REPORTAGE – Aux confins des fjords chiliens, dans un territoire aussi indomptable que les bêtes qui y vivent, des hommes partent braver les éléments pour capturer le bétail le plus sauvage d’Amérique du Sud. Une tradition qui tend à disparaître devant l’arrivée du tourisme de masse. Un travail photographique exposé jusqu’en octobre au Festival Photo La Gacilly, dans le Morbihan.
C’est une histoire de sang, de courage et de tradition. Et comme dans beaucoup de ce genre d’histoire, des chevaux et des cavaliers émérites en sont les principaux acteurs. Reste que ces hommes risquent quotidiennement de perdre leurs bras, leurs jambes – quand ce n’est pas leur vie. Une telle histoire ne peut se dérouler ailleurs que dans un paysage profondément sauvage ; un lieu si lointain qu’il est presque impossible de s’y aventurer par des moyens ordinaires. Un endroit qui n’apparaît pas sur la plupart des cartes. Une région que l’on ne trouve que si l’on sait où chercher.
Pour cette histoire, c’est d’abord Sutherland qu’il nous faut trouver: un bras de terre au sud du Chili, dans la Patagonie australe. Aucune route n’y mène. Aucun campement n’a été établi à proximité. Au nord, Sutherland est bordé par le Parc national Torres del Paine ; et au-delà, les infranchissables champs de glace qui séparent la Patagonie chilienne du reste du pays. À l’ouest, une myriade de petites îles éparpillées…
Il s’agit de Don Bernardino Pantoja, un homme très apprécié de la communauté de Selk’nam. Son départ physique a eu lieu ce vendredi, et sur les réseaux sociaux, on se souvient avec appréciation de lui comme d’un personnage très aimé.
Par Redaction Infofueguina vendredi 26 juin 2020 · 21:22. Traduit de l’espagnol par l’association Karukinka
La communauté Fuégienne et Selk’nam a exprimé ses regrets et ses adieux après le départ physique de Bernardino Pantoja Imperial, ce vendredi 26 juin.
En plus d’être un ancien habitant (“antiguo poblador”), Don Bernardino était membre de la communauté autochtone Rafaela Ishton Selk’nam de Río Grande et du club sportif et culturel Général San Martín.
“Aujourd’hui est un jour très touchant pour toute notre communauté Selk’nam, le grand-père Bernardino Pantoja Imperial nous quitte pour rejoindre le grand Kashpek”, ont-ils exprimé sur les réseaux sociaux après avoir appris la nouvelle.
“Aujourd’hui, un ancien résident et grand athlète, Bernardino Pantoja Imperial R.I.P., surnommé le “Roi du Dribble”, nous a quitté physiquement. Ceux qui se souviennent de lui dans sa jeunesse le considèrent comme un grand athlète, dans le football, dans la boxe. Nous l’accompagnons avec tous ceux qui ajoutent leur silence à son silence…”, ont-ils ajouté.
“Je n’ai pas de mots pour remercier tant d’amour, de gentillesse, d’hospitalité, ses enseignements et les conversations relatives à notre peuple et à ses ancêtres”, ont-ils exprimé.
À l’extrême sud du continent sud-américain se trouve la Terre de feu, une terre composée d’îles réparties entre l’Argentine et le Chili longtemps baptisée « bout du monde ». En 2013, la chercheuse Lauriane Lemasson part en expédition en autonomie complète pour enregistrer les sonorités des paysages. Dans cette quête entêtante, la jeune femme espère trouver les traces d’occupations des peuples amérindiens qui vivaient là il y a près de 12 000 ans. #podcast patagonie
À l’extrême sud de l’Amérique du Sud, au sud du détroit de Magellan, la Terre de Feu constitue un chapelet d’îles partagées entre le Chili et l’Argentine, battues par les vents du Pacifique et de l’Atlantique. Longtemps considérée par les Européens comme « finisterre », elle offre un relief de steppes balayées par les rafales, de forêts primaires, de montagnes abruptes et de canaux glaciaires que sillonnent aujourd’hui quelques navires de recherche ou voiliers d’expédition. Cette géographie austère façonne l’imaginaire du podcast : dès les premières minutes, la narration convoque le fracas des rafales, le mugissement des vagues et les silences minéraux des plateaux battus par la bruine australe.
