Il s’agit de Don Bernardino Pantoja, un homme très apprécié de la communauté de Selk’nam. Son départ physique a eu lieu ce vendredi, et sur les réseaux sociaux, on se souvient avec appréciation de lui comme d’un personnage très aimé.
Par Redaction Infofueguina vendredi 26 juin 2020 · 21:22. Traduit de l’espagnol par l’association Karukinka
La communauté Fuégienne et Selk’nam a exprimé ses regrets et ses adieux après le départ physique de Bernardino Pantoja Imperial, ce vendredi 26 juin.
En plus d’être un ancien habitant (« antiguo poblador »), Don Bernardino était membre de la communauté autochtone Rafaela Ishton Selk’nam de Río Grande et du club sportif et culturel Général San Martín.
« Aujourd’hui est un jour très touchant pour toute notre communauté Selk’nam, le grand-père Bernardino Pantoja Imperial nous quitte pour rejoindre le grand Kashpek », ont-ils exprimé sur les réseaux sociaux après avoir appris la nouvelle.
« Aujourd’hui, un ancien résident et grand athlète, Bernardino Pantoja Imperial R.I.P., surnommé le « Roi du Dribble », nous a quitté physiquement. Ceux qui se souviennent de lui dans sa jeunesse le considèrent comme un grand athlète, dans le football, dans la boxe. Nous l’accompagnons avec tous ceux qui ajoutent leur silence à son silence… », ont-ils ajouté.
« Je n’ai pas de mots pour remercier tant d’amour, de gentillesse, d’hospitalité, ses enseignements et les conversations relatives à notre peuple et à ses ancêtres », ont-ils exprimé.
À l’extrême sud du continent sud-américain se trouve la Terre de feu, une terre composée d’îles réparties entre l’Argentine et le Chili longtemps baptisée « bout du monde ». En 2013, l’ethnomusicologue Lauriane Lemasson part en autonomie complète pour enregistrer les sonorités des paysages. Dans cette quête entêtante, la jeune chercheuse espère trouver les traces d’occupations des peuples amérindiens qui vivaient là il y a près de 12 000 ans.
L’étudiante et chercheuse française Lauriane Lemasson a détaillé les activités menées par trois membres des peuples Selk’nam et Yagan à Paris et dans d’autres villes européennes. Elle a souligné l’accueil qu’ils ont reçu et la possibilité de « se rapprocher de la place de l’autre, pour ne pas commettre les choses inacceptables qui se sont faites, dans une partie des XIXe et XXe siècles, en anthropologie ». Elle a souligné que sur les peuples autochtones, « le seul pouvoir que possèdent les colonialistes est d’imposer la honte de leur propre identité, mais aujourd’hui cette honte est devenue de la fierté », a-t-elle affirmé.
Por Redacción Infofueguina le jeudi 19 décembre 2019 · 08:30. Traduit de l’espagnol par l’association Karukinka
« J’ai présenté mon travail lors d’un colloque international à Paris, c’était en janvier 2019, et j’ai rencontré Denis Laborde qui est l’organisateur du Festival Haizebegi. « Il a suivi mes recherches, commencées en 2011, et lorsqu’il est venu au colloque, il m’a interrogé sur mon travail », a commencé Lauriane Lemasson, chercheuse française étudiante à la Sorbonne, en élaborant sa thèse sur « Le paysage sonore comme élément culturel ». ressource, dans le sud. » de Hatitelén (détroit de Magellan) », pour laquelle elle se rend régulièrement en Patagonie chilienne-argentine et entretient des contacts fréquents avec des membres des peuples autochtones.
Lemasson a déclaré qu’après l’entretien, l’oganisateur du festival Haizebegi lui a dit qu’elle avait « carte blanche » pour ce festival qui a eu lieu en octobre dernier à Bayonne – France, avec en arrière-plan une interview qu’elle avait réalisée à Punta Arenas avec Mirtha Salamanca, petite-fille de Lola Kiepja, et qui a été traduite dans différentes langues mais toujours « avec préavis à Mirtha elle-même, pour savoir si elle avait son accord », a précisé la chercheuse française.
