Portrait de Mirtha Salamanca, descendante selk’nam de Kiepja (« Femmes de notre histoire », pour le centenaire de la ville de Rio Grande)

Portrait de Mirtha Salamanca, descendante selk’nam de Kiepja (« Femmes de notre histoire », pour le centenaire de la ville de Rio Grande)

Mirtha Salamanca, originaire de la Terre de Feu argentine et descendante de Lola Kiepja, est née à Río Grande le 8 septembre 1959 et est très fière d’être « fueguina » et d’être née sur sa terre, son Oroski, qui en langue selknam signifie Río Grande.

Mirtha Esther Salamanca est née à Río Grande, dans une fratrie de cinq enfants, quatre filles et un garçon. Ils ont toujours vécu rue Ameghino. Elle se souvient avoir eu une enfance belle et heureuse ; des hivers avec beaucoup de neige et de froid : « adulte, on ressent le froid et le vent, mais pendant l’enfance, c’était merveilleux » et « les cours n’étaient pas suspendus à cause du vent ou de la neige, il fallait aller à l’école quoi qu’il arrive ».

Son père était menuisier et chaque année, il leur fabriquait de nouveaux traîneaux et bâtons. L’hiver, avec les voisins du quartier, ils faisaient des courses de traîneaux et restaient dehors jusqu’à tard ; il n’y avait pas de danger, il n’y avait pas de voitures dans la rue. Tout le quartier se retrouvait pour patiner jusqu’à ce que les parents les fassent rentrer pour le dîner. Le quartier a marqué son enfance.

La mémoire collective du génocide selk’nam transmise de génération en génération

Mirtha est descendante de Lola Kiepja, qui était sa bisaïeule du côté de sa mère, Elvira Oray. Mirtha se souvient d’une histoire très triste, celle des femmes de sa famille. Elle parle de ses femmes parce que les hommes avaient déjà été tués. Les femmes ont été emmenées de la réserve indigène du lac Khami. On les a transportées en charrette jusqu’à la Mission salésienne. À la Mission, elles ont toutes été séparées, sans contact possible, et il leur était interdit de parler leur langue.

Toute cette partie de l’histoire est empreinte de tristesse, selon les témoignages qu’elle a recueillis de ses aïeules. Elles ont subi des coups, des humiliations. Elle se souvient que sa mère lui racontait que, lorsqu’elle faisait pipi au lit, on la forçait à défiler nue avec le matelas devant les autres pour la couvrir de honte. Tout cela fait partie de la triste histoire de sa famille, de ses femmes, dont Lola Kiepja, sa bisaïeule.

Lola Kiepja venait à Río Grande pour faire ses courses puis retournait dans son habitat, avec ses guanacos et ses coutumes. C’est ainsi que Mirta a connu sa bisaïeule ; elle se souvient qu’elle l’attendait quand elle venait en ville, qu’elles prenaient le maté avec des tortas fritas. Mirta se demandait toujours pourquoi sa mère et sa bisaïeule Lola Kiepja parlaient bizarrement et se couvraient la bouche.

Plus tard, on lui expliqua qu’elles parlaient ainsi à cause de leur langue d’origine, le selknam, qu’elles avaient cessé de parler par peur, à cause de tout ce qu’elles avaient enduré : coups, sévices et terreur vécus en tant que femmes. Petite, elle voyait les choses différemment d’aujourd’hui, mais en découvrant ces témoignages, elle a commencé à comprendre. Sa mère raconte la même chose, la souffrance vécue par les femmes de sa famille.

Mirtha se souvient que sa mère lui a toujours dit la vérité et qu’elle-même a eu des actes de résistance : à la mission salésienne, vers 10 ou 12 ans, elle s’enfuyait pour échapper aux coups.

La réforme de 1994 et l’évolution des lois indigènes en Argentine

Mirtha a toujours su qu’elle était indigène, et sa mère la protégeait pour qu’on ne la traite pas d’« Indienne » à l’école. Avec la réforme de la Constitution nationale argentine en 1994, ces histoires, longtemps tues, ont commencé à être racontées. Les témoignages existaient, mais ils n’avaient jamais été révélés, car on ne savait pas à qui les dire, à qui les confier ; ce n’était pas par honte, mais par ignorance de l’interlocuteur et par la responsabilité, en tant que communauté, de continuer à faire connaître leur histoire.

