(Arles, Chapelle du Méjan, le 25/08/2021 de 10h30 à 12h00)
Achille Mbembe, Philosophe, politologue et historien, professeur à l’université du Witwatersrand de Johannesburg.
Lauriane Lemasson, Chercheuse en ethnomusicologie, acoustique et géographie à Sorbonne Université et fondatrice de l’association Karukinka.
Parfait Akana, Sociologue, anthropologue et éditeur.
Table ronde animée parSéverine Kodjo-Grandvaux, Philosophe et journaliste.
Colonisation, extraction et captation illimitée des richesses de la Terre, exploitation des forces vitales humaines, le système capitaliste s’est développé sur un rapport instrumental et de domination du tout-vivant. Culture de masse, consumérisme, diktat de l’urgence, crises (écologique, humanitaire, économique, sanitaire…), burn out, repli identitaire, restriction des libertés, surveillance généralisée, fragilisation des démocraties deviennent les maîtres maux de nos sociétés.
Comment sortir de cette relation mortifère au vivant et vibrer au monde ? Comment, à l’ère du présentisme, du tout-urgent, réinvestir le temps long de la création de soi, de la fabrication d’imaginaires émancipateurs et de la mise en résonance afin d’esquisser des manières d’habiter le monde et l’univers qui permettent de recouvrer des temporalités intimes enfouies, de vibrer aux différents rythmes du monde, de renouer avec soi et son élan vital ? D’éprouver le vivant et de frissonner de nouveau avec le monde ?
Patagonie : mais où sont donc les peuples Yagan, Haush et Selk’nam ? (partie 1)
Si l’on regarde une carte de Terre de feu, l’une des premières sensations est celle de vide, un criant vide de sens. Le territoire est immense mais les toponymes manquent pour décrire ce qui m’entoure.
parLauriane Lemasson, chercheuse en ethnomusicologie, acoustique et géographie à Sorbonne Université et fondatrice de l’association Karukinka – publié le 14 juin 2021 à 10h58
En 2011 j’ai posé pour la première fois mon regard sur ce Finistère américain : l’extrême sud de la Patagonie, au sud du détroit Hatitelen, plus connu sous le nom de détroit de Magellan. Après avoir étudié un large corpus d’ouvrages disponibles en Europe, les conclusions étaient sans appel concernant les premiers habitants de ces terres : il ne restait plus qu’une seule femme yagan à Villa Ukika, au Chili, et plus aucun Haush ou Selk’nam en Patagonie. Tous avaient disparu à la suite des maladies importées d’Europe, malgré les bonnes volontés des missions anglicanes et salésiennes qui tentèrent de les sauver en leur apportant refuge, nourriture, vêtements, et surtout«civilisation».
Voici en résumé ce que dit l’histoire officielle. Je décidai malgré tout de m’y rendre pour la première fois en janvier 2013 et pendant un peu plus de trois mois. Je savais que j’allais sûrement sillonner un désert vidé de ses premiers habitants pendant toute cette période, mais peut-être que les paysages, eux, auraient encore des choses à me conter. Je partis donc, principalement seule et en autonomie complète, avec pour compagnons d’expédition mon sac à dos, ma tente, mon duvet, et de quoi manger, photographier et enregistrer. Passés ces trois premiers mois d’exploration et beaucoup d’autres missions à la suite, je peux vous assurer que oui, ces lieux devenus espaces continuent de beaucoup m’apprendre sur l’horreur du génocide dont ont été victimes les peuples Yagan, Haush et Selk’nam.
Si l’on regarde une carte de Terre de feu, l’une des premières sensations est celle de vide, un criant vide de sens. Le territoire est immense mais les toponymes manquent pour décrire ce qui m’entoure. Des rivières, montagnes, collines, plaines… devaient pourtant avoir des noms, avant, lorsqu’ils faisaient partie d’un quotidien, que des voix troublaient le silence. Où sont-ils désormais ? Et ces restes de vie, ces ustensiles de pierre taillée qui jonchent le sol de ces anciens campements, ne sont-ils pas les témoins de l’exode, de la fuite face à l’arrivée des génocidaires ? Imaginez un dîner familial et faites-en disparaître tous les membres assis autour de la table : voici la sensation qui vous prend aux tripes quand vous vous retrouvez là. Le temps s’y est arrêté et ces bribes de vie quotidienne vous entourent, sans leurs acteurs. Où sont-ils ? Qu’ont-ils vécu ici ? Ont-ils pu s’en sortir en s’engouffrant dans l’inextricable forêt fuégienne ? Ou bien ont-ils été capturés et déportés comme tant d’autres vers les missions, la prison de Rawson ou le camp de concentration de l’île Dawson, séparés de leur territoire, pour favoriser l’expansion des élevages d’ovins et de bovins ? Tout cela s’est déroulé durant la conquête d’un désert qui n’en était pas un : la colonisation aussi macabre que rapide initiée par l’Argentine et le Chili entre la fin du XIXe et le début du XXe siècles en Patagonie.
