[Cap au Sud #10] de Buenos Aires (Argentine) à Puerto Williams (Chili) Première partie

[Cap au Sud #10] de Buenos Aires (Argentine) à Puerto Williams (Chili) Première partie

Minuit. Cà y est, c’est Noël à Buenos Aires !

Pour le passage au 25 décembre, me voilà en route pour une croisière hauturière, dans un taxi direction un hôtel, depuis l’aéroport Ezeiza de Buenos Aires vers le centre de la capitale argentine, après un vol sans histoire sur Air France de 13h depuis Paris. Sur le périphérique le passage à Noël, se matérialise par de nombreux tirs de feu d’artifice et de fusées d’un quartier à l’autre, et aussi par l’absence quasi-complète de moyen de quitter l’aéroport entre 23h et 01h du matin ! Il ne faut pas arriver en Argentine un 24 Décembre, on ne plaisante pas avec Noël ici.

Le lendemain matin l’Uber de Noël nous dépose, Jacques (le président de l’association) et moi devant la grille du Yacht Club de Buenos Aires, petit havre de verdure et de paix au cœur de cette mégapole et de son quartier chic de buildings en verre. Nous retrouvons Lauriane, Damien, Toupie, Parbat et le bon vieux Milagro, tous fatigués par cette traversée de l’Atlantique. Juste le temps de saluer ceux qui quittent le bord, François et Henri, et direction ma cabine et les quelques mètres carrés qui seront ma maison flottante pour les prochaines semaines de navigation en Atlantique Sud.

Arrivée au Yacht Club Argentino avant le départ du stage de voile hauturier argentine croisière hauturière club de voile habitable adulte
Sébastien, Damien, Jacques et Toupie réunis au Yacht Club Argentino (Buenos Aires, Argentine)

Autour du ponton la faune est nombreuse à nous observer : tortues qui bullent en surface, iguanes terrestres d’un mètre de long qui se prélassent au soleil dans l’herbe sèche, cormorans qui poursuivent celui de leur congénère qui a péché un poisson et a le malheur de ne pas l’avoir encore avalé, bref, ça s’active autour de nous et nous en prenons de la graine tous les jours jusqu’à 19h, heure fatidique de l’arrivée de milliers de moustiques en provenance des marais environnants et qui nous obligent à tout fermer et fuir le bateau jusqu’à la nuit tombée.

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Un de nos voisins de ponton au Yacht Club Argentino (Buenos Aires, Argentine)

Pendant cette semaine d’entre les fêtes un rythme soutenu se met en place : entretien du bateau à gogo, démarches administratives avec les autorités, préparation de l’avitaillement, réparation du plancher du cockpit qui s’affaisse, installation d’une éolienne, installation (chaotique) d’une sonorisation d’exception dans le carré, laverie, avitaillement en nourriture, carburant et gaz, changement dans l’accastillage, matelotage…et réparation de la grand-voile !

En effet, celle-ci a souffert lors de la dernière traversée de 2 déchirures verticales, au niveau de coutures qui nécessitent de la dégréer pour la réparer. Heureusement Clément, professionnel de la voile qui travaille sur les Imoca du Vendée Globe, prend cette réparation en main. C’est long et fastidieux, écrasés par la chaleur de l’été argentin sur une dalle en béton ensoleillée. Nous transpirons à grosses gouttes. Ces travaux sont heureusement coupés par d’agréables pauses repas à la cafétéria du Yacht Club (mention spéciale au restaurant du siège du yacht club qui est magnifique et dont les plats proposés sont excellents).

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L’une des pauses bien méritées de l’équipage à la cafétéria du Yacht Club

On décolle du Yacht Club Argentin !

Finalement, la préparation se termine en même temps que l’année 2024 : l’année 2025 commence avec notre départ de Buenos Aires au complet avec Jacques, Philippe, Patrick, Clément, Aude (présente depuis le départ de St-Nazaire !), Lauriane, Damien, Toupie, Parbat et moi. Nous quittons le Yacht Club le 1er janvier 2025, dès que Milagro décolle de sa place au fond vaseux, direction la sortie du Rio de la Plata.

