle de l’air, nous ne nous sommes pas fait prier pour passer à l’action! Toupie et Parebat ont aussi eu le droit à la douche, avec le contenant adapté à leurs tailles !
S’en est suivi un petit dej de fête et le soir nous avons débouché le champagne de Papy Bernard, offert spécialement pour le passage de la ligne, avec un apéro délicieux, le tout au milieu de l’Atlantique, la joie simple d’un moment rien qu’à nous.
Au départ de Brava, nous avons eu l’espoir de croiser les Vendée globistes, ce sera peine perdue à quelques heures près pour le Roi Jean Le Cam. Milagro était à la hauteur de Charal mais les coureurs sont passés bien plus à l’ouest de nous et les deux passant à l’Est du Cap Vert sont partis sans prendre le temps de nous attendre !
Pour notre part, et pour passer au plus vite ce mauvais épisode du résumé de notre transat, abordons tout de suite le sujet du spinnaker, pour bien vite passer à autre chose. C’était pendant une belle nuit de novembre, après les réparations à Praia, nous étions heureux d’avancer grâce à cette belle voile blanche et bleue, à plus de 8 noeuds de moyenne. Les milles s’enchaînaient et le confort à bord était parfait (i e pas de roulis). Tout allait bien jusqu’à l’arrivée de cet affreux nuage que l’équipière de quart n’a pas vu arriver, à l’abri sous le bimini. Tout est allée très vite. D’un coup le vent a changé de sens, 180°. Le spi a commencé à se deventer puisque les changements brusques sur un navire de 45 tonnes mettent du temps à changer sa direction. Damien et Lauriane ont sauté de leurs couchettes pour intervenir et, à la vue de ce nuage très menaçant, le premier de la sorte depuis le départ, affaler au plus vite. Les premières gouttes de pluie arrivant, Lauriane interpelle tout le monde pour qu’un équipier se charge de fermer tous les hublots et panneaux de pont, et que les autres viennent au plus vite sur le pont pour aider à affaler le spi, la chaussette bloquant, il fallait une personne à la barre, une à l’écoute et deux à la proue pour tirer sur le va-et-vient de la chaussette. Le renfort tardant, impossible à deux de tirer sur cette fichue chaussette qui reste bloquer en tête de mât et de gérer en même temps l’écoute, une dizaine de mètres séparant les deux postes. La force du grain augmente et tous les efforts pour débloquer la chaussette restent vains. D’un coup le spi s’éventre au moment où le renfort arrive sur le pont, une partie de la voile tombe à l’eau, et l’autre partie part s’emmêler dans les haubans, la faute à un vent changeant continuellement de direction sous une violente pluie. Nous récupérons l’intégralité du spi à bord et l’amarrons sur le pont, contre le filet des filières. Tout le monde va bien, l’essentiel est là. Malgré cela, l’ambiance est pesante. Faute de pouvoir dérouler le yankee, nous mettons en marche le moteur et attendons le lever du jour pour retirer les morceaux restés coincés en haut du mât. Au petit matin, nous sommes tous encore sous le poids de ce qui ressemble à un mauvais rêve. Nous rangeons le coeur lourd cette voile dans son sac, quasi convaincus qu’elle est irréparable et qu’il faudra lui inventer une nouvelle histoire pour qu’elle serve à autre chose qu’à nous faire glisser au portant. Fermons le sujet, nous le réouvrirons une fois l’avenir de cette voile décidé.
À défaut de concurrence avec les navires de course ou les cargos, Damien s’est remit dans la peau d’un régatier à la première occasion venue, au milieu de nulle part. Après des jours sans autre navire à l’horizon que de rares porte containers et tankers au loin, nous voyons en fin de journée apparaître un voilier à la poupe de Milagro. Son cap nous faisait redouter l’innacceptable : il veut nous passer au vent ! Diantre ce ne sont pas des manières ! Branle bas de combat sur Milagro, tous dans le cockpit, toutes voiles dehors et réglages aux petits oignons pendant près d’une heure pour obliger ce concurrent à terriblement lofer (serrer le vent), jusqu’à ce qu’il se résigne à abattre pour nous passer sous le vent. Non mais ! Le navire en question, un voilier tout neuf sorti des Sables d’Olonnes (France) et mené par un équipage argentin, ne joue pas dans la même catégorie (52 pieds et beaucoup plus léger) mais notre Milagro n’a pas démérité, à 9 noeuds, Après notre petite victoire, nous avons essayé de les joindre à la VHF mais, vexés, personne ne nous a répondu!
La nuit suivante nous approchons des îlots (pour ne pas dire rochers) de Saint Pierre et Saint Paul. Situés à environ 500mn de Natal (côte brésilienne), ils se composent de plusieurs îlots et récifs. Le plus grand d’entre eux, Belmonte, ne dépasse pas les 5500m². Découverts le 20 avril 1511 par le portugais Garcia de Noronha, ces îlots ont aussi été visités quelques siècles plus tard par Charles Darwin, lors de son voyage sur le HMS Beagle. Depuis 1988 ils sont rattachés à l’état du Pernambouc et, dix ans plus tard est inaugurée la Estação Científica do Arquipélago de São Pedro e São Paulo, un bâtiment de 40m² occupé par 4 chercheurs/militaires qui se relaient tous les 15 jours. D’un point de vue biologique, la végétation y est rare et plusieurs colonies d’oiseaux y habitent, dont des fous bruns et des noddis (bruns et noirs). Ces derniers seront à partir de là nos compagnons de route nocturnes, jusqu’à Salvador ! Amateurs des oiseaux de Hitchcock, les voici : https://karukinka.eu/wp-content/uploads/2024/12/Noddis-bruns_Milagro_karukinka_122024.wav
Après étude des cartes et données hydrographiques disponibles, nous laissons franchement tomber l’idée de s’en approcher de nuit et encore plus pour mouiller. Pour vous faire une idée de la morphologie des lieux, voici les cartes du service hydrographique brésilien que nous avons pu consulter :
Les scientifiques le redoutaient depuis des mois. Un virus d’origine grippale décime les populations d’éléphants de mer et de manchots dans les Terres australes et antarctiques françaises (TAAF). Après être apparue ces dernières années dans d’autres régions du globe, la maladie touche des mammifères et oiseaux marins évoluant dans des écosystèmes uniques au monde.