C’est donc à partir de la réforme de 1994 que les voix jusque-là réduites au silence ont pu s’exprimer. Mirtha s’est alors intéressée à d’autres lois, aux lois indigènes, aux conventions, à la loi sur les terres et à l’importance de continuer à travailler. « Savoir qui nous sommes, d’où nous venons, pour pouvoir transmettre. Parce qu’il se peut qu’un jour tu découvres que tu es indigène et il faut alors lutter, pour la reconnaissance et contre l’adversité quotidienne, et pouvoir tout transmettre », raconte Mirtha.

Mirtha a parcouru tout le pays, elle appartient à l’ETNOPO (Rencontre nationale des organisations territoriales des peuples autochtones) qui regroupe les Selknam, Mapuche et Tehuelche. Elle a travaillé sur la loi 25.517 en 2011 concernant la restitution des restes humains conservés dans les musées. Elle a travaillé avec cette loi dans la ville de Malargüe avec des archéologues et des anthropologues, pour commencer à retirer les corps des expositions dans les musées et les rendre à leur peuple, aux autochtones, les rendre à leurs frères d’où ils avaient été pris.

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Mirtha Salamanca à Punta Arenas (2018)

Un engagement pour son peuple qui rayonne au-delà de l’Argentine

Mirtha donne chaque année des conférences à l’université de Punta Arenas (Chili) et à l’université de Porvenir (Chili). Lors d’un voyage à Punta Arenas, au musée salésien Maggiorino Borgatello, où elle cherchait des photos et des documents sur sa famille, on ne lui a rien donné car elle n’avait pas d’argent. Les photos étaient vendues comme cartes postales, même si sa mère, sa grand-mère y figuraient… Elle a aussi été invitée à la Nuit Selknam où elle a pu témoigner. Lors de ces voyages à Punta Arenas, Mirtha a rencontré Lauriane Lemasson, chercheuse à l’université de la Sorbonne. Grâce à elle, elle a voyagé en France en 2019 dans le cadre du Festival Haizebegi et participé aux activités suivantes :

  • Interview pour le journal basque « Sud Ouest »,
  • Rencontre et conférence avec Pascal Blanchard (historien, ACHAC-CNRS) sur les zoos humains et la naissance du racisme, à l’Espace Culturel Louis Delgrès à Nantes
  • Collecte et préparation de joncs pour des ateliers de vannerie,
  • Visite du site mégalithique de Saint-Just et de la vallée du Don (Bretagne),
  • Consultation des archives françaises d’Anne Chapman à la Bibliothèque universitaire Brou-Dampierre de Nanterre,
  • Rencontre avec Jean-Luc Nahel, président de la Conférence des présidents d’universités (CPU) de France et responsable des relations internationales,
  • Visite du Panthéon et du bâtiment historique de la Sorbonne,
  • Conférences au Musée Basque de Bayonne et cérémonie de restitution des enregistrements de Gusinde, Furlong et Koppers de l’archive phonogrammique de Berlin par Lars-Kristian Koch, ethnomusicologue et directeur du Musée ethnographique de Berlin,
  • Rencontre avec les élèves des classes internationales du Collège Alexandre Dumas de Bayonne,
  • Exposition d’artisanat Selknam, atelier de vannerie et exposition d’artisanat pour la Journée des Sciences à Hendaye,
  • Présentation de la cérémonie du Hain à la salle Abbadia de Hendaye,
  • Conférence et débat avec des chercheurs et artistes sur ce que l’artiste et/ou le chercheur emporte ou restitue des cultures yagan et selk’nam, en présence de Federico Vladimir Pezdirc, Pablo Esbert Lilienfeld, Pantxika Telleria et Joaquín Cofreces,
  • Conférence à l’université de Donostia (Saint-Sébastien) avec les étudiants de quatrième année,
  • Conférence avec Lauriane Lemasson et débat ouvert sur le rôle du chercheur et la toponymie actuelle du sud de Hatitelen (détroit de Magellan en selknam),
  • Conférence et débat sur les lois étatiques et la réalité des peuples originaires au Chili et en Argentine avec José German Gonzalez Calderon et Víctor Vargas Filgueira,
  • Débat sur la diversité culturelle, l’environnement et les luttes pour la protection des relations des peuples autochtones avec leur environnement (Bayonne et Paris)
  • Visite impromptue du Musée de l’Homme pour obtenir une réponse de l’institution de référence concernant les restes humains yagan et selk’nam conservés au Musée,
  • Séminaire universitaire de master en ethnomusicologie au Centre Clignancourt (Université de la Sorbonne) invité par le professeur François Picard de l’Institut de Recherches en Musicologie (IReMus) du CNRS, sur le thème : Archives et patrimoines « de l’humanité » (mise en perspective des voix familiales, nécessité de poursuivre le dialogue avec les peuples)
  • Rencontre avec les responsables des collections d’objets et de photographies du Musée du quai Branly à Paris avec Ana Paz Núñez, Christine Barthe, Dominique Legoupil. Consultation des archives photographiques.
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Mirtha Salamanca lors de la visite des collections « Terre de Feu » du Musée du Quai Branly (Paris, octobre 2019)