Le delta est absolument gigantesque : les extrémités ne peuvent pas se voir depuis le chenal précisément balisé que nous empruntons. L’eau reste douce jusqu’à très loin au large et turbide, chargée par les sédiments du delta arrachés aux montagnes. Autre particularité : pendant au moins 100 nautiques, la profondeur est très faible et constante : moins de 10m ! Même sans côte à l’horizon, il est possible de mouiller presque partout et le chenal balisé d’accès à Buenos Aires pour les gros navires paraît interminable !

Nous passons la nuit au mouillage face à des mangroves, près de La Plata, ainsi que les deux journées suivantes tout en gagnant vers l’est dans les eaux douces et laiteuses du Rio de la Plata, en attendant qu’un coup de vent passe au large et nous laisse gagner la haute mer. Mère Nature en profite pour nous faire cadeau de quelques ciels somptueux.

A partir de ce moment-là nous passons à de la navigation hauturière non-stop : des quarts de 3h sont programmés en binômes ; un équipier qui barre et reste sur le pont en continu, et un second qui intervient pour les manœuvres et un soutien « logistique » pour celui sur le pont, afin de rendre la veille plus agréable, le tout avec un glissant de 1h30. Pour ma part je commence avec Damien et finis avec Aude.

Il faut s’habituer à ce rythme particulier d’une navigation hauturière, si différent du rythme terrestre : le temps se distant, les distances aussi, un rythme monotone mais indispensable s’installe. Les prévisions se gâtent et nous décidons de nous réfugier à Bahia San Blas, malgré des données hydrographiques peu engageantes : nous avons parcourus 680 nautiques depuis le départ, à la voile mais aussi au moteur, le temps ayant été particulièrement calme depuis le départ.

Bahia San Blas : notre entrée dans les Quarantièmes Rugissants.

Bahia San Blas est caractéristique de la côte argentine jusqu’à Ushuaia : pas de marina ni de digue ; nous mouillons devant la plage. Les bateaux locaux ne sont que de gros zodiacs qui sont tirés à terre à l’issue de leur sortie, nous comprendrons pourquoi rapidement… La ville, de quelques milliers d’habitants, n’est qu’un front de mer : après 2/3 rangées de maisons, c’est la pampa qui commence… immense.

Il fait très chaud, c’est étouffant. Nous déjeunons dans le seul restaurant ouvert et rapidement il est temps de retourner à bord pour le coup de vent annoncé. Le ciel est déjà très sombre et le clapot grossit : trop tard pour ne pas être trempés ! Le retour en annexe est aussi « sportif » que mémorable. Tout le monde est littéralement rincé, l’eau est à 23 degrés et une moule échappée d’une boîte à pizza trouve son bonheur en faisant des longueurs au fond de l’annexe…

Aussitôt l’annexe remontée, le coup de vent arrive : le vent se met à souffler en continu à 30/35 nœuds, avec des rafales dépassant les 50 noeuds et soufflant les crêtes des vagues et le sable sur la plage. Le ciel est constamment zébré d’éclairs à 360°, c’est impressionnant ! Le bateau roule énormément, un fort courant s’opposant au vent dominant. Le roulis met particulièrement mal à l’aise et épuise. Certains restent apathiques dans leur couchette, comme vidés de toute énergie et la situation va perdurer une grande partie de la nuit.

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Moment de convivialité au mouillage, pour ne pas voir le temps qu’il fait dehors…

Au matin et après une courte accalmie le coup de vent reprend, cette fois à 40 nœuds et venant du sud. Milagro roule et tourne en continu autour de son ancre à cause des effets simultanés du vent et du courant de la rivière. La température chute. Ce vent continu est impressionnant et fatiguant : il finit par entrer dans la tête, devenant insupportable. Sacré contraste entre ce vent qui hurle sur le pont et le calme feutré et douillet du carré 2m plus bas. De nombreuses fois nous nous dirons que Milagro est bien le bateau qu’il faut pour l’endroit où nous sommes ! Calme et soleil reviennent vers 18h, promesses d’une nuit réparatrice au mouillage pour laisser retomber la houle formée au large.