Sinistre trafic humain
Durant la même période se développèrent en Europe occidentale les théories d’anthropologie physique. Convaincus d’avoir trouvé en Patagonie le chaînon manquant entre l’homme et l’animal, de nombreux chercheurs firent appel à des explorateurs ou se rendirent sur place pour les étudier. L’objectif était de confirmer leurs théories empreintes des conclusions de Charles Darwin lors de son passage dans l’extrême sud patagon. Il était difficile de convaincre les Selk’nam, Haush et Yagan de se soumettre à toutes sortes de mesures anthropométriques, comme le montrent certains témoignages, dont ceux de Paul Hyades. Ces personnes connaissaient depuis plusieurs décennies déjà le cruel traitement que leur réservaient les Blancs en ces terres de non-droit. Le réflexe était donc celui de la fuite. Alors les chercheurs et explorateurs se mirent à déterrer les cadavres, malgré l’opposition des familles, et à les envoyer vers différents musées, dont le musée d’Ethnographie du Trocadéro, devenu en 1937 musée de l’Homme, faisant fi de l’éthique et violant les pratiques funéraires des populations concernées.
Ce sinistre trafic se déroula principalement entre 1880 et 1920 en Patagonie. Ces personnes, une fois arrivées par bateau, furent morcelées, classées et stockées, comme objets d’une collection. Ils font partie aujourd’hui encore de la collection de restes humains modernes du musée de l’Homme qui regroupent officiellement plus de 1 000 squelettes et 18 000 crânes. Les restes humains de Terre de feu ont entre autres été collectés par la mission scientifique du cap Horn dans la baie Orange (1882-1883) et la mission de Henri Rousson et Polydore Willems en péninsule Mitre (1890-1891), mais aussi grâce aux dons réalisés par Martin Gusinde et Perito Moreno, ce dernier étant aussi l’un des principaux collecteurs et collectionneurs des restes humains composant la collection du musée de La Plata en Argentine. Et au musée de La Plata se trouvent aussi… des Français ! Agriculteurs, cordonniers, trappeurs, couturières, tisseuses… Ils y sont classés par sexe, métier et lieu d’origine.
L’étudiante et chercheuse française Lauriane Lemasson a détaillé les activités menées par trois membres des peuples Selk’nam et Yagan à Paris et dans d’autres villes européennes. Elle a souligné l’accueil qu’ils ont reçu et la possibilité de « se rapprocher de la place de l’autre, pour ne pas commettre les choses inacceptables qui se sont faites, dans une partie des XIXe et XXe siècles, en anthropologie ». Elle a souligné que sur les peuples autochtones, « le seul pouvoir que possèdent les colonialistes est d’imposer la honte de leur propre identité, mais aujourd’hui cette honte est devenue de la fierté », a-t-elle affirmé.
Por Redacción Infofueguina le jeudi 19 décembre 2019 · 08:30. Traduit de l’espagnol par l’association Karukinka
« J’ai présenté mon travail lors d’un colloque international à Paris, c’était en janvier 2019, et j’ai rencontré Denis Laborde qui est l’organisateur du Festival Haizebegi. « Il a suivi mes recherches, commencées en 2011, et lorsqu’il est venu au colloque, il m’a interrogé sur mon travail », a commencé Lauriane Lemasson, chercheuse française étudiante à la Sorbonne, en élaborant sa thèse sur « Le paysage sonore comme élément culturel ». ressource, dans le sud. » de Hatitelén (détroit de Magellan) », pour laquelle elle se rend régulièrement en Patagonie chilienne-argentine et entretient des contacts fréquents avec des membres des peuples autochtones.