Après avoir écouté l’interview, Laborde a proposé d’inviter Mirtha Salamanca au festival et a déclaré que « deux personnes supplémentaires pourraient être invitées, peut-être trois si nous avons la subvention », a mentionné Lauriane Lemasson, prévenant que l’association dirigée par Denis Laborde est soutenue par beaucoup d’efforts, avec ses propres contributions ou celles de collaborateurs, « mais sans financement direct de l’État », a-t-elle souligné.
Elle a déclaré qu’il s’agissait d’une association qui « travaille beaucoup avec les immigrés, sur des questions sociales et soutient de nombreuses causes humanitaires ». Dans ce but, on a souligné l’importance de se référer à la situation des peuples indigènes de la zone, en invitant – en consultation avec Mirtha Salamanca – Víctor Vargas Filgueira et José González Calderón, tous deux appartenant au peuple Yagan.
Lauriane Lemasson a précisé que tout le matériel présenté, ainsi que le contenu des entretiens et conférences, avait été élaboré et choisi par Salamanca, Vargas Filgueira et González Calderón. « Les initiatives sont nées d’eux, car l’idée était qu’ils définissent ce qu’ils voulaient partager avec les gens en France », a-t-elle souligné.
Elle a déclaré qu’ils ont pu parler « d’une variété de sujets importants tels que les élevages de saumons, le respect de leur culture par les artistes et les chercheurs, l’importance de redonner aux informateurs une copie des travaux lorsque le travail est fait pour qu’il ne soit pas perdu ». La chercheuse française a commenté que plus tard les membres des peuples autochtones ont pu échanger et partager avec des références locales, et dans ces contacts ils ont réalisé qu’en France aussi il y avait des peuples autochtones « parmi lesquels ceux de mes ancêtres », a déclaré Lauriane Lemasson, mentionnant qu’elle descend des Bretons.
Un autre contact important a été avec Pascal Blanchard, qui fait des recherches sur ce qu’on appelle les « zoos humains », et avec qui ils ont pu « se rendre compte qu’il n’y avait pas que des shelk’nam et des yagans exposés, mais qu’il y avait aussi des membres de peuples européens et d’autres parties du monde, c’était aussi important pour moi parce que j’ai découvert qu’il y avait aussi des gens de ma ville qui étaiten exposés là-bas », a-t-elle déclaré.
La chercheuse française a indiqué que c’est avec les zoos humains que « le racisme est né, car il vient de cette époque-là. Avant, il y avait l’ignorance de l’autre, mais pas cette hiérarchie entre les gens. Avec l’ère des zoos humains, le racisme est né et a été soutenu par les anthropologues et les scientifiques de l’époque, dans le but de comprendre l’évolution humaine. »
Elle a déclaré qu’ils avaient également eu « accès aux archives de (l’anthropologue franco-américaine Anne) Chapman, où c’était très fort de voir qu’ils pouvaient avoir un contact direct avec ce matériel. Ils ont également établit des contacts avec le responsable des Relations extérieures de la Conférence des présidents des universités françaises, Jean Luc Nahel, avec qui a été évoquée la possibilité de quelques projets futurs.
L’activité comportait, comme autre point fort, une conférence pour les étudiants français visiblement émus par les témoignages, notamment celui de Mirtha Salamanca et l’histoire de sa grand-mère Lola Kiepja. En conclusion, les étudiants, de leur propre initiative, ont décidé de déposer une note signée pour soutenir la demande de restitution des restes et « demander une réponse ».
Lauriane Lemasson a indiqué, enfin, qu’il est apparu au cours du voyage que le chercheur doit « se rapprocher de la place de l’autre, pour ne pas commettre les choses inacceptables qui se sont faites dans une partie des XIXe et XXe siècles en anthropologie. Il était également très important de savoir que les gens venaient demander quand les ateliers ont lieu, comme l’atelier de vannerie qui a été répété chaque our pendant 2h, relétant l’importance de la relation qui s’est établie. En conclusion le seul pouvoir que les colonialistes ont est née du fait d’avoir imposé au peuple la honte de leur propre identité, mais aujourd’hui cette honte s’est transformée en fierté », souligne la chercheuse française.
Dans la Bahía Inútil (Chili) une équipe de scientifiques a découvert une sépulture infantile appartenant à la culture Selk’nam, avec des caractéristiques uniques. Le trousseau qui l’accompagne présente des objets méconnus, ainsi que des objets funéraires inhabituels dans cette région.