Mirtha a été sollicitée par Lauriane Lemasson, dans le cadre d’une carte blanche reçue de l’ethnologue Denis Laborde, directeur de recherche au CNRS et qui étudie les peuples autochtones.

La chercheuse a été surprise au tout début de ses recherches en 2013 car elle pensait qu’il n’y avait plus de Selknam. Lors du festival en France, Mirtha a parlé de ce qu’avaient vécu ses ancêtres et a découvert le fonds Anne Chapman, où elle a entendu les chants de sa grand-mère et vu les archives conservées. Ces chants chamaniques enregistrés par Chapman étaient des chants interdits, qui ne doivent pas être diffusés ni reproduits.

Au musée de Berlin, il y a aussi des corps selknam qui ont été emmenés pour être étudiés et comprendre leur mode de vie. Le directeur du musée de Berlin a déclaré que la restitution des corps est une décision politique. À Ushuaia, ils les ont emmenés à Necochea où ils sont conservés. Là aussi, c’est une décision politique. Ils ne sont pas reconnus, mais ce sont des corps selknam prélevés autour de la mission salésienne.

En 2016, elle a remporté les élections du CPI (Conseil participatif indigène) en tant que représentante du peuple Selknam au niveau national.

Le groupe de femmes descendantes de la lignée de Kiepja : Khol Hol Naa

Mirtha fait partie de l’organisation « Khol Hol Naa » (que reviennent les femmes), une organisation de sœurs, nièces, tantes, toutes issues de la lignée de Lola Kiepja, défendant tout ce qui touche à la mémoire collective des femmes selk’nam.

Le combat de Mirtha est de revendiquer l’histoire de son peuple, car on avait fini par croire que le peuple Selknam avait disparu, qu’ils avaient tous été exterminés. Lola Kiepja fut la dernière chamane, la dernière Sho’on ; mais la lignée ne s’est pas arrêtée là. Elle n’a de cesse de lutter pour le patrimoine de son peuple et de sa famille, pour la restitution des matériaux dans les musées et la mise en valeur de la culture autochtone de la Terre de Feu et de Río Grande.

Elle souhaite que ses filles continuent à maintenir vivante la mémoire de l’identité de leur peuple.

Elle ne changerait rien à sa vie, elle se souvient de son enfance avec beaucoup de bonheur et de fierté, fière de ses racines et de son héritage de sang.

Elle revendique la lutte et l’union des femmes, « elle leur demande de ne jamais abandonner, malgré la difficulté de la vie de femme, de toujours aller de l’avant et qu’ensemble, elles y arriveront toujours. Elle demande aux nouvelles générations de respecter et de ne pas oublier leurs anciens ».

« J’aime Río Grande, mon Oroski, la pluie, le vent, le froid, la neige et la chaleur de ses habitants et leur solidarité ».

Jusqu’à la réalisation de cette interview, aucun recensement des autochtones n’a été effectué, mais on estime qu’il y a environ 600 personnes entre Ushuaia, Río Grande et Tolhuin.

Source (en espagnol, traduit par l’association Karukinka) : https://100rgmujeres.com.ar/mujeres/mirtha-esther-salamanca

« Voyage au bout du monde » une expérience sonore et immersive en Patagonie, depuis la Rochelle !

« Voyage au bout du monde » une expérience sonore et immersive en Patagonie, depuis la Rochelle !

Voyage au bout du monde, en Patagonie, depuis la Rochelle !

