Menendez, Roi de Patagonie : sortie du livre de José Luis Alonso Marchante

A la fin du 19ème siècle, un espagnol venu d’Asturie débarqua en Patagonie pour chercher fortune : José Menendez.

Déterminé, il devint assez rapidement le propriétaire de milliers d’hectares en Patagonie chilienne et argentine, et l’un des plus grands éleveurs de moutons, principalement destinés à la production de la laine exportée sur le marché mondial.

La véritable histoire de la construction de l’empire de José Menendez a été longtemps occultée par les histoires officielles du Chili et de l’Argentine. Après 6 ans d’investigations, l’historien asturien José Luis Antonio Marchante réalisa l’ouvrage Menendez, Rey de la Patagonia dans lequel il met en lumière les sombres détails de la conquête de la Patagonie par José Menendez.

 

TapaMenendezReyPatagoniaweb

 

Dans son livre, disponible à l’heure actuelle uniquement en langue espagnole ici en livre numérique, José L. Alonso Marchante témoigne du génocide des peuples natifs (Selk’nam, Kawésqar, Yágan et Haush) et de l’exploitation des travailleurs chiliens (peones) qui furent, tous deux, des moyens rapides et efficaces pour Menendez d’asseoir son pouvoir politique et financier en Patagonie. Il explique comment il usa de la corruption aux plus hauts niveaux des Etats pour parvenir à acquérir des milliers d’hectares de terres alors que leur concentration dans les mains de quelques familles était interdite par les lois argentine et chilienne. José Luis Antonio Marchante expose donc au grand jour la tolérance du Chili et de l’Argentine à l’égard de ces pratiques illégales réalisées sur leur sol et dissimulées des histoires officielles jusqu’à ce jour.

Parmi les autres conséquences dramatiques de sa conquête du Grand Sud, la faune et la flore fuégiennes furent également impactées. Le mouton prit la place du guanaco (lama patagon), diminuant drastiquement la principale source de nourriture des Indiens Selk’nam (chasseurs-cueilleurs) et, compte-tenu de la capacité du mouton à trouver de la nourriture en coupant très ras la végétation, c’est toute une flore qui s’est retrouvée ravagée.

Ce livre est le fruit de l’analyse de nombreux témoignages non-officiels et archives. Il ouvre la voie à une importante quête de vérité sur la vraie histoire de la Patagonie, région qui loue toujours l’héritage de la Famille Menendez-Braun. Nous citerons pour exemples les nouvelles infrastructures (palais, maison-musée) construites récemment et la rue qui porte leur nom à Punta Arenas, autant de symboles de la puissance de cette famille qui a particulièrement contribué à l’âge d’or de la Patagonie (1880-1920) avec l’exportation de la laine et la diffusion d’une histoire officielle modifiée dans leur intérêt.

L’Homme et la Nature, une même communauté

522456_797783286915036_1973275960_n

 

 

Les activités de KARUKINKA sont nées de la conviction que les enjeux écologiques doivent s’inscrire dans une dynamique de relations directes homme / nature. Notre vie quotidienne, l’éducation de nos enfants, nos activités économiques, se déroulent pour l’essentiel dans un cadre spatio-temporel d’où la nature est absente.

Le développement durable et l’écologie s’inscrivent chaque jour d’avantage dans l’horizon politique et intellectuel de nos sociétés modernes. Cette conscience collective émergente doit, pour s’installer durablement, trouver un relais dans les consciences individuelles, dans l’intimité de la relation qu’entretient chacun avec la nature.

Il est donc essentiel de générer des dynamiques de revitalisation du dialogue homme/nature. L’ambition de KARUKINKA est, à sa modeste mesure, de contribuer à cet objectif.

Ce projet d’expédition est de comprendre la relation entre les cultures indiennes (Haush, Selk’nam et Yahgan) et la nature au sud du détroit de Magellan, avec deux approches :

– S’immerger dans des lieux autrefois habités par les indiens et suivre leurs pas en se référant aux travaux anthropologiques antérieurs ;

– Etudier l’environnement sous différentes facettes grâce à une équipe de chercheurs de spécialités différentes ;

– Enregistrer et photographier les territoires traversés ;

– Développer une approche sensible de l’environnement et prolonger cette étude par des créations artistiques, conférences et expositions qui permettront au public d’appréhender cet espace et de s’en imprégner.

