A vos agendas ! Exposition d’une rétrospective photographique et sonore pour les dix ans de Karukinka, à Nantes du 16 au 31 mars 2024

A vos agendas ! Exposition d’une rétrospective photographique et sonore pour les dix ans de Karukinka, à Nantes du 16 au 31 mars 2024

Quoi de mieux que de partager un maté, des empanadas et des alfajores pour faire un saut à l’extrême sud de l’Amérique ?

En partenariat avec El Almacén, un resto bar argentin situé à deux pas de la place Royale (4 rue de l’Arche sèche à Nantes), nous vous convions à l’exposition de sons et d’images réalisés en Patagonie lors de nos différentes expéditions à pieds et à la voile.

Pensée sous la forme d’une rétrospective de dix années passées en territoires selk’nam, yagan et haush, cette présentation d’une partie de nos activités sera complétée, le 16 mars à 18h30, par une conférence de Lauriane Lemasson, fondatrice de l’association.

Au plaisir de vous rencontrer et de vous faire découvrir nos activités passées, présentes et futures,

Jacques Sax, président de l’association Karukinka

PS: pour l’écoute, n’oubliez pas vos écouteurs et, si besoin, d’installer une application de lecture de QR codes

Oeuvre lumineuse pour la reconnaissance et la réparation du peuple selk’nam (Obra lumínica por el reconocimiento y la reparación del pueblo selknam, El Mostrador, 2/2/2024)

Oeuvre lumineuse pour la reconnaissance et la réparation du peuple selk’nam (Obra lumínica por el reconocimiento y la reparación del pueblo selknam, El Mostrador, 2/2/2024)

Avec des projections lumineuses itinérantes, des artistes de la Corporation Traitraico et du Delight Lab visibilisent l’histoire de dépossession à l’encontre du peuple Selk’nam et la lutte pour sa reconnaissance et sa réparation.

Traduction de l’article publié par le journal El Mostrador (Chili)


Une œuvre lumineuse dédiée à la reconnaissance et à la réparation du peuple selk’nam a sillonné le sud de la Patagonie chilienne.

Le Selk’nam est un peuple indigène qui habite la Patagonie depuis des milliers d’années. Durant la colonisation ils furent persécutés, assassinés, violés et capturés pour être exhibés dans les zoos humains d’Europe. L’Eglise les a bannis et les a obligé à laisser leur culture. L’Etat du Chili ne les considérait pas comme des sujets de droit et plus tard a considéré cette culture pour morte.

Grâce à deux décennies de lutte et d’organisation, en septembre 2023 le Congrès a approuvé une réforme à la loi 19.253 dans laquelle l’Etat reconnaît le peuple indigène Selk’nam comme culture vivante, s’ajoutant à la liste d’autres ethnies comme la Mapuche et l’Aimara.

“Maintenant nous allons promouvoir notre culture avec plus d’insistance. Nous avons besoin d’une présence politique, de lois qui protègent notre patrimoine, parce qu’il y a beaucoup d’appropriation culturelle. Il est de la responsabilité de l’Etat de réparer, à travers l’éducation, le contenu des enseignements aux collèges et dans l’histoire officielle qui indiquent que le peuple Selk’nam est éradiqué” dit Mauricio Astroza, jeune selk’nam membre de l’Assemblée Telkacher.

Comme exercice de mémoire, visibilisation et soutien, l’organisation culturelle et environnementale Corporation Traitraico et le collectif de vidéoprojection Delight Lab ont recueilli des témoignages de personnes Selk’nam du Chili et d’Argentine et ont projeté des images significatives en utilisant le territoire comme toile.

“Nous approchons les gens à la lutte actuelle du peuple selk’nam qui exige que soit réparée une dette historique en lien avec le négationnisme collectif de son génocide. Ceci est un précédent pour que plus jamais quelque chose de similaire soit répété ni dans le pays ni dans le monde”, dit Francisco Polla, fondateur de la Corporation Traitraico et directeur du projet.