Le 10 janvier départ 10h sous le soleil, une bonne brise et encore de la houle qui va faire rouler le bateau… La sortie de la rivière est stressante, avec des bancs de sable aux profondeurs bien différentes des données indiquées sur nos cartes. Nous faisons cap sur Puerto Madryn, ville située dans la baie sud de la péninsule Valdès, péninsule rendue célèbre par la Calypso du Commandant Cousteau dans les années 70 : cette baie est une nurserie à baleines bleues. On verra ça d’ici quelques jours !

Pour suivre nos récits, rdv ici, et pour connaître le programme de nos stages c’est par là

Quel rôle joue le nouveau voilier de 20m dans la réalisation des activités de Karukinka ?

Quel rôle joue le nouveau voilier de 20m dans la réalisation des activités de Karukinka ?

Un camp de base flottant polyvalent en Patagonie insulaire

Milagro est un voilier d’expédition acquis par l’association Karukinka en 2023 grâce au soutien de ses membres. C’est un ketch Bruce Roberts de 20 mètres en acier qui joue un rôle fondamental dans la réalisation de nos activités associatives. Ce navire, construit en Suède et ayant déjà effectué deux tours du monde, est un véritable « camp de base flottant » permettant d’accueillir diverses initiatives qu’elles soient artistiques, scientifiques ou sportives. #voilier patagonie

Avec ses caractéristiques techniques adaptées (longueur de 20m, maître-bau de 5m25, tirant d’eau de 2m30, motorisation Cummins 180CV, voilure 180m² au près et 295m² au portant), le Milagro offre une plateforme robuste et adaptée pour nos expéditions en régions polaires et subpolaires, domaines d’activité privilégiés de Karukinka.

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Le voilier Milagro au pied d’un glacier de la Cordillère Darwin, Tierra del Fuego, canaux de Patagonie, Chili (Photographie: Diego Quiroga, du voilier Pic La Lune, Ushuaia)

Un navire support pour la logistique de nos expéditions scientifiques, sportives et artistiques

Une infrastructure adaptée aux recherches de terrain

Le Milagro constitue un support logistique essentiel pour les expéditions scientifiques et artistiques menées par Karukinka. Entièrement équipé et isolé, ce navire permet d’accueillir jusqu’à 12 personnes (10 personnes pour les projets de plus d’une semaine) grâce à ses cinq cabines (quatre doubles et une quadruple). Cette capacité d’accueil importante facilite la constitution d’équipes pluridisciplinaires, conformément à l’approche de notre association qui réunit des compétences sportives, artistiques et scientifiques.

L’autonomie considérable du navire (1500L de gasoil, 1000L d’eau + dessalinisateur, groupe électrogène, panneaux solaires…) lui permet d’atteindre des zones reculées et d’y séjourner suffisamment longtemps pour mener à bien nos travaux. Le navire est également équipé pour les télécommunications en zone A4 et d’un accès à internet, garantissant la sécurité et la connectivité même dans les régions les plus isolées comme les canaux de Patagonie (Terre de Feu, Cordillère Darwin, cap Horn, Antarctique…).

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Exploration d’un fjord de la Cordillère Darwin (Terre de Feu) où vèle l’un des nombreux glaciers de Patagonie (voilier Milagro, canaux de Patagonie, Chili, mars 2025)

Un outil pour les projets ambitieux

Grâce au Milagro, Karukinka a pu élargir considérablement ses actions et mettre en place des expéditions et résidences de recherches scientifiques et artistiques en toute indépendance. Le navire est mené par un équipage professionnel bénévole composé de deux à trois personnes diplômées du Brevet d’État Voile et de la Marine Marchande française.

L’acquisition de ce voilier a notamment permis la réalisation de l’expédition Cap Nord – Cap Horn (2023-2025), un projet majeur soutenu par le programme « Mondes Nouveaux » du Ministère de la Culture. Cette expédition, qui relie à la voile le cap Nord en Norvège au cap Horn en Patagonie, s’est conclut par une arrivée en Terre de Feu le 24 janvier 2025, après un voyage de plus de 15 000 milles nautiques et par le passage du cap Horn à la voile en mars et avril 2025.