Article paru en espagnol et traduit par l’association Karukinka. Titre original (espagnol) : « Aparecen objetos desconocidos en la sepultura de un niño Selk’nam en Tierra del Fuego »
Couples mandibulaires de guanacos adultes faisant partie du mobilier funéraire unique / Photos fournies par Thierry Dupradou
Le peuple Selk’nam de la Terre de Feu était une tribu qui vivait à la pointe sud de l’Amérique du Sud. Elle était composée de chasseurs-cueilleurs nomades qui subsistaient à l’origine grâce aux guanacos sauvages, aux oiseaux, aux rongeurs, aux coquillages et aux pinnipèdes (phoques, otaries et morses) qu’ils chassaient. Au début du XXe siècle, les maladies infectieuses et un génocide perpétré par les colons britanniques, argentins et chiliens en ont anéanti la plupart.
Avec leurs voisins, les Haush, cette tribu était l’un des rares groupes de chasseurs-cueilleurs d’Amérique dont les moyens de subsistance étaient limités à une seule île. Ses archives archéologiques sont abondantes, mais on sait peu de choses sur ses pratiques mortuaires.
Une étude internationale, dirigée par l’Université de Magallanes à Punta Arenas (Chili), avec la participation de l’Institut de biologie évolutive (UPF-CSIC), a décrit l’enterrement d’un enfant de cette tribu aux caractéristiques uniques, située à Bahía Inútil. La datation au radiocarbone situe la sépulture au début de la période postcolombienne.
« Ni en Terre de Feu, chilienne ou argentine, un trousseau similaire n’avait pas été trouvé aux côtés des restes humains de chasseurs-cueilleurs terrestres. Les biens étaient beaucoup plus simples, mais en général il s’agissait de sépultures d’adultes », explique à Sinc Alfredo Prieto, chercheur à l’Université de Magallanes, qui a dirigé l’étude publiée dans la revue The Journal of Island and Coastal Archaeology.
Dans l’ouvrage, Prieto et son équipe décrivent les matériaux archéologiques trouvés à côté du squelette d’un enfant très bien conservé. Ce qui frappe, ce sont les objets funéraires qui l’accompagnent, inhabituels dans cette région.
« Il existe plusieurs éléments mystérieux dont nous ignorons l’utilité. On ne sait même pas s’il s’agit de copies ou d’outils utilisés à l’époque. Il peut s’agir par exemple de reproductions d’outils en bois qui n’ont jamais survécu. Nous ne pouvons rien oser là-dessus non plus. Certains d’entre eux simulent des outils familiers, comme des pinces à feu. D’autres, comme les boules à rainures ou les outils en pierre, on sait qu’ils ont été utilisés », ajoute le scientifique.
Crâne d’enfant. Il apparaît brisé suite à son émergence du tombeau qui avait été érodé / Photo fournie par Thierry Dupradou
Os regroupés par paires
Les restes de l’enfant étaient accompagnés de modèles uniques d’objets en os. Il s’agissait principalement de fragments de becs de manchots royaux (75 % des restes) et de mâchoires de guanaco disposés par paires pour ressembler à des becs, ce qui est inhabituel et jamais observé auparavant dans d’autres tombes. Le manchot royal fait partie de la mythologie Selk’nam.
L’abondance, la densité et la diversité des tombes témoignent d’un ensemble matériel et culturel complexe, ainsi que d’un savoir-faire technique jusqu’alors inédit chez ce groupe de chasseurs-cueilleurs.
« Les paires de mâchoires du guanaco sont remarquables. Elles sont apparues ensemble par paires et l’une d’entre elles possède même des preuves d’amarrage. En raison du type de coupe et de la taille, il semble que leur fonction était de les utiliser comme becs, ce qui est très étrange », explique Prieto. On ne trouve rien de tel dans la littérature archéologique, nulle part dans le monde.
Ils ont également trouvé des matières premières lithiques, légèrement gravées, ce qui est relativement rare dans ces sites. Beaucoup de ces éléments n’avaient jamais été observés dans les archives archéologiques ou ethnographiques de la Terre de Feu.