Ouest-France Dans les Terres australes et antarctiques françaises, Valérie PARLAN.
Modifié le 10/12/2024 à 10h43. Publié le 10/12/2024 à 10h39
Des milliers d’éléphants de mer gisants morts sur les côtes, des dizaines d’albatros et de manchots royaux terrassés reposant sur les rochers… Les images de la grippe aviaire survenue ces derniers mois chez les mammifères et oiseaux marins dans les Terres australes et antarctiques françaises (TAAF) hantent encore ceux qui les ont découvertes. L’épizootie a d’abord été constatée en octobre dernier sur l’archipel de Crozet dans les colonies d’éléphants de mer, parmi les plus importantes au monde.
Crozet, tout comme ses « sœurs » australes de Kerguelen, Saint-Paul et Amsterdam, est inhabitée de manière permanente. Seuls des agents, militaires et chercheurs s’y relaient plusieurs mois d’affilée pour y mener des missions de souveraineté, d’observation et de protection des réserves naturelles. Ce sont eux qui ont alerté les autorités.
Éviter la contamination à l’homme
Trois semaines plus tard, c’est à Kerguelen qu’un éléphant de mer a été testé positif à ce même pathogène d’origine grippale. Sur le terrain, les observations se rejoignent : le virus cause de sévères troubles neurologiques, des tremblements, des convulsions et occasionne de graves hémorragies internes dans une grande partie des organes.
Rapidement, l’administration des TAAF, en concertation avec l’Institut polaire français Paul-Emile Victor (IPEV) 1,…
La suite de ce reportage est disponible sur le site du journal Ouest France : https://www.ouest-france.fr/outre-mer/reportage-dans-les-terres-australes-une-grippe-decime-les-mammiferes-et-oiseaux-marins-da6c9940-b6d2-11ef-ab9f-bc1b3bcb740d
Les scientifiques soupçonnaient depuis longtemps qu’une île volcanique de l’Atlantique Sud renfermait un lac de lave. Pour l’étudier, ils ont dû s’aventurer dans l’un des lieux les plus reculés de la planète.
Sur une crête couverte de glace, à environ 900 m au-dessus de la houle furieuse de l’océan Atlantique Sud, Emma Nicholson prend une profonde inspiration derrière son respirateur, vérifie son baudrier et s’engage dans la bouche béante d’un volcan en activité.
Il est un peu plus de 16 heures sur le sommet battu par les vents du mont Michael, point culminant de l’île Saunders. Située dans l’archipel inhabité des Sandwich du Sud, celle-ci est l’un des endroits les plus isolés de la planète – à environ 800 km de la station de recherche permanente la plus proche, en Géorgie du Sud, et à plus de 1 600 km du moindre trafic maritime. En fait, les personnes se trouvant le plus près de la jeune femme et de ses compagnons d’aventure sont les sept astronautes de la Station spatiale internationale, qui passe à quelque 400 km au-dessus d’eux toutes les quatre-vingt-dix minutes. Après des années de préparation et un voyage tortueux de 2 250 km dans des mers tumultueuses et truffées d’icebergs, la volcanologue de 33 ans est sur le point de devenir la première scientifique à explorer l’intérieur du cratère du mont Michael. Elle espère y recueillir de nouveaux indices sur les processus à l’œuvre dans les entrailles de la planète. Mais le volcan ne livre pas facilement ses secrets.
À première vue, l’intérieur du cratère semble sans danger. Emma Nicholson et son partenaire de recherches, João Lages, descendent prudemment à l’aide d’une corde d’escalade – tous deux comprennent que, quelque part en contrebas, ce terrain apparemment sûr pourrait se transformer en une paroi de glace instable. Au fil de leur descente, le vent se calme et des pans de ciel bleu apparaissent. La volcanologue découvre à travers son masque un cercle de parois quasi verticales de roche et de glace recouvertes de cendres.
Équipés d’un ordinateur et d’une caméra thermique, João Lages et Emma Nicholson s’enfoncent encore plus profondément dans la montagne. Au-dessous d’eux, la pente douce débouche brusquement sur le vide, sans qu’ils parviennent à distinguer le fond du cratère. En regardant autour d’elle, la scientifique prend toute la mesure de l’environnement où elle se trouve : un lieu qui porte les marques de l’une des plus grandes démonstrations de puissance de la nature.
Pour un volcanogue, être le premier à plonger son regard dans un gouffre obscur menant vers les profondeurs de la planète représente le moment le plus attendu d’une carrière. Une seule chose échappe à la scientifique, celle-là même qui l’a amenée dans ce lieu perdu : où se trouve le lac de lave ?
Une traction rassurante s’exerce sur son baudrier. La corde, Emma Nicholson le sait, est reliée à un point d’ancrage des plus fiables, au sommet : la guide de montagne Carla Pérez, devenue en 2019 la première femme à gravir l’Everest et le K2 la même année. La traction est un petit rappel à son adresse pour qu’elle fasse attention à elle et n’aille pas trop loin.