L’investigation s’est déroulée durant l’année 2023 et est réunie dans le microdocumentaire Relatos de Fuego (Histoires de Feu). Les projections ont été réalisée avec de l’énergie propre dans des sites somme Cerro Sombrero, Porvenir, Lago Blanco et le Parc Karukinka.

“A travers de cette fantasmagorie contemporaine nous évoquons des personnes qui ont habité le territoire et leur spiritualité cachée, leur respect de la nature et, pour d’autres personnes, quelque chose de très différent aux valeurs du libre échange et de l’extractivisme d’aujourd’hui. C’est un sauvetage de la mémoire ancestrale mais en même temps une question sur qu’est-ce qu’être Selk’nam aujourd’hui”, dit Octavio Gana, cofondateur du Delight Lab et directeur artistique de l’oeuvre.

Les projections font partie du projet “Relatos de luz” (Histoires de Lumière), qui est né en 2019 et qui se présente de manière itinérante dans différents territoires australs. L’équipe a également été présente à Los Lagos, Aysén, Los Ríos et La Araucanía.

La tournée s’est faite grâce au Fonds Artistique Régional de la Culture des Peuples Originaires de la Région de Magallanes et de l’Antarctique Chilien 2021 et le Fonds Artistique National des Arts y al Fondart Nacional des Arts de la Visualité, de la Création et de la Production 2021, du Ministère des Cultures, des Arts et du Patrimoine. Soutiennent et collaborent l’Assemblée Telkacher, Bandera Selk’nam, l’Académie de la langue Selk’nam, le groupe de femmes Selk’nam Khol Hool Na de la lignée de Lola Kiepja et représentantes de la communauté indigène Rafaela Ishton.

https://www.elmostrador.cl/cultura/2024/02/02/obra-luminica-por-el-reconocimiento-y-la-reparacion-del-pueblo-selknam/

Franck Doyen, à propos des Chants de Kiepja (Obsküre, 03/01/2022)

https://www.obskure.com/franck-doyen-interview-%C3%A0-propos-des-chants-de-kiejpa-2022.html

Image de présentation

LITTÉRATURE

03/01/2022

FRANCK DOYEN

À PROPOS DES ‘CHANTS DE KIEPJA’

Photographies : Phil Journé / Emilie Salquèbre

Posté par : Sylvaïn Nicolino

Une fois de plus, j’ai lu Franck Doyen. Cette fois, alors que j’ai fini ma recension de Les Chants de Kiepja, il me manque quelque chose. Je sais que le texte doit se suffire et je trouve qu’il se tient, encore une fois. Pas pour rien que Doyen fait partie des poètes dont je suis le travail. Non, ce n’est pas le livre qui pose problème, c’est ma chronique. J’ai envie d’en savoir plus, en fait. J’écris à Franck, je lui fais part des vides qui sont en moi suite à cette lecture, je lui pose quelques questions, par mail. Je pense à ce moment insérer des bribes de ses réponses, pour étoffer ce que moi j’apporte comme éclairage. Et je reçois ses réponses. Elles sont éclairantes, denses. Je ne me vois pas tailler là-dedans. Autant partager, avec son accord, évidemment.