Une expédition en autonomie complète
En 2013, Lauriane Lemasson, alors jeune chercheuse en ethnomusicologie, décide de parcourir la Terre de Feu à pied pendant trois mois, sans assistance extérieure. Son objectif : saisir l’empreinte sonore de territoires désertés par la colonisation, cataloguer la signature acoustique de lagunes, forêts anémophiles, falaises littorales et vallées empreintes d’échos lointains. L’autonomie, souligne Camille Juzeau, n’est pas un simple gage de liberté ; c’est la condition d’une immersion prolongée qui bannit les moteurs, s’accommode de pénuries et accepte l’errance comme méthode d’exploration. Cette posture “low impact” correspond à la tradition d’ethnographie sonore in situ : l’enregistreur portatif devient journal de bord et laboratoire de terrain simultanément.
Lauriane Lemasson lors de l’expédition scientifique en autonomie complète en Terre de Feu argentine (2013)
Paysages sonores : enregistrer l’inaudible
Le cœur scientifique de l’expédition réside dans la captation de ce que l’on nomme en écologie sonore le soundscape : la combinaison de sons biophoniques (faune), géophoniques (vents, rivières, brisants) et anthropophoniques (traces humaines). Lauriane Lemasson utilise différents types de microphones pour capter les résonances du vent dans les lengas, le ressac sur les blocs de basalte, les cris des caracaras et la rumeur grave des colonies de lions de mer. Ces archives servent d’abord la recherche musicologique ; elles constituent surtout une mémoire vibrante d’écosystèmes fragiles soumis au réchauffement accéléré des latitudes australes.
Sur la piste des peuples Yagan et Selk’nam
Au-delà de la curiosité acoustique, l’ethnomusicologue nourrit un désir de rencontre avec l’histoire longue des premiers habitants : les Yagan (ou Yámana) nomades marins et les Selk’nam (ou Ona) chasseurs-pêcheurs de la steppe. Entre les xixe et xxe siècles, ces peuples furent décimés par la violence coloniale et les maladies. Lauriane Lemasson espère déceler, dans les vestiges matériels et sonores, les traces survivantes de leur présence plurimillénaire. Elle découvre ainsi des traces de campements, des coastal middens d’amas coquilliers, des pointes de flèches et autres objets lithiques laissés à même le sol. Ces témoignages deviennent des balises affectives, figeant la rumeur de vies disparues dans la mémoire sonore de la steppe.
Marcher pour se perdre : une méthode de terrain
Camille Juzeau insiste sur l’importance de la “dérive” volontaire au sein d’un espace sans sentier balisé. Faute de cartes détaillées, Lauriane Lemasson avance à l’estime, laissant la topographie guider le rythme des jours. Cette errance délibérée fait écho aux méthodes expérientielles chères aux géographes de l’extrême qui privilégient l’intuition, le corps-outil et la perception multisensorielle. À force de marche solitaire, l’exploratrice atteint l’état de « pilote automatique », un flux de conscience où chaque craquement de bois ou battement d’ailes devient signifiant : l’oreille précède l’œil, le micro remplace le compas.
Histoire enfouie et archéologie sensible
La Terre de Feu recèle une archéologie encore largement méconnue ; les fouilles programmées y sont rares, l’accès coûteux. Lemasson mentionne dans le podcast la découverte de harpon heads, de boleadoras et d’outils lithiques taillés, souvent affleurant le sol aride. Ces objets, témoins d’une occupation remontant parfois à 12 000 ans, rappellent la complexité des systèmes socio-techniques des Yagan et Selk’nam. L’archéologie “sensible” adoptée ici ne prélève pas de vestiges ; elle préfère les inventorier, les photographier, les contextualiser, puis laisser la terre refermer son secret, afin de respecter la souveraineté patrimoniale autochtone.
Hêtre fuégien sur la rive nord du canal Beagle (Terre de Feu argentine, 2013)
Écoute et mémoire : envers et contre le silence
Dans la narration, l’enregistrement devient acte politique : sauver le timbre d’un lieu avant qu’il ne s’altère sous la pression touristique ou climatique. Lemasson capte, par exemple, le craquement d’une langue de glace se désagrégeant au fond d’une caleta, l’écho d’un souffle d’otarie traversant le fjord, les rafales chargées d’air antarctique. Chaque empreinte sonore se mue en archive, transmissible aux chercheurs, artistes et communautés locales. Le podcast souligne ainsi la nécessité de préserver les paysages acoustiques comme patrimoine immatériel, au même titre que les objets muséaux.