Le récit de la quatrième partie de l’expédition Terre de Feu 2013 est en ligne sur le blog du Leica Store de Paris

http://leicastoreparis.org/expedition-explorasons-4eme-partie/

Face à nous Lëm se couche et Hanuxa fait son entrée, devant le regard de Watauineiwa résidant sous nos pieds…

Au réveil, le soleil fait monter la température à 25°C à l’intérieur de la tente, 18°C relevés à l’extérieur et à l’abri, avec des rafales de vent de 4 km/h en moyenne, 6km/h maximum relevé à onze heures. La pression atmosphérique est de bonne augure : 1000 hPa ! Les choses s’annoncent bien. Nous contemplons l’immense baie d’Ushuaia jusqu’à sa disparition complète de notre champs de vision après avoir repris notre chemin en direction des estancias Punta Segunda et Encajonado.

Les paysages se suivent, toujours grandioses, sous un soleil fidèle et de nombreux et beaux nuages. Vers 17h30, nous arrivons à l’estancia Encajonado. Des troupeaux de vaches, moutons et chevaux entourent cette exploitation et sont répartis sur plusieurs centaines de mètres de clôtures. Nous rencontrons un homme d’une trentaine d’années occupé à retirer la selle de son alezan et qui nous indique où passer dans ce labyrinthe. Une route rarement empruntée par son pickup se dessine sur le littoral du canal. Elle serpente en direction de la préfecture maritime de Puerto Almanza.

Sur cette route verdoyante, toute l’immensité de la Terre de Feu s’exprime : la plaine interminable ponctuée de sombres buissons d’épineux d’une quarantaine de centimètres, la largeur du canal au courant peu prononcé, et les sommets tachetés de neige de la sierra Sorondo faisant face aux sommets de l’île chilienne… Au beau milieu de cet environnement grandiose, nous finissons par trouver un lieu de bivouac juste à côté d’un ruisseau, à quelques mètres du canal et tourné vers l’ouest.

Le ciel est dégagé et progressivement le soleil descend face à nous. J’enregistre, prends des notes, photographie et contemple cet ancien territoire indien. Le coucher de soleil de ce jour restera pour longtemps dans nos mémoires. Face à nous, la chaleur du feu solaire rencontre les miroitements argentés du canal et du ruisseau. Les nuages vaporeux donnent à voir toutes les nuances de gris possibles, laissant passer peu de lumière sur les sombres montagnes des chaînes environnantes. Lëm (le dieu du Soleil) part se coucher et sa belle-sœur, la déesse Hanuxa (la Lune) arrive, sous le regard du dieu suprême des Yagans : Watauineiwa, la Terre.

Nous restons assis, silencieux, jusqu’à la disparition complète de Lëm et les premières apparitions des étoiles du Sud derrière nous, doucement accompagnés par les cris des goélands et des ibis (manifestations de la déesse Lexuwa), le léger flux et reflux du canal et le débit régulier du ruisseau s’écoulant de manière imperturbable à quelques mètres de notre tente.

Le récit de la troisième partie de l’expédition Terre de Feu 2013 est en ligne sur le blog du Leica Store de Paris

http://leicastoreparis.org/expedition-explorasons-3eme-partie/

Départ d’Ushuaia, estancias Rio Olivia, Túnel, bivouac au bord du canal de Beagle.

Ce matin nous partons d’Ushuaia en taxi pour atteindre l’estancia Rio Olivia, le point de départ de notre expédition de 8 jours. Ce nouveau terrain d’investigation sonore et visuel se situe sur le littoral nord du canal de Beagle, d’anciens territoires Yagans appelés Wakimaala et Inalumaala (plus à l’est de la péninsule Mitre).

A une dizaine de kilomètres d’Ushuaia, au bout d’une route gravillonnée, le chauffeur de taxi s’arrête. Les sacs sur le dos, nous avançons le dos tourné vers la ville la plus australe du monde. A quelques centaines de mètres du point de départ, nous entrons dans un bois où d’innombrables perruches australes se répondent. Chaque arbre abrite un couple qui répond au couple voisin et ainsi de suite, dans un brouhaha de cris et de battements d’ailes. L’enregistreur et le micro font alors leur première sortie, bien à l’abri dans le creux des racines sinueuses et profondes d’un arbre plusieurs fois centenaire. Pendant ce temps, nous nous éloignons pour ne pas avoir d’impact sur l’enregistrement et pour réaliser quelques photographies du littoral du canal de Beagle situé en contrebas. En face de nous se dressent les sommets enneigés du nord de l’île Navarino. De fins liserais noirs se dessinent à la surface de l’eau miroitante et délicatement salée du canal de Beagle, rendant visible le léger flux et reflux des vagues venant de l’océan.

La majeure partie du temps ici, le vent souffle vers l’ouest. La vue est dégagée vers les îles Bridges (juste avant la scission en deux bras du canal) et nous permet de voir venir les intempéries. Aujourd’hui le ciel est relativement épuré. Des percées de ciel bleu font leur apparition et seuls de gros nuages gris s’accrochent à la pointe des montagnes. Une fine pluie apparaît par intermittence et il ne fait pas froid en marchant, autour de 12°C à l’abri avec un peu de vent (maximum relevé : 15 km/h).