Le 2 Février 1775, le capitaine britannique James Cook se tenait avec lassitude sur le bastingage de l’arrière de son navire, le Resolution, et contemplait une île morne et enneigée. Le navigateur était en mer depuis deux ans et demi pour sa deuxième expédition, et le paysage sinistre correspondait à son état d’esprit. « La plus horrible côte du monde », déclara-t-il à propos de l’archipel qu’il baptisa îles Sandwich du Sud, en hommage à l’un de ses soutiens, le comte de Sandwich. Ces îles, écrivit-il, sont « condamnées par la nature […] à ne jamais recevoir la chaleur des rayons du soleil ».
Il fallut attendre des décennies pour que les scientifiques comprennent que l’une d’entre elles, l’île Saunders, possédait sa propre source de chaleur. Et, même à cette époque, ce lieu glacé et balayé par les vents, situé au milieu de nulle part, n’intéressait personne.
« Comme les îles Sandwich du Sud sont difficiles d’accès et qu’il est compliqué d’y débarquer et d’y travailler, il faut vraiment avoir de bonnes raisons pour y aller », résume John Smellie, professeur de géologie à l’université de Leicester, en Angleterre. L’archipel, formé par le déplacement de la plaque tectonique sud-américaine sous la plaque des Sandwich, est pourtant l’un des environnements les plus simples du monde pour l’étude de la volcanologie.
« C’est une véritable usine à croûte terrestre, poursuit l’universitaire. On peut examiner ce qui se passe dans les magmas depuis leur formation jusqu’à leur remontée à la surface… parce que les variables y sont très peu nombreuses. »
John Smellie est l’une des rares personnes à avoir visité l’île Saunders. Lors d’une expédition en 1997, il était en train de prélever des échantillons à son extrémité nord, quand il a remarqué que le panache du mont Michael était anormalement dense. « On aurait dit qu’il soufflait et haletait, et ces caractéristiques m’ont surpris », raconte-t-il. Cela lui a rappelé le mont Erebus, un volcan en Antarctique abritant un lac de lave permanent. Le scientifique et un de ses amis du British Antarctic Survey ont cherché à identifier une signature thermique correspondant au cratère sommital du mont Michael, grâce à un radiomètre embarqué à bord d’un satellite. Ayant observé des températures moyennes de 300 °C, tous deux ont supposé qu’ils avaient bien affaire à un lac de lave, l’un des phénomènes les plus rares de la volcanologie.
Bien que le monde compte environ 1 350 volcans potentiellement actifs, la présence actuelle d’un lac de lave permanent n’est attestée que dans huit d’entre eux. En général, après une éruption, la lave exposée à l’atmosphère refroidit et forme un bouchon de roche compact, emprisonnant la chaleur et les gaz à l’intérieur (et risquant de déclencher une nouvelle explosion). Mais, dans les volcans à conduit ouvert, la cheminée qui relie la surface à la chambre magmatique en profondeur n’est pas obstruée. Pour qu’un lac de lave se forme, la pression doit être assez forte pour pousser la lave jusqu’à la surface. Et pour qu’il subsiste, la pression doit continuer à s’exercer, et le rapport entre la chaleur provenant de l’intérieur de la colonne de magma et le taux de refroidissement doit être parfaitement équilibré, afin de maintenir la lave en fusion. Pour John Smellie, c’est le mot « capricieux » qui décrit le mieux les niveaux de pression pompant la lave dans le cratère du mont Michael : « Elle va et vient, peut-être pendant des mois, mais nos recherches montrent qu’elle continue à s’exercer aussi pendant des mois. »
Parce que ces volcans à conduit ouvert permettent aux scientifiques d’échantillonner et d’analyser les gaz et la lave, ils sont considérés comme un laboratoire essentiel pour mieux comprendre les éruptions volcaniques et aider à les prévoir et à en limiter les risques.
En 2019, une autre équipe de volcanologues a utilisé des données satellitaires à haute résolution pour actualiser la découverte de John Smellie et détecté une anomalie de plus de 9 940 m2 de large à la surface du cratère. Comme Smellie, ils en ont déduit qu’il s’agissait d’un lac de lave. Leur étude a attiré l’attention d’une nouvelle professeure de volcanologie de l’University College de Londres, Emma Nicholson. Qui savait très bien que, si précise que soit l’imagerie satellitaire, le seul moyen de confirmer – et d’étudier –la présence d’un lac de lave était de gravir le mont Michael et de collecter des échantillons dans le cratère. Le fait qu’aucun géologue de terrain n’ait travaillé sur l’île Saunders depuis vingt ans a nourri sa motivation.
« Plus jeune, j’adorais me perdre, errer, explorer », raconte la volcanologue. Ses parents, tous deux de fervents randonneurs, l’ont encouragée à suivre sa passion pour l’aventure. Lors d’un séjour aux États-Unis avec sa famille, quand elle avait 6 ans, une excursion à la découverte du volcan du mont Saint Helens a été déterminante pour son parcours. « Tous les arbres étaient encore couchés dans une seule direction, se souvient-elle. Il y avait des cendres partout, même plus de dix ans après l’éruption. Je me rappelle avoir voulu comprendre quelles forces avaient bien pu créer ce paysage. »
En 2020, Emma Nicholson a rejoint une expédition d’étude des îles Sandwich du Sud. Après avoir jeté l’ancre au large de l’île Saunders, elle a tenté, avec d’autres scientifiques, la première ascension du mont Michael. Mais les mauvaises conditions météorologiques ont contraint l’équipe à faire demi-tour – un crève-coeur pour la volcanologue.
