Irlande-Ecosse, Transatlantique, Patagonie
 Le programme des stages 2024-2025 est en ligne !

Irlande-Ecosse, Transatlantique, Patagonie
 Le programme des stages 2024-2025 est en ligne !

Bonjour Ă  tous,

Vous l’avez peut-ĂȘtre remarquĂ©, le programme des stages pour la saison 2024-2025 est en ligne. Avec des navigations cĂŽtiĂšres et hauturiĂšres au nord et au sud, il y en a pour tous les goĂ»ts !

Milagro est actuellement en Irlande et Ecosse pour des stages cĂŽtiers au dĂ©part de Dublin jusqu’Ă  mi-septembre, puis ce sera au tour des navigations hauturiĂšres avec deux aller-retour entre Dublin et la Loire Atlantique en septembre et octobre, avant de faire franchement cap au sud, sur la Patagonie, le bout du monde auquel est dĂ©diĂ© Karukinka depuis ses dĂ©buts.

Karukinka est le nom de la Terre de Feu en selk’nam, peuple vivant entre le sud du dĂ©troit de Magellan et le canal Beagle. Certains travaux indiquent qu’il signifierait aussi “la derniĂšre terre des hommes” ce qui dans l’histoire des migrations prend tout son sens puisqu’il s’agit de la derniĂšre terre atteinte Ă  pied de l’histoire des migrations humaines.

Nous retournerons donc cette annĂ©e dans les canaux de Patagonie de la rĂ©serve de biosphĂšre du cap Horn pour complĂ©ter les travaux de Lauriane dans le cadre du projet “Cap Nord – Cap Horn” dĂ©butĂ© en 2022. Nous proposons Ă©galement quatre stages de voile de 18 jours au dĂ©part d’Ushuaia ou Puerto Williams entre fĂ©vrier et avril 2025 pour explorer ensemble ces Ăźles, fjords, montagnes et glaciers aussi beaux que passionnants.

Et avant cela, entre octobre 2024 et janvier 2025, nous vous proposons une sĂ©rie de stages haute mer durant les plus de 7000mn qui composent ce voyage, avec de belles escales en perspectives : Bretagne – Canaries (14 jours), Canaries – Cap Vert (9 jours), transatlantique Cap Vert – BrĂ©sil (20 jours), BrĂ©sil – Argentine (15 jours) et Buenos Aires – Terre de Feu (21 jours).

Depuis quelques semaines il est possible de rĂ©server nos stages directement en ligne via la plateforme HelloAsso et toutes les dates sont indiquĂ©es sur les pages des stages, avec un rĂ©sumĂ© des tarifs et conditions dans l’onglet “Demande de rĂ©servation“. Pour toute question nous sommes aussi joignables par mail (contact@karukinka.eu) tĂ©lĂ©phone et messagerie WhatsApp (+33 6 72 83 03 94).

Au plaisir de naviguer ensemble “ici”, “lĂ ” ou “lĂ -bas”, nous comptons toujours sur vous pour que le bouche Ă  oreille et la soif d’aventure continuent de nous composer de belles Ă©quipes Ă  bord !

Damien

PS: nous prĂ©voyons de carĂ©ner Milagro Ă  la Turballe la deuxiĂšme quinzaine de septembre: avis aux amateurs de dĂ©pense d’huile de coude pour nous filer un coup de main !

“Voyage au bout du monde” depuis la Rochelle !

“Voyage au bout du monde” depuis la Rochelle !

Si vous prĂ©voyez de passer Ă  la Rochelle cet Ă©tĂ©, ne manquez pas ce voyage au bout du monde ! CrĂ©Ă©e par SĂ©bastien Laurier et en partenariat avec l’association du phare du bout du monde et la ville de la Rochelle, cette fiction sonore et immersive vous transporte pendant une heure Ă  l’extrĂȘme sud de la Patagonie, au dĂ©part du bureau du port de la pointe des Minimes.

Plusieurs membres de l’association Karukinka ont participĂ© Ă  ce projet, dont Mirtha Salamanca (femme selk’nam membre du conseil participatif indigĂšne d’Argentine) et confiant sa voix française Ă  Marie-Pierre Lemasson, trĂ©soriĂšre de l’association et que Mirtha connaĂźt depuis 2019, lors de sa premiĂšre venue en France, dans le cadre du projet Haizebegi. Et oui, le personnage principal, Lauriane, n’est pas sans faire Ă©cho Ă  la fondatrice de Karukinka…

Pour en savoir plus et prĂ©parer votre tĂ©lĂ©portation en Terre de Feu et dans les canaux du sud du dĂ©troit de Magellan, rendez-vous sur la page dĂ©diĂ©e de l’office du tourisme de la Rochelle (https://www.larochelle-tourisme.com/a-faire/activites-de-loisirs/activites-de-loisirs-outdoor/voyage-au-bout-du-monde-une-fiction-sonore) et sur le site de l’association du phare du bout du monde (https://lephareduboutdumonde.com).

Et si vous voulez aller encore plus loin, venez avec nous visiter le “vrai” phare du bout du monde avec nous l’hiver et le printemps (du nord!) prochains (fĂ©vrier-avril 2025) Ă  bord du voilier de l’association : Milagro. Plus d’informations sur : https://karukinka-exploration.com/patagonie-2025/

[#8 – Irlande – Ecosse 2024] de Loch Buie Ă  l’üle sacrĂ©e Iona

[#8 – Irlande – Ecosse 2024] de Loch Buie Ă  l’üle sacrĂ©e Iona

De bon matin nous levons l’ancre au moment de l’étale et Ă  quelques encablures du chĂąteau Moy, dans le Loch Buie (Ăźle Mull). La nuit dans ce loch ouvert au sud-ouest a Ă©tĂ© moyennement agrĂ©able : en cause une petite houle du sud arrivĂ©e avant le vent prĂ©vu dans la mĂȘme direction et qui fait que Milagro a eu la fĂącheuse tendance Ă  se maintenir travers Ă  cette houle (et Ă  nous bercer, certes, mais nous nous en serions passĂ©!).

Entre le dĂ©marrage moteur, la levĂ©e du mouillage, le nettoyage du lot de graviers et vase qui maculait la chaĂźne et l’ancre, et l’envoi des voiles pour n’avancer que grĂące Ă  elles, nous Ă©tablissons un nouveau record du temps d’utilisation minimale du moteur : 20 minutes ! C’est sous artimon et yankee que nous sortons du loch, au prĂšs Ă  5,5 noeuds : Ă  quoi bon forcer ?

