[Cap au Sud #13] de Buenos Aires (Argentine) Ă  Puerto Williams (Chili) – DerniĂšre partie

[Cap au Sud #13] de Buenos Aires (Argentine) Ă  Puerto Williams (Chili) – DerniĂšre partie

Journal de bord de notre navigation en voilier en Terre de Feu argentine, de Rio Grande Ă  Ushuaia, en passant par le dĂ©troit de Le Maire, sĂ©parant la PĂ©ninsule Mitre et l’Île des Etats.

Nouvelle matinĂ©e avec un soleil magnifique ! Nous quittons la Caleta MisiĂłn et saluons toutes voiles dehors la plus grande ville de la province de Terre de Feu argentine : Rio Grande.

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Une auditrice de la radio locale « Aire Libre » nous prend en photo et relaie sur les rĂ©seaux sociaux ce surprenant clichĂ© d’un voilier en Terre de Feu !

Navigation au prĂšs Ă  5 nƓuds, avec une bonne brise de 10/12 nƓuds qui nous permet de profiter du paysage des cĂŽtes dĂ©sertes de la Grande Île de Tierra del Fuego. Dans l’aprĂšs-midi, nous retrouvons des amis fidĂšles depuis le dĂ©part de Buenos Aires : une bonne quinzaine de dauphins de Commerso ! Ils nous escortent Ă  nouveau pendant plus d’une heure, pendant que quelques pĂ©trels et albatros profitent des bourrasques pour planer autour de nous. Tout ce « raffut Â» rĂ©veille une otarie qui dormait sur le dos enroulĂ©e dans du kelp et ouvre de grands yeux Ă©tonnĂ©s Ă  notre approche ! Encore une nouvelle journĂ©e de navigation exceptionnellement clĂ©mente alors que nous sommes par 54 degrĂ©s Sud, et suivie d’une nuit calme.

Les conditions sont toujours parfaites pour la rĂ©gion : sous un ciel couvert et un vent de travers de 12/15 nƓuds, Milagro file, avec un peu d’aide du courant, Ă  plus de 8 nƓuds de moyenne. C’est trĂšs rĂ©gulier et trĂšs confortable. Pour une fois on pourrait presque laisser trainer des affaires Ă  bord et les retrouver au mĂȘme endroit une heure aprĂšs ! Vers 4h du matin, quelques gouttes de pluie tombent : les premiĂšres depuis Bahia San Blas.  

6h15, mon quart est terminĂ© mais, avant d’aller retrouver ma couchette, je traine encore pour profiter du calme du lieu. Lauriane prĂ©pare le cafĂ© pendant que mon regard s’attarde en direction de la poupe du navire. Soudain, un aileron noir sort tout droit de l’eau, et monte, monte… c’est Ă©norme, 1,20m de haut peut-ĂȘtre, annonçant l’arrivĂ©e en surface d’un gros mĂąle orque Ă©paulard qui fait entendre son souffle puissant dans le calme de l’aube. Il est accompagnĂ© de sa femelle, plus petite et qui se distingue par un aileron beaucoup plus petit en forme de faux, semblable Ă  celui d’un dauphin. SitĂŽt aperçus, sitĂŽt disparus dans les profondeurs mystĂ©rieuses de l’ocĂ©an… puissance et joie des rencontres Ă©phĂ©mĂšres


Nous atteignons au mĂȘme moment la pointe San Diego, l’extrĂ©mitĂ© Est de la Terre de Feu argentine. Depuis peu cette partie de la Grande Île, appelĂ©e PĂ©ninsule Mitre, est une rĂ©serve naturelle protĂ©gĂ©e. Elle comprend de grandes Ă©tendues de tourbiĂšres, de nombreuses riviĂšres et des montagnes jamais visitĂ©es. C’est un peu la rĂ©gion « oubliĂ©e » de la Terre de Feu et oĂč se trouvent un vĂ©ritable puit Ă  carbone et un sanctuaire pour la faune et la flore fuĂ©giennes. C’est dans ces environs que nous croisons de grands groupes d’albatros, dont un bon nombre de jeunes encore mal habiles avec leurs grandes ailes au moment du dĂ©collage.

Extrait de notre navigation à la voile et au portant dans le détroit de Le Maire

A 9h, c’est l’empannage pour entrer dans le dĂ©troit de Le Maire, passage maritime mythique. Les conditions changent et de nombreux animaux (dauphins australs, otaries, pĂ©trels et albatros Ă  sourcils noirs) se succĂšdent pour nous accompagner. Le fort courant de marĂ©e est visible Ă  la surface, rappelant par moment Ă  Damien et Lauriane le Corryvreckan passĂ© il y a quelques mois en Ecosse. Au moment de traverser par ce dĂ©troit, il ne faut pas se louper car en fonction du cumul vent et courant de marĂ©e, ça peut ĂȘtre un vrai jackpot : des vagues statiques peuvent y dĂ©passer les 8 mĂštres, soit autant de murs infranchissables une fois pris dans la tourmente. Un bref coup d’oeil Ă  une carte des Ă©paves suffit Ă  faire le parallĂšle entre ces parages et ceux du cĂ©lĂšbre cap Horn situĂ© Ă  quelques dizaines de milles nautiques plus au sud.

Sur notre bĂąbord nous apercevons au loin le relief tourmentĂ© de l’Ăźle des Etats oĂč se trouvent rĂ©unis le « phare du bout du monde » pour les amateurs de Jules Verne, « l’Ăźle de l’abondance » (« Chuanisin ») pour les yagan qui venaient y pĂȘcher avec leurs canoĂ«s d’Ă©corce, et « la CordillĂšre de l’Infini » que les chamans selknam n’hĂ©sitaient pas Ă  invoquer durant leurs rituels. Apercevoir les montagnes de l’Île des États depuis le cap San Diego par mauvais temps doit avoir quelque chose d’ineffable.

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Les lumiÚres changeantes et les bancs de brume de la Péninsule Mitre, depuis le détroit de Le Maire

Les reliefs de la cĂŽte de la pĂ©ninsule Mitre sont enveloppĂ©s de nuages bas et d’écharpes de brume, donnant Ă  l’ensemble une ambiance digne des meilleures sĂ©quences photo de Jurassik Park ! Nous enchainons les manoeuvres d’empannage, entrecoupĂ©es par un « dej » dont Aude a le secret. Tout le monde est sur le pont pour ne pas perdre une seule miette de cette traversĂ©e du dĂ©troit et contournement de la pointe de l’Ăźle de Terre de Feu. Une dizaine d’otaries Ă  fourrure nagent et plongent sur notre arriĂšre quand un extraordinaire « barrage flottant Â» se dresse devant nous : des centaines d’albatros sont posĂ©s sur l’eau pour une raison que nous ignorons, juste devant notre Ă©trave ! C’est Ă  peine s’ils se dĂ©placent pour nous laisser passer et nous nous gardons bien de trop les dĂ©ranger.