« Une étrange pièce évoquant une navette révélerait des techniques de tissage de filets, mais c’est le seul fragment dont la forme semble induire une fonction. De plus, toutes les pièces sont des ensembles de paires structurelles ; entre le pointu et le fissuré, ou entre l’ouvert et le fermé, constitués de matériaux divers. Comme nous perdons l’intégrité du placement initial, nous ne savons pas vraiment s’ils faisaient partie de « mécanismes » plus vastes », poursuit-il.
« Il existe plusieurs éléments mystérieux dont nous ne connaissons pas l’utilité », explique Alfredo Prieto.
Une génétique particulière
Selon les archives archéologiques, il semble que la population de Selk’nam dépassait à peine 1 500 personnes, sur un territoire de près de 48 000 km2. De plus, jusqu’à présent, les scientifiques ne peuvent pas déterminer si ces individus étaient les descendants directs des premiers groupes qui ont peuplé l’île, ou s’ils sont arrivés plus tard.
Les restes humains de l’enfant révèlent qu’ils appartenaient à un jeune adolescent dont l’alimentation était majoritairement terrestre. Les analyses ostéologiques n’ont montré aucun problème osseux ni pathologie, suggérant qu’il s’agissait d’un individu sans aucune anomalie. « Nous ne connaissons pas les causes du décès », ajoute l’expert.
Les informations ethnographiques indiquent que les décès d’enfants non dus à des accidents étaient incompréhensibles pour les Selk’nam, qui les imputaient généralement à un chaman d’un groupe ennemi et encourageaient les actes de vengeance.
Une autre particularité de cette découverte est qu’elle fournit la première preuve génétique du sous-haplogroupe mitochondrial D1g5 dans la population Selk’nam de la Terre de Feu. Ce fait pourrait indiquer que ses origines remontent à la première vague de colonisation humaine de l’Amérique du Sud.
« L’haplotype mitochondrial D1g5 n’a été décrit qu’en 2012, en partie parce qu’il a une répartition assez restreinte dans le sud de l’Amérique du Sud. Localement, dans le sud du Chili et en Patagonie, cela peut être assez courant. On estime qu’il a environ 15 000 ans, c’est-à-dire le résultat de l’arrivée de certains des premiers colonisateurs de l’Amérique et de leur dispersion ultérieure dans tout le cône sud », explique Carles Lalueza Fox, chercheur à l’Institut de biologie évolutive. à Sinc ( UPF-CSIC) et co-auteur de l’étude.
Lieu de découverte à côté de la côte de Bahía Inútil, Terre de Feu / Universidad de Magallanes
C’est la première fois qu’il est décrit en Terre de Feu, mais cela concorde avec la possibilité qu’il y ait eu des contacts avec les populations locales au nord du détroit de Magellan. « Cela correspond également aux indications de restes marins, puisque l’enfant a été retrouvé sur la côte du détroit et bien que les Selk’nam étaient des chasseurs-cueilleurs terrestres, cela indiquerait moins d’isolement que ne le supposent les témoignages ethnographiques et plus de contacts avec les populations voisines, « , argumente Lalueza Fox.
Son équipe séquence actuellement certains génomes d’autochtones de la Terre de Feu pour les intégrer dans le contexte de la diversité génomique du continent américain. « Il est possible que nous trouvions des preuves de sélection naturelle et d’adaptation au froid dans certains gènes liés au métabolisme », conclut-elle.
Seuls cinq autres haplogroupes d’ADNmt ont été découverts jusqu’à présent dans des échantillons provenant d’anciennes populations de cette région : celui de cet enfant Selk’nam, deux Yamana et deux Kawesqar.
Interaction avec d’autres cultures
L’enterrement témoigne d’interactions de grande envergure avec d’autres cultures, tant sur le continent qu’ailleurs sur l’île. Leurs voisins immédiats étaient d’autres groupes nomades, deux maritimes (Yamana et Kawesqar) et deux terrestres (Haush sur l’île et Aonikenk sur le continent).
Les Selk’nam n’étaient pas des marins, donc tous les objets de ce type trouvés dans la sépulture proviendraient de l’extérieur de la Terre de Feu, obtenus auprès de leurs voisins proches.
L’équipe séquence actuellement certains génomes des peuples autochtones de la Terre de Feu.