Obsküre : Franck, comment es-tu tombé inspiré par ces peuples ?
Franck Doyen : Difficile d’expliquer ce qui me relie à ces peuples, rationnellement. Déjà, Vous Dans La Montagne (éd. Dernier Télégramme, 2012) était connecté avec les Chiapanèques, même si je prenais l’excuse d’un vide / d’un trou dans le journal de campagne du sous-commandant Marcos. Mais c’est l’écriture de Mocha (paru en 2018 à La Lettre Volée) qui m’a fait plonger vers le Sud du Chili. Au moment de finaliser Mocha, j’apprends que l’île de Mocha (une île au large du Chili) se trouve au cœur du mythe mapuche appelé le trempulcahue : quatre baleines emmènent l’âme des morts sur l’île de Mocha pour qu’elles puissent y ressusciter. Je ne connaissais alors pas les Mapuches et pourtant, Mocha raconte ce trempulcahue ! Dans mon texte, un personnage dérive seul sur l’océan ; la mort vient à sa rencontre sous la forme d’un cachalot qui l’entraîne dans les fonds marins, puis le remonte et le dépose sur l’île de Mocha. Troublé par cette coïncidence, j’ai alors débuté intensément mes recherches (ethnologiques, historiques, linguistiques…) sur les Mapuches, peuple vivant toujours au Sud du Chili (dans la région de l’Araucanie) malgré l’adversité du capitalisme sauvage, ainsi que sur les peuples natifs de l’extrême Sud (vivant en Patagonie et en Magellanie). Les Mapuches alors, comme toujours et en tous temps, m’échappent. J’ai pourtant dans ma vie certainement à faire / affaire avec eux et cette partie du monde.


Deux autres peuples retiennent plus précisément mon attention : les Kawesqars et les Selk’nams. De par leur histoire, mais – et je ne le comprends que maintenant, de par le chemin que l’apprentissage de leurs vies m’a permis de faire. Les Kawesqars vivaient sur l’eau, jusqu’au début du XXe siècle, véritables nomades des mers. Ils nomadisaient à bord de canoës et peuplaient les canaux et les côtes de la Patagonie occidentale. Ils ne rejoignaient les îles que pour cause de maladie, de mort, ou pour la nourriture. D’où ces mots en kawesqars qui canotent autour des paragraphes de texte dans “Eaux ne tombent”. Les Selk’nams, eux, étaient des nomades terrestres et peuplaient la grande île de Terre de Feu. La figure de Kiepja a traversé la fin du XXe grâce à des enregistrements (faits sans son réel consentement) par Anne Chapman.


Ce texte, par la mise à jour de la parole et des figures des Kawesqars et des Selk’nams, est l’occasion d’interroger les bases sur lesquelles nos démocraties / nos sociétés se sont construites : la (tentative de) destruction volontaire et consciente de quels peuples, quelles langues, quelles cultures ? Cette destruction et/ou exploitation de peuples est allée de pair avec la mise en place de la surexploitation des terres et des richesses naturelles qui aboutit à cet actuel état des lieux catastrophique sur la santé de la planète.



Tu souhaitais aussi revenir sur un passage de ma chronique dans lequel je parle de deux textes distincts…
Oui, il y a bien deux parties, différentes formellement. Mais ces deux parties entrent en résonnance l’une avec l’autre – et s’imbriquent au final : à la fin de “Eaux ne tombent” le personnage du Kawesqar, qui jusque-là se trouve seul sur une île et dans une hutte funéraire, est appelé par les chants de Kiepja, il remet à l’eau son canot, emmène avec lui des animaux, et repart vers la vie ; il reprend forme dans la deuxième partie comme “le frère” auquel Kiepja fait référence, qui elle-même retourne vers la lumière… Les Selk’nams et les Kawesqars sont bien vivants et continueront de l’être encore longtemps. C’est là une vérité à rétablir.

As-tu eu des expériences de chamanisme ?
À proprement parler, non. Mais, la proposition de Kenneth White dans Le Lieu Et La Parole (p. 63-64) comme quoi “(le chamane) est le poète archaïque, le premier poète en quelque sorte…” me fait penser bien souvent que le poète peut être le chamane de nos sociétés contemporaines. L’intérêt pour l’ethnopoétique relève peut-être aussi de ce phénomène plus que d’un exotisme ou d’un tourisme littéraire…

Lorsque tu finis un poème, quelles parts as-tu réservées à la visite et au travail ? (La vieille idée du poème qui descend et vient seul, l’inspiration divine qui s’oppose au travail conscient, etc.)
Je suis loin de l’écriture automatique, car je retravaille beaucoup mes textes (ratures, brouillons, etc.) Mais il y a bien ce balancier, ce mouvement régulier entre ces deux pôles dont tu parles. Avec des phases de recherche très intenses (ethnologique, historique, journalistique, musicale, littéraire, botanique, etc.) et d’immersion dans les textes des autres.