En dĂ©but d’aprĂšs-midi nous ne sommes plusqu’Ă  100 nautiques d’Ushuaia !! Peu avant d’aller mouiller pour la nuit dans la baie Aguirre, nous distinguons les souffles de nos 4 premiers rorquals australs ! Nous nous mettons Ă  la cape pour mieux apprĂ©cier leur proximitĂ© et le son de leur souffle puissant et tenter d’Ă©couter ce qu’ils se racontent sous l’eau Ă  l’aide de l’hydrophone. En fin d’aprĂšs-midi nous atteignons Puerto Español et jetons l’ancre pour profiter d’une vraie nuit avant de reprendre notre route vers l’ouest.

RĂ©veil 6h, dĂ©part Ă  7h sous un ciel bas et gris et une petite pluie fine et froide : finie la pĂ©riode de « sĂ©cheresse Â» entre Buenos Aires et Rio Grande, place au climat subpolaire humide des canaux de Patagonie ! Au fil de la matinĂ©e, le ciel s’assĂšche, des Ă©claircies parviennent Ă  s’imposer tandis que des grains tombent ici ou lĂ  dans le lointain. Comme en Islande, ce sont les 4 saisons chaque jour ici ! D’ailleurs, de subpolaire en matinĂ©e, l’atmosphĂšre devient printaniĂšre dans l’aprĂšs-midi.

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Conditions printaniĂšres dans le canal Beagle Ă  bord du voilier Milagro

Nous approchons des premiĂšres Ăźles marquant l’entrĂ©e du Canal Beagle : Nueva, Picton et Lennox, et c’est la profusion de couleurs : blancheur des premiers nĂ©vĂ©s, nuances de verts de la forĂȘt dense et tordue par les vents, et le panel des gris et ocres des roches nues. Une importante faune continue de nous accompagner : manchots de Magellan, otaries Ă  fourrure, albatros, cormorans et nos premiĂšres sternes arctiques. Et le souffle puissant de plusieurs rorquals qui se prĂ©lassent au pied des falaises du canal.

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Ecoute des rorquals avec matériel (hydrophone, ampli et casque) que nous avons à bord

A la mi-journĂ©e le canal Beagle se transforme en lac et il n’y a pas un souffle d’air ! Nous sommes contraints d’avancer au moteur, en attendant que le vent revienne. En fin d’aprĂšs-midi, nouvelle sĂ©quence Ă©motion. Nous arrivons en face de Puerto Williams, la ville (3500 habitants) la plus au Sud du globe. Elle se situe sur l’üle chilienne Navarino, dominĂ©e par les sommets dĂ©coupĂ©s des Dientes de Navarino. Au soleil couchant, JosĂ©, un ami proche et de longue date de Lauriane nous fait signe depuis la rive. Nous le distinguons au loin, accompagnĂ© de son ami Miguel et de sa petite chienne Fea-Fea, et lui faisons de grands signes. JosĂ© n’est pas n’importe qui : il est l’ex-prĂ©sident de la communautĂ© Yagan de l’Ăźle Navarino, pĂȘcheur et artisan, mais aussi et surtout une encyclopĂ©die vivante de sa culture et de la cartographie rĂ©gionale.

José vient saluer notre arrivée depuis la plage (Puerto Williams, ßle Navarino, canaux de Patagonie, Chili)
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Milagro photographié depuis Puerto Williams par José Germån Gonzålez Calderón lors de notre arrivée dans le canal Beagle

Arriver ici aprĂšs un si long voyage est quelque chose d’Ă©norme pour nous, : nos familles et amis nous suivaient grĂące au tracker. Mais dĂ©couvrir Ă  quel point nous Ă©tions attendus ici par des locaux donne une dimension toute autre et puissante que nous commençons Ă  vraiment rĂ©aliser depuis Rio Grande.

Ne souhaitant pas arriver à notre destination de nuit et pour profiter des derniers instants de calme avant de retrouver la ville, nous mouillons à 10 milles nautiques d’Ushuaia, à 1h du matin.

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Itinéraire de notre voilier en Terre de Feu argentine

Vendredi 24 Janvier 2025, 24Ăšme et derniĂšre matinĂ©e de cette navigation hauturiĂšre le long des cĂŽtes argentines : nous arrivons au bout du bout de la Patagonie argentine, Ă  Ushuaia ! Je me fais rĂ©veiller par l’Ă©quipage car, aprĂšs des jours de comique de rĂ©pĂ©tition Ă  sortir la tĂȘte par la descente pour demander si nous Ă©tions enfin arrivĂ©s Ă  Ushuaia, cette fois c’est vrai, nous y sommes ! La ville et les reliefs alentours me semblent identiques Ă  mes souvenirs de 2013. C’est la fin d’une navigation de >2000 nautiques, 24 jours dont quelques escales pour Ă©viter du mauvais temps ou permettre Ă  des Ă©quipiers de retourner au travail dans les temps impartis, du chaud sec, puis du froid humide, et finalement une traversĂ©e des quarantiĂšmes rugissants et des cinquantiĂšmes hurlants dans des conditions trĂšs favorables !

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EntrĂ©e dans la baie d’Ushuaia en voilier… un rĂȘve qui se rĂ©alise pour notre Ă©quipage

Nous voilĂ  amarrĂ©s au ponton du club Afasyn, face Ă  la ville. C’est un peu mythique tout ça puisque c’est d’ici que partent les voiliers vers les canaux et la pĂ©ninsule antarctique. Si on m’avait dit qu’un jour je serais sur un voilier Ă  quai de ce ponton
 je n’y aurais pas cru !

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Milagro est amarrĂ© au club Afasyn, juste derriĂšre le voilier d’expĂ©dition Spirit of Sydney (Ushuaia, Tierra del Fuego, Argentine)

Nous rangeons rapidement Milagro afin d’aller nous dĂ©gourdir les jambes en ville et faire les dĂ©marches administratives qui s’imposent (prĂ©fecture navale et douanes). En soirĂ©e nous partons fĂȘter notre arrivĂ©e avec quelques plats de « terriens Â» dignement arrosĂ©s.