Narration immersive de Camille Juzeau
Réalisatrice aguerrie, Camille Juzeau tisse un récit mêlant interviews et field recordings de Lauriane Lemasson avec les compositions d’Alice-Anne Brassac. Le montage superpose voix off, confidences de l’exploratrice et nappes sonores captées sur le terrain, créant une dramaturgie hypnotique. Par cette technique, l’auditeur traverse la steppe sous le vent, partage les haltes nocturnes dans la tente, entend les gouttes ruisseler sur la toile. Ce dispositif immersif incite à une écoute active des territoires évoqués.
Résonances contemporaines
L’expédition de 2013 prend un relief nouveau à l’heure où la Terre de Feu subit la pression minière, l’implantation de fermes aquacoles et le tourisme d’aventure de masse. Les données sonores collectées constituent dès lors une ligne de base pour mesurer l’évolution future du paysage acoustique. Par ailleurs, le renouveau des revendications autochtones (loi Lafkenche au Chili, renégociations territoriales en Argentine) confère au travail de Lemasson une dimension militante : restituer la présence des Yagan et Selk’nam en dehors des discours muséifiés. Cette expédition est aussi le point de départ, l’année suivante, de la fondation de l’association Karukinka.
Baie Lapataia (Terre de Feu argentine, 2013)
Invitation à l’écoute active
« Les ombres de la Terre de Feu » rappelle qu’écouter est un acte de présence au monde, qu’un micro tendu vers l’horizon capte autant l’immensité d’un territoire que la fragilité d’une culture. À travers la marche solitaire, l’enregistrement minutieux et le dialogue avec l’invisible, Lauriane Lemasson révèle les strates sonores d’une Patagonie archéologique, poétique et politique. Le podcast, porté par la plume sensible de Juzeau, invite chacun à devenir “audionome” : observateur attentif des bruissements planétaires.
Au-delà du récit d’aventure, l’épisode 31 des Baladeurs se présente comme une archive sensible de la Terre de Feu, conjuguant démarche scientifique, hommage aux peuples autochtones et plaidoyer pour la préservation de paysages sonores menacés. À l’écoute, on comprend que les ombres du passé vibrent encore dans les vents australs, que chaque pas dans la steppe réveille une mémoire enfouie, et que la quête d’un “son exact” est aussi la quête d’un lien juste entre l’humain et son environnement. Finalement, cette aventure rappelle que l’exploration n’est pas seulement affaire de conquêtes géographiques ; elle est aussi, et surtout, une recherche d’harmonie avec les espaces que l’on traverse et les histoires que l’on y écoute. Chaque souffle de vent enregistré, chaque coquillage craquant sous les semelles, chaque silence nocturne relayé par le micro devient alors un pont lancé entre science, art et mémoire, invitant les auditeurs à marcher eux aussi, intérieurement, vers ces ombres sonores qui peuplent encore la Terre de Feu.
Mort de Jean Raspail, écrivain et explorateur, auteur du «Camp des Saints»
Par Michaël Naulin Publié le 13/06/2020 à 14:22, mis à jour le 16/06/2020 à 18:52
DISPARITION – L’écrivain, journaliste et explorateur est mort samedi 13 juin à l’âge de 94 ans à l’hôpital Henry-Dunant à Paris, a appris Le Figaro. Adoré par certains, maudit par d’autres, l’auteur de Moi, Antoine de Tounens, roi de Patagonie et du Camp des Saints a marqué la littérature française de son univers.
Le consul général de Patagonie n’est plus. Écrivain, explorateur, aventurier, poète… Jean Raspail a marqué la littérature française du XXe siècle. Avant d’être aventurier des mots, l’homme a parcouru les terres isolées. Épaisse moustache, sourcils broussailleux, visage taillé au couteau, Jean Raspail était un être obstiné, fier de ses positions, assumant de ses profonds yeux bleus sa foi catholique et son attachement à la monarchie. Un écologiste royaliste, utopiste et aventurier. Jean Raspail était un romantique.
« À considérer les cheminements intérieurs de la vie, c’est là que je suis né, à l’âge de vingt-trois ans et neuf mois, par un matin glacial de printemps de l’année 1949 »Jean Raspail, «L’île Bleue»
Né le 5 juillet 1925 à Chemillé-sur-Dême en Indre-et-Loire, Jean Raspail est un enfant de la bourgeoisie. Son père est président des Grands Moulins de Corbeil et directeur général des mines de la Sarre. Pourtant, malgré les écoles privées et une éducation stricte, le jeune Raspail a des envies d’ailleurs. Trop jeune pour s’engager dans la Résistance, il devra attendre 1949 pour prendre le large. «À considérer les cheminements intérieurs de la vie, c’est là que je suis né, à l’âge de vingt-trois ans et neuf mois, par un matin glacial de printemps de l’année 1949», écrira-t-il dans L’île Bleue (Robert Laffont, 1990).