En novembre dernier,j’ai retrouvé celle qui était entre-temps devenue Exploratrice pour National Geographic dans les îles Malouines, pour un nouveau voyage sur l’île Saunders. La jeune femme avait monté une expédition pour réaliser la première ascension du mont Michael et la première étude de terrain de son cratère. L’Australis, voilier à moteur à coque en acier, nous attendait à quai à Port Stanley.
Notre expédition aurait semblé ridiculement petite au capitaine Cook. Ben Wallis, 43 ans, le capitaine australien, et deux autres membres d’équipage étaient à la manoeuvre. Emma Nicholson, avec ses collègues João Lages, 30 ans, géochimiste et volcanologue, et Kieran Wood, 37 ans, ingénieur en aérospatiale et spécialiste des drones déjà présent lors de l’expédition de 2020, formaient l’équipe scientifique. Le photographe Renan Ozturk, 43 ans, dirigeait une équipe de quatre personnes chargées de la communication. Enfin, Carla Pérez, 39 ans, alpiniste équatorienne et l’une des rares femmes à avoir atteint le sommet de l’Everest sans oxygène, devait conduire l’expédition pendant les phases d’ascension et de redescente du mont.
Ben Wallis avait déjà emmené l’Australis dans les îles Sandwich du Sud. L’expérience avait été éprouvante. « Je préfère ne pas en parler », me dit-il sur le moment. Il n’était pas le seul à redouter cette partie de l’océan. Notre route frôlerait le passage de Drake, entre la pointe de l’Amérique du Sud et l’Antarctique, là où les océans Pacifique et Atlantique se rencontrent et forment les eaux les plus dangereuses de la planète. À cette latitude, aucune masse continentale ne vient entraver le vent ou les courants et la hauteur des vagues peut atteindre jusqu’à 12 m.
Des semaines après que je lui avais posé la question pour la première fois, le laconique capitaine a fini par me livrer un récit haletant : celui d’une traversée au cours de laquelle il avait survécu en pleine mer à une tempête dont les vents avaient dépassé les 145 km/h sur son anémomètre – avant qu’il cesse de le consulter.
Depuis plus de vingt ans qu’il naviguait sur des petits bateaux autour de la péninsule Antarctique, il effectuait régulièrement quatre ou cinq traversées aller-retour du passage de Drake chaque été. Mais il lui avait fallu plusieurs années, reconnaissait-il, avant de se sentir prêt pour entreprendre un nouveau voyage vers les îles Sandwich du Sud.
« Ce qui [les] rend différentes, c’est qu’elles sont hors du monde », m’expliqua Ben Wallis. En d’autres termes, ce chapelet d’îles se trouvait hors de portée des avions basés à terre, et peu de navires traversaient la région. Ce qui signifiait qu’« il n’y a personne pour venir vous chercher en cas de problème », conclut-il.
Quand nous avons pris la mer,le premier jour, les vents étaient faibles. Nous en avons donc profité pour nous détendre sur le pont, simplement couverts de coupe-vent. Mais, chaque jour, la température fraîchissait légèrement et nous y passions moins de temps. Au cinquième jour de notre traversée, l’île de Géorgie du Sud était en vue. L’endroit était autrefois un centre prospère de chasse à la baleine.
Après un bref arrêt au port de Grytviken, où nous nous sommes enregistrés auprès des autorités britanniques qui gèrent le sanctuaire marin de la Géorgie du Sud et des îles Sandwich du Sud, nous avons quitté l’abri protecteur des côtes géorgiennes pour nous enfoncer plus avant dans l’Atlantique Sud. Des icebergs commençaient à apparaître à l’horizon. À l’aide du radar et protégés par la coque en acier du voilier, nous avons zigzagué dans le dédale formé par ces énormes écueils luisants, jusqu’à ce que, dans l’après-midi de notre huitième jour en mer, l’île Saunders surgisse brusquement du brouillard.
Minuscule croissant de 8 km de long émergeant de l’océan Atlantique Sud, l’île ne présente aucun mouillage sûr. Notre meilleure option restait la baie Cordelia, qui offre une protection minimale contre le vent et la houle, mais qui est aussi bordée de hauts-fonds que les cartes marines qualifient de « mauvais » et de « non hydrographiés ».
Alors que nous nous dirigions vers la terre, les nuages qui enveloppaient l’île étaient en train de se dissiper et nous avons pour la première fois aperçu le mont Michael : l’apparence basse, ramassée et presque parfaitement symétrique d’une montagne qui, sans offrir un spectacle grandiose, n’en était pas moins imposante.
Ben Wallis a fait passer l’Australis sous les falaises qui surplombent l’extrémité nord de la plage et a jeté l’ancre. Notre temps était compté : selon lui, nous pouvions rester seize jours tout au plus avant que les conditions météo nous obligent à partir. La tonne d’équipement stockée en toute sécurité dans le gaillard d’avant a été répartie entre nos cabines exiguës ; le matériel serait transporté en canot pneumatique jusqu’à la plage le lendemain matin.
Pendant les préparatifs, le photographe Ryan Valasek poussa soudain un cri depuis le pont : « Regardez-moi ça ! » Nous avons tous rejoint la timonerie : un nuage scintillant en forme de soucoupe apparut dans le ciel nocturne au-dessus du mont Michael. Mes yeux ont d’abord distingué des taches rouges et violet foncé dans la nuit étoilée. Le Soleil s’était couché depuis déjà deux heures. J’ai alors réalisé lentement que la lumière provenait de l’intérieur du volcan. Tandis que nous scrutions le ciel, la palette de couleurs semblait changer graduellement : le rouge brique vira à l’écarlate, puis à l’orange, le violet foncé s’adoucissant jusqu’à devenir pourpre. Dehors, les mains agrippées au bastingage, Emma Nicholson tremblait à la fois de froid et d’excitation. Le spectacle incandescent auquel nous assistions, projeté sur la face inférieure d’un nuage, fut la première manifestation concrète de ce qu’elle était venue chercher à l’autre bout du monde : de la lave.