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Naviguer jusqu’Ă  Ushuaia en voilier, dĂ©fi relevĂ© !

Partis de Saint Nazaire, Milagro et son Ă©quipage sont arrivĂ©s et cette arrivĂ©e sonne aussi comme un nouveau dĂ©part : cap vers les canaux de la RĂ©serve de BiosphĂšre du Cap Horn, oĂč il y a tant Ă  Ă©tudier et Ă  explorer.

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Pour découvrir les autres chapitres de notre journal de bord depuis Saint Nazaire, rdv sur notre blog !

Et pour rejoindre notre association et naviguer avec nous, c’est par ici : https://karukinka.eu/fr/contact/devenir-membre/

Le détail des stages de croisiÚre est disponible dans la section club du site ou sur le site dédié : https://karukinka-exploration.com/

[Cap au Sud #12] de Buenos Aires (Argentine) Ă  Puerto Williams (Chili) TroisiĂšme partie

[Cap au Sud #12] de Buenos Aires (Argentine) Ă  Puerto Williams (Chili) TroisiĂšme partie

Notre dĂ©part de Camarones se fait sous voile, nous permettant une bonne moyenne de vitesse jusqu’Ă  ce que le vent faiblisse trop fortement, nous obligeant Ă  un peu de moteur en fin d’aprĂšs-midi. Naviguer en Patagonie c’est toujours faire l’expĂ©rience de conditions changeantes !

Nous accompagnent pendant plusieurs dizaines de milles nautiques des goélands faisant de la patinette sur les panneaux solaires. Nous nous amusons de ce petit groupe aux mouvements synchronisés avec ceux du navire et de leurs prises de bec (au sens propre et figuré!). Le caïd de la bande, au bec déformé par les affrontements, se fait respecter et conservera lui la meilleure place tout du long !

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RĂ©union de goĂ©lands sur les panneaux solaires (descente de l’Argentine, Patagonie en voilier)

Le vent revient dans la soirĂ©e et pour le quart de dĂ©but de nuit, 25/30 nƓuds, Milagro file Ă  7/8 nƓuds. Avec ses 45 tonnes, le « Gro » aime la brise. Force 6-7 pour lui (et pour nous) c’est parfait : sa masse et son inertie lui permettent d’Ă©craser la houle et de conserver sa vitesse. Le crĂ©puscule est magnifique : VĂ©nus, Mars et la Lune se lĂšvent sous l’Ɠil de la Croix du Sud, tandis que le vent, parfaitement rĂ©gulier, permet de ne pas toucher aux rĂ©glages des voiles pendant plusieurs heures.

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[Cap au Sud #12] de Buenos Aires (Argentine) Ă  Puerto Williams (Chili) TroisiĂšme partie 34
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Coucher de soleil sur le phare de Puerto Deseado (Patagonie argentine)

En fin de nuit le vent retombe mais la journĂ©e est magnifique : pas un nuage de la journĂ©e et en t-shirt dans les 40e Sud ! Une troupe (20 Ă  30 individus) de dauphins de Commerson nous escorte cap au 180° et rĂ©guliĂšrement se joignent Ă  eux des dauphins LagĂ©norhynchus australis (aussi appelĂ©s Dauphins de Peale), plus grands et tout aussi joueurs avec Milagro. Ils sautent hors de l’eau et se croisent de la proue Ă  la poupe.

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Dauphin de Commerson jouant Ă  la proue du voilier en Patagonie (Atlantique Sud)

Cette journĂ©e de calme nous fait alterner voile et moteur et se termine par un superbe coucher de soleil. Cette descente de l’Atlantique Sud nous permet de contempler des nuits Ă©toilĂ©es inoubliables, avec pour seule pollution lumineuse les feux de navigation du navire. La Voie LactĂ©e, le nuage de Magellan et les constellations de l’hĂ©misphĂšre Sud semblent Ă  portĂ©e de main depuis le grand large et c’est un des luxes qu’offre la navigation hauturiĂšre.

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Et une bougie pour Milagro, Damien, Lauriane et Toupie : il y a un an tout juste ils arrivaient Ă  Nantes ! Que de chemin parcouru depuis ! Vous remarquerez que, comme pour le cap Nord (Nordkapp, NorvĂšge), le pĂątĂ© HĂ©naff Ă©tait de sortie…

Mon quart de fin de nuit se dĂ©roule dans un grand calme et la nouvelle journĂ©e s’annonce aussi belle que la prĂ©cĂ©dente ! Les conditions sont toujours incroyablement clĂ©mentes alors que nous approchons du 49Ăšme degrĂ© Sud ! La faune australe commence Ă  bien se manifester : nous croisons nos premiers lions de mer parfois rĂ©unis autour d’un radeau improvisĂ© de branchages et observons de magnifiques albatros qui survolent Milagro. Dans le lointain nous apercevons le souffle d’une baleine, une premiĂšre qui, espĂ©rons le, en appellera beaucoup d’autres ! Nous filons toutes voiles dehors, toujours plus au sud pour quitter les QuarantiĂšmes Rugissants et entrer dans les CinquantiĂšmes Hurlants.

La nuit suivante je suis rĂ©veillĂ© par les mouvements du navire qui me secouent dans ma bannette. En prenant mon quart Ă  8h sur le pont, l’atmosphĂšre a bien changĂ©e : une forte houle s’est installĂ©e et les crĂȘtes des vagues commencent Ă  se briser et blanchir. Force 7-8 et des creux d’environ 2,50m. L’ocĂ©an nous rappelle que nous approchons les 50Ăšmes. Ça ne me fait pas du tout la mĂȘme impression que la Manche par force 7, c’est plus hostile, plus rude. Ici il n’y a personne pour nous aider rapidement en cas d’urgence, d’oĂč la vigilance accrue de l’Ă©quipage lors des manƓuvres et l’importance de veiller les uns sur les autres. Je ressens vraiment l’immensitĂ© et la duretĂ© de cette rĂ©gion rĂ©putĂ©e inhospitaliĂšre, sensation contrebalancĂ©e par la carcasse massive et rassurante de Milagro qui semble trouver toute sa mesure dans ces conditions un peu plus exigeantes.