Le pêcheur de lune de 23 ans quitte alors son monde de confort pour l’aventure. Une équipée de jeunesse annonciatrice de 30 ans de voyages autour du globe, auprès des peuples menacés et aux confins des terres hostiles. Il a posé son sac en Terre de Feu, aux Antilles, en Alaska, au bord du lac Titicaca ou encore à Macao et en a rapporté des guides et des récits. Aventurier des mots et des terres isolées, ses premiers livres sont des reportages. Son premier vrai roman, Le Vent des pins, sort chez Juillard en 1958. Récit rédigé à la suite d’un voyage au Japon. De ces aventures, Raspail tira une quasi-biographie, un monument. Moi, Antoine de Tounens, roi de Patagonie, (Albin Michel, grand prix du roman de l’Académie en 1981). Histoire d’un jeune homme de Tourtoirac partit, vers 1860, conquérir la lointaine Patagonie. Raspail s’en amuse et s’autoproclame consul général de Patagonie. Des lecteurs lui écrivent pour lui demander d’être naturalisés patagons, ils veulent partager cet état d’esprit. Le mythe est né.
Le sulfureux Camp des Saints
Raspail écrit pour s’évader. Défenseur des causes perdues, il publie en 1986, Qui se souvient des hommes, suite à ses séjours chez les Alacalufs, peuple en Terre de feu annihilé et menacé d’extinction par le progrès. Son œuvre séduit par sa force, son obstination, et gagne de nouveaux lecteurs à chaque génération. Elle divise aussi. En 1973, l’écrivain publie ce qui deviendra un brûlot: Le Camp des Saints (Robert Laffont). Roman apocalyptique dans la France de 2050, confrontée à l’arrivée massive de migrants sur ses côtes. Prophète? Il s’en défendait. Les polémiques, elles, proliférèrent.
En 2011, le livre est réédité. L’auteur y ajoute une préface coup de poing, intitulée «Big Other». Dans cette même réédition, il ajoute en annexe toutes les pages tombant sous le coup de la loi. Le PDG de Robert Laffont, Leonello Brandolini, précise alors dans un avant-propos que son opinion n’est pas celle de l’auteur qu’il publie. L’auteur est associé à l’extrême droite, ses propos sont dénoncés. Daniel Schneidermann signera une tribune au vitriol contre l’auteur avec en titre: «Appeler racistes les racistes». Les lecteurs tranchèrent: 132.000 exemplaires vendus à ce jour.
Après Le Camp des saints, l’homme publiera une vingtaine d’ouvrages, beaucoup moins polémiques. L’âme utopiste du voyageur avait repris ses droits. Il revenait sur ses voyages à la rencontre des peuples oubliés. Un imaginaire romanesque fertile salué en 2003 par le Grand prix de littérature de l’Académie française pour l’ensemble de son œuvre. Ironique pour celui qui avait le sentiment de ne jamais avoir eu «la carte» auprès du milieu littéraire. Même le 9e art a dessiné ses traits émaciés et sa moustache éternelle. Le dessinateur Jacques Terpant adapte ses romans d’aventures. L’auteur de Moi, Antoine de Tounens, roi de Patagonie fait même une apparition dans le 19e Tome des aventures du célèbre milliardaire Largo Winch. Le dessinateur, impressionné par son physique so british, lui a emprunté ses traits pour un personnage.
La monarchie au cœur
La fleur de lys. Raspail l’arborait fièrement sur ses cravates. Son œuvre en était tout aussi couverte. Le fameux Sire (1991) (qui narre le sacre de Philippe Pharamond de Bourbon en 1999), Le Jeu du roi (1976), Le Roi au-delà de la mer (2000), ont nourri cet amour pour la monarchie. Profondément chrétien, l’homme tenait à ses convictions. Dans son appartement, les ouvrages des guerres de Vendée rappelaient son attachement royaliste. Le 21 janvier 1993, il organisa contre vents et marées une commémoration des 200 ans de la mort de Louis XVI, place de la Concorde, en présence de l’ambassadeur des États-Unis Walter Curley. En 1971, Raspail avait publié le Jeu du roi, roman où il évoquait un homme rêvant de son royaume évanoui en regardant la mer. Bravant les tempêtes, l’écrivain a tenu le cap, a continué à dire et écrire ce en quoi il croyait, sans fléchir. Le consul de Patagonie est mort, vive le consul!