Chez toi l’imaginaire de la nature va de pair avec l’ailleurs. Qu’est-ce qui t’empêche d’écrire sur les coquelicots, les sauterelles, les terrains vagues ou les forêts de nos campagnes ?
C’est drôle que tu m’en parles car c’est exactement ce sur quoi je bosse actuellement, depuis la fin des Chants De Kiepja. Ceci dit Sablonchka (éd. Le Nouvel Attila, 2019), sous son aspect de roman d’anticipation, était tout à fait immergé dans mon environnement naturel ici en Lorraine (mais pour lequel j’avais recréé un lexique faune/flore spécifique). Et si je travaille dessus actuellement, c’est avec une toute autre perception des mondes qui m’entourent, perception que j’ai maintenant suite à cette immersion dans la pensée de ces peuples.

Comment as-tu communiqué ton travail à Mirtha Salamanca ? En français ? Traduit en espagnol ? En enregistrements audio ?
Là, c’est une histoire dans l’histoire ! Trois semaines avant d’envoyer les fichiers à l’impression, dans une émission radio, j’entends une ethnomusicologue, Lauriane Lemasson qui (me) parle des Selk’nams et même de Mirtha Salamanca, l’arrière-petite-fille de Kiepja… J’entre alors en contact avec elle et, par son entremise, avec Mirtha Salamanca.


Or, tous les discours officiels et sérieux (jusqu’à Philippe Descola, dans le Cahier de l’Herne Jean Malaurie) disent “extinction”, “disparition” : les Kawesqars, les Selk’nams n’existeraient plus, ils auraient été décimés, et leur langue ne serait plus parlée. Pour t’expliquer, Anne Chapman elle-même avait affirmé que Kiepja était la dernière Selk’nam, mais elle avait omis de dire qu’elle avait eu des enfants… Il y a (il y a eu ?) certainement cette dynamique chez les ethnologues, anthropologues, d’être celui ou celle qui côtoie le dernier ou la dernière représentante d’un peuple. En fait, les Kawesqars et les Selk’nams ont modifié leur mode de vie, se sont métissés, se sont invisibilisés et métissés, dans les forêts ou dans les villes, ont refait communauté autant que possible, ont assuré la continuité de leur peuple, et réapparaissent aujourd’hui portés par des revendications sociales et de défense de leurs territoires.


Je ne parle pas un mot d’Espagnol, et nous avons communiqué par mail, donc en français traduit en espagnol, grâce à Lauriane Lemasson qui vit une partie de sa vie avec les Selk’nams. J’avais aussi fait traduire mon texte en espagnol argentin par Antonio Werli et Sol Gil, et je l’ai transmis à Mirtha. J’ai demandé à Mirtha Salamanca l’autorisation de pouvoir intituler mon livre Les Chants De Kiepja. Et nos quelques échanges m’ont permis de modifier certaines imprécisions du texte, notamment en ce qui concerne les animaux de Terre de Feu.
Le livre franchit actuellement l’océan vers les Selk’nams.

On aimerait t’entendre dire ces textes : est-ce un processus qui viendra ?
Je vais certainement être amené à en faire des lectures dans les mois qui viennent, même si l’organisation du festival Poema me prend beaucoup de temps. Je ré-envisage d’accepter plus d’invitations que ces dernières années, car il y a une parole à porter sur ces histoires.