Avec le bateau ballottĂ© par l’ocĂ©an ça va ĂȘtre pour moi une aprĂšs-midi de repos et farniente Ă  Ă©couter de la musique sous la couette car ça bouge et il commence Ă  faire frais. Toupie la mascotte corgi est quant Ă  elle fidĂšle Ă  ses habitudes, drĂŽle et imperturbable quelles que soient les conditions. Elle se prĂ©lasse dans sa douillette niche du carrĂ© tout en veillant sur les entrĂ©es et sorties de « son » Ă©quipage, rĂ©clame jeux, biscuits et cĂąlins. Par contre Ă  l’heure des croquettes plus rien d’autre n’existe : elle intĂšgre le rythme de la houle et attend patiemment, en Ă©quilibre avant-arriĂšre et gauche-droite sur ses pattes, le moment opportun pour traverser dans la foulĂ©e du carrĂ© jusqu’Ă  la cuisine et sa gamelle.

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Toupie, marin expérimentée et welsh corgi mascotte du bord !

Nous sommes Ă  moins de 50 milles nautiques du dĂ©troit de Magellan et 150mn de Rio Grande, la grande ville argentine du Nord-Est de la Grande Île de Terre de Feu. Dans la soirĂ©e nous laissons sur notre tribord l’embouchure Est du dĂ©troit de Magellan pour continuer notre descente de l’Argentine en voilier et atteindre progressivement les eaux fuĂ©giennes.

L’agitation de la mer diminue durant la nuit, la houle tombe Ă  1,5-2m et le vent faiblit Ă  20/25 nƓuds. Nous avançons Ă  >7 nƓuds avant le retour de la pĂ©tole, d’une mer d’huile et du ronronnement du moteur. Aujourd’hui c’est ma fĂȘte, la Saint SĂ©bastien et notre maĂźtrise du timing est telle que nous arrivons ce mĂȘme jour au large de la baie… San SebastiĂĄn ! Cette immense baie du Nord de l’üle de Terre de Feu est partiellement protĂ©gĂ©e par une longue langue de terre : la Punta PĂĄramo. J’avais explorĂ© ces environs avec Lauriane en 2013 et y revenir 12 ans aprĂšs Ă  la voile est toujours synonyme d’aventure et de grands espaces.

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Petits pĂ©trels de l’Atlantique Sud

A la mi-journĂ©e nous arrivons enfin en vue des cĂŽtes de cette terre mythique. Comme le dit Lauriane, on ne se lasse pas de la Terre de Feu, plus on l’explore plus on se rend compte de sa richesse, les amis deviennent une deuxiĂšme famille, et revenir devient un vĂ©ritable besoin car, bien au-delĂ  des recherches scientifiques menĂ©es, une part de soi est dĂ©sormais lĂ -bas.

Il est 15h lorsque Milagro jette son ancre pour la premiÚre fois en Terre de Feu, plus précisément dans la Caleta Misión, petite échancrure dans cette cÎte parsemée de récifs et située à proximité du Cabo Domingo. Il nous faut anticiper les changements de marées car le marnage nous rappelle celui de la Bretagne nord : entre 6 et 12m !

Face Ă  nous une immense plage de sable prĂ©cĂšde les Ă©tendues fuĂ©giennes : la pampa et ses herbes jaunies par le vent et le froid, que seuls les lointains reliefs de la CordillĂšre Darwin interrompent Ă  l’horizon. PrĂšs de nous, au sud, une digue dĂ©labrĂ©e depuis plusieurs dĂ©cennies, le « futur » port de Rio Grande et au loin la ville. Un petit ilot voisin du navire hĂ©berge ses colonies d’animaux : au « rez de chaussĂ©e Â» les lions de mer et dans les « Ă©tages Â» des couples de cormorans et quelques manchots de Magellan (les fameux « pingĂŒinos »).

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Nous y sommes ! Le voilier Milagro sur la cĂŽte atlantique de Tierra del Fuego argentine (c) Maria Lokvicic

Les conditions sont aussi idylliques qu’inespĂ©rĂ©es : depuis des semaines les conditions Ă©taient dantesques et il aurait Ă©tĂ© inenvisageable de faire escale ici. A notre arrivĂ©e c’est mer d’huile et grand soleil. Nous sortons la pavillonnerie : les pavillons breton et français sont remplacĂ©s par de nouveaux et le drapeau de la province de Terre de Feu argentine prend place, celui-lĂ  mĂȘme qui avait Ă©tĂ© offert Ă  l’association lors de la venue en France de Mirtha Salamanca, en 2019. Comme elle le dira plus tard : « Vous ĂȘtes les bienvenus et la Terre de Feu vous accueille comme il se doit, comme vous le mĂ©ritez ».

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Les drapeaux Breton, de Karukinka, argentin et de la province de Terre de Feu sont tous de sortie pour l’occasion !

L’arrivĂ©e de Milagro fait sensation dans cette ville de >100000 habitants qui ne voit jamais de voilier (le dernier en date, un voilier russe, avait fait naufrage sur les plages du quartier de la Margen Sur en 2014…). Il n’y a pas le moindre petit port et c’Ă©tait un vĂ©ritable dĂ©fi pour nous d’y faire escale pour fĂȘter notre arrivĂ©e Ă  Karukinka, la Terre de Feu en langue selk’nam. De nombreuses voitures s’arrĂȘtent pour prendre des images, des vĂ©tĂ©rans de la guerre des Malouines sont aux abois et nous aurons mĂȘme les honneurs des informations de la radio locale !

Le voilier Milagro filmé depuis le Cap Domingo par un habitant de Rio Grande (Tierra del Fuego, Argentine)

En soirĂ©e c’est au tour des retrouvailles sur la plage avec les amis de longue date : Mirtha, Alejandro, Maria, Ezequiel dit « Vaina », JosĂ© et sa compagne Adriana. MatĂ©, facturas et embrassades… l’Ă©motion est palpable car depuis des annĂ©es Lauriane leur disait qu’elle reviendrait un jour Ă  la voile. Les annĂ©es passaient et c’Ă©tait presque devenu une blague Ă  chacun de ses retours en avion… et lĂ … c’est avec une certaine stupĂ©faction que s’exprime « Lo hiciste boluda ! »… Car oui, c’est sa marque de fabrique : contre vents et marĂ©es elle ne cesse de travailler et n’abandonne jamais ses rĂȘves, nous embarquant de prĂšs ou de loin tous dedans !

