Agir pour le vivant : tribune

Patagonie : mais où sont donc les peuples Yagan, Haush et Selk’nam ? (partie 2)

Si l’on regarde une carte de Terre de feu, l’une des premières sensations est celle de vide, un criant vide de sens. Le territoire est immense mais les toponymes manquent pour décrire ce qui m’entoure. Suite (en France) et fin (de non recevoir).

par Lauriane Lemasson, chercheuse en ethnomusicologie, acoustique et géographie à Sorbonne Université et fondatrice de l’association Karukinka – publié le 15 juin 2021 à 17h08

(Retrouvez ici la première partie de l’article mis en ligne le 14 juin)

Continuant mes recherches au sud du détroit de Hatitelen, j’ai progressivement pris conscience de l’ampleur et des multiples effets de la colonisation. Non, les Selk’nam, Haush et Yagan n’ont pas disparu. Ensemble, ils composent actuellement plusieurs milliers de personnes revendiquant des droits, et parmi ceux-ci celui à la vérité historique. J’ai pu rencontrer ces descendants des survivants, de ceux ayant eu suffisamment de chance et de force pour échapper aux mailles du filet. Ils se sont fondus dans la masse, ne transmettant plus leurs langues et cachant leurs origines pour mieux satisfaire aux nouvelles exigences des colons. Mais l’histoire familiale, cette part intime de l’identité d’un individu et de son groupe, n’a pas été oubliée et se transmet de génération en génération. Tant qu’il n’y aura pas d’entière reconnaissance du passé, il faudra continuer de transmettre ces histoires : pour ne pas oublier qu’hier, les ancêtres ont été massacrés. Cette histoire commune est l’un des fondements culturels face auquel aucune théorie de pureté génétique ne peut faire face. Etre Yagan, Haush ou Selk’nam ne peut pas être remis en question par un certain degré de métissage : une culture est mouvement et adaptation, et sans cela elle meurt.

En octobre 2019, j’ai eu la chance d’obtenir une carte blanche de la part de l’organisateur du festival Haizebegi de Bayonne, Denis Laborde, et j’ai fait le choix d’inviter trois membres de ces peuples : Mirtha Salamanca (selk’nam), José Germán González Calderón (yagan) et Victor Vargas Filgueira (yagan). Pendant une vingtaine de jours ils ont pu témoigner à la première personne, et pour la première fois en France, de l’histoire passée et actuelle de leurs peuples. Nous avons composé ensemble le programme, en choisissant conjointement les thèmes à aborder et les textes à publier. Et parmi ces thèmes, celui de la restitution des corps de leurs ancêtres. En amont de leur venue, ils m’avaient demandé de solliciter un rendez-vous avec le directeur de la collection des restes humains modernes du musée de l’Homme. L’objectif était simple : se rencontrer, dialoguer et voir ensemble comment réparer les erreurs d’hier et faire que leurs ancêtres reposent enfin chez eux, d’où ils n’auraient jamais dû partir. J’ai donc envoyé un premier mail à la direction, puis un second, un troisième… sans réponse. Ils arrivèrent le 3 octobre et je n’avais rien d’autre à leur communiquer que le silence de notre interlocuteur. Le temps passe et deux jours avant leur départ de France, lors d’un dernier passage à Paris pour un séminaire en Sorbonne, ils souhaitent se rendre sur place, au musée de l’Homme, pour demander des explications.

Après une longue attente, la secrétaire de direction prend note de cette venue et des questions de Mirtha, José et Victor. En repartant, ils souhaitèrent prendre cette photo à l’entrée du musée, pour rappeler que la France a ratifié la Convention 169 de l’OIT (relative aux peuples indigènes et tribaux) et que la restitution doit être facilitée par les institutions lorsque les membres des communautés concernées en font la demande. Le lendemain matin, je reçus un mail du directeur de la collection, s’adressant uniquement à moi, me disant que «nous ne pouvons pas nous laisser dicter nos priorités par ce genre de demande, même si la demande est légitime». Rencontrer les membres de ces communautés venant pour la première fois, cent-trente ans après la honte des zoos humains et des exhibitions coloniales les ayant présentés comme des animaux, n’est donc pas une priorité, et répondre à leurs demandes répétées durant plusieurs mois non plus. Je vous l’avoue, j’ai eu honte, viscéralement honte de l’indifférence qui leur a été infligée et qui continue depuis.

Je ne suis pas spécialiste de ce sujet, certains comme l’anthropologue argentin Fernando Miguel Pepe en parlerait mieux que moi, luttant depuis des décennies pour l’identification et la restitution des corps. Ce dernier affirme même que les données liées à l’identification de ces corps ne peuvent lui être communiquées, le musée interdisant pour une période de vingt ans que ces informations sortent et facilitent l’établissement des liens entre ces personnes et leurs descendants actuels susceptibles de vouloir ensuite les récupérer.

En tant que citoyenne française, d’un pays où une institution ne prend pas ses responsabilités en répondant aux demandes de dialogue qui lui sont faites, je ne peux rester les bras croisés. Je ne peux que témoigner de ce cruel manque d’empathie et de cette injustice. Ces personnes avaient toutes une famille et ont été arrachées à leurs terres de manière indigne. Elles sont de la génération de mes arrière-arrière-grands-parents et arrière-grands-parents. Et pourraient être aussi les vôtres. N’iriez-vous pas, vous aussi, les chercher à l’autre bout du monde s’il le fallait ?

https://www.liberation.fr/plus/patagonie-mais-ou-sont-donc-les-peuples-yagan-haush-et-selknam-partie-2-20210615_TEJHI4RMHRGNTJMXE37K5LNGIE/ 

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