Les contacts directs et indirects avec ces groupes seraient cruciaux pour avoir accès à des animaux et à des matières premières exotiques, comme par exemple le nandou de Darwin (Rhea pennata), l’obsidienne verte ou les restes du mollusque D. magellanicum trouvés dans les sites de cette région. .
Le nandou de Darwin a disparu de la Terre de Feu à la fin du Pléistocène, et sa présence parmi les tombes signifie qu’il a probablement été importé de la steppe continentale.
De l’obsidienne avait déjà été découverte à Bahía Inútil, non loin de ce lieu de sépulture. D. magellanicum habite les profondeurs marines du détroit de Magellan et a probablement été collecté par voie maritime dans des bateaux. « Les Selk’nam n’étaient pas des marins », souligne Prieto.
Cet enterrement offre une fenêtre unique pour découvrir des aspects jusque-là inconnus de la société Selk’nam.
La sixième édition du festival Haizebegi, consacré aux « mondes de la musique » et aux sciences sociales, s’ouvre aujourd’hui à Bayonne. Pour son directeur, l’anthropologue Denis Laborde, l’étude des œuvres et des façons de faire de la musique offre un éclairage crucial sur les rapports sociaux.
Vous avez créé en 2014 à Bayonne un centre de recherche sur les musiques du monde (ARI) et le festival Haizebegi, qui mélange musique et recherche. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce festival? Denis Laborde1 : En langue basque, « haize begi » signifie « regard du vent ». La musique, comme le vent, ignore les frontières et porte témoignage. Elle dit quelque chose de celles et ceux qui la font, et elle constitue une magnifique porte d’entrée sur tous les univers de culture. Ce festival, que nous avons créé avec mes doctorants de l’EHESS, est unique en son genre. Il conjugue les sciences sociales (conférences, débats, colloques, publications) et la musique (concerts, films, expositions, danse).
Pour cette sixième édition, qui se déroulera jusqu’au 20 octobre, nous accueillons des musiciens syriens, cubains, argentins, kanaks, et des créateurs basques qui seront à l’honneur avec Rain of Music, un invraisemblable opéra pour robots, à la pointe des nouvelles technologies et composé dans le cadre d’un projet scientifique international. Nous accueillons aussi des Selk’nam et des Yagán de l’extrême sud de la Patagonie, grâce à l’ethnomusicologue Lauriane Lemasson qui leur consacre sa thèse. Ils viennent d’Ushuaïa, de Puerto Williams et du Cap Horn ; leurs ancêtres ont été exhibés dans des « zoos humains » lors de l’Exposition universelle de Paris en 1889, ou encore vendus aux enchères à Punta Arenas en 1895.
Pour évoquer cette mémoire douloureuse, nous organisons le 12 octobre une cérémonie de résilience : Lars Christian Koch, qui dirige le Phonogramm-Archiv de Berlin, leur remettra solennellement des copies des enregistrements sonores qui furent réalisés entre 1907 et 1923, par des missions ethnographiques allemandes en Terre de Feu. C’est une manière très symbolique de leur rendre la voix de leurs ancêtres.
Des Selk’nam ont été exhibés durant l’Exposition universelle de Paris en 1889. Nicolas Bancel et al.
Le festival, tel que nous le concevons, ne considère pas du tout la musique comme un instrument de divertissement : c’est un outil d’intelligibilité des sociétés humaines, qui fait de l’art de l’écoute une attitude de connaissance qui s’étend bien au-delà de la musique. C’est pourquoi un festival organisé par des chercheurs n’est pas la même chose qu’un festival organisé par des opérateurs culturels, ne serait-ce que parce que nous y associons un « programme » de 332 pages en forme de revue scientifique.
En quoi l’anthropologie de la musique consiste-t-elle ? D. L. : C’est une manière spécifique de saisir les « faits de musique ». Tout est parti d’une curiosité, d’une libido sciendi, et d’un désir de sauvetage, à quoi s’est ajouté un outil providentiel : l’écriture musicale sur portée de cinq lignes. Pendant plusieurs siècles, les transcriptions musicales permettent de « sauver » les musiques des autres ; les recueils et les chansonniers en portent témoignage.
Un festival organisé par des chercheurs n’est pas la même chose qu’un festival organisé par des opérateurs culturels.