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Milagro au mouillage dans une des nombreuses baies de la Réserve de Biosphère du Cap Horn (2025)

Financement des activités de l’association

Une section voile pour l’autofinancement

Depuis 2023, Karukinka dispose d’une section voile affiliée à la Fédération Française de Voile. L’association propose des stages de voile réservés à ses membres, ce qui permet de financer ses actions en faveur des peuples autochtones et de garantir la réalisation de projets ambitieux.

Compte tenu du budget nécessaire à la maintenance et à l’utilisation d’un voilier de 20 mètres, et de l’ampleur des projets à long terme de l’association (digitalisation de documents/archives, création de bases de données en ligne, financement de séjours en Europe pour des membres des communautés autochtones), Karukinka définit chaque année en Assemblée Générale la cotisation nécessaire pour participer aux différentes activités de navigation et ainsi pérenniser ses actions.


Un soutien pour la recherche indépendante

Consciente des difficultés rencontrées par les laboratoires et chercheurs pour obtenir des financements en milieux polaires et subpolaires, Karukinka met tout en œuvre pour soutenir des projets scientifiques, artistiques, sportifs et humanistes. Le voilier Milagro joue ainsi un rôle crucial dans cette stratégie d’autofinancement et de soutien à la recherche indépendante.

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Pêche artisanale dans les canaux de Patagonie avec José Germán Gonzalez Calderón (patron de pêche et artisan yagan, membre d’honneur de Karukinka et parrain du navire)

L’association propose également ses services pour la réalisation de missions de terrain à bord du Milagro pour des laboratoires, instituts et groupes de chercheurs et/ou artistes. Cette approche permet de mutualiser les ressources et de rendre accessibles des terrains d’étude difficiles d’accès.

Un outil de liberté pour les projets futurs

L’acquisition du Milagro a considérablement élargi les horizons de notre association. Grâce à ce navire nous avons désormais toute la liberté de poursuivre nos actions et recherches au sud du détroit de Magellan, pour commencer de 2025 à 2030 !

Le voilier permet à l’association de mener des projets pluridisciplinaires dans des régions difficiles d’accès, comme les canaux de Patagonie, l’Antarctique, la Géorgie du Sud… Il facilite également la poursuite des travaux avec les peuples autochtones selk’nam, haush et yagan du sud de la Patagonie, qui constituent l’un des axes principaux de travail de l’association.

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Arrivée du voilier Milagro dans le canal Beagle, Patagonie, après 15 000mn (photographie de José Germán González Calderón, à côte de Puerto Williams, île Navarino, région du Cap Horn, Chili, 2025)

Le voilier Milagro représente bien plus qu’un simple moyen de transport et n’est pas une fin sinon un moyen. Il constitue un véritable outil stratégique qui permet à l’association de réaliser pleinement sa mission d’exploration, de recherche scientifique et de création artistique en régions polaires et subpolaires.

Grâce à ce navire, Karukinka peut mener des projets ambitieux, autofinancer ses activités, soutenir la recherche indépendante et poursuivre son travail avec les peuples autochtones. Le Milagro incarne ainsi la philosophie de l’association : indépendance, bienveillance et engagement au service de la connaissance et de la préservation des cultures et des environnements des régions extrêmes de notre planète.

Départ du voilier Milagro au port de pêche de Puerto Williams avec un équipage international (Argentine, Chili et France) Aude, Lauriane, Sébastien, Clément, Alejandro, Shenü, Damien, Mirtha (marraine du navire), Alicia, Maria et Vaïna, filmé par José, le parrain de Milagro (janvier 2025)
[Cap au Sud #9] de Salvador de Bahia (Brésil) à Buenos Aires (Argentine)

[Cap au Sud #9] de Salvador de Bahia (Brésil) à Buenos Aires (Argentine)

Récit d’Aude, équipière de Saint Nazaire à Ushuaia !

-Stage hauturier du Brésil à l’Argentine-

Salvador, sûrement l’escale la plus en musique que nous ayons eu! L’arrivée de la transat était là! De Saint Nazaire à Salvador, quelques milles ont été parcourus et deux continents ont été reliés durant ce stage de voile hauturier.