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Retrouvailles en Terre de Feu, pas mĂȘme le temps de retirer le gilet pour la photo pendant que Damien gĂšre l’annexe! (plage de Rio Grande, Patagonie argentine) (c) Maria Lokvicic

Tout ce petit monde prend donc place dans l’annexe, grĂące Ă  une mĂ©thode de portage que seul Damien maĂźtrise dans sa tenue de Casimir (Ă  cheval sur son dos !). AprĂšs visite de notre chaleureux Milagro, nous fĂȘtons tous ensemble et dignement notre arrivĂ©e en Terre de Feu, qui plus est le jour des 30 ans de ClĂ©ment ! Le retour sur la plage sera lui aussi inoubliable, par une nuit sans Lune et avec la houle qui va bien pour remplir les bottes au moment de dĂ©barquer sur la plage.

Au petit matin nous devrons reprendre notre route pour contourner la péninsule Mitre, les prévisions météo sont parfaites. A croire que les divinités fuégiennes nous ouvrent grand les bras pour ce retour dans les canaux de Patagonie.

Lettre de la CommunautĂ© KawĂ©sqar Ă  l’exĂ©cutif des Ă©levages de saumon Carlos Odebret : « Vous avez lancĂ© une croisade de haine contre nous » (23/06/2025, Mapuche Diario)

Lettre de la CommunautĂ© KawĂ©sqar Ă  l’exĂ©cutif des Ă©levages de saumon Carlos Odebret : « Vous avez lancĂ© une croisade de haine contre nous » (23/06/2025, Mapuche Diario)

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Lettre de la CommunautĂ© KawĂ©sqar Ă  l’exĂ©cutif des Ă©levages de saumon Carlos Odebret : « Vous avez lancĂ© une croisade de haine contre nous" (23/06/2025, Mapuche Diario) 39

Dans le cadre des projets de dĂ©veloppement d’Ă©levages de saumon dans la rĂ©gion de Magallanes (Patagonie, Chili) la communauté kawesqar lutte.

Source: https://www.mapuchediario.cl/2025/06/23/carta-a-ejecutivo-salmonero-carlos-odebret-de-comunidad-kawesqar-usted-ha-iniciado-una-cruzada-de-odio-contra-nosotros/ (traduit de l’espagnol par l’association Karukinka)

Lettre ouverte Ă  Carlos Odebret

Monsieur Carlos Odebret
Président de Salmones Magallanes

Depuis notre communautĂ© indigĂšne kawĂ©sqar, Groupes Familiaux Nomades de la Mer, nous vous adressons nos salutations. Nous ne rĂ©pondrons pas aux arguments que vous avez publiĂ©s dimanche dans le Magallanes, car, tout comme les donnĂ©es de production de l’industrie que vous dirigez, ils sont faux, ce sont des mensonges.

Nous savons que ce qui vous dĂ©range, c’est que nous ne nous soyons pas inclinĂ©s Ă  vos pieds comme tant d’autres que vous manipulez Ă  votre guise. Sachez que nous avons un engagement envers nos anciens et donc envers notre territoire, chose que vous ne comprenez sĂ»rement pas, et nous pouvons le comprendre, car vous n’avez pas le cƓur d’un indigĂšne comme nous.

Vous avez lancĂ© une croisade de haine contre nous, car vous ne pouvez pas comprendre que de simples habitants, Ă©tudiants, pĂȘcheurs, artisans indigĂšnes puissent s’opposer Ă  la dĂ©vastation menĂ©e par l’industrie. Vous nous privez de nos droits, comme si nous ne pouvions pas chercher les outils nĂ©cessaires pour dĂ©noncer la destruction de notre mer.

Nous souhaitons vous prĂ©ciser quelque chose de trĂšs simple : ici, personne ne dirige les communautĂ©s, et nous comprenons aussi que vous ne puissiez pas le comprendre, vous ĂȘtes habituĂ©s Ă  avoir des chefs. Dans notre communautĂ©, cela n’existe pas, nous n’avons pas non plus l’habitude de diriger d’autres communautĂ©s, car, comme vous le savez, chacune jouit d’une totale autonomie.

Monsieur Odebret, parlons de colonialisme. Vous osez nous dĂ©signer comme si vous Ă©tiez le patron de Magallanes, n’est-ce pas lĂ  du colonialisme ? Qui ĂȘtes-vous pour restreindre notre autodĂ©termination ? Vous parlez de Juan Carlos Tonko comme s’il Ă©tait un exemple de « bon indigĂšne », mais vous ne dites pas qu’il jouit de toute votre sympathie et qu’il a rejoint l’industrie destructrice, comme beaucoup d’autres, ce qui est sa totale libertĂ©, mais cela dĂ©truit toute objectivitĂ©.

Monsieur Odebret, enfin, nous voulons vous faire une invitation. La premiĂšre est de ne pas mentir : mentir nuit au monde, aux personnes et aux systĂšmes. Un exemple clair est ce qui se passe au niveau mondial. Nous n’avons rien d’autre que la mĂ©moire de nos anciens kawĂ©sqar, mĂ©moire que vous voulez effacer.

La seconde, c’est qu’avant de nommer notre communautĂ©, nos alliĂ©s et notre reprĂ©sentante, vous devriez laver votre bouche avec du savon, car vous ne mesurez pas le mal que vous causez.

Nous vous saluons en espérant que cette lettre parvienne à votre bureau.

Communauté Kawésqar Groupes Familiaux Nomades de la Mer
Puerto Natales, 23 juin 2025


Lettre de Carlos Odebret

Monsieur le Directeur,

A Magallanes, oĂč plus de 99 % du littoral est sous une forme de protection, les tensions entre protection environnementale et dĂ©veloppement productif sont structurelles. Il n’est pas surprenant que ce territoire soit devenu un terrain idĂ©al pour les ONG internationales qui, de loin, y trouvent une vitrine parfaite pour porter des causes globales. Mais lorsque cette influence se manifeste par des litiges systĂ©matiques et sans ancrage territorial, une question inĂ©vitable surgit : quand un recours lĂ©gitime devient-il une stratĂ©gie de blocage ?

Un exemple de plus en plus Ă©vident est celui du groupe CommunautĂ©s KawĂ©sqar Nomades de la Mer, dirigĂ© par Leticia Caro, qui a menĂ© une stratĂ©gie judiciaire soutenue avec des ONG comme FIMA, AIDA et Greenpeace. Ils ont prĂ©sentĂ© des recours devant la Cour d’Appel — y compris un rĂ©cent pour le rejet d’une demande de terres fiscales — et onze plaintes devant le Tribunal de l’Environnement contre des projets d’investissement : centres d’élevage, usines, travaux publics, sans distinction d’échelle ni d’origine.