Les prĂ©visions sont bonnes (Sud 3 Ă  5 Ă©voluant 2 Ă  4 durant quelques heures, avant de passer 3 Ă  5 puis de changer de direction pour Nord-Ouest 4 Ă  6 au sud de l’üle Mull. Nous profitons de la marĂ©e descendante pour rester Ă  bonne distance de la cĂŽte sud malgrĂ© une allure travers. Cette partie de l’üle situĂ©e entre le Loch Scridain (au nord) et la fin du Firth of Lorn (au sud) forme une pĂ©ninsule appelĂ©e Ross of Mull. Plus nous nous dirigeons vers l’ouest plus les fonds deviennent complexes, avec de nombreux rĂ©cifs entre lesquels passer pour atteindre notre objectif : Iona.

Les falaises de basalte (encore des orgues!) ont par endroit pris la forme de grottes et d’arches sculptĂ©es par l’érosion, et sont entrecoupĂ©es de magnifiques cascades et de criques de couleur turquoise. Abstraction faite de la tempĂ©rature de l’eau (14 dĂ©grĂ©s), cette couleur nous inciterait Ă  la baignade ! InterpelĂ©s par la beautĂ© du paysage, nous changeons de cap pour nous approcher au portant de la cascade de Malcolm’s Point, avant de reprendre notre route vers l’ouest.

Progressivement apparaissent les passages plus exigeants, dont ceux des Torran Rocks signalĂ©s par la cardinale Bogha nan Ramfhear et l’entrĂ©e vers le sud du Sound of Iona. Une fois encore, de nombreux moments de solitude (et de rire Ă©videmment) ponctuent nos indications de noms des rochers, baies, Ă©cueils, Ăźles et caps ! Nos rencontres avec des locaux ne parlant pas gaĂ©lique nous ont tout de suite rassurĂ©s quand nous avons Ă©voquĂ© ce point avec eux : ils bredouillent eux aussi ! Pour vous faire une petite idĂ©e, nous vous invitons Ă  jeter un oeil Ă  la carte de cette zone!

Carte de navigation Ross of Mull - Iona, du CCC du Kintyre Ă  Ardnamurchan.

Carte extraite de la 3e Ă©dition du guide du Clyde Cruising Club, du Kintyre Ă  Ardnamurchan (p.180)

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Nous entrons dans le chenal sĂ©parant le Ross of Mull de Iona Ă  la voile (au portant, 5,5 noeuds). Seul voilier Ă  la voile dans le chenal en cette fin d’aprĂšs-midi, nous nous refusons de gagner le nord Ă  l’aide du moteur. Nous prĂ©fĂ©rons prendre le temps de bien Ă©tudier la carte et de chercher les repĂšres visuels Ă  terre pour rĂ©aliser la traversĂ©e du chenal en nous basant exclusivement sur les alignements (cathĂ©drale, Bull Hole,
) et indications du sondeur, plutĂŽt que de suivre les Ă©crans. Nous rĂ©alisons plusieurs relĂšvements au compas et manoeuvres d’empannage dans des passages relativement Ă©troits pour contourner des sondes d’un grand banc de sable et rochers comprises entre 10cm et 1m60, puis l’üle Eilean nam Ban et ses couleurs incroyables sur notre tribord. A la sortie l’espace s’ouvre Ă  nouveau et nous rejoignons le mouillage de Port na Fraing et sa plage de sable blanc, rien que pour nous et sur 7m de fond ! (ceux de Martyrs’ Bay ou de Bull Hole sont plus frĂ©quentĂ©s). Les 4 Ă  6 Beaufort prĂ©vus arrivent en fin de journĂ©e et nous sommes bien Ă  l’abri dans le chenal, sous le vent d’Iona.

AprĂšs une nuit reposante, nous partons en annexe vers le quai du ferry de Martyrs’ Bay pour visiter ce lieu sacrĂ© de l’histoire Ă©cossaise dont nous avait parlĂ© Vicky Gunn, chercheuse en histoire mĂ©diĂ©vale que nous avions rencontrĂ© Ă  Loch Melfort.

Iona ferry pontoon

Iona est une petite Ăźle ouverte sur l’Atlantique avec pour seul terre Ă©mergĂ©e vers l’ouest Ă  cette latitude les dangereux parages de Skerryvore (aprĂšs eux c’est le Canada). Elle est bordĂ©e de rĂ©cifs dont les noirs rochers contrastent avec des plages de sable blanc. DotĂ©e d’un petit village comprenant tous les services essentiels (dont une petite Ă©cole primaire) et plusieurs artisans (potiers, sculpteurs sur bois, joaillers, vanniers, tisseurs
), Iona est considĂ©rĂ©e comme l’un des principaux lieux spirituels d’Ecosse. Nombreux sont ceux qui y viennent en pĂšlerinage et/ou pour trouver le calme lors de retraites spirituelles.

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Pourquoi cette petite Ăźle est-elle donc si importante ? C’est ce que nous allons vous partager plus en dĂ©tails grĂące aux informations transmises par Vicky, lors de notre visite puis des lectures et recherches qui s’en sont suivies.

Le premier constat est que l’importance culturelle et historique d’Iona est complĂštement disproportionnelle Ă  sa taille. HabitĂ©e au moins depuis l’Âge du Bronze comme le montrent le site de BlĂ r Buidhe, ce n’est qu’à partir du VIe siĂšcle que l’importance d’Iona est documentĂ©e. Plusieurs toponymes lui sont associĂ©s, dont “Ì”, “Ì Challuim Chille” (Iona de St Columba pour Ă©viter les confusions), “Eilean Idhe” (l’üle de Iona) et “Ì nam ban bĂČidheach” (Iona de la belle femme en gaĂ©lique), et ses habitants s’appellent les Idheach.