L’escale ne doit durer malheureusement que 2 jours. Contrairement au Cap Vert, les douanes sont rapides et l’escale à Fernando de Noronha aura permis de préparer le dossier. Nous étions attendus et les formalités ont été éclair! Bémol : les douanes sont fermées le week-end et nous obligent, après une arrivée le jeudi dans l’après midi, à formaliser la sortie du territoire le vendredi soir à minuit. Nous étions autorisés à rester sur le bateau après mais pas le droit de sortir de la marina.

La marina de Salvador jouxte un terminal de bateau proposant des balades à la journée et donnant lieu à des scènes assez improbables au son (puissant) de chaque bateau. Peu après le lever du jour commence la musique à fort volume, nous obligeant à fermer les panneaux de pont et hublots au moment où nous pouvions apprécier un peu de fraîcheur (relative…) avant l’arrivée d’une chaleur étouffante dès 9h du matin. Nous apprenons quelques jours plus tard qu’une loi a été votée pour interdire l’usage d’enceintes particulières dans le domaine public tant le brouhaha était intense sur les plages et autres lieux de détente partagés! À vous qui venez de traverser l’Atlantique au son de la mer et du vent dans les voiles, à vous de vous adapter à tout ce bruit et cette chaleur! Inutile de vous dire que ça a parfois été compliqué et que c’était quelque peu fatiguant… De loin l’escale la moins reposante de notre périple !

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Au complet à Salvador de Bahia !

À peine arrivée, nous faisons la connaissance de Henri qui nous attend sur le ponton. Il est français et a immigré au nord de Montréal depuis quelques années. Il embarque avec nous pour l’Argentine tandis que Juliane et Étienne préparent leurs bagages pour continuer leur voyage à terre au Brésil.

Nous partons explorer le quartier historique sur les hauteurs de la ville. Un rapide tour dans le quartier entre la marina et le téléphérique nous aura bien vite sensibilisé à la pauvreté qui touche le pays. Nous pensions monter avec nos petites jambes mais cette idée nous est bien vite déconseillée par trois locaux. Arrivés dans le quartier historique, nous comprenons rapidement l’enjeu sécuritaire. Militaires et policiers sont postés à chaque coin de rue. La place de la cathédrale est l’occasion d’admirer les décos de Noël sponsorisés par Coca Cola. C’est omniprésent! Nous en sommes tous surpris mais c’est à l’image des restaurants où il est plus facile de trouver du soda en 2l que de l’eau! Le centre historique est riche de l’histoire de la colonisation.

Le lendemain, une équipe part faire les courses. Henri étant un ancien cuisinier, il y va avec Lauriane. C’était une très bonne idée : il nous régalera de bons petits plats pendant cette descente du Brésil qui s’avèrera coriace. Damien et François restent pour les vidanges et autres bricolages du bord. Quant à Étienne, Juliane et moi, nous partons explorer la ville.

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Toupie toujours au coeur de l’action

Nous pensions aller au musée national voir des œuvres d’arts, ce sera finalement un musée de l’infirmière nationale, Ana Néri. C’est leur Virginia à eux à une époque à peu près similaire à la nôtre. Puis nous allons au musée de la monnaie, à une expo photo puis à la cathédrale. Le struc y fait son effet. Ancienne possession des jésuites, ceux-ci ont laissé une trace de leur passage dans le splendide plafond. C’est aujourd’hui une église du diocèse. Le soir, après une séance d’ostéopathie improvisée en pleine rue (!), nous fêtons au restaurant l’arrivée de Henri et le départ d’Etienne et Juliane qui partiront le lendemain dans l’après midi.

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Le départ de Juliane et Etienne

Le dimanche sonne l’heure du départ. Pendant que l’équipage s’affaire à préparer le bateau, je file à la messe qui a lieu à 500m. C’est jour de fête car ce sont les 170 ans de la consécration de la paroisse à l’Immaculée Conception. Étonnant d’’avoir’écouter le texte de l’Annonciation à quelques jours de Noël. Puis c’est partie pour une descente du Brésil à 5! Depuis Saint Nazaire Milagro n’a jamais eu un équipage aussi réduit.