Le matin, nous nous sommes levés tôt et avons revêtu des combinaisons étanches par-dessus plusieurs couches de polaire, pour résister aux températures glaciales de l’eau. Bien que la mer fut suffisamment calme pour nous permettre de sortir du canot pneumatique de 4 m de l’Australis et d’atteindre le rivage sans difficulté, le ressac était encore assez puissant pour risquer de submerger le bateau chaque fois que nous débarquions notre chargement.
D’énormes éléphants de mer australs et des phoques de Weddell plus petits reposaient au ras de l’eau, tandis que des milliers de manchots papous, de manchots à jugulaire et de pétrels géants occupaient les collines brunes et grises désolées séparant la mer des pentes enneigées de la montagne. Une cacophonie de criaillements résonnait à nos oreilles. Pour éviter toute guerre de territoire avec la faune, nous avons décidé d’établir notre camp de base sur un champ de neige peu profonde, à 750 m de la plage.
Ce soir-là, l’île Saunders nous a révélé son premier obstacle. En bordure du camp, João et Emma testaient l’acidité de la neige, que nous avions l’intention de faire fondre pour obtenir de l’eau buvable. Les résultats ont laissé Emma sans voix. L’eau de l’île – du moins, dans les environs immédiats du camp – n’était pas potable.
Lors de la première nuitsur place, alors qu’elle était allongée à côté de Carla dans leur tente, les idées n’ont cessé de trotter dans la tête d’Emma. L’absence d’eau potable obligerait à mettre fin à l’expédition si une autre source d’eau ne pouvait être trouvée. Mais cette neige souillée faisait aussi partie des raisons pour lesquelles elle était revenue sur l’île Saunders.
Environ un dixième de l’humanité vit dans un rayon de 96 km autour d’un volcan et est confronté à toute une série de risques potentiels liés à l’activité volcanique. Tout aussi menaçants que les éruptions, mais pourtant bien moins étudiés, figurent les effets à long terme de la consommation d’eau et de l’inhalation d’air contaminés par les volcans à conduit ouvert, qui expulsent souvent un mélange de gaz. La vapeur d’eau et les dioxydes de carbone et de soufre constituent en général plus de 90 % du panache d’un volcan. Mais, quand la lave est proche de la surface, elle émet aussi du fluor, du chlore et du brome – des éléments très acides. Les pentes de neige du mont Michael constituent une zone de prélèvements idéale pour évaluer l’impact de tels volcans sur la nappe phréatique. « Il n’y a pas de sources externes de pollution », a souligné Emma Nicholson, expliquant que presque « tous les produits chimiques mesurés dans la neige ou les eaux souterraines viennent du volcan ».
Une meilleure compréhension de ce processus pourrait permettre d’aider les populations vivant dans ces environnements à trouver des solutions à long terme, notamment en matière de traitement de l’eau et d’alertes ciblées sur la qualité de l’air. Mais, pour étudier correctement ce phénomène durant les quelques jours dont elle disposait sur l’île Saunders, la volcanologue devrait prélever systématiquement des échantillons sous le panache de fumée depuis l’intérieur du cratère jusqu’au sommet du volcan.
Le lendemain, Carla constitua une équipe pour remédier au problème d’eau potable. En canot pneumatique, l’équipage transporta près de 500 l d’eau produite par le dessalinisateur de l’Australis jusqu’à la plage, que l’équipe de Carla achemina sur 750 m jusqu’au camp. Pendant ce temps-là, Emma, Kieran et moi avons passé la journée à explorer la montagne et à prélever des échantillons de neige.
Cette nuit-là, dans sa tente, dont la toile claquait sous le vent, Emma Nicholson fit soigneusement fondre chaque échantillon de neige, y ajoutant ensuite de l’acide nitrique pour en préserver la composition en vue de son étude en laboratoire – une opération délicate avec un produit chimique hautement corrosif utilisé à l’intérieur d’un abri secoué par les rafales.
Le lendemain, nous avons effectuénotre première tentative d’ascension du mont Michael. Alors que nous nous trouvions à 60 m du sommet, un signal d’alarme aigu nous transperça les oreilles malgré le rugissement du vent. Emma et Carla portaient des capteurs pour nous avertir de la présence de dioxyde de soufre. Nous avons enfilé les encombrants respirateurs sous nos lunettes de ski et avons poursuivi l’ascension.
À mesure que nous grimpions, les conditions météo se détérioraient. Le vent se renforçait, et d’épais nuages recouvraient la montagne. Kieran tenta de lancer un drone équipé d’un capteur thermique, qui se retrouva immédiatement pris dans des vents tourbillonnants, avant d’être récupéré en hâte. D’autres équipements souffrirent aussi : plusieurs appareils photo rendirent l’âme et un GPS portable se dérégla.
« Nous devons nous encorder », m’a crié Carla, indiquant que l’opération était nécessaire au cas où des crevasses seraient dissimulées sous la neige. Nous nous sommes tous attachés à la corde et j’ai conduit le groupe dans la pénombre.