Mais lorsque Thomas Edison invente son phonographe à cylindre, ce sont les sons que l’on conserve, et ce dès 1889. Que faire alors de ces rouleaux de cire ? On leur dédie de grandes phonothèques : à Vienne, Berlin ou encore Paris, avec les Archives de la paroles, créées par Ferdinand Brunot et Émile Pathé en 1911.
Les études sur les musiques de tradition orale se développent donc dans les musées. C’est une manière de préserver ce que l’on nommerait aujourd’hui un « patrimoine de l’humanité ». Puis les ethnomusicologues se posent des questions passionnantes : comment les répertoires s’inventent-ils, se stabilisent-ils, se diffusent-ils, s’influencent-ils ? Comment les transcrire, quelles sont leurs propriétés ? Comment peuvent-ils résonner en nous, susciter des pensées, des émotions, des états d’âme ? Comment mettent-ils les corps en mouvement dans la danse ou dans la transe ? Au-delà, nous pouvons analyser la façon dont des personnes se réunissent, font de la musique ensemble ; découvrir les significations culturelles qui leur sont attachées et la vie sociale de ceux qui fabriquent ces musiques.
Préparation des robots pour le spectacle Rain of Music, un opéra pour robots créé par les artistes et les informaticiens de l’Université du Pays basque, du Scrime et de l’ESTIA.
La musique a-t-elle une dimension universelle ou des significations diverses selon les cultures et les peuples ? D. L.: La musique a ceci en commun avec le langage qu’elle est une capacité de l’espèce humaine. Tous les êtres humains peuvent parler et faire de la musique. Il n’empêche que l’humanité parle des langues très différentes et joue des musiques distinctes. Les capacités humaines sont « phylogénétiquement déterminées et culturellement déterminantes », nous dit Dan Sperber3. C’est cela, l’universalisme de la musique. Mon chien Mugi essaie de parler, de chanter même. Je sens bien qu’il progresse, mais ça ne vient pas. J’ai dû renoncer : il lui manque une détermination phylogénétique.
Donc pour répondre à votre question : oui, la musique a une dimension universelle en ce sens que c’est une capacité commune à l’espèce humaine. Pour autant, être universaliste ne signifie pas que l’on cherche à construire une théorie générale de la musique qui vaudrait de tout temps et en tous lieux. Chaque occasion de musique est unique et nous l’étudions en tant que telle. Ensuite, nous mettons en série tous les cas étudiés, et nous voyons si nous pouvons généraliser, ou pas. Mais le souci de généralisation n’intervient qu’après les analyses in situ, sinon le regard est biaisé.
(…) Les personnes en déshérence peuvent être des porteuses de traditions qu’elles mettent en partage.
Pourriez-vous donner une illustration concrète, d’une étude que vous mèneriez actuellement par exemple ? D. L. : Depuis 2015, je m’intéresse aux pratiques musicales des personnes qui se trouvent en situation de migration forcée. Il y a désormais un fort afflux de migrants au Pays basque. Ils traversent la péninsule Ibérique et se retrouvent à Bayonne, où l’Institut des sciences humaines et sociales du CNRS vient d’installer notre institut ARI (pour Anthropological Research Institute on Music)4.
Cet afflux est remarquablement géré par la ville et par les bénévoles regroupés en associations. Il faut que cela se sache : le centre Pausa a accueilli 10 000 migrants en moins d’un an dans une dynamique extrêmement positive. Dans le cadre de l’institut, nous développons un programme pour comprendre ce qui se joue lorsque des migrants font de la musique dans ces lieux de répit.
Festival Haizebegi 2017, Ritos de la Tunda
À l’automne 2015 par exemple, le village de Baïgorry a accueilli pendant trois mois cinquante migrants venus de Calais : à la fin de l’hiver, ces migrants veulent remercier ce village qu’ils s’apprêtent à quitter. Ils demandent des instruments, on leur apporte un violon, une flûte, des percussions… Et cette « fête interculturelle » du 31 janvier va devenir pour les habitants un moment de sidération : chacun découvre que ces personnes en déshérence peuvent être des porteuses de traditions qu’elles mettent en partage. Cela change radicalement le regard que l’on porte sur elles. C’est à cela que nous nous intéressons, avec l’appui de l’Institut Convergences Migrations dont nous sommes partie intégrante.