En 563 arrivĂšrent du nord de l’Irlande et Ă  la voile Columba et ses douze disciples. Ils fondĂšrent la deuxiĂšme mission de christianisation de l’Ecosse, un siĂšcle et demi aprĂšs la prĂ©cĂ©dente menĂ©e par Ninian sur l’üle Whithorn en 397 et dont les prĂ©ceptes auraient Ă©tĂ© diffusĂ©s jusqu’aux Ăźles Shetlands. Le choix d’établir une Ă©glise et un monastĂšre sur Iona Ă©tait stratĂ©gique puisque cette Ăźle Ă©tait situĂ©e sur une voie navigable permettant de relier Inverness et l’Irlande, mais aussi tout le monde celte. Comme Holy Island et Portmahomack, Iona devint rapidement un pĂŽle de diffusion de la version celte de la religion chrĂ©tienne et de nouvelles idĂ©es et crĂ©ations (dont enluminure/calligraphie, musique, peinture et artisanat d’art). Le faire depuis cet endroit Ă©tait trĂšs efficace car il Ă©tait situĂ© sur un axe d’échanges culturels et commerciaux principal de l’époque. La petite communautĂ© installĂ©e lĂ  dĂ©veloppa Ă©galement une Ă©conomie de subsistance avec une importante activitĂ© agricole (cultures cĂ©rĂ©aliĂšres et Ă©levage), de pĂȘche et de construction. Ils n’étaient pas non plus complĂštement autonomes puisque pour un usage liturgique ils faisaient venir du vin, des pigments et des huiles du sud de la France ! Durant 34 ans, Columba dĂ©veloppa des liens Ă©troits avec la royautĂ©, convertissant par exemple le roi Bruce et les Picts au christianisme, Ă  la suite d’un combat spirituel qu’il gagna contre le rĂ©fĂ©rent de leur royaume. Columba aida Ă©galement, jusqu’à sa mort en 597, Ă  l’établissement d’un royaume indĂ©pendant en Ecosse de l’ouest : l’Argyll. La plupart de ces informations est parvenue jusqu’à nous grĂące Ă  AdomnĂ n, diplomate, successeur et biographe de St Columba ayant dirigĂ© la mission durant 25 ans, au VIIe siĂšcle. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages majeurs pour comprendre cette Ă©poque dont La Vie de Saint Columba (“Vita Sancti Columbae”, env. 690) et La Loi des Innocents (“Lex Innocentium” de 697).

Aux VIIIe et IXe siĂšcles, les Vikings attaquĂšrent Ă  plusieurs reprises Iona, attirĂ©s par les trĂ©sors du monastĂšre. En 825 eu lieu l’un des pires raids viking : l’abbĂ© Blathmac et les moines l’accompagnant furent torturĂ©s dans le but de leur faire avouer le lieu oĂč Ă©taient cachĂ©es les reliques de St Columba, un poĂšme indiquant qu’ils reposeraient dans un coffre recouvert d’or et d’argent. Suite Ă  l’absence d’aveux, ils furent massacrĂ©s dans une baie nommĂ©e ensuite Martyrs’ Bay. La peur de ces raids et leur rĂ©pĂ©tition Ă©taient telles que s’en Ă©tait dĂ©jĂ  suivit un exode de nombreux religieux qui avaient pris le soin d’emporter avec eux les plus importantes reliques (dont les os de St Columba) et un autre trĂ©sor: le Livre de Kells (crĂ©Ă© Ă  Iona 200 ans aprĂšs la mort de St Columba, ce livre est considĂ©rĂ© comme l’un des plus remarquables ouvrages religieux de l’époque et est dĂ©sormais visible au Trinity College de Dublin). MalgrĂ© ces attaques continues, le monastĂšre resta actif et ce n’est qu’au Xe siĂšcle que la frĂ©quence des raids diminua, lorsque les Vikings installĂ©s dans les HĂ©brides se convertirent au christianisme, adoptant St Columba comme leur saint patron. Plusieurs pierres tombales gravĂ©es et conservĂ©es dans le musĂ©e montrent l’influence viking avec des inscriptions runiques.

Au XIe siĂšcle Iona et la plupart des Ăźles de l’ouest Ă©cossais Ă©taient sous le pouvoir du roi de NorvĂšge. La distance compliquant grandement les possibilitĂ©s de gouverner la rĂ©gion, ce dernier confia cette tĂąche Ă  un guerrier gaĂ©lico-norvĂ©gien : Somerled. Ce dernier devint le premier Seigneur des Îles, prenant le contrĂŽle d’une rĂ©gion s’étendant du Kintyre aux HĂ©brides extĂ©rieures et ayant pour descendants les MacDougalls of Lorn, MacDonalds of Islay et MacRuairis of Garmoran, plusieurs d’entre eux ayant jouĂ© un rĂŽle essentiel dans les manoeuvres politiques et guerres d’indĂ©pendance du XIVe siĂšcle.

Lors de notre excursion Ă  terre et pour nous rendre Ă  l’abbaye, nous avons traversĂ© les ruines d’un couvent et suivi la rue des morts (“SrĂ id nam marbh”), une rue pavĂ©e de granit rose reliant la baie des Martyrs avec le tombeau de St Columba situĂ© au centre de l’abbaye bĂ©nĂ©dictine construite au XVe siĂšcle. Cet itinĂ©raire n’est autre que celui empruntĂ© par les pĂ©lerins et lors des processions dĂ©diĂ©es aux sĂ©pultures d’acteurs importants du monde gaĂ©lique dans le cimetiĂšre Reilig Odhrain entourant la chapelle St Oran construite au XIIe siĂšcle (la plus vieille structure intacte de l’üle). Dans ce cimetiĂšre reposeraient 48 rois d’Ecosse (dont Macbeth / Mac Bethad), des membres du clan MacDonald Seigneur des Îles ayant pour certains des ascendants Norse (MacKinnons, MacLeans et Macleods) et, dans la petite chapelle d’une simplicitĂ© dĂ©concertante, les corps des plus importants seigneurs et chefs de guerre des Ăźles de l’ouest Ă©cossais. De nombreuses pierres tombales anciennes sculptĂ©es sont encore dans ce cimetiĂšre et d’autres ont Ă©tĂ© dĂ©placĂ©es pour mieux les prĂ©server dans le musĂ©e ou le cloĂźtre de l’abbaye. Les premiĂšres croix sur les tombes, assez conventionnelles aujourd’hui, seraient apparues Ă  Iona aux environs de l’an 600, comme le montre les plus anciennes croix ornĂ©es de symboles sophistiquĂ©s et aux designs variĂ©s, comme le montrent les diffĂ©rents exemples vus dans le musĂ©e adjacent Ă  l’abbaye.