Depuis quelques heures nous évoluons au cœur d’un paysage sauvage démesuré où la présence humaine se traduit seulement par le son des avions survolant le canal et des bateaux de croisière, très nombreux à cette période la plus touristique de l’année.

Après avoir dépassé l’estancia Túnel, un important lieu de recherche archéologique situé sur un territoire où communiquaient les Selk’nam et Yagan, le sentier descend peu à peu vers les plages de galets. Nous finissons par nous retrouver au beau milieu d’un ancien lieu de campement.

Le récit de la deuxième partie de l’expédition Terre de Feu 2013 est en ligne sur le blog du Leica Store de Paris

http://leicastoreparis.org/expedition-explorasons-deuxieme-partie/

Le courage de l’aventurier

Réveil vers 6h au son de la pluie  et des rafales de vent qui déferlent sur la tente. Attente. Si ça ne se calme pas nous risquons de passer plus de temps que prévu sous la tente. Vers 7h30 tout s’arrête et une demi-heure plus tard, le soleil fait son entrée. Pas de doute, nous sommes bien en Terre de Feu. Nous voici au bord d’une rivière, le vent souffle à 28km/h. Le Nagra enregistre, alimenté en direct par le panneau solaire.

Pliage de la tente et passage à gué dans l’eau glacée que nous traversons. Le courant est relativement fort et l’eau atteint nos hanches. Nous nous enfonçons ensuite dans des buissons épineux. Pas la moindre trace de chemin. Toute la journée nous alternerons les forêts denses, les tourbières, et les mousses dans lesquelles nous nous enlisons d’une bonne vingtaine de centimètres à chaque pas. Notre trajet s’avère beaucoup plus long que nous l’imaginions. Vers 17h30-18h, l’heure où s’amplifient les brusques changements climatiques, nous nous résignons à trouver un lieu de bivouac au plus vite. Encore un ruisseau trop large à traverser pour atteindre la rive souhaitée. Quelques minutes plus tard nous trouvons enfin un emplacement privilégié pour la nuit, à l’abri du vent.

Cette deuxième journée a été rude. Nous avons peiné à nous frayer un chemin sur ce terrain accidenté garni de broussailles, marécages, épineux et forêts ravagées par les castors et les tempêtes. Notre journée a été également marquée par de brutaux changements de température, vent et précipitations qui ne facilitaient en rien notre évolution.

Je réalise qu’une télécommande externe pour le Nagra LB me permettrait de déclencher les enregistrements plus facilement sans avoir à sortir l’appareil du sac à dos. Pour le moment, je charge et décharge le matériel du sac en fonction des conditions climatiques, ce qui ne facilite pas mon entreprise. Je devrai donc chercher des solutions plus ergonomiques pour assurer un rendu optimal sans avoir à m’imposer de telles manœuvres récurrentes.

Faire le choix de la sagesse

Le lendemain matin, nous nous réveillons sous le crachin puis le grésil fuégien… Je réalise quelques enregistrements avant que la pluie me contraigne à tout ranger à l’abri. Nous reprenons notre marche sur les mousses rouges gorgées d’eau qui recouvrent l’immensité du fond de la vallée Carbajal. Aucune trace, pas le moindre semblant de chemin. Les sommets disparaissent progressivement sous une chape de plomb de nuages gris foncé.

Après deux heures de marche, nous avançons à l’aveugle et nous enfonçons de plus en plus dans une dense forêt de lengas (hêtres fuégiens). Le terrain est glissant et pentu, les troncs cèdent sous le pied, rongés par l’humidité et/ou un champignon en plein cœur.

Après plus de trois heures trente de marche, nous nous arrêtons plus longuement pour faire le point. Depuis notre départ nous recherchons inlassablement l’ouverture menant à la vallée suivante, afin d’atteindre en soirée la baie des Reines (Bahia de Los Renos). Je ne vois aucun passage favorable parmi cet enfer vert, sombre, humide, froid et épuisant. Les obstacles ne font que s’amplifier, l’impact visuel des nuages bas s’amplifie et nous perdons les repères précieux des sommets environnants pour avancer.

Soudain, un renard de Magellan fait discrètement son apparition. Il se rapproche de nous, remplie de curiosité à l’égard d’humains qu’il ne voit plus depuis longtemps. Il reste à proximité, intrigué, peu habitué aux humains.

Après son départ, c’est avec regrets que nous prenons la décision de faire demi-tour, en privilégiant notre sécurité. Les heures suivantes seront encore pires que les autres. Lugubre, hostile, inhospitalière, la vallée Carrabajal nous fait une terrible démonstration. Cette fois, je saisis pleinement la teneur des témoignages de Charles Darwin, Francisco Coloane et Pedro Sarmiento de Gamboa lus auparavant.