Si vous prévoyez de passer à la Rochelle cet été, ne manquez pas ce voyage au bout du monde ! Créée par Sébastien Laurier et en partenariat avec l’association du phare du bout du monde et la ville de la Rochelle, cette fiction sonore et immersive vous transporte pendant une heure à l’extrême sud de la Patagonie, au départ du bureau du port de la pointe des Minimes.

Un projet avec plusieurs de nos membres : Mirtha Salamanca (selk’nam), Marie-Pierre Lemasson et Lauriane Lemasson

Plusieurs membres de l’association Karukinka ont participé à ce projet, dont Mirtha Salamanca (femme selk’nam membre du conseil participatif indigène d’Argentine) et confiant sa voix française à Marie-Pierre Lemasson, trésorière de l’association et que Mirtha connaît depuis 2019, lors de sa première venue en France, dans le cadre du projet Haizebegi. Et oui, le personnage principal, Lauriane, n’est pas sans faire écho à la fondatrice de Karukinka…

Infos pratiques

Pour en savoir plus et préparer votre téléportation en Terre de Feu et dans les canaux du sud du détroit de Magellan, rendez-vous sur la page dédiée de l’office du tourisme de la Rochelle (https://www.larochelle-tourisme.com/a-faire/activites-de-loisirs/activites-de-loisirs-outdoor/voyage-au-bout-du-monde-une-fiction-sonore) et sur le site de l’association du phare du bout du monde (https://lephareduboutdumonde.com).

Rejoindre l’association et explorer ensemble

Et si vous voulez aller encore plus loin, rejoignez notre association et venez avec nous visiter le « vrai » phare du bout du monde avec nous l’hiver et le printemps (du nord!) prochains (février-avril 2025) à bord du voilier de l’association : Milagro. Plus d’informations sur : https://karukinka-exploration.com/patagonie-2025/ ou https://karukinka.eu/fr/canaux-de-patagonie-en-voilier/

Oeuvre lumineuse pour la reconnaissance et la réparation du peuple selk’nam (Obra lumínica por el reconocimiento y la reparación del pueblo selknam, El Mostrador, 2/2/2024)

Oeuvre lumineuse pour la reconnaissance et la réparation du peuple selk’nam (Obra lumínica por el reconocimiento y la reparación del pueblo selknam, El Mostrador, 2/2/2024)

Avec des projections lumineuses itinérantes, des artistes de la Corporation Traitraico et du Delight Lab visibilisent l’histoire de dépossession à l’encontre du peuple Selk’nam et la lutte pour sa reconnaissance et sa réparation.

Traduction de l’article publié par le journal El Mostrador (Chili)


Une œuvre lumineuse dédiée à la reconnaissance et à la réparation du peuple selk’nam a sillonné le sud de la Patagonie chilienne.

Le Selk’nam est un peuple indigène qui habite la Patagonie depuis des milliers d’années. Durant la colonisation ils furent persécutés, assassinés, violés et capturés pour être exhibés dans les zoos humains d’Europe. L’Eglise les a bannis et les a obligé à laisser leur culture. L’Etat du Chili ne les considérait pas comme des sujets de droit et plus tard a considéré cette culture pour morte.

Grâce à deux décennies de lutte et d’organisation, en septembre 2023 le Congrès a approuvé une réforme à la loi 19.253 dans laquelle l’Etat reconnaît le peuple indigène Selk’nam comme culture vivante, s’ajoutant à la liste d’autres ethnies comme la Mapuche et l’Aimara.Lola Kiepja scaled

“Maintenant nous allons promouvoir notre culture avec plus d’insistance. Nous avons besoin d’une présence politique, de lois qui protègent notre patrimoine, parce qu’il y a beaucoup d’appropriation culturelle. Il est de la responsabilité de l’Etat de réparer, à travers l’éducation, le contenu des enseignements aux collèges et dans l’histoire officielle qui indiquent que le peuple Selk’nam est éradiqué » dit Mauricio Astroza, jeune selk’nam membre de l’Assemblée Telkacher.