Agir pour le vivant et Libération publient une tribune de Lauriane Lemasson, fondatrice de notre association (2ème partie)

Agir pour le vivant : tribune

Patagonie : mais où sont donc les peuples Yagan, Haush et Selk’nam ? (partie 2)

Si l’on regarde une carte de Terre de feu, l’une des premières sensations est celle de vide, un criant vide de sens. Le territoire est immense mais les toponymes manquent pour décrire ce qui m’entoure. Suite (en France) et fin (de non recevoir).

par Lauriane Lemasson, chercheuse en ethnomusicologie, acoustique et géographie à Sorbonne Université et fondatrice de l’association Karukinka – publié le 15 juin 2021 à 17h08

(Retrouvez ici la première partie de l’article mis en ligne le 14 juin)

Continuant mes recherches au sud du détroit de Hatitelen, j’ai progressivement pris conscience de l’ampleur et des multiples effets de la colonisation. Non, les Selk’nam, Haush et Yagan n’ont pas disparu. Ensemble, ils composent actuellement plusieurs milliers de personnes revendiquant des droits, et parmi ceux-ci celui à la vérité historique. J’ai pu rencontrer ces descendants des survivants, de ceux ayant eu suffisamment de chance et de force pour échapper aux mailles du filet. Ils se sont fondus dans la masse, ne transmettant plus leurs langues et cachant leurs origines pour mieux satisfaire aux nouvelles exigences des colons. Mais l’histoire familiale, cette part intime de l’identité d’un individu et de son groupe, n’a pas été oubliée et se transmet de génération en génération. Tant qu’il n’y aura pas d’entière reconnaissance du passé, il faudra continuer de transmettre ces histoires : pour ne pas oublier qu’hier, les ancêtres ont été massacrés. Cette histoire commune est l’un des fondements culturels face auquel aucune théorie de pureté génétique ne peut faire face. Etre Yagan, Haush ou Selk’nam ne peut pas être remis en question par un certain degré de métissage : une culture est mouvement et adaptation, et sans cela elle meurt.

En octobre 2019, j’ai eu la chance d’obtenir une carte blanche de la part de l’organisateur du festival Haizebegi de Bayonne, Denis Laborde, et j’ai fait le choix d’inviter trois membres de ces peuples : Mirtha Salamanca (selk’nam), José Germán González Calderón (yagan) et Victor Vargas Filgueira (yagan). Pendant une vingtaine de jours ils ont pu témoigner à la première personne, et pour la première fois en France, de l’histoire passée et actuelle de leurs peuples. Nous avons composé ensemble le programme, en choisissant conjointement les thèmes à aborder et les textes à publier. Et parmi ces thèmes, celui de la restitution des corps de leurs ancêtres. En amont de leur venue, ils m’avaient demandé de solliciter un rendez-vous avec le directeur de la collection des restes humains modernes du musée de l’Homme. L’objectif était simple : se rencontrer, dialoguer et voir ensemble comment réparer les erreurs d’hier et faire que leurs ancêtres reposent enfin chez eux, d’où ils n’auraient jamais dû partir. J’ai donc envoyé un premier mail à la direction, puis un second, un troisième… sans réponse. Ils arrivèrent le 3 octobre et je n’avais rien d’autre à leur communiquer que le silence de notre interlocuteur. Le temps passe et deux jours avant leur départ de France, lors d’un dernier passage à Paris pour un séminaire en Sorbonne, ils souhaitent se rendre sur place, au musée de l’Homme, pour demander des explications.

Après une longue attente, la secrétaire de direction prend note de cette venue et des questions de Mirtha, José et Victor. En repartant, ils souhaitèrent prendre cette photo à l’entrée du musée, pour rappeler que la France a ratifié la Convention 169 de l’OIT (relative aux peuples indigènes et tribaux) et que la restitution doit être facilitée par les institutions lorsque les membres des communautés concernées en font la demande. Le lendemain matin, je reçus un mail du directeur de la collection, s’adressant uniquement à moi, me disant que «nous ne pouvons pas nous laisser dicter nos priorités par ce genre de demande, même si la demande est légitime». Rencontrer les membres de ces communautés venant pour la première fois, cent-trente ans après la honte des zoos humains et des exhibitions coloniales les ayant présentés comme des animaux, n’est donc pas une priorité, et répondre à leurs demandes répétées durant plusieurs mois non plus. Je vous l’avoue, j’ai eu honte, viscéralement honte de l’indifférence qui leur a été infligée et qui continue depuis.