St Oran Chapel

Nous sortons ensuite de ce cimetiĂšre pour nous rendre sur le promontoire rocheux (“Torr an aba”) faisant face Ă  l’abbaye et d’oĂč Columba travaillait. Cet emplacement offre une vue imprenable sur le Sound of Iona, l’extrĂ©mitĂ© du Ross of Mull et la petite chapelle abritant le tombeau de St Columba situĂ©e juste derriĂšre la rĂ©plique d’une imposante croix en granit sculptĂ©e et dĂ©diĂ©e Ă  St Jean (l’originale est dans le musĂ©e). Cette abbaye a Ă©tĂ© construite aprĂšs l’arrivĂ©e au XIIIe siĂšcle de moines bĂ©nĂ©dictins et de soeurs augustiniennes invitĂ©s par Ranald, Seigneur des Îles et descendant de Somerled, pour revitaliser la vie religieuse sur l’üle et moyennant des moyens de subsistances plus consĂ©quents. Plusieurs attaques armĂ©es vinrent saboter ce nouveau monastĂšre, plusieurs chefs religieux irlandais n’acceptant pas de perdre leur connexion et leur influence sur Iona. A la suite du traitĂ© de Perth (1266) entre la NorvĂšge et l’Ecosse, Iona revint au royaume d’Ecosse et devint progressivement un important lieu de pĂšlerinage, jusqu’à la RĂ©formation de 1560 qui signa la fin des monastĂšres en Ecosse.

Plusieurs tentatives de restauration ont ensuite Ă©tĂ© menĂ©es, sans succĂšs, conduisant progressivement les bĂątiments Ă  l’état de ruines Ă  la fin du XIXe siĂšcle, comme l’attestent plusieurs photographies prises avant d’importants travaux. Le 8e Duc d’Argyll, propriĂ©taire de l’üle, commissionna un architecte pour consolider les ruines puis cĂ©da l’abbaye, le cimetiĂšre et le couvent au Iona Cathedral Trust en 1899. D’importants travaux de rĂ©novation furent lancĂ©s et 6 ans plus tard, un premier office pu dĂ©jĂ  ĂȘtre rĂ©alisĂ© dans l’église partiellement rĂ©novĂ©e. Les dĂ©cennies suivantes furent dĂ©diĂ©es Ă  la restauration du monastĂšre et de toute la partie ouest du cloĂźtre, sous l’impulsion de la Iona Community, une communautĂ© chrĂ©tienne travaillant pour la paix et la justice sociale et ayant des membres dispersĂ©s dans le monde entier. En 2000 le Iona Cathedral Trust finit par cĂ©der l’abbaye, le cimetiĂšre, l’église Saint Ronan et le couvent au monuments historiques d’Ecosse. La cathĂ©drale est aujourd’hui en bon Ă©tat et entretenue grĂące aux fonds issus des visites et de dons.

Iona LL

Bref, vous l’aurez compris, Iona est le lieu Ă  ne pas manquer lorsque vous vous rendez aux HĂ©brides, c’est un peu le “St Jacques de Compostelle” Ă©cossais et quitte Ă  faire le pĂšlerinage, celui-ci se fait selon nous plutĂŽt Ă  la voile qu’à pieds. MĂȘme si vous n’ĂȘtes pas passionnĂ©.e d’histoire, la beautĂ© du monument et de ses environs sont marquants, ils ouvrent une parenthĂšse qui vous transporte Ă  diffĂ©rentes Ă©poques et permettent de porter ensuite un autre regard sur ces Ăźles. Iona crĂ©e un vĂ©ritable espace pour l’imaginaire, faisant finalement Ă©cho Ă  ce que nous recherchons aussi dans la navigation et les longues dĂ©connexion du tumulte qu’elle procure, en harmonie avec car dĂ©pendants des Ă©lĂ©ments. Cette sensation se retrouve aussi rĂ©sumĂ©e dans les mots du compositeurs Felix Mendelssohn, en 1829, mentionnĂ©s sur l’un des murs de la sortie du cloĂźtre : “When in some future time I shall sit in a madly crowded assembly with music and dancing round me, and the wish arises to retire into the loneliest loneliness, I shall think of Iona.” (traduction : “Quand dans le futur je serai assis au sein d’une assemblĂ©e follement bondĂ©e, avec de la musique et des danses autour de moi, et que se fera sentir le dĂ©sir de me retirer dans la solitude la plus solitaire, je penserai Ă  Iona.”)

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N’ayant pas vu le temps passer, ce n’est que tard dans l’aprĂšs-midi que nous rejoignons Milagro, grignotant rapidement quelque chose avant de lever l’ancre pour profiter des bonnes conditions pour rejoindre Staffa puis Ulva avant la tombĂ©e de la nuit.

Iona LL 8

Petit bonus : les lumiÚres du couchant sur les récifs et embruns au sud de Iona quelques semaines plus tard, au retour des ßles Treshnish.


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Pour aller plus loin, voici nos sources :

  • “Pocket Scottish History”, ouvrage collectif dirigĂ© par James Mackay, Lomond Books, Broxburn, 2019.
  • “About Mull, Iona, Ulva, Staffa, Treshnish isles”, dirigĂ© par Rosalind Jones, St Columba Gruline, Argyll, ?.
  • “Iona Abbey and Nunnery”, Peter Yeoman et Nicki Scott, Historic Scotland Alba Aosmhor, Édinbourg, 2022.
  • “Kintyre to Ardnamurchan” Clyde Cruising Club, Imray, Cambridgeshire, 2020.
  • “Hebridean Voyages : an anthology of sea crossings to the western islnads of Scotland, 1822-1955” Colin Tucker, Acair, Stornoway, 2023.
  • “A Journey to Scotland and the Hebrides” Samuel Johnson et James Boswell, Everyman’s Library, Londres, 2002 (1909)
  • “The Placenames of Scotland” Iain Taylor, Birlinn, Édinbourg, 2022.
  • “Mull family names for ancestor hunters” Jo Currie, Brown et Whittaker, Tobermory, 2017.
  • https://www.dailymail.co.uk/sciencetech/article-4682486/Archaeologists-prove-wooden-hut-used-St-Columba.html
[#7 – Cap au Nord 2024] De Loch Melfort à l’üle Mull, via le Firth of Lorn

[#7 – Cap au Nord 2024] De Loch Melfort à l’üle Mull, via le Firth of Lorn

C’est aprĂšs une superbe escale faite de rencontres aussi belles que les paysages environnant que nous quittons Loch Melfort pour nous diriger vers le sud de l’üle Mull. Pour ce faire, plusieurs options existent et nous retenons celle du Cuan Sound, un chenal (assez) Ă©troit sĂ©parant l’üle Seil de ses voisines du sud, Luing et Torsa. Les conditions Ă©tant trop calmes pour avancer uniquement Ă  la voile et arriver Ă  temps pour le bon moment de marĂ©e, c’est avec un appui moteur que nous nous engageons dans le chenal. Les “eddies” (tourbillons) indiquĂ©s sur la carte sont bien lĂ , accompagnĂ©s de veines de courant assez anarchiques au passage par le nord d’An ClĂ©iteadh. L’équipage du petit ferry de Cuan, reliant Seil et Luing, nous salue et, passĂ©es quelques ruines en sortie de chenal oĂč paissent ovins et bovins, nous entrons dans le Firth of Lorn intĂ©rieur (Ann Linne Latharnach en gaĂ©lique), hissons les voiles et Ă©teignons le moteur pour traverser cette baie au portant et toutes voiles dehors, sous un grand ciel bleu sans nuages.