Lemasson a déclaré qu’après l’entretien, l’oganisateur du festival Haizebegi lui a dit qu’elle avait « carte blanche » pour ce festival qui a eu lieu en octobre dernier à Bayonne – France, avec en arrière-plan une interview qu’elle avait réalisée à Punta Arenas avec Mirtha Salamanca, petite-fille de Lola Kiepja, et qui a été traduite dans différentes langues mais toujours « avec préavis à Mirtha elle-même, pour savoir si elle avait son accord », a précisé la chercheuse française.
Après avoir écouté l’interview, Laborde a proposé d’inviter Mirtha Salamanca au festival et a déclaré que « deux personnes supplémentaires pourraient être invitées, peut-être trois si nous avons la subvention », a mentionné Lauriane Lemasson, prévenant que l’association dirigée par Denis Laborde est soutenue par beaucoup d’efforts, avec ses propres contributions ou celles de collaborateurs, « mais sans financement direct de l’État », a-t-elle souligné.
Elle a déclaré qu’il s’agissait d’une association qui « travaille beaucoup avec les immigrés, sur des questions sociales et soutient de nombreuses causes humanitaires ». Dans ce but, on a souligné l’importance de se référer à la situation des peuples indigènes de la zone, en invitant – en consultation avec Mirtha Salamanca – Víctor Vargas Filgueira et José González Calderón, tous deux appartenant au peuple Yagan.
Lauriane Lemasson a précisé que tout le matériel présenté, ainsi que le contenu des entretiens et conférences, avait été élaboré et choisi par Salamanca, Vargas Filgueira et González Calderón. « Les initiatives sont nées d’eux, car l’idée était qu’ils définissent ce qu’ils voulaient partager avec les gens en France », a-t-elle souligné.
Elle a déclaré qu’ils ont pu parler « d’une variété de sujets importants tels que les élevages de saumons, le respect de leur culture par les artistes et les chercheurs, l’importance de redonner aux informateurs une copie des travaux lorsque le travail est fait pour qu’il ne soit pas perdu ». La chercheuse française a commenté que plus tard les membres des peuples autochtones ont pu échanger et partager avec des références locales, et dans ces contacts ils ont réalisé qu’en France aussi il y avait des peuples autochtones « parmi lesquels ceux de mes ancêtres », a déclaré Lauriane Lemasson, mentionnant qu’elle descend des Bretons.
Un autre contact important a été avec Pascal Blanchard, qui fait des recherches sur ce qu’on appelle les « zoos humains », et avec qui ils ont pu « se rendre compte qu’il n’y avait pas que des shelk’nam et des yagans exposés, mais qu’il y avait aussi des membres de peuples européens et d’autres parties du monde, c’était aussi important pour moi parce que j’ai découvert qu’il y avait aussi des gens de ma ville qui étaiten exposés là-bas », a-t-elle déclaré.
La chercheuse française a indiqué que c’est avec les zoos humains que « le racisme est né, car il vient de cette époque-là. Avant, il y avait l’ignorance de l’autre, mais pas cette hiérarchie entre les gens. Avec l’ère des zoos humains, le racisme est né et a été soutenu par les anthropologues et les scientifiques de l’époque, dans le but de comprendre l’évolution humaine. »
Elle a déclaré qu’ils avaient également eu « accès aux archives de (l’anthropologue franco-américaine Anne) Chapman, où c’était très fort de voir qu’ils pouvaient avoir un contact direct avec ce matériel. Ils ont également établit des contacts avec le responsable des Relations extérieures de la Conférence des présidents des universités françaises, Jean Luc Nahel, avec qui a été évoquée la possibilité de quelques projets futurs.
L’activité comportait, comme autre point fort, une conférence pour les étudiants français visiblement émus par les témoignages, notamment celui de Mirtha Salamanca et l’histoire de sa grand-mère Lola Kiepja. En conclusion, les étudiants, de leur propre initiative, ont décidé de déposer une note signée pour soutenir la demande de restitution des restes et « demander une réponse ».
Lauriane Lemasson a indiqué, enfin, qu’il est apparu au cours du voyage que le chercheur doit « se rapprocher de la place de l’autre, pour ne pas commettre les choses inacceptables qui se sont faites dans une partie des XIXe et XXe siècles en anthropologie. Il était également très important de savoir que les gens venaient demander quand les ateliers ont lieu, comme l’atelier de vannerie qui a été répété chaque our pendant 2h, relétant l’importance de la relation qui s’est établie. En conclusion le seul pouvoir que les colonialistes ont est née du fait d’avoir imposé au peuple la honte de leur propre identité, mais aujourd’hui cette honte s’est transformée en fierté », souligne la chercheuse française.