Comme exercice de mémoire, visibilisation et soutien, l’organisation culturelle et environnementale Corporation Traitraico et le collectif de vidéoprojection Delight Lab ont recueilli des témoignages de personnes Selk’nam du Chili et d’Argentine et ont projeté des images significatives en utilisant le territoire comme toile.Hain scaled

“Nous approchons les gens à la lutte actuelle du peuple selk’nam qui exige que soit réparée une dette historique en lien avec le négationnisme collectif de son génocide. Ceci est un précédent pour que plus jamais quelque chose de similaire soit répété ni dans le pays ni dans le monde”, dit Francisco Polla, fondateur de la Corporation Traitraico et directeur du projet.

L’investigation s’est déroulée durant l’année 2023 et est réunie dans le microdocumentaire Relatos de Fuego (Histoires de Feu). Les projections ont été réalisée avec de l’énergie propre dans des sites somme Cerro Sombrero, Porvenir, Lago Blanco et le Parc Karukinka.

“A travers de cette fantasmagorie contemporaine nous évoquons des personnes qui ont habité le territoire et leur spiritualité cachée, leur respect de la nature et, pour d’autres personnes, quelque chose de très différent aux valeurs du libre échange et de l’extractivisme d’aujourd’hui. C’est un sauvetage de la mémoire ancestrale mais en même temps une question sur qu’est-ce qu’être Selk’nam aujourd’hui », dit Octavio Gana, cofondateur du Delight Lab et directeur artistique de l’oeuvre.Que significa ser Selknam scaled

Les projections font partie du projet “Relatos de luz” (Histoires de Lumière), qui est né en 2019 et qui se présente de manière itinérante dans différents territoires australs. L’équipe a également été présente à Los Lagos, Aysén, Los Ríos et La Araucanía.

La tournée s’est faite grâce au Fonds Artistique Régional de la Culture des Peuples Originaires de la Région de Magallanes et de l’Antarctique Chilien 2021 et le Fonds Artistique National des Arts y al Fondart Nacional des Arts de la Visualité, de la Création et de la Production 2021, du Ministère des Cultures, des Arts et du Patrimoine. Soutiennent et collaborent l’Assemblée Telkacher, Bandera Selk’nam, l’Académie de la langue Selk’nam, le groupe de femmes Selk’nam Khol Hool Na de la lignée de Lola Kiepja et représentantes de la communauté indigène Rafaela Ishton.

https://www.elmostrador.cl/cultura/2024/02/02/obra-luminica-por-el-reconocimiento-y-la-reparacion-del-pueblo-selknam/

« Des nouvelles de demain » saison 4 (Agence Française du Développement) : interview de Lauriane Lemasson

Lauriane Lemasson est photographe, ethno-musicologue et chercheuse rattachée à la Sorbonne. Depuis une expédition scientifique réalisée en 2013 pour étudier les paysages sonores et les peuples ancestraux de la Grande Île de Terre de Feu, elle est animée par une quête : faire reconnaitre l’existence des peuples du détroit d’Hatitelem (les Yagan, les Haush et les Selknam), dont les représentants ont été exterminés par les colons européens, ou assimilés de force à la culture hispanique d’Argentine et du Chili. Il est urgent de faire reconnaitre la vérité sur ces peuples, de faire connaitre leur négation par l’histoire officielle, et la spoliation de leurs terres – Elle joue un rôle de passeur, d’accompagnateur de ces peuples; et utilise l’art comme moyen de sensibiliser, comme porte d’entrée pour faire naitre de l’empathie. Elle garde un espoir de changement avec la nouvelle génération, et le revouveau indigène à l’œuvre

Des Nouvelles De Demain Saison 4

Franck Doyen, à propos des Chants de Kiepja (Obsküre, 03/01/2022)

https://www.obskure.com/franck-doyen-interview-%C3%A0-propos-des-chants-de-kiejpa-2022.html

Image de présentation

LITTÉRATURE

03/01/2022

FRANCK DOYEN

À PROPOS DES ‘CHANTS DE KIEPJA’

Photographies : Phil Journé / Emilie Salquèbre

Posté par : Sylvaïn Nicolino

Une fois de plus, j’ai lu Franck Doyen. Cette fois, alors que j’ai fini ma recension de Les Chants de Kiepja, il me manque quelque chose. Je sais que le texte doit se suffire et je trouve qu’il se tient, encore une fois. Pas pour rien que Doyen fait partie des poètes dont je suis le travail. Non, ce n’est pas le livre qui pose problème, c’est ma chronique. J’ai envie d’en savoir plus, en fait. J’écris à Franck, je lui fais part des vides qui sont en moi suite à cette lecture, je lui pose quelques questions, par mail. Je pense à ce moment insérer des bribes de ses réponses, pour étoffer ce que moi j’apporte comme éclairage. Et je reçois ses réponses. Elles sont éclairantes, denses. Je ne me vois pas tailler là-dedans. Autant partager, avec son accord, évidemment.