Cruan Sound Karukinka

Le Firth of Lorn(e) est une baie situĂ©e dans la continuitĂ© de la faille Great Glen (celle du canal CalĂ©donien). Ce lieu est classĂ©e, compte tenu de la diversitĂ© des paysages et des espĂšces qui le peuplent, en tant qu’aire protĂ©gĂ©e depuis 2014. Comme le montrent les cartes bathymĂ©triques du Firth of Lorn, le relief des fonds est semblables Ă  celui de la surface : des falaises, des replats et des pics. Tout ceci participe Ă  crĂ©er des conditions trĂšs diverses oĂč se rencontrent des espĂšces atteignant respectivement leurs limites de migration nord ou sud. La morphologie des fonds et son ouverture vers l’Atlantique font qu’il vaut mieux s’y prĂ©senter par beau temps pour Ă©viter les vagues statiques et les tourbillons. Les effets de la marĂ©e y sont forts, avec d’importants courants issus de la Great Race. En notre faveur lors de la traversĂ©e, ce courant nous accompagne vers le Loch Spelve.

Nous entrons sous voile en soirĂ©e, le long de falaises verdoyantes et nous rĂ©vĂ©lant les premiers tĂ©moignages d’un volcanisme actif il y a plus de 40 millions d’annĂ©es : des colonnes de basalte (issues de la lave) Ă  l’est et au sud du loch et un mĂ©lange de granophyre (contenant du quartz) et de grĂšs incrustĂ© d’olivine (roche sĂ©dimentaire sableuse) Ă  l’ouest et au nord.

Basalt Karukinka
[#7 – Cap au Nord 2024] De Loch Melfort à l’üle Mull, via le Firth of Lorn 26

Nous laissons de chaque cĂŽtĂ© des fermes marines et jetons l’ancre au fond du loch ouest, au son des cris des huĂźtriers pies en vol et des bĂȘlements des moutons. Le calme y est total et pas un remous ne rompt la quiĂ©tude nocturne.

Le lendemain nous partons Ă  pieds pour le Loch Uisg, un grand lac situĂ© dans l’axe de la faille Great Glen et entourĂ© par Loch Spelve au nord-est et Loch Buie au sud-ouest. Tout le long du chemin nous nous Ă©merveillons des rhododendrons qui, contrairement Ă  chez nous oĂč ils sont de taille arbustive, composent de vĂ©ritable bois denses et richement colorĂ©s. L’église Kinlochspelve surplombe la rive est et s’ouvre devant nous l’horizon d’un plan d’eau sur lequel chacun imagine quel sport il pourrait y pratiquer : planche Ă  voile, kayak, wingfoil, kite, dĂ©riveur
 les idĂ©es ne manquent pas et le petit ponton voisin d’un lodge nous confirme que nous ne sommes vraiment pas les premiers Ă  y penser !

Nous continuons notre marche vers Loch Buie afin de visiter le chĂąteau Moy du clan des MacLaine de Lochbuie. Construit en 1450 par Hector Reaganach Maclean, ce chĂąteau de trois Ă©tages et directement alimentĂ© en eau douce au rez de chaussĂ©e, a Ă©tĂ© reconnu par le roi d’Ecosse en 1494. Il a Ă©tĂ© Ă©rigĂ© Ă  deux pas de la rive afin de permettre aux navires d’y accĂ©der aisĂ©ment. Un arc de pierres toujours visible servait de piĂšge Ă  poissons et plusieurs gros blocs facilitent le dĂ©barquement depuis de petites embarcations. Il fĂ»t le thĂ©Ăątre d’affrontements comme lors de la rĂ©volte jacobite de 1689. Ce chĂąteau a dĂ» ĂȘtre restaurĂ© Ă  l’issue de cette pĂ©riode et a aussi Ă©tĂ© modifiĂ© au fil des siĂšcles pour en amĂ©liorer le confort (ex: installation d’une cheminĂ©e au XVIe sicĂšle). Ce n’est qu’en 1790 que le clan des MacLaine de Lochbuie le quitta au profit d’un habitat voisin plus confortable, une fois des temps plus paisibles revenus : la maison Moy. Durant plusieurs dĂ©cennies l’utilisation du Moy Castle s’est retrouvĂ©e rĂ©duite Ă  celle de son donjon en tant que prison.

Le loch est tellement beau que nous nous dĂ©cidons Ă  y revenir avec Milagro et profitez d’une nouvelle excursion le lendemain vers les mĂ©galithes. Au retour Ă  Loch Spelve nous ne sommes plus seuls au mouillage et rencontrons le sympathique Ă©quipage voisin, un trio d’écossais impressionnĂ©s par la taille et la ligne de notre Milagro. Nous les invitons Ă  bord pour le cafĂ© du lendemain matin, avant de lever l’ancre vers Loch Buie.