Pour cette navigation il faut passer le cap Frio et après ça descend… en fait pas tant que ça!

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Escale à Vitoria, deuxième plus grand port de minerais du monde

La traversée est assez longue. Nous devons faire deux escales pour des raisons de vent trop violent. La question du vent sera essentielle dans cette descente tout sauf évidente. Après le confort des alizés, c’est un peu brutal. Après le passage du cap Frio, nous essuyons une dépression au large de Rio Grande do Sul, apparue d’un coup et sans lieu de replis pendant plus de 350mn! La côte est une bande de sable avec des ports soit trop petits pour Milagro, soit barrés par un banc de sable rendant l’approche trop dangereuse dans les conditions qui étaient les nôtres. Il faut donc serrer les fesses, ranger l’intégralité du bateau pour que rien ne risque de chuter et nous blesser et préparer quelques repas d’avance! Finalement, nous ne subirons pas grand chose au regard de ce qui est annoncé. Lauriane fera du routage très précis pour nous éviter la rencontre de deux grosses cellules orageuses et altèrnera les quarts avec Damien pour ne pas nous exposer à du gros temps (4-6m de houle, 40-45 noeuds).

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L’activité orageuse dans la nuit du 19 au 20 décembre, où nous nous trouvons…

Nous abîmerons dans cette bataille pendant la nuit le gros coffre à gaz arraché par une vague plus grosse que les autres venue casser sur le bâbord, et perdrons la boîte de matériel de pêche qui était amarrée dessus (des bribes seront miraculeusement retrouvées sur le pont). Le gaz sera raccordé le lendemain dans la matinée avec, chose notable, l’installation d’un nouveau raccord olive de 8mm dehors dans 4m de creux… Dans la matinée, le bateau est remis en ordre et la météo s’est un peu arrangée. Le vent se calme et nous reprenons tous le rythme des quarts et la vie à bord. À cette perte temporaire du gaz, ajoutons la déchirure de la grand voile au niveau des prises de ris 2 et 3 et le groupe électrogène qui fait des siennes et refuse de produire la tension voulue (ce qui veut aussi et surtout dire que nous devons tenir jusqu’à l’arrivée sur l’eau restante dans le bateau faute de déssalinisateur sans générateur… Nous avons de la marge mais tout de même) !

La remontée du Rio de la Plata a un goût particulier: l’idée de savoir que la terre est au bout et que l’arrivée est proche est plaisante. Surtout que la remonté se fait sur une eau chargée de limon. Nous arrivons au Yacht Club Argentin le 24 décembre à 21h30 après une manœuvre de port épique et fêtons Noël autour un punch pastèque improvisé et de quelques mets préparés dans la journée.

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Réveillon de Noël à Buenos Aires, à bord de Milagro !

Nous passons la journée du 25 à faire une grasse matinée bien méritée puis les papiers… pas une mince affaire : les trois autorités ne sont pas raccord sur la procédure et l’emplacement des douanes… Après maintes tergiversations, nous finissons par être dirigés au bon endroit et être en règle pour notre entrée en Argentine. Le nouvel équipage est partiellement arrivé à Buenos Aires et à 19h pile nous fuyons du navire pour éviter un combat perdu d’avance avec des centaines et des centaines de moustiques arrivant tout droit des marais situés juste à côté du Yacht Club Argentin. Un enfer. Le coût de la vie est élevé et les salaires n’ont pas suivi. Le pays fait fasse à une augmentation de la pauvreté avec plus de 57% de la population argentine sous le seuil de pauvreté. Nous voyons partout des personnes fouiller les poubelles, des artistes de rue de 80 ans tentant de gagner quelques pièces en plus, des parents venant demander de la nourriture pour leurs enfants… triste situation pour un pays pourtant si riche !

Je reviens sur le bateau après deux jours de vadrouille en ville et découvre que les réparations ont déjà bien avancé sur la grand-voile et que le générateur est de nouveau opérationnel après changement des condensateurs. Tout est fait entre membres avec Damien, Clément, Lauriane, Sébastien, Jacques, Patrick et Philippe. Pour la suite de notre périple nous aurons d’ailleurs de supers enceintes SONOSAX pour écouter de la musique et ce qui se passe dans l’eau, installées dans le carré (et non sans mal) par Jacques, Lauriane et Clément.