3 livres de Jean Raspail à avoir lu:
•Moi, Antoine de Tounens, roi de Patagonie, Albin Michel, 1981
•Le Camp des saints, Robert Laffont, 1973
•Qui se souvient des hommes…, Robert Laffont, 1986
Publié le 22 avril 2020 à 10h00·Mis à jour le 22 avril 2020 à 13h00
Puerto Williams (Chili) (AFP) – Armé de son fusil, Miguel Gallardo fait face à une tâche colossale: traquer le castor, introduit dans la région dans les années 1940 et devenu depuis une plaie qui menace les forêts de la Patagonie chilienne.
A partir des 10 couples introduits en 1946, on compte aujourd’hui quelque 100.000 individus dans la zone de la Terre de feu, partagée entre le Chili et l’Argentine. Marcelo, lui, ne parvient à en abattre qu’une soixantaine à chaque saison.
“Le castor est très mignon, très intelligent, mais malheureusement, les dommages qu’il est en train de causer sur la végétation indigène et la faune sont énormes”, déclare à l’AFP ce chasseur qui a 15 ans d’expérience et organise aussi des visites touristiques sur l’Ile Navarino, à proximité de Puerto Williams, à l’extrême sud du Chili.
Avec leurs puissantes dents et leurs talents de bâtisseurs, le castors se sont parfaitement acclimatés à ce nouvel habitat, totalement dépourvu de prédateurs.
“Il faut les éradiquer, mais il ne s’agit pas non plus d’arriver et de leur tirer dessus dans l’eau et qu’ils y pourrissent”, ajoute ce chasseur, qui récupère les spécimens abattus pour utiliser leur fourrure “de très bonne qualité et assez chaude”.
En 1946, des militaires argentins ont rapporté d’Amérique du Nord dix couples de castors du Canada (castor canadensis) dans le but de monter une affaire de peaux et de fourrures en Terre de feu. Mais cela n’a finalement pas marché et ces castors ont été relâchés dans la nature.
Les deux pays voisins effectuent depuis les années 1980 des campagnes de contrôle pour tenter de réduire les populations de ces rongeurs, par des pièges ou des abattages. En face, les ONG de protection de l’environnement, comme l’Union de défense du droit animal de Punta Arenas, dénoncent la cruauté de ces méthodes ainsi que leur manque d’efficacité.
“Les défenseurs des animaux, je les comprends; je comprends que tuer un être vivant, un petit animal intelligent, c’est douloureux. Mais malheureusement, si nous ne prenons pas de mesures concernant le castor, nous allons nous retrouver sans forêt et sans végétation”, met en garde Miguel Gallardo.
– 23.000 hectares dévastés –
“Penser à éradiquer le castor n’est en rien un combat contre le castor mais un besoin de protéger le patrimoine naturel de notre pays”, abonde Charif Tala Gonzalez, responsable du département de conservation des espèces au ministère de l’Environnement.
En quelques années, ces rongeurs semi-aquatiques au pelage marron qui peuvent mesurer jusqu’à un mètre et peser 32 kilos ont fini par coloniser tout l’archipel de la Terre de feu.
Outre qu’il n’a pas de prédateurs naturels dans cette partie du globe, le castor vit en général longtemps, de 10 à 12 ans, durant lesquels il peut avoir 5 à 6 petits chaque année.
Cet animal est connu pour construire des barrages à partir de la végétation existante. Il installe ensuite sa tanière au milieu de la retenue qui se forme alors.
Cette montée des eaux fait mourir la végétation indigène et le peu d’arbres qui survivent sont abattus par les castors pour renforcer leur construction. Ils raffolent particulièrement des lengas centenaires, également appelés hêtres de la Terre de feu, et des coihues, connus sous le nom de hêtres de Magellan.
“La forêt ne peut pas se défendre (…) Tout ce qui reste au milieu de l’eau meurt, car nos forêts ne sont pas préparées à l’excès d’eau”, explique Miguel, le chasseur.
Les autorités chiliennes estiment que depuis leur introduction, les castors ont dévasté plus de 23.000 hectares de végétation indigène, entraînant un manque à gagner évalué à 62,7 millions de dollars à cause de la destruction du bois.
Ils ont également eu un effet sur l’ensemble de la flore et la faune de la zone, leurs barrages provoquant des inondations qui ont coupé des routes, des zones de pâturage et de culture.
“Les écosystèmes de la Patagonie sont uniques (…) Pour qu’ils redeviennent pleinement des forêts, nous parlons en centaines d’années, si les conditions sont réunies”, souligne Charif Tala Gonzalez.