Loch Spelve Karukinka3

La navigation se fait au travers (4-5 beaufort) sous le vent de l’üle Mull. Nous nous approchons du Moy Castle et savourons une vue splendide sur le plus haut sommet du loch : Ben Buie (717m). Nous jetons l’ancre dans une Ă©chancrure du loch et dĂ©barquons pour aller voir ces fameuses mĂ©galithes. Il fait si beau que des baigneurs profitent de la plage voisine et nous, nous ne tardons pas Ă  quitter les coupe-vent et prĂ©fĂ©rer les t-shirts. La ballade vers les mĂ©galithes nous mĂšne Ă  la rencontre d’une rĂ©union entre cervidĂ©s et ovins. Nous suivons les pierres blanches nous indiquant le chemin jusqu’au cercle de mĂ©galithes. Avant l’arrivĂ©e, un autre site est repĂ©rĂ© par Lauriane, Ă  quelques centaines de mĂštres, semblable Ă  certaines tombes de type tumuli visibles au sein du site mĂ©galithique de Saint Just en Bretagne (composĂ©es de plusieurs chambres et d’un couloir d’entrĂ©e). La vue du cercle de mĂ©galithes fascine : que signifie t’il ? L’absence de consensus scientifique sur le sujet permet Ă  chacun d’y projeter son imaginaire et d’y voir un site rituel, un monument liĂ© Ă  l’alignement des astres ou encore un lieu de rassemblement pour faire la fĂȘte !

AprĂšs un dĂźner au mouillage le ciel se charge et un peu de roulis apparaĂźt pour nous bercer. Nous nous prĂ©parons pour la navigation suivante vers Iona, l’üle sacrĂ©e.

D’ici peu nous publierons une petite vidĂ©o rĂ©sumant nos escales Ă  Loch Spelve et Loch Buie et intĂ©grant des images du cercle de mĂ©galithes.

TÉMOIGNAGE. « Vous avez fait le cap Horn avec ça ? » (Voiles et Voiliers, 19/5/2024)

Sonia Blampain relate sa navigation en Ă©quipage qui a menĂ© Capella, un sloop de 40 pieds, de la Bretagne jusqu’à la Terre de Feu. À l’arrivĂ©e Ă  Ushuaia, un grand moment de bonheur et de fiertĂ©.

Le canal de Beagle
Le canal de Beagle | D.R.

Cela fait bientĂŽt huit mois que je vis avec le capitaine le voyage de Capella vers le cap Horn ! Nous avons d’abord Ă©tĂ© six mois en Ă©quipage, Ă  quatre. Capella, c’est un sloop de 40 pieds de 2007 de chez BĂ©nĂ©teau. AchetĂ© en 2011 Ă  Cherbourg, il a Ă©tĂ© entiĂšrement prĂ©parĂ©Ì l’hiver dernier pour ce pĂ©riple, aprĂšs un convoyage, Ă  l’étĂ© 2022, avec un ami, Éric, de LĂ©ros en GrĂšce jusqu’à LocmiquĂ©lic en Bretagne, oĂč j’étais dĂ©jĂ  !
. Il s’est assurĂ© que je tenais la mer. Avec Patrick, le second de cette nouvelle aventure, ils ont notamment fabriquĂ© une casquette en contreplaquĂ© marine et plexiglas, pour affronter les vents redoutables de la terre de feu, du canal de Beagle, du dĂ©troit Le Maire et de l’archipel du Horn


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Patrick et le capitaine font la casquette
 | D.R.

C’est son Graal de marin, le Horn : le capitaine navigue depuis l’enfance, il a tout appris de son pĂšre, pilote d’un sous-marin et heureux propriĂ©taire d’un pĂȘche-promenade – un luxe dans les annĂ©es 70. D’autres de la lignĂ©e ont eu Ă©galement le pied marin ; ce passage du fameux cap, c’est un clin d’Ɠil Ă Ì€ tous ces ancĂȘtres, grands-oncles (dont un qui fut capitaine au long cours), un arriĂšre-grand-pĂšre maĂźtre saleur sur un terre-neuvas (encore Ă Ì€ la voile), mort d’une gangrĂšne et inhumĂ© en mer Ă Ì€ Terre-Neuve et son grand-pĂšre maternel, dĂ©corĂ©Ì de la Croix de guerre aprĂšs la bataille de NorvĂšge, lors de la Seconde Guerre mondiale
 Tous des grands bourlingueurs des mers !

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Capella face au cap Horn, le 16 janvier 2024. | D.R.

Cette traversĂ©e audacieuse s’est faite en deux temps : partant de LocmiquĂ©lic, nous avons mis le cap pour les Canaries en aoĂ»t 2023. À bord, Patrick, CĂ©cile, le capitaine et moi-mĂȘme. Nous avons eu des conditions de navigation idĂ©ales, nous avons Ă©tĂ© souvent entourĂ©s de dauphins, il y a eu une petite saute d’humeur de « Robert Â», le pilote automatique, un soir de vent mais rien d’alarmant ! Nous avons fait une escale Ă  Porto puis Ă  Lisbonne. Ensuite nous avons dĂ©couvert (ou redĂ©couvert pour certains) MadĂšre avec le dĂ©part de CĂ©cile et l’arrivĂ©e de Marc en VIP.

Escale aux Selvagens

Nous avons repris nos navigations vers les Canaries et nous avons dĂ©barquĂ© tels des aventuriers, jouant avec le ressac sur l’archipel des Selvagens oĂč l’un des gardiens nous a promenĂ©s parmi les rochers et les nids de puffins, magnifique !

Enfin, nous sommes arrivĂ©s jusqu’à la jolie ville de Santa Cruz de la Palma pour atteindre un peu plus tard Tenerife, oĂč le bateau nous attendra trois semaines, le temps d’un retour en Bretagne afin de rĂ©gler des affaires et de revoir les proches, notamment le fils du capitaine, Josselin, sportif des mers lui aussi
 Et pour moi, l’occasion de faire un vol planĂ© dans des escaliers ! Pas de casse mais un corps couvert d’ecchymoses, un pied droit foulĂ© me donnant un handicap certain pendant les deux mois suivants, et sur un voilier, c’est pas le pied !

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Capella sous spi quittant la Canaries. | D.R.

La deuxiĂšme partie du pĂ©riple vers le grand sud, mi-octobre, s’organise encore Ă  quatre mais cette fois avec Pierre-Ahn, moussaillon sur le bateau familial dĂšs l’enfance. Il a pris la place de CĂ©cile dans la cabine avant !