Le cas le plus illustratif est la demande d’ECMPO (Espace Marin CĂŽtier des Peuples Autochtones) « KawĂ©sqar – Última Esperanza », dĂ©posĂ©e en 2018, qui dĂ©clarait ouvertement vouloir « stopper l’avancĂ©e de la salmoniculture dans la rĂ©gion ». La demande couvre 275 421 hectares (une surface Ă©quivalente au Luxembourg) et, aprĂšs quatre ans de procĂ©dure judiciaire, a Ă©tĂ© rejetĂ©e par la Cour SuprĂȘme en fĂ©vrier 2023. Cependant, la procĂ©dure reste ouverte (il manque le Rapport d’Usage Coutumier de la CONADI et le vote au CRUBC), ce qui pourrait prolonger le blocage de plus de 40 concessions aquacoles pour une dĂ©cennie supplĂ©mentaire. Les ONG connaissent les failles du systĂšme : elles obtiennent, sans refus formel, le mĂȘme effet qu’une rĂ©solution dĂ©favorable.

En 2023, la communautĂ© KawĂ©sqar a demandĂ© une nouvelle ECMPO de 12 000 hectares face au parc national Cabo Froward (initiative de la Fondation Rewilding et du gouvernement). Cela montre comment des instruments comme les ECMPO deviennent des outils d’occupation stratĂ©gique du territoire, coordonnĂ©s avec des ONG qui manipulent le systĂšme institutionnel.

Il ne s’agit pas de remettre en cause le droit de recourir Ă  la justice, mais la judiciarisation sans dialogue, sans liens rĂ©els avec les communautĂ©s et sans assumer les consĂ©quences sociales du blocage des projets. C’est une intervention verticale qui instrumentalise les conflits depuis des bureaux lointains. Quand Greenpeace cĂ©lĂšbre une dĂ©cision d’un simple « like » sur les rĂ©seaux, la justice environnementale se rĂ©duit Ă  du militantisme superficiel : un « activisme du clic » qui affecte des vies rĂ©elles.

Du monde indigĂšne, des critiques comme celles du dirigeant Juan Carlos Tonko dĂ©noncent un « colonialisme vert », oĂč le discours environnemental supplante les communautĂ©s dans la prise de dĂ©cision. Le ministre Luis Cordero (2020) a averti : « Le procĂšs remplace le dialogue politique, et l’action environnementale devient une tranchĂ©e idĂ©ologique ».

Les Communautés Kawésqar Nomades de la Mer représentent 3 des 18 communautés Kawésqar, mais leur cause se présente comme la voix collective. Cette simplification déforme le débat et occulte la diversité indigÚne. Judiciariser sans dialogue ne protÚge pas les droits : cela bloque les opportunités.

Ce n’est pas Ă©cologie contre Ă©conomie, ni indigĂšnes contre entreprises. Il s’agit de gouvernance environnementale avec des rĂšgles claires, une participation authentique et un dĂ©veloppement humain. La justice environnementale ne peut pas ĂȘtre une tranchĂ©e idĂ©ologique : quand elle l’est, ce sont les communautĂ©s qui cherchent le progrĂšs qui en pĂątissent.

Carlos Odebret
Président des Salmoniculteurs de Magallanes

22 juin 2025
El Magallanes

L’ancien prĂ©sident Eduardo Frei et les industriels du saumon au Japon : Il faut « tuer la Loi Lafkenche (19/06/2025, Mapuche Diario)

L’ancien prĂ©sident Eduardo Frei et les industriels du saumon au Japon : Il faut « tuer la Loi Lafkenche (19/06/2025, Mapuche Diario)

Le lobbyiste d’affaires Eduardo Frei a dĂ©clarĂ© que pour que le Chili devienne un pays dĂ©veloppĂ© et puisse beaucoup exporter, « la premiĂšre chose que nous devons faire est tuer la Loi Lafkenche, car elle est en train de tuer l’industrie du saumon au Chili ».

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L’ancien prĂ©sident Eduardo Frei et les industriels du saumon au Japon : Il faut « tuer la Loi Lafkenche (19/06/2025, Mapuche Diario) 41

Osaka, Japon, 19 juin 2025 (radiodelmar.cl) – Lors du sommet d’affaires Chili-Japon Ă  l’Expo d’Osaka, qui s’est tenu le 16 juin au Japon, l’ancien prĂ©sident et actuel lobbyiste d’affaires, Eduardo Frei Ruiz-Tagle, a Ă©tĂ© invitĂ© par le gouvernement de Gabriel Boric ainsi que par les associations patronales forestiĂšres, agro-industrielles et salmonicoles, afin de dĂ©fendre les groupes exportateurs chiliens et les investissements des multinationales japonaises au Chili.

Lors de cette rencontre d’affaires, citĂ© par El Mercurio, l’ex-prĂ©sident a indiqué : « Par exemple, dans le secteur du saumon, nous sommes les deuxiĂšmes producteurs mondiaux et les entreprises japonaises sont prĂȘtes Ă  investir pour doubler nos exportations. Mais pour cela, la premiĂšre chose que nous devons faire est de tuer la Loi Lafkenche, car elle est en train de tuer l’industrie du saumon au Chili. Je le dis sans dĂ©tour ! »

La Loi Lafkenche (n° 20.249) est une lĂ©gislation de la RĂ©publique qui permet aux peuples autochtones, ainsi qu’aux activitĂ©s de pĂȘche artisanale, aux communautĂ©s et entreprises locales (gastronomie, tourisme), de demander la protection de zones du littoral via la mise en place des Espaces CĂŽtiers Marins des Peuples Autochtones (ECMPO).

Les propos de Frei ont Ă©tĂ© publiĂ©s par El Mercurio de Santiago du Chili. Ce mĂ©dia a Ă©galement recueilli les rĂ©actions de Sady Delgado, directeur gĂ©nĂ©ral de la mĂ©ga-entreprise AquaChile, propriĂ©tĂ© du groupe AgroSuper de la famille Vial et membre du patronat Conseil du Saumon, qui a remerciĂ© « la clartĂ© avec laquelle l’ex-prĂ©sident Frei a exposĂ© les difficultĂ©s auxquelles le secteur est confronté ».

Delgado a ajoutĂ© que l’ex-prĂ©sident « a tout Ă  fait raison dans ce qu’il dit, car c’est une loi qui affecte fortement le dĂ©veloppement de la salmoniculture et qui affectera aussi d’autres industries ».