Après avoir tâtonné sur une trentaine de mètres dans la tempête, il m’a semblé trouver le bord du cratère, mais, entre les vents de 100 km/h et l’épais brouillard, je n’arrivais pas à voir plus loin que ma main. Le reste du groupe m’a rejoint. Emma a sorti de son sac un instrument de la taille d’une mallette auquel étaient fixés plusieurs petits bouts de tuyaux flexibles : il s’agissait d’un capteur qui enregistrerait les principaux gaz du panache. Kieran a poursuivi son ascension pour reconnaître les lieux.
Dix minutes après avoir disparu dans le nuage, il est revenu, tout sourire : « C’est beaucoup mieux là-haut. Je crois que j’ai trouvé le sommet. »
Un peu plus tard, nous nous sommes tous serrés dans les bras, sur le point culminant de la montagne. Le ciel était bleu, mais d’épais nuages remplissaient le cratère, semblable à un chaudron de sorcière. L’idée d’en explorer l’intérieur dans ces conditions – ou d’attendre que le temps se lève – semblait absurde.
Nous avions accompli la première ascension, mais nous n’avions toujours aucune idée de ce que le volcan renfermait.
Le jour suivant, nous nous sommes entassés dans une tente pour examiner les prévisions et discuter des options. Par radio depuis l’Australis, Ben nous informa qu’un système dépressionnaire arrivant dans quelques jours provoquerait des « conditions de mer dangereuses » – c’était la première fois que nous l’entendions utiliser cette expression. Nous espérions rester quelques jours de plus, mais il était temps de quitter l’île Saunders. Pourtant, Emma tenait absolument à retourner au sommet. Entre les pannes d’équipement et les conditions extrêmes, elle n’avait pu recueillir avec Kieran qu’une petite quantité de données. « Nous n’avons toujours pas résolu le mystère de l’existence d’un lac de lave au sommet du mont Michael », a souligné la volcanologue. Et puis elle n’avait pas collecté suffisamment d’échantillons de glace et de gaz pour pourvoir étudier l’influence du volcan sur l’eau.
Malgré tout, il restait une lueur d’espoir : une accalmie était prévue avant l’arrivée du prochain système dépressionnaire. Nous avons alors décidé de diviser l’équipe en deux : Kieran et moi lèverions le camp pendant que Carla reconduirait Emma, Renan et João au sommet. Si tout se passait bien, ils descendraient directement du sommet jusqu’à la plage, où le canot nous ramènerait à l’abri, à bord de l’Australis.
La traction de Carla sur la corde atteint Emma au moment où elle tente d’obtenir une vue dégagée du fond du cratère du mont Michael, espérant apercevoir une tache orange lumineuse en contrebas. Même si elle désire ardemment confirmer la présence du lac de lave, il reste d’autres tâches scientifiques importantes à accomplir, notamment les prélèvements de gaz. L’équipe a placé le dispositif d’échantillonnage dans la partie la plus épaisse du panache, afin d’enregistrer les concentrations de gaz les plus élevées, qui fourniront une mine de données.
Des collègues de João, à l’université de Palerme, ont mis au point le capteur pour un tel cas de figure et, alors qu’il installe le dispositif au bord du cratère, le chercheur, d’ordinaire réservé, pousse un hurlement perçant, entre cri d’extase et cri de guerre.
Un peu avant, Renan Ozturk a décidé lui aussi de se risquer à faire voler le drone une dernière fois, malgré les vents imprévisibles. Alors qu’il s’efforce encore de manoeuvrer le petit appareil, l’écran du contrôleur de vol dévoile au même moment le fond noirci du cratère. Le vent s’est calmé, et voici qu’il apparaît : le neuvième lac de lave actif du monde.
L’ovale rougeoyant ressemble plus à une mare, mais Emma peut enfin pousser un soupir de soulagement : « C’est manifestement de la lave proche de la surface, explique la volcanologue, qui alimente le panache de gaz que nous sommes en train de mesurer. » Pendant ce temps, loin en contrebas, un reflet gris recouvre la mer. Des morceaux de banquise ayant dérivé au nord depuis l’Antarctique cernent la baie Cordelia. Certains ont la taille de petits rochers, d’autres sont aussi gros que des réfrigérateurs. « Il y a mieux comme conditions », commente par radio Dave Roberts, le second de Ben Wallis.
Comme il est trop dangereuxde débarquer l’annexe sur la plage, Kieran et moi, vêtus de nos encombrantes combinaisons étanches, tirons notre matériel à travers les déferlantes jusqu’au canot pneumatique ancré non loin du rivage. Pendant des heures, l’équipage fait de nombreux allers-retours pour transborder nos équipements sur l’Australis. Enfin, Emma, Carla, Renan et João nous rejoignent sur la plage pour nous annoncer la nouvelle de la découverte du lac de lave. Mais nous n’avons pas le temps de célébrer l’événement.
Une heure avant le coucher du soleil, alors que la plage est plongée dans la pénombre, nous réalisons que nous allons devoir quitter l’île à la nage. Plus tôt pendant le voyage, j’avais plaisanté sur cette possibilité – mais à ce moment précis, cela ne faisait plus rire personne.
L’un après l’autre, les membres de l’équipe enjambent les morceaux de glace, puis, entre deux vagues aussi hautes qu’eux, tentent de nager jusqu’au canot pneumatique. Au moment où nous ne sommes plus que trois sur la plage, il fait nuit noire. Un petit point lumineux danse dans le noir d’encre : ce sont Ben et Dave qui nous attendent dans le canot, au-delà des brisants. Ils sont à moins de 30 m, mais, dans l’obscurité, avec les vagues et le champ de mines des morceaux de glace, j’ai l’impression que des kilomètres nous séparent.