Le 23 octobre 2023, nous larguons les amarres, cap sur Mindelo
 Comme la voile est une activitĂ© sportive pleine de surprises, c’est Ă Ì€ ce moment-lĂ  que le pilote dĂ©cide de faire de sĂ©vĂšres caprices, un coup je marche, un coup je ne marche pas, sans prĂ©venir et sans logique ! Nous sommes aux aguets et le capitaine trĂšs soucieux
 Responsable, il nous invite Ă Ì€ continuer Ă Ì€ dessiner de nouveaux sillages avec Capella, il va trouver une solution. Lors d’une prise de ris, c’est la grand-voile qui va se dĂ©chirer, un mouillage s’impose pour une rĂ©paration illico presto. En prime, un boulon qui tient le safran est cassĂ© ! La mer : Â« Ne rien attendre sinon l’inattendu ! Â»

« Roberta Â», un nouveau pilote

Nous poursuivons notre route, la dĂ©cision a Ă©tĂ© prise de changer de pilote. Murielle, une amie, nous rejoindra Ă Ì€ Mindelo avec « Roberta Â», un nouveau modĂšle qui pour ce long pĂ©riple loin d’ĂȘtre anodin, nous est essentiel ! Sa valise sera chargĂ©e


Car, au cours du trajet, vers trois heures du matin, c’est au tour du rail de chariot de grand-voile de nous faire des siennes, il explose lors d’un empannage, Ă  cause des caprices de Robert
 Allez hop ! Tout le monde sur le pont, Ă Ì€ aider Ă  la rĂ©alisation d’une rĂ©paration de fortune. Le vent souffle Ă  25 nƓuds, on est sous gĂ©nois seul. C’est grĂące aux manilles textiles que le capitaine aime Ă Ì€ fabriquer et Ă  l’intervention efficace de chacun, en synergie, que nous pouvons continuer notre route. Les poissons volants nous accompagnent par sĂ©rie ! En fĂ©licitĂ© ! J’adore les regarder !

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“La petite sirùne”
 | D.R.

Notre arrivĂ©e au Cap-Vert est musclĂ©e, j’ai appris Ă  barrer en pleine nuit, pendant l’un de mes quarts, 2 heures et demie d’affilĂ©e, par force 6/7, car Robert a totalement rendu l’ñme
 À quai, aprĂšs l’arrivĂ©e de Murielle et du matĂ©riel adĂ©quat, le capitaine va rester enfermĂ© trois jours dans ce qu’il nomme la cave afin d’installer Roberta ! Ce n’est pas une mince affaire.

Sa persĂ©vĂ©rance, malgrĂ© les 30° C en journĂ©e, nous amĂšne jusqu’au jour J de l’essai. FrĂ©missant d’impatience, nous constatons avec joie que ce nouveau pilote est heureux du savoir-faire de son capitaine : Capella est fin prĂȘt pour la grande aventure, il a une cinquiĂšme Ă©quipiĂšre fiable qui saura nous seconder, en sĂ©curitĂ©, jusqu’au grand Sud !

Pendant cette aventure, nous avons traversĂ© bien des pĂ©ripĂ©ties : un orage Ă©norme avec des Ă©clairs en ronde autour du bateau, la perte de notre radeau de survie que nous avons su repĂȘcher malgrĂ©Ì les 27 nƓuds dans les canaux, la sortie houleuse de la ria San Blas en Argentine, qui a cassĂ© le rĂ©ducteur du guindeau et a fendu un plexi avec une vague Ă©norme, un OFNI qui nous a frĂŽlĂ©s, un cargo qui nous fait de l’Ɠil
 L’expĂ©rience du capitaine, des autres marins, mon attention, moi qui suis un matelot depuis Ă  peine trois ans et notre bonne Ă©toile ont toujours Ă©pargnĂ© notre belle embarcation, Capella la bien nommĂ©e.

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Le capitaine et l’artiste Joachim Torres Garcia. | D.R.

Lors de ce voyage, aprĂšs Mindelo, nous avons mis le cap sur Fernando de Noronha, Ăźle brĂ©silienne Ă©tonnante de beautĂ©, une escale entre robes-filets transparentes oĂč l’on devine des bikinis et les plages de sable fin splendides, bordĂ©es de cocotiers
 Pendant la traversĂ©e de l’Atlantique, ensemble nous avons vĂ©cu le passage de l’équateur, oĂč Neptune est venu baptiser les novices des mers comme il se doit afin de les accueillir dans son royaume.

Gourmandises argentines

Nous avons voguĂ© dans le pot au noir avec ses gros grains, savourĂ© des douches sur le pont et tout au long des nombreux milles, les pĂȘches toujours plus Ă©normes de Pierre-Ahn et des marins enthousiastes comme des gamins, et un jour jusqu’à deux thons jaunes de plus de 15 kilos coup sur coup. On en offrira dĂšs notre arrivĂ©e, lors d’une escale Ă  Quequen, en Argentine, afin d’éviter un force 8 car l’accueil au club nautique Vito Dumas sera merveilleux de gentillesse


C’est lĂ  que nous ferons connaissance avec la Prefectura, soit le lourd processus administratif de l’Argentine
 Et que la tendresse de la viande Ă©levĂ©e dans la pampa des ranchs, accompagnĂ©e de vins locaux ainsi que les empanadas, dĂ©licieuses spĂ©cialitĂ©s de petits chaussons fourrĂ©s, nous rĂ©galeront
 Le voyage, c’est aussi cela, des gourmandises !

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Pierre-Ahan vient de pecher un thon. | D.R.

Enfin est venu le moment de l’entrĂ©e dans le dĂ©troit Le Maire puis dans le canal de Beagle, le moment des mouillages sauvages et hors norme comme seul sait le faire le capitaine. Puis l’arrivĂ©e triomphante Ă  UshuaĂŻa oĂč nous attend un couple d’amis, navigateurs aussi, ravi de partager un bout de l’aventure, celui qui va dessiner les sillages dans l’archipel du Horn et le passage du cap ! Et ce sera une rĂ©ussite ! Le cap se laissera approcher sous voiles et deviner dans une brume digne d’un paysage de Bretagne Nord ! Nous sommes heureux, heureux comme qui
 le capitaine !

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L’équipage au cap Horn. | D.R.