Obsküre : Franck, comment es-tu tombé inspiré par ces peuples ?
Franck Doyen : Difficile d’expliquer ce qui me relie à ces peuples, rationnellement. Déjà, Vous Dans La Montagne (éd. Dernier Télégramme, 2012) était connecté avec les Chiapanèques, même si je prenais l’excuse d’un vide / d’un trou dans le journal de campagne du sous-commandant Marcos. Mais c’est l’écriture de Mocha (paru en 2018 à La Lettre Volée) qui m’a fait plonger vers le Sud du Chili. Au moment de finaliser Mocha, j’apprends que l’île de Mocha (une île au large du Chili) se trouve au cœur du mythe mapuche appelé le trempulcahue : quatre baleines emmènent l’âme des morts sur l’île de Mocha pour qu’elles puissent y ressusciter. Je ne connaissais alors pas les Mapuches et pourtant, Mocha raconte ce trempulcahue ! Dans mon texte, un personnage dérive seul sur l’océan ; la mort vient à sa rencontre sous la forme d’un cachalot qui l’entraîne dans les fonds marins, puis le remonte et le dépose sur l’île de Mocha. Troublé par cette coïncidence, j’ai alors débuté intensément mes recherches (ethnologiques, historiques, linguistiques…) sur les Mapuches, peuple vivant toujours au Sud du Chili (dans la région de l’Araucanie) malgré l’adversité du capitalisme sauvage, ainsi que sur les peuples natifs de l’extrême Sud (vivant en Patagonie et en Magellanie). Les Mapuches alors, comme toujours et en tous temps, m’échappent. J’ai pourtant dans ma vie certainement à faire / affaire avec eux et cette partie du monde.


Deux autres peuples retiennent plus précisément mon attention : les Kawesqars et les Selk’nams. De par leur histoire, mais – et je ne le comprends que maintenant, de par le chemin que l’apprentissage de leurs vies m’a permis de faire. Les Kawesqars vivaient sur l’eau, jusqu’au début du XXe siècle, véritables nomades des mers. Ils nomadisaient à bord de canoës et peuplaient les canaux et les côtes de la Patagonie occidentale. Ils ne rejoignaient les îles que pour cause de maladie, de mort, ou pour la nourriture. D’où ces mots en kawesqars qui canotent autour des paragraphes de texte dans « Eaux ne tombent ». Les Selk’nams, eux, étaient des nomades terrestres et peuplaient la grande île de Terre de Feu. La figure de Kiepja a traversé la fin du XXe grâce à des enregistrements (faits sans son réel consentement) par Anne Chapman.


Ce texte, par la mise à jour de la parole et des figures des Kawesqars et des Selk’nams, est l’occasion d’interroger les bases sur lesquelles nos démocraties / nos sociétés se sont construites : la (tentative de) destruction volontaire et consciente de quels peuples, quelles langues, quelles cultures ? Cette destruction et/ou exploitation de peuples est allée de pair avec la mise en place de la surexploitation des terres et des richesses naturelles qui aboutit à cet actuel état des lieux catastrophique sur la santé de la planète.


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Tu souhaitais aussi revenir sur un passage de ma chronique dans lequel je parle de deux textes distincts…
Oui, il y a bien deux parties, différentes formellement. Mais ces deux parties entrent en résonnance l’une avec l’autre – et s’imbriquent au final : à la fin de « Eaux ne tombent » le personnage du Kawesqar, qui jusque-là se trouve seul sur une île et dans une hutte funéraire, est appelé par les chants de Kiepja, il remet à l’eau son canot, emmène avec lui des animaux, et repart vers la vie ; il reprend forme dans la deuxième partie comme « le frère » auquel Kiepja fait référence, qui elle-même retourne vers la lumière… Les Selk’nams et les Kawesqars sont bien vivants et continueront de l’être encore longtemps. C’est là une vérité à rétablir.