« Nous sommes prêts à vous récupérer », grésille la voix de Ben dans la radio. Je glisse celle-ci dans ma combinaison étanche, puis nous nous prenons par les bras João, notre cameraman Matt Irving et moi, et entrons dans l’eau. Après quelques pas, une vague puissante nous renverse. Je bois la tasse. À peine remonté à la surface, me voilà embarqué par la houle vers la vague suivante. La tête de nouveau sous l’eau, j’espère ne pas me faire assommer par un bloc de glace. Le froid me mord le visage. En rouvrant les yeux, je distingue le mont Michael qui se dessine dans le ciel nocturne, mais le halo irréel qui l’entourait jusque-là a disparu.
Maladroitement, je nage comme je peux en direction du point lumineux. Puis je sens les mains de Dave, des mains de marin incroyablement fortes, m’extraire de l’eau et me déposer sur le fond du canot qui tangue. Ben remet alors les gaz et nous emmène. Direction l’Australis – et la maison.
Mi-novembre, nous voici au mouillage dans la baie de Praia, la capitale de l’archipel du Cap Vert, pays indépendant depuis 1971. La descente vers le sud est déjà bien entamée puisque nous sommes désormais à la latitude de Dakar (Sénégal).
L’arrivée s’est faite de nuit en longeant les îles de part et d’autre sans les voir. Nous pensions croiser des pêcheurs ou apercevoir des phares mais rien, seuls de rares halos lumineux au loin nous donnaient l’indication de présences humaines et pas un nuage pour annoncer les îles. Nous en avons conclu que ces îles étaient préservées de la pollution lumineuse et peu habitées. Cette arrivée, aux lueurs de la ville endormie et dans le plus grand calme, s’est faite sans même réveiller les équipers calés dans leurs couchettes. Avant d’aller se reposer, nous jetons un oeil au grand drapeau du Cap Vert qui surplombe une falaise située face au navire. Quelques chiens se répondent dans le lointain, rappelant à Toupie qu’elle n’est maintenant plus seule à des milles à la ronde !
Pendant la première journée, l’équipage reste à bord, après une grasse matinée bien méritée et en attendant les formalités d’entrée dans le pays accomplies. En début d’après-midi, sous une chaleur écrasante malgré le vent, un nouvel équipier nous rejoint : François. C’est la deuxième fois qu’il vient faire un stage à bord puisqu’il était de l’équipe Pornichet-Dublin en avril dernier. Cette fois avec des températures toutes autres, il est ravi de retrouver sa cabine tribord et l’équipage du Milagro ! Nous fêtons ça en improvisant des mojitos avec un rhum des Canaries.
Puis il faut commencer à remettre en ordre le navire : gros ménage, lessives et avitaillement en nourriture. Damien et Lauriane se chargent des formalités administratives. Elles sont multiples puisqu’il faut se présenter à la police maritime, puis à l’immigration. Les bureaux n’étant pas toujours ouverts et aucun horaire indiqué, l’attente se fait parfois longue ! En rentrant de ces démarches, Lauriane nous trouve un improbable « taxi privé » qui simplifiera grandement nos déplacements : Djonni ! Entre musique à fond et conduite parfois en mode rallye dans les rues de Praia, il y a de l’ambiance !
Nous passons quelques jours à Praia pour se reposer et s’acclimater à la chaleur. Le spinnaker qui avait quelques égratignures suite à sa baignade imprévue est réparé (couture + scotch à voile) afin d’être à nouveau utilisé lors de la transatlantique. Deux équipiers rentrent en France avant qu’Etienne ne nous rejoigne depuis Bilbao.
Juliane, la montagnarde du bord, grimpe à plusieurs reprises en haut du mât pour vérifier la poulie et la sortie de mât avant de passer une nouvelle drisse toute neuve en dyneema (encore merci Toni!). Ce qui s’avère simple présenté en quelques mots a quand même été plus pénible que prévu. Le mât de Milagro fait 21m et, la drisse précédente ayant cassé, le restant était retombé dans le mât sans pouvoir servir de guide à la nouvelle. D’où l’idée de faire descendre un petit bout avec un plomb à son extrémité. Sauf qu’à deux reprises le plomb bloque au niveau des barres de flèches et impossible de le remonter ou descendre. Après quelques essais la petite caméra du bord ne nous donne pas non plus de réponse au « pourquoi ça bloque » et finalement, après une petite sieste, Damien tente un énième passage et cette fois ça fonctionne : la nouvelle drisse est en place et pile dans les temps pour prendre l’annexe direction le petit bistrot de la plage afin de boire une Strela Kriola bien fraîche.
Comme chaque soir nous débarquons les pieds dans l’eau (et parfois plus avec la houle) et sommes accueillis par le petit groupe d’hommes et leur meute de chiens qui vivent sur cette plage et veillent, contre petite rémunération, sur notre annexe. Le jour précédent l’arrivée d’Etienne nous aurons la chance de dîner avec une tourterelle blottie au calme dans les mains de Lauriane (elle et les oiseaux…) et au son de la musique cap-verdienne, dont vous pourrez écouter un petit extrait ici (pour les mélomanes exigeants, c’est une prise de son avec le téléphone…).