Je profite que nous soyons à terre pour aller à la messe à la cathédrale. Qu’il est surprenant de voir le drapeau de l’Etat argentin dans le cœur de l’église et l’armée qui veille sur le mausolée de San Martin. Il faut voir le lien entre l’Eglise et l’Etat: pas très clair et très sain cette histoire ! Après cette opération, je pars chercher du pain. La ville a plusieurs boulangeries que nous les testons au fur et à mesure. Bonne pioche pour le pain, un peu moins pour les desserts! Après 2,5 mois en mer, il faut avouer qu’une bonne baguette manque un peu… S’en suivent deux autres journées de réparations, préparations et rangement du bateau. Clément et Sébastien sont arrivés de France avec plein de matériel qu’il faut ajouter à tout ce qui était déjà à bord!

Le départ se fait proche, et au bout de 5-6 jours le large commence déjà à manquer un peu.


Parmi les belles rencontres de cette escale est à distinguer celle avec Carlos Salamanca, frère de Mirtha (membre d’honneur de notre association) et qui suit nos activités depuis 2019, lorsque sa soeur est venue nous rendre visite en France pour consulter les archives de sa famille. Entre café et alfajores, nous avions déjà les pensées tout au sud de l’Argentine et milles projets à réaliser. La suite d’ici peu avec notre projet des Voix des Grands-Mères.

Pour en savoir plus sur notre club de voile associatif : https://karukinka.eu/fr/club-de-voile/ ou https://karukinka-exploration.com/

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Carlos et Lauriane (Yacht Club Argentino, Buenos Aires)

Le feu sous la glace : le volcan le plus isolé du monde abrite un lac de lave (National Geographic, 3 décembre 2024)

Les scientifiques soupçonnaient depuis longtemps qu’une île volcanique de l’Atlantique Sud renfermait un lac de lave. Pour l’étudier, ils ont dû s’aventurer dans l’un des lieux les plus reculés de la planète.

Source : https://www.nationalgeographic.fr/sciences/expedition-scientifique-volcan-le-plus-isole-du-monde-abrite-lac-de-lave-magazine

De Freddie Wilkinson, National Geographic

Photographies de Renan Ozturk

Publication 3 déc. 2024, 14:58 CET

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Le mont Michael émerge du brouillard qui nappe l’île Saunders. Bien que située dans l’une des régions volcaniques les plus actives du monde – à environ 2400 km de la pointe de l’Amérique du Sud –, celle-ci est rarement visitée par les chercheurs.
PHOTOGRAPHIE DE Renan Ozturk

Sur une crête couverte de glace, à environ 900 m au-dessus de la houle furieuse de l’océan Atlantique Sud, Emma Nicholson prend une profonde inspiration derrière son respirateur, vérifie son baudrier et s’engage dans la bouche béante d’un volcan en activité. 

Il est un peu plus de 16 heures sur le sommet battu par les vents du mont Michael, point culminant de l’île Saunders. Située dans l’archipel inhabité des Sandwich du Sud, celle-ci est l’un des endroits les plus isolés de la planète – à environ 800 km de la station de recherche permanente la plus proche, en Géorgie du Sud, et à plus de 1 600 km du moindre trafic maritime. En fait, les personnes se trouvant le plus près de la jeune femme et de ses compagnons d’aventure sont les sept astronautes de la Station spatiale internationale, qui passe à quelque 400 km au-dessus d’eux toutes les quatre-vingt-dix minutes. Après des années de préparation et un voyage tortueux de 2 250 km dans des mers tumultueuses et truffées d’icebergs, la volcanologue de 33 ans est sur le point de devenir la première scientifique à explorer l’intérieur du cratère du mont Michael. Elle espère y recueillir de nouveaux indices sur les processus à l’œuvre dans les entrailles de la planète. Mais le volcan ne livre pas facilement ses secrets. 