Je ne suis pas spécialiste de ce sujet, certains comme l’anthropologue argentin Fernando Miguel Pepe en parlerait mieux que moi, luttant depuis des décennies pour l’identification et la restitution des corps. Ce dernier affirme même que les données liées à l’identification de ces corps ne peuvent lui être communiquées, le musée interdisant pour une période de vingt ans que ces informations sortent et facilitent l’établissement des liens entre ces personnes et leurs descendants actuels susceptibles de vouloir ensuite les récupérer.

En tant que citoyenne française, d’un pays où une institution ne prend pas ses responsabilités en répondant aux demandes de dialogue qui lui sont faites, je ne peux rester les bras croisés. Je ne peux que témoigner de ce cruel manque d’empathie et de cette injustice. Ces personnes avaient toutes une famille et ont été arrachées à leurs terres de manière indigne. Elles sont de la génération de mes arrière-arrière-grands-parents et arrière-grands-parents. Et pourraient être aussi les vôtres. N’iriez-vous pas, vous aussi, les chercher à l’autre bout du monde s’il le fallait ?

https://www.liberation.fr/plus/patagonie-mais-ou-sont-donc-les-peuples-yagan-haush-et-selknam-partie-2-20210615_TEJHI4RMHRGNTJMXE37K5LNGIE/ 

Agir pour le vivant et Libération publient une tribune de Lauriane Lemasson, fondatrice de notre association (1ère partie)

Patagonie : mais où sont donc les peuples Yagan, Haush et Selk’nam ? (partie 1)

Si l’on regarde une carte de Terre de feu, l’une des premières sensations est celle de vide, un criant vide de sens. Le territoire est immense mais les toponymes manquent pour décrire ce qui m’entoure.

par Lauriane Lemasson, chercheuse en ethnomusicologie, acoustique et géographie à Sorbonne Université et fondatrice de l’association Karukinka – publié le 14 juin 2021 à 10h58

En 2011 j’ai posé pour la première fois mon regard sur ce Finistère américain : l’extrême sud de la Patagonie, au sud du détroit Hatitelen, plus connu sous le nom de détroit de Magellan. Après avoir étudié un large corpus d’ouvrages disponibles en Europe, les conclusions étaient sans appel concernant les premiers habitants de ces terres : il ne restait plus qu’une seule femme yagan à Villa Ukika, au Chili, et plus aucun Haush ou Selk’nam en Patagonie. Tous avaient disparu à la suite des maladies importées d’Europe, malgré les bonnes volontés des missions anglicanes et salésiennes qui tentèrent de les sauver en leur apportant refuge, nourriture, vêtements, et surtout «civilisation».

Voici en résumé ce que dit l’histoire officielle. Je décidai malgré tout de m’y rendre pour la première fois en janvier 2013 et pendant un peu plus de trois mois. Je savais que j’allais sûrement sillonner un désert vidé de ses premiers habitants pendant toute cette période, mais peut-être que les paysages, eux, auraient encore des choses à me conter. Je partis donc, principalement seule et en autonomie complète, avec pour compagnons d’expédition mon sac à dos, ma tente, mon duvet, et de quoi manger, photographier et enregistrer. Passés ces trois premiers mois d’exploration et beaucoup d’autres missions à la suite, je peux vous assurer que oui, ces lieux devenus espaces continuent de beaucoup m’apprendre sur l’horreur du génocide dont ont été victimes les peuples Yagan, Haush et Selk’nam.