[Cap au Sud #6] Escale au Cap Vert 49[Cap au Sud #6] Escale au Cap Vert 50
Le lendemain nous partons au marché municipal, celui situé sur le Plateau et qui regorge de personnes, de bruits, de produits inconnus et de parfums. Les fruits et légumes sont exposés mais aucun prix n’est affiché ! Notre chauffeur de taxi privé ne nous ayant pas suivi et notre portugais étant plus que rudimentaire, le prix payé après calcul du change nous paraît totalement prohibitif, à nous l’étiquette de touristes ! Nous repartons les sacs remplis de produits locaux : maracuja, farine de manioc, fleurs d’hibiscus séchées (pour le bissap), graines de baobab, pommes-cannelle… Au retour, Djonni, notre chauffeur de taxi, viendra à bord et sera refait de pouvoir faire un réel Instagram depuis le pont du navire : la jeunesse ici a les mêmes préoccupations que sur le vieux continent! Comme à chaque aller-retour nous nettoyons méticuleusement tout pour éviter qu’un passager clandestin potentiellement envahissant ne prenne place : le cafard. Ils sont nombreux, à la nuit tombée, à se faufiler un peu partout autour de nous, d’où notre grande crainte d’en embarquer malencontreusement un à bord.
[Cap au Sud #6] Escale au Cap Vert 51[Cap au Sud #6] Escale au Cap Vert 52
Un dernier grand coup de ménage est fait pour nettoyer l’intégralité du bateau pendant que les formalités de sortie du territoire sont faites et nous levons l’ancre en direction du sud de l’île Santiago pour passer la nuit. Le lendemain matin, après baignade évidemment (l’eau est à 28 degrés…), nous partons en direction de l’île Brava (4000 habitants) pour un dernier stop avant le Brésil et en laissant dans notre sillage l’île volcanique Fogo.
[Cap au Sud #6] Escale au Cap Vert 53[Cap au Sud #6] Escale au Cap Vert 54
Cette petite île est réputée pour être l’une des plus belles du Cap Vert et nous confirmons bien que la baie de Tantum est somptueuse avec ses barques colorées et le village de pêcheurs qui la surplombent. Après pêche d’une magnifique carangue par Etienne, nous nous mettons en route. L’arrivée dans le village se mérite, avec une descente de l’annexe à la nage (impossible de débarquer l’annexe avec la houle) et une montée sèche sous un soleil de plomb. De là nous nous rendons dans le centre du village et demandons comment rejoindre Nova Sintra, la « ville » principale, pour visiter et tenter de trouver quelques produits frais encore, ceux du marché pourrissant déjà les uns après les autres… En l’espace d’un quart d’heure nous nous retrouvons comme des sardines en boîte dans le minibus scolaire, entourés d’enfants étrangement silencieux : notre présence les rend muets ce qui fait bien rire le chauffeur. Nous voyons défiler les kilomètres sur des routes escarpées et pavées. Plus nous gagnons en altitude plus la végétation devient luxuriante, avec des manguiers, papayers, ipomées, yuccas, ficus et grands hibiscus. Nous arrivons à destination une demi-heure plus tard et découvrons LA boisson cap-verdienne : l’Actimalt. Bien frais sur le chemin du retour, c’est un régal ! Puis ce sera retour sur la plage chargés comme des mules et un chargement de l’annexe assez épique, tous en maillots et aidés par les pêcheurs pour passer un à un les sacs de nourriture. Après une bonne nuit nous levons l’ancre accompagnés par les voeux de bon voyage des pêcheurs que nous croisons au sortir de la baie et avec l’envie de revenir au Cap Vert plus longuement car entre les paysages et l’accueil des habitants, cette étape est vraiment à ne pas manquer.
[Cap au Sud #6] Escale au Cap Vert 55[Cap au Sud #6] Escale au Cap Vert 56[Cap au Sud #6] Escale au Cap Vert 57[Cap au Sud #6] Escale au Cap Vert 58[Cap au Sud #6] Escale au Cap Vert 59[Cap au Sud #6] Escale au Cap Vert 60[Cap au Sud #6] Escale au Cap Vert 61[Cap au Sud #6] Escale au Cap Vert 62[Cap au Sud #6] Escale au Cap Vert 63[Cap au Sud #6] Escale au Cap Vert 64[Cap au Sud #6] Escale au Cap Vert 65[Cap au Sud #6] Escale au Cap Vert 66
Rdv d’ici quelques jours depuis l’autre hémisphère : sous le soleil du Brésil à Salvador de Bahia!
1 100 km en Antarctique pour mieux comprendre l’évolution de la calotte glaciaire
Les processus physiques à l’œuvre dans la formation des nuages et des précipitations de neige au-dessus de la calotte polaire Antarctique sont encore mal connus.
Co-piloté par le CNRS, le CEA, l’EPFL et l’École polytechnique, le projet AWACA déploiera une instrumentation innovante sur le terrain, appuyée par l’Institut polaire français, afin de mieux caractériser le cycle de l’eau atmosphérique au-dessus de l’Antarctique.
Ces mesures seront utiles pour mieux prévoir le devenir de la calotte glaciaire antarctique dans un climat plus chaud.
De début décembre 2024 à mi-janvier 2025 seront déployés l’ensemble des systèmes d’observation du projet AWACA en Antarctique. Autonomes et capables d’opérer en continu pendant trois ans dans des conditions climatiques extrêmes, ces instruments novateurs seront installés le long d’un axe de 1 100 km entre les stations Dumont d’Urville et Concordia. Ils permettront d’étudier pour la première fois à cette échelle les processus météorologiques impliqués dans l’accumulation de neige en Antarctique afin de mieux prévoir l’évolution de la calotte glaciaire sur les 100 prochaines années. Cette mission ambitieuse est supervisée par des scientifiques du CNRS, du CEA, de l’École polytechnique de Paris et de l’École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL). Le déploiement de ces instruments, véritable défi logistique, est géré par les équipes de l’Institut polaire français. Ces travaux bénéficient du soutien financier du Conseil européen de la recherche.