Mais nous voulons aller plus loin. Si l’expression musicale transforme les représentations que nous nous faisons des migrants, pourquoi les chercheurs ne travailleraient-ils pas avec les institutions culturelles pour faire de la musique l’instrument d’une dignité retrouvée, voire un outil d’intégration ? C’est tout l’enjeu de l’extension aux pratiques artistiques du Programme national d’aide à l’accueil en urgence des scientifiques en exil (Pause) du Collège de France, auquel nous sommes associés. L’expertise acquise à Bayonne montre que cet enjeu est tout à fait considérable.
Une large partie de vos travaux portent aussi sur la création musicale et l’improvisation… D. L. : Cela me passionne ! On associe les musiques traditionnelles à la répétition à l’identique de schémas dont « la tradition » interdirait de sortir. Or, c’est tout le contraire ! L’histoire des traditions musicales est faite de moments de stabilisation des répertoires, puis de gestes déviants produits par des musiciens inventifs. La plupart de ces gestes passent inaperçus, d’autres créent des polémiques, d’autres enfin sont implémentés et modifient durablement les manières de faire. C’est de cette manière qu’une tradition reste elle-même, en changeant au fil du temps. Le cas de l’improvisation est un cas extrême. On a tendance à penser que tout se passe spontanément, qu’il suffit de laisser libre cours à son inspiration. Or, on ne s’improvise pas improvisateur…
Dans La Mémoire et l’Instant5, j’ai montré que ces poètes basques qu’on appelle bertsulari (faiseurs de vers) rencontrent peu de succès lorsqu’ils s’enferment dans leur paysage mental. Les meilleurs improvisateurs et les meilleures improvisatrices – car les femmes sont aujourd’hui les championnes – sont celles ou ceux qui entrent en communication avec le public. Ils intègrent ses réactions dans leurs improvisations et chaque spectateur a le sentiment d’en devenir un coauteur.
Haizebegi 2017
Vous étiez musicien avant de basculer dans la recherche. Comment avez-vous bifurqué ? D. L. : J’ai fait mes études au Conservatoire national supérieur de musique de Paris. J’ai donc grandi dans ce monde très concurrentiel de la musique savante occidentale, un monde dans lequel on est déjà trop vieux à 14 ans ! Mon dernier engagement comme chef d’orchestre fut la direction des Crystal Psalms d’Alvin Curran à Radio France pour New Albion Records, une firme de San Francisco. Puis ce fut l’anthropologie. Je me suis alors départi de ces jugements de valeurs que j’avais intégrés à mesure de ces années, et le monde est devenu plus vaste.
Haizebegi 2015
Depuis, je cherche à investir dans la recherche scientifique les capacités créatives développées dans la pratique artistique. Dans ma pratique de l’anthropologie, je m’inspire de Bach qui envisageait la composition musicale par l’action. Bach n’était pas un théoricien en ce sens qu’il n’a jamais écrit de traité de fugue. Mais il a composé L’Art de la Fugue… auquel tous les traités se réfèrent comme à un chef-d’œuvre de l’esprit humain. C’est dans cette approche active que s’inscrit le festival Haizebegi.
Je suis de ceux qui cherchent à réinventer le métier de chercheur en sciences sociales. Je ne travaille donc pas à construire une théorie universelle de la musique, mais je fais de mon engagement dans le monde un exemplum. Alors non, je ne joue plus de piano, je ne compose plus, ni ne fabrique de musique. Mais c’est parce que nous sommes en situation d’urgence. L’anthropologie exige un engagement total. Ça vous prend la vie. ♦
1.Ethnologue, directeur de recherche au CNRS et directeur d’études à l’EHESS, Denis Laborde est spécialiste d’anthropologie de la musique.
2.Ce projet fait collaborer les artistes de l’Université du Pays basque (Bilbao), les informaticiens du Scrime (LaBRI, unité CNRS/Université de Bordeaux, Bordeaux INP) et de Estia-Recherche à Bidart.
3.D. Sperber, Le Symbolisme en général, Paris, Hermann, 1974.
4.Basque Anthropological Research Institute on Music, Emotion and Human Societies. Équipe du Centre Georg Simmel (unité CNRS/EHESS).
5.La Mémoire et l’Instant. Les improvisations chantées du bertsulari basque, Donostia, Elkar, 2005, 349 p.