Des lois contre la “permisologie” pour accĂ©lĂ©rer l’extractivisme au Chili

Suite aux propos de Frei, Susana JimĂ©nez, prĂ©sidente de la ConfĂ©dĂ©ration de la Production et du Commerce (CPC), a dĂ©clarĂ© Ă  El Mercurio que l’ex-prĂ©sident « a fait rĂ©fĂ©rence Ă  une situation rĂ©elle. Les processus de renouvellement de concessions et de nouveaux projets d’investissement sont bloquĂ©s. Et cela a beaucoup Ă  voir avec la maniĂšre dont la loi a Ă©tĂ© gĂ©rĂ©e. Il ne devrait pas y avoir de demandes d’espaces incroyablement grands qui bloquent les investissements et ne finissent que par ĂȘtre des transferts de richesse ».

À l’Expo Osaka, Eduardo Frei a exposĂ© deux autres points qu’il considĂšre comme essentiels Ă  dĂ©bloquer dans notre pays : la lenteur du systĂšme politique Ă  traiter les questions stratĂ©giques. Il a pris pour exemple la maniĂšre dont l’Accord Transpacifique (TPP11) a Ă©tĂ© traité : « Nous avons mis quatre ans Ă  le ratifier et nous avons perdu des marchĂ©s en Asie. Quatre ans perdus, en commerce international, c’est beaucoup ».

La deuxiĂšme revendication de Frei concerne les infrastructures : « Le Chili ne dispose d’aucun port de grande envergure et cela doit changer, sinon ce sera un frein Ă  notre potentiel exportateur », a argumentĂ© l’ex-prĂ©sident.

Ce sommet d’affaires s’est terminĂ© par une visite du pavillon du Chili Ă  l’Expo Osaka, oĂč le public a pu dĂ©guster des saumons et des vins, proposĂ©s par les associations de producteurs de saumon et le groupe Vinos de Chile.

Source: https://www.mapuchediario.cl/2025/06/19/ex-presidente-eduardo-frei-y-el-empresariado-salmonero-en-japon-hay-que-matar-la-ley-lafkenche/ Cet article, publiĂ© en espagnol par Diario Mapuche, a Ă©tĂ© traduit par les bĂ©nĂ©voles de l’association Karukinka

Pour en apprendre davantage sur l’actualitĂ© patagonne au Chili et en Argentine rendez-vous sur la page dĂ©diĂ©e du blog de l’association Karukinka : ici

[UNOC3 peuples autochtones] Déclaration du réseau des «Femmes Autochtones» face à la Politique Océanique du Chili à la Conférence des Océans UNOC3 (Mapuche Diario, 19/06/2025)

[UNOC3 peuples autochtones] Déclaration du réseau des «Femmes Autochtones» face à la Politique Océanique du Chili à la Conférence des Océans UNOC3 (Mapuche Diario, 19/06/2025)

Le RĂ©seau des Femmes Autochtones pour la DĂ©fense de la Mer, composĂ© de cinq peuples (Diaguita, Chango, Mapuche, KawĂ©sqar et YagĂĄn) a dĂ©noncĂ© les attaques et l’invisibilisation subies au Chili malgrĂ© une loi reconnue internationalement comme un modĂšle de conservation marine inclusive : la loi Lafkenche. #unoc3 peuples autochtones chili

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[UNOC3 peuples autochtones] Déclaration du réseau des «Femmes Autochtones» face à la Politique Océanique du Chili à la Conférence des Océans UNOC3 (Mapuche Diario, 19/06/2025) 43

Lors de la TroisiĂšme ConfĂ©rence des Nations Unies sur les OcĂ©ans (UNOC3), qui s’est tenue du 9 au 13 juin 2025 Ă  Nice (France), le Chili a projetĂ© une image de leader mondial en matiĂšre de politiques ocĂ©aniques, annonçant son engagement Ă  protĂ©ger plus de la moitiĂ© de son ocĂ©an — dĂ©passant ainsi l’objectif 30×30 —, Ă  accueillir le SecrĂ©tariat du TraitĂ© sur la Haute Mer et Ă  se porter candidat pour co-prĂ©sider la prochaine ConfĂ©rence des OcĂ©ans (UNOC4).

Cependant, depuis cette mĂȘme tribune internationale, le RĂ©seau des Femmes Autochtones pour la DĂ©fense de la Mer, reprĂ©sentant les visions collectives des cinq peuples qui le composent — Diaguita, Chango, Mapuche, KawĂ©sqar et YagĂĄn —, ainsi que l’IdentitĂ© Territoriale Lafkenche et d’autres leaders des peuples cĂŽtiers du sud du Chili, ont exposĂ© une contradiction douloureuse : le pays qui cherche Ă  diriger la conservation marine mondiale attaque et invisibilise chez lui une loi reconnue internationalement comme un modĂšle de conservation marine inclusive.

Il s’agit de la Loi 20.249, qui crĂ©e les Espaces CĂŽtiers Maritimes des Peuples Autochtones (ECMPO), une rĂ©glementation issue de la lutte lĂ©gitime des peuples autochtones. Cette loi permet d’attribuer l’administration d’espaces maritimes cĂŽtiers dĂ©limitĂ©s Ă  des communautĂ©s ayant historiquement exercĂ© leur usage coutumier, dans le but de prĂ©server les pratiques traditionnelles, de conserver les ressources naturelles, de garantir le bien-ĂȘtre et le lien ancestral avec la mer, et de promouvoir une gouvernance participative et inclusive du littoral entre les diffĂ©rents acteurs territoriaux.

Comme l’a expliquĂ© Pamela Mayorga Caro, coordinatrice du RĂ©seau, lors de la confĂ©rence, cette loi est « un outil de co-administration qui rend visibles et donne la possibilitĂ© aux communautĂ©s d’avoir une voix dĂ©mocratisĂ©e sur l’avenir de leurs territoires ».

Alors que le Chili aspire Ă  diriger la conservation marine mondiale, ses avancĂ©es ocĂ©aniques n’intĂšgrent pas de maniĂšre substantielle les cĂŽtes continentales et les eaux intĂ©rieures, Ă©picentre des conflits socio-environnementaux. Et, paradoxalement, la Loi 20.2491, qui pourrait ĂȘtre l’un des outils clĂ©s pour progresser dans ce sens, ne fait pas partie de l’agenda officiel des politiques ocĂ©aniques du pays et, au contraire, fait l’objet de fortes attaques de la part de secteurs industriels et politiques qui cherchent Ă  la modifier.