Si l’on regarde une carte de Terre de feu, l’une des premières sensations est celle de vide, un criant vide de sens. Le territoire est immense mais les toponymes manquent pour décrire ce qui m’entoure. Des rivières, montagnes, collines, plaines… devaient pourtant avoir des noms, avant, lorsqu’ils faisaient partie d’un quotidien, que des voix troublaient le silence. Où sont-ils désormais ? Et ces restes de vie, ces ustensiles de pierre taillée qui jonchent le sol de ces anciens campements, ne sont-ils pas les témoins de l’exode, de la fuite face à l’arrivée des génocidaires ? Imaginez un dîner familial et faites-en disparaître tous les membres assis autour de la table : voici la sensation qui vous prend aux tripes quand vous vous retrouvez là. Le temps s’y est arrêté et ces bribes de vie quotidienne vous entourent, sans leurs acteurs. Où sont-ils ? Qu’ont-ils vécu ici ? Ont-ils pu s’en sortir en s’engouffrant dans l’inextricable forêt fuégienne ? Ou bien ont-ils été capturés et déportés comme tant d’autres vers les missions, la prison de Rawson ou le camp de concentration de l’île Dawson, séparés de leur territoire, pour favoriser l’expansion des élevages d’ovins et de bovins ? Tout cela s’est déroulé durant la conquête d’un désert qui n’en était pas un : la colonisation aussi macabre que rapide initiée par l’Argentine et le Chili entre la fin du XIXe et le début du XXe siècles en Patagonie.

Sinistre trafic humain

Durant la même période se développèrent en Europe occidentale les théories d’anthropologie physique. Convaincus d’avoir trouvé en Patagonie le chaînon manquant entre l’homme et l’animal, de nombreux chercheurs firent appel à des explorateurs ou se rendirent sur place pour les étudier. L’objectif était de confirmer leurs théories empreintes des conclusions de Charles Darwin lors de son passage dans l’extrême sud patagon. Il était difficile de convaincre les Selk’nam, Haush et Yagan de se soumettre à toutes sortes de mesures anthropométriques, comme le montrent certains témoignages, dont ceux de Paul Hyades. Ces personnes connaissaient depuis plusieurs décennies déjà le cruel traitement que leur réservaient les Blancs en ces terres de non-droit. Le réflexe était donc celui de la fuite. Alors les chercheurs et explorateurs se mirent à déterrer les cadavres, malgré l’opposition des familles, et à les envoyer vers différents musées, dont le musée d’Ethnographie du Trocadéro, devenu en 1937 musée de l’Homme, faisant fi de l’éthique et violant les pratiques funéraires des populations concernées.

Ce sinistre trafic se déroula principalement entre 1880 et 1920 en Patagonie. Ces personnes, une fois arrivées par bateau, furent morcelées, classées et stockées, comme objets d’une collection. Ils font partie aujourd’hui encore de la collection de restes humains modernes du musée de l’Homme qui regroupent officiellement plus de 1 000 squelettes et 18 000 crânes. Les restes humains de Terre de feu ont entre autres été collectés par la mission scientifique du cap Horn dans la baie Orange (1882-1883) et la mission de Henri Rousson et Polydore Willems en péninsule Mitre (1890-1891), mais aussi grâce aux dons réalisés par Martin Gusinde et Perito Moreno, ce dernier étant aussi l’un des principaux collecteurs et collectionneurs des restes humains composant la collection du musée de La Plata en Argentine. Et au musée de La Plata se trouvent aussi… des Français ! Agriculteurs, cordonniers, trappeurs, couturières, tisseuses… Ils y sont classés par sexe, métier et lieu d’origine.

https://www.liberation.fr/plus/patagonie-mais-ou-sont-donc-les-peuples-yagan-haush-et-selknam-20210614_5VTJJIATRNESFGFDRJV6LLMNIQ/