As-tu eu des expériences de chamanisme ?
À proprement parler, non. Mais, la proposition de Kenneth White dans Le Lieu Et La Parole (p. 63-64) comme quoi « (le chamane) est le poète archaïque, le premier poète en quelque sorte… » me fait penser bien souvent que le poète peut être le chamane de nos sociétés contemporaines. L’intérêt pour l’ethnopoétique relève peut-être aussi de ce phénomène plus que d’un exotisme ou d’un tourisme littéraire…

Lorsque tu finis un poème, quelles parts as-tu réservées à la visite et au travail ? (La vieille idée du poème qui descend et vient seul, l’inspiration divine qui s’oppose au travail conscient, etc.)
Je suis loin de l’écriture automatique, car je retravaille beaucoup mes textes (ratures, brouillons, etc.) Mais il y a bien ce balancier, ce mouvement régulier entre ces deux pôles dont tu parles. Avec des phases de recherche très intenses (ethnologique, historique, journalistique, musicale, littéraire, botanique, etc.) et d’immersion dans les textes des autres.


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Chez toi l’imaginaire de la nature va de pair avec l’ailleurs. Qu’est-ce qui t’empêche d’écrire sur les coquelicots, les sauterelles, les terrains vagues ou les forêts de nos campagnes ?
C’est drôle que tu m’en parles car c’est exactement ce sur quoi je bosse actuellement, depuis la fin des Chants De Kiepja. Ceci dit Sablonchka (éd. Le Nouvel Attila, 2019), sous son aspect de roman d’anticipation, était tout à fait immergé dans mon environnement naturel ici en Lorraine (mais pour lequel j’avais recréé un lexique faune/flore spécifique). Et si je travaille dessus actuellement, c’est avec une toute autre perception des mondes qui m’entourent, perception que j’ai maintenant suite à cette immersion dans la pensée de ces peuples.

Comment as-tu communiqué ton travail à Mirtha Salamanca ? En français ? Traduit en espagnol ? En enregistrements audio ?
Là, c’est une histoire dans l’histoire ! Trois semaines avant d’envoyer les fichiers à l’impression, dans une émission radio, j’entends une ethnomusicologue, Lauriane Lemasson qui (me) parle des Selk’nams et même de Mirtha Salamanca, l’arrière-petite-fille de Kiepja… J’entre alors en contact avec elle et, par son entremise, avec Mirtha Salamanca.


Or, tous les discours officiels et sérieux (jusqu’à Philippe Descola, dans le Cahier de l’Herne Jean Malaurie) disent « extinction », « disparition » : les Kawesqars, les Selk’nams n’existeraient plus, ils auraient été décimés, et leur langue ne serait plus parlée. Pour t’expliquer, Anne Chapman elle-même avait affirmé que Kiepja était la dernière Selk’nam, mais elle avait omis de dire qu’elle avait eu des enfants… Il y a (il y a eu ?) certainement cette dynamique chez les ethnologues, anthropologues, d’être celui ou celle qui côtoie le dernier ou la dernière représentante d’un peuple. En fait, les Kawesqars et les Selk’nams ont modifié leur mode de vie, se sont métissés, se sont invisibilisés et métissés, dans les forêts ou dans les villes, ont refait communauté autant que possible, ont assuré la continuité de leur peuple, et réapparaissent aujourd’hui portés par des revendications sociales et de défense de leurs territoires.


Je ne parle pas un mot d’Espagnol, et nous avons communiqué par mail, donc en français traduit en espagnol, grâce à Lauriane Lemasson qui vit une partie de sa vie avec les Selk’nams. J’avais aussi fait traduire mon texte en espagnol argentin par Antonio Werli et Sol Gil, et je l’ai transmis à Mirtha. J’ai demandé à Mirtha Salamanca l’autorisation de pouvoir intituler mon livre Les Chants De Kiepja. Et nos quelques échanges m’ont permis de modifier certaines imprécisions du texte, notamment en ce qui concerne les animaux de Terre de Feu.
Le livre franchit actuellement l’océan vers les Selk’nams.

On aimerait t’entendre dire ces textes : est-ce un processus qui viendra ?
Je vais certainement être amené à en faire des lectures dans les mois qui viennent, même si l’organisation du festival Poema me prend beaucoup de temps. Je ré-envisage d’accepter plus d’invitations que ces dernières années, car il y a une parole à porter sur ces histoires.