À 15h30 nous trouvons un endroit propice où planter notre tente. Il est tôt et il fait 6°C. La faune se fait entendre : perruches australes (Enicognathus ferrugineus), oies communes, hirondelles, canards vapeur, rapaces et autres oiseaux de taille moyenne.

Vers 19h30, après de nombreux relevés et quelques longs moments passés dans la tente à l’abri des intempéries, nous dînons. Il fait 4°C. Le vent fait régulièrement descendre la température ressentie autour de 0°C. Nous avons perdu plus de 10°C en moins de vingt-quatre heures et nous ne pouvons pas nous fier au baromètre, conscients que pour lui aussi tout change trop vite. La pluie déferle au loin, poussée par les violentes bourrasques.

Après une bonne nuit la tente a pu sécher un peu. Il fait beau pour la région : pluie fine par intermittence et percées de rayons de soleil à travers de grosses nappes de nuages gris multi-tons. Je réalise quelques clichés et enregistrements avant que nous reprenions notre route.

Les différents acteurs du temps estival fuégien jouent avec nos panoplies d’aventuriers : soleil, rafales de vent, pluie, grésil, disparition suivie de réapparition du vent pour de courts laps de temps… Nous n’en finissons pas de nous habiller et déshabiller. À 23h le ciel est clair et dégagé, il n’y a pas de vent et il fait 7°C. Je découvre alors pour la première fois les étoiles de l’hémisphère sud qui apparaissent progressivement au-dessus des sommets vierges de cette vallée sauvage. Les oiseaux nocturnes et le crépitement du feu interrompent le mouvement ininterrompu du flot de la rivière toute proche. Nous sommes conscients de vivre un moment unique : au coin du feu, dans l’un des endroits les plus inhospitaliers de la planète. Je pense très fort aux Selk’nam pour qui le feu aussi était si important. Sa chaleur, son odeur et sa douce lumière apportent un véritable apaisement, une sorte de bonheur que j’imagine universellement perçu. Dans les contrées hostiles où la nature se montre rarement clémente, la solitude n’a pas sa place sur de longs termes.

Le jour suivant, la température est surprenante. Il fait 35°C dans la tente mais le vent et la pluie nous force à rester durant toute la matinée dans l’abside avant de la tente. Je dessine et rédige le récit de la journée précédente dans mon carnet.

Dans l’après-midi je m’installe calmement dans un coin pour réaliser des relevés, enregistrements et photographies dans les environs et reécouter des enregistrements d’archives de chants chamaniques selk’nam chantés par Lola Kiepja et enregistrés par Anne Chapman en 1965-1966. En soirée les conditions climatiques changent à nouveau, le vent augmente sensiblement et fait tournoyer les étincelles du feu. Nous relevons des rafales à plus de 40km/h « à l’abri ». Les nuages se regroupent sur les sommets face à nous, une véritable tempête se prépare.

À la tombée de la nuit nous fermons la tente, accompagnés du son des violentes rafales. Les oiseaux nocturnes restent silencieux, pas un seul ne s’exprimera ce soir. Les arbres proches grincent, prêts à céder.

Au réveil nous découvrons avec surprise un énorme tronc d’arbre tombé à une vingtaine de mètres de notre tente. Perçu en bonne santé, son cœur était pourtant ravagé par le fameux champignon doué d’une discrétion totale. Impossible de prévoir sa chute. Il fait beau, plutôt chaud (12°C) et le vent chasse les nuages.

Le campement levé, des photographies, phonographies et relevés réalisés, nous prenons la direction de Mosca Loca, à 3 heures de marche. Le chemin se réalise sans peine. Nous traversons l’estancia et arrivons enfin au bord de la Ruta 3 qui nous mènera de nouveau à Ushuaia.

La prochaine étape

Lors de ce second trek de 8 jours d’autonomie, nous sillonnerons dans un premier temps d’anciens territoires yagan (Wakimaala puis Utamaala) en reliant Ushuaia et l’estancia Harberton, par la côte nord du canal de Beagle. L’estancia Harberton a été fondée par Thomas Bridges, l’auteur du dictionnaire anglais-yagan et qui fût l’un des porte-paroles des Yagan. Il sera également le premier à établir des contacts amicaux avec les Selk’nam résidant plus au nord, après les montagnes de la Sierra Lucas Bridges. C’est donc sur ses pas que nous réaliserons la traversée de la Sierra Bridges pour arriver à l’estancia la Porfiada située au bord du lac Fagnano, autrefois appelé Kami par les Selk’nam.