Comme l’a rĂ©itĂ©rĂ© Astrid Puentes Riaño, Rapporteuse spĂ©ciale de l’ONU, lors de plusieurs interventions Ă  la ConfĂ©rence des OcĂ©ans, et dans un rĂ©cent article publiĂ© dans El PaĂ­s, dans l’élaboration de politiques ocĂ©aniques efficaces « la reconnaissance des droits des communautĂ©s cĂŽtiĂšres est essentielle, car environ 500 millions de personnes dĂ©pendent de la pĂȘche artisanale et, tout comme le peuple mapuche lafkenche, beaucoup d’entre elles sont des peuples autochtones dont l’expĂ©rience sert Ă  protĂ©ger la vie de l’ocĂ©an. Cependant, elles sont rarement incluses dans les processus de prise de dĂ©cision, alors qu’elles sont essentielles pour trouver des solutions. »2

Ingrid EcheverrĂ­a Huequelef, coordinatrice du RĂ©seau, s’est exprimĂ©e depuis Nice en affirmant qu’il s’agit « d’une loi nĂ©e de la spiritualitĂ© du peuple mapuche lafkenche, une loi inclusive
 mais qui, en raison de l’ignorance, est trĂšs durement attaquĂ©e par les industries extractives et par un certain mouvement politique chilien. » De son cĂŽtĂ©, Yohana Coñuecar Llancapani, coordinatrice du RĂ©seau et reprĂ©sentante des peuples autochtones Ă  la Commission rĂ©gionale d’utilisation du littoral de la RĂ©gion des Lacs, a ajoutĂ© qu’en tant que femmes dĂ©fenseures du territoire, « nous subissons des campagnes de haine et de racisme, et sommes constamment invisibilisĂ©es par l’État. »

Cette loi et sa dĂ©fense reposent sur une comprĂ©hension profonde de l’ocĂ©an, que les reprĂ©sentantes du RĂ©seau ont exprimĂ©e clairement : « La mer est pour nous un espace de mĂ©moire, de subsistance, de spiritualitĂ©, de culture et de travail. » Cette perspective ancestrale, qui contraste fortement avec les politiques extractivistes de « l’Économie Bleue » promues par les gouvernements et les industries, offre des alternatives concrĂštes et durables pour la protection des ocĂ©ans, fondĂ©es sur des systĂšmes de gouvernance communautaire et des savoirs transmis de gĂ©nĂ©ration en gĂ©nĂ©ration. Face Ă  un modĂšle qui considĂšre la mer comme une ressource Ă  exploiter, les femmes autochtones proposent une relation de rĂ©ciprocitĂ© et de soin qui a prouvĂ© son efficacitĂ© depuis des siĂšcles.

Cette vision intĂ©grale se traduit par une proposition politique concrĂšte et sans ambiguĂŻté : « les politiques publiques ne peuvent ĂȘtre fondĂ©es sur le centralisme, elles doivent Ă©maner des territoires. Elles ne peuvent ĂȘtre influencĂ©es par le pouvoir Ă©conomique des industries. » Leur position, forgĂ©e par des annĂ©es de rĂ©sistance, est inĂ©branlable : « nous, femmes de la mer, ne permettrons pas le recul des droits que nous avons obtenus de haute lutte, pour nous-mĂȘmes et pour les gens qui vivent et travaillent sur la mer, la naviguent et rĂ©coltent non seulement des poissons, mais aussi des algues, des coquillages, pour ceux qui rĂ©sistent et protĂšgent les esprits qui habitent les territoires. » — Ingrid EcheverrĂ­a Huequelef.

Cette fois depuis la ConfĂ©rence sur les OcĂ©ans, demain depuis diffĂ©rents territoires cĂŽtiers du Chili, et en novembre Ă  BelĂ©m lors de la COP30, le RĂ©seau des Femmes Autochtones pour la DĂ©fense de la Mer maintiendra sa voix haute et continuera d’interpeller directement le gouvernement chilien, la FAO, les organisations internationales, les bailleurs de fonds, les industries et tous les acteurs impliquĂ©s dans la gouvernance de la mer. Le message est clair :

  • Mettre fin Ă  la marchandisation de l’ocĂ©an au nom de la croissance bleue et Ă  d’autres mesures de conservation fondĂ©es sur les aires, qui ne respectent ni nos droits ni nos modes de vie.
  • Assurer une approche interculturelle et de genre transversale dans les politiques ocĂ©aniques et une participation active et centrale des peuples autochtones et des communautĂ©s de la mer dans la gouvernance marine.
  • Garantir la non-rĂ©gression des droits dans les territoires cĂŽtiers-marins acquis Ă  travers des processus de lutte lĂ©gitimes.
  • PrĂ©venir, arrĂȘter et garantir la justice face aux menaces et Ă  la criminalisation des dĂ©fenseur·e·s de la mer.
  • Exiger de la cohĂ©rence au gouvernement chilien dans sa politique ocĂ©anique pour pouvoir se porter candidat Ă  l’accueil du SecrĂ©tariat du TraitĂ© sur la Haute Mer et Ă  l’organisation de l’UNOC4.

Le RĂ©seau rappelle un principe fondamental : garantir des ocĂ©ans sains exige d’inclure les voix de celles et ceux qui vivent de la pĂȘche, de la rĂ©colte et de la cueillette, qui habitent les cĂŽtes et comprennent de premiĂšre main l’interdĂ©pendance entre la santĂ© des ocĂ©ans, les activitĂ©s humaines et la justice territoriale.

Le Chili doit résoudre ses incohérences internes et honorer ses engagements et responsabilités légales envers les communautés, avant de prétendre à la reconnaissance de son leadership mondial en matiÚre de politiques océaniques.

« Le Chili parle trĂšs bien Ă  l’extĂ©rieur, mais Ă  la maison, il doit rĂ©gler ses comptes. » — PĂ©rsida Cheuquenao AillpĂĄn, PrĂ©sidente de l’IdentitĂ© Territoriale Lafkenche et coordinatrice du RĂ©seau des Femmes.

Nice a montrĂ© que cette contradiction n’est pas exceptionnelle, mais fait partie d’une crise mondiale plus profonde oĂč il existe toujours un fossĂ© abyssal entre le discours environnemental et la pratique extractiviste, face auquel il n’y a pas de place pour la complaisance ni pour le silence complice.

Lire l’Appel à l’Action complet ici [en espagnol].

Source: https://www.mapuchediario.cl/2025/06/19/declaracion-de-la-agrupacion-mujeres-originarias-frente-a-la-politica-oceanica-de-chile-en-la-conferencia-de-oceanos/ Traduit et partagĂ© par l’association Karukinka, dĂ©diĂ©e Ă  la Patagonie