Dans le club d’UshuaĂŻa, oĂč flottent des unitĂ©s hors norme, en acier ou en alu, comme dans les ports de Puerto Williams, de Punta Arena, de Puerto Deseado, de Piriapolis ou de La Paloma, quand les marins viennent causer avec nous en nous demandant notre programme, ils sont toujours stupĂ©faits et de concert, regardant Capella le magnifique, sloop de plastique rutilant d’entretien, nous lancent : Â« Vous avez fait le cap Horn avec ça ? Â»

On a fait ça avec « Ă§a Â»

Oui, le capitaine et notre Ă©quipage, nous avons rĂ©ussi Ă  dĂ©ployer les voiles de Capella Ă  travers les eaux de la terre de feu, dans les canaux de Patagonie et dans l’Atlantique. Capella a dĂ©jĂ Ì€ sillonnĂ© une bonne partie de la MĂ©diterranĂ©e et a rĂ©alisĂ© plusieurs fois la traversĂ©e vers les Antilles
 C’est bien avec Â« Ă§a Â» que nous sommes maintenant cap-horniers ! Que nous avons remontĂ© l’avenue des glaciers oĂč un soir, lors d’un mouillage, prĂšs du glacier de Pia, Capella s’est retrouvĂ© entourĂ© de grelots, dont un de plusieurs tonnes qui a sĂ©journĂ©Ì gentiment toute la nuit, bloquĂ© par les amarres Ă  terre, se languissant de s’ĂȘtre fait prendre ainsi, Ă  quelques mĂštres du bateau
 Il a disparu au petit matin ! Ouf ! Enfin, pour regagner l’Atlantique, nous avons empruntĂ©, avec Â« Ă§a Â», le mythique canal de Magellan, avec des vents Ă  contre
 Comme l’a Ă©crit Antoine de Saint-ExupĂ©ry : Â« L’impossible recule toujours quand on marche vers lui. Â»

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Capella et les grelots. | D.R.

L’audace et la confiance du capitaine tout au long de ce pĂ©riple, nous ont procurĂ© la joie de rencontrer des grands marins d’acier comme Christophe Augier, Marc et Sylvie, Robin et Amanda de Chamade, ThĂ©o, Samantha, Gabriel et Fabien de Metapassion, Éric et Patricia Ă  La Palma, AndrĂ© Brenner, qui a construit le phare du bout du monde sur l’üle de Los Estados, au dĂ©troit Le Maire, et bien d’autres encore comme Thibault Ă  La Paloma sur son Yka, GĂ©rard et Klorane sur leur vieux grĂ©ement unique au monde, L’Albatros, FrĂ©dĂ©ric et Martha, respectivement skipper et chef cuisinier sur des yachts de 28 mĂštres


Au BrĂ©sil, oĂč nous allons bientĂŽt laisser le bateau pour quelques mois, lors d’un mouillage face Ă  la praia Tereza, Ă  Ilhabela, la merveilleuse, Fanch viendra toquer sur la coque de Capella qui arbore toujours fiĂšrement son Gwen ha Du et avec un grand sourire nous prĂ©sentera une assiette de crĂȘpes toutes fraiches ! Quelle belle madeleine de Proust ! VoilĂ  trois ans qu’il navigue, il est parti du Crouesty. Il est animateur et cuisinier, amoureux de la mer. SacrĂ©s marins !

Des équipiers comblés

L’audace et la confiance naturelles du capitaine lui ont permis d’accepter ma demande, moi la « petite sirĂšne Â» – c’est ainsi qu’il m’a nommĂ©e dĂšs notre rencontre –, ma demande de voyager Ă  ses cĂŽtĂ©s, de continuer Ă  dĂ©couvrir et Ă  apprendre la navigation dans cette aventure de plusieurs mois, d’oser le cap et la pleine mer, sachant mon caractĂšre entier Ă©pris de solitude ! Il a acceptĂ©, je l’en remercie. Il a construit diffĂ©rents Ă©quipages oĂč CĂ©cile la Bretonne, fĂ©rue de voile, est venue un bout, au dĂ©but, oĂč nous avons Ă©tĂ© soudĂ©s des mois entiers avec Patrick, le second, passionnĂ© de photographie et de randonnĂ©e – d’ailleurs lors de l’une d’entre elles nous avons dĂ©couvert, Ă©mus, le squelette d’une Ă©norme baleine Ă©tendu dans l’humiditĂ© ombragĂ©e d’un espace sablonneux, au Chili.

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Le capitaine et la “petite sirùne”. | D.R.

Marc nous a rĂ©galĂ© de son bon sens marin, de ses connaissances d’ingĂ©nieur en Ă©lectricitĂ©Ì, de ses recettes et de ses blagues. Pierre-Ahn, le quartier-maĂźtre, passionnĂ© lui aussi de photographie, embarquĂ© sur Capella avec son drone, nous a offert des vues et des lumiĂšres Ă  couper le souffle, Ă  la hauteur de sa rĂ©activitĂ©Ì marine et de sa sagesse. Puis Jean Bernard et Christine, toujours heureux de vivre, les sens Ă  fleur d’eau, d’air, de ciel comme le capitaine, qui naviguent comme ils respirent, sont venus spĂ©cialement en Terre de Feu pour le Cap


AprĂšs leur dĂ©part, c’est Cauane, la BrĂ©silienne dont le prĂ©nom signifie tortue, mordue de kitesurf, qui a goĂ»tĂ© Ă  la navigation Ă  la voile ; elle s’est Ă©tonnĂ©e de tous les bruits et les mouvements constants d’un bateau mais mĂȘme lors de ses craintes elle ne s’est jamais plainte et elle a essayĂ© d’ĂȘtre rapidement apte Ă  la solitude des quarts ! Aujourd’hui, en cet automne de l’hĂ©misphĂšre Sud, nous bouclons une autre Ă©tape, de Buenos Aires Ă  Paraty, Ă  deux ! La pleine mer en Ă©quipage est aussi une aventure de promiscuitĂ©Ì humaine qui demande bienveillance et communication, ce n’est pas toujours chose aisĂ©e ! La mer exige une grande Ă©nergie physique et mentale, de la souplesse, de la rigueur, de la patience, de la concentration et tant d’autres qualitĂ©s
 C’est l’école de la mer. Pour tout un chacun, quel que soit l’ñge


De tout ce pĂ©riple, nous retiendrons Ă©galement l’immense rĂ©volution satellitaire Starlink qui nous a permis d’avoir Internet au large donc la mĂ©tĂ©o et tant d’autres liens utiles partout oĂč nous sommes passĂ©s, jusqu’au cap Horn ! La nĂ©cessitĂ© d’une prĂ©paration du bateau aux petits oignons car malgrĂ© tout, il y aura des imprĂ©vus et des avaries
 Et l’assurance, dĂšs le dĂ©part, que le chemin se dessine au fur et Ă  mesure des sillages, des morceaux de vie apprĂ©cies, des difficultĂ©s dĂ©passĂ©es


« â€“ Alors, capitaine, en route pour de nouvelles aventures ?

– Oui petite sirĂšne, cap sur les CaraĂŻbes ! Â»