À première vue, l’intérieur du cratère semble sans danger. Emma Nicholson et son partenaire de recherches, João Lages, descendent prudemment à l’aide d’une corde d’escalade – tous deux comprennent que, quelque part en contrebas, ce terrain apparemment sûr pourrait se transformer en une paroi de glace instable. Au fil de leur descente, le vent se calme et des pans de ciel bleu apparaissent. La volcanologue découvre à travers son masque un cercle de parois quasi verticales de roche et de glace recouvertes de cendres. 

Équipés d’un ordinateur et d’une caméra thermique, João Lages et Emma Nicholson s’enfoncent encore plus profondément dans la montagne. Au-dessous d’eux, la pente douce débouche brusquement sur le vide, sans qu’ils parviennent à distinguer le fond du cratère. En regardant autour d’elle, la scientifique prend toute la mesure de l’environnement où elle se trouve : un lieu qui porte les marques de l’une des plus grandes démonstrations de puissance de la nature. 

Des manchots peuplent les pentes couvertes de cendres de l’île Saunders, l’une des onze que compte ...
Des manchots peuplent les pentes couvertes de cendres de l’île Saunders, l’une des onze que compte l’archipel des Sandwich du Sud. Le site est un lieu de reproduction essentiel pour plus de 3 millions de manchots papous, Adélie et à jugulaire, et de gorfous macaronis.
PHOTOGRAPHIE DE Renan Ozturk

Pour un volcanogue, être le premier à plonger son regard dans un gouffre obscur menant vers les profondeurs de la planète représente le moment le plus attendu d’une carrière. Une seule chose échappe à la scientifique, celle-là même qui l’a amenée dans ce lieu perdu : où se trouve le lac de lave ? 

Une traction rassurante s’exerce sur son baudrier. La corde, Emma Nicholson le sait, est reliée à un point d’ancrage des plus fiables, au sommet : la guide de montagne Carla Pérez, devenue en 2019 la première femme à gravir l’Everest et le K2 la même année. La traction est un petit rappel à son adresse pour qu’elle fasse attention à elle et n’aille pas trop loin. 

Le 2 Février 1775, le capitaine britannique James Cook se tenait avec lassitude sur le bastingage de l’arrière de son navire, le Resolution, et contemplait une île morne et enneigée. Le navigateur était en mer depuis deux ans et demi pour sa deuxième expédition, et le paysage sinistre correspondait à son état d’esprit. « La plus horrible côte du monde », déclara-t-il à propos de l’archipel qu’il baptisa îles Sandwich du Sud, en hommage à l’un de ses soutiens, le comte de Sandwich. Ces îles, écrivit-il, sont « condamnées par la nature […] à ne jamais recevoir la chaleur des rayons du soleil ».

Il fallut attendre des décennies pour que les scientifiques comprennent que l’une d’entre elles, l’île Saunders, possédait sa propre source de chaleur. Et, même à cette époque, ce lieu glacé et balayé par les vents, situé au milieu de nulle part, n’intéressait personne. 

Depuis la timonerie de l’Australis, la volcanologue britannique Emma Nicholson observe le paysage à l’approche de l’île Saunders. ...
Depuis la timonerie de l’Australis, la volcanologue britannique Emma Nicholson observe le paysage à l’approche de l’île Saunders. Une tentative manquée de gagner le sommet de son volcan, en 2019, lui avait laissé le sentiment d’un « travail inachevé ». 
PHOTOGRAPHIE DE Renan Ozturk

« Comme les îles Sandwich du Sud sont difficiles d’accès et qu’il est compliqué d’y débarquer et d’y travailler, il faut vraiment avoir de bonnes raisons pour y aller », résume John Smellie, professeur de géologie à l’université de Leicester, en Angleterre. L’archipel, formé par le déplacement de la plaque tectonique sud-américaine sous la plaque des Sandwich, est pourtant l’un des environnements les plus simples du monde pour l’étude de la volcanologie. 

« C’est une véritable usine à croûte terrestre, poursuit l’universitaire. On peut examiner ce qui se passe dans les magmas depuis leur formation jusqu’à leur remontée à la surface… parce que les variables y sont très peu nombreuses. » 

John Smellie est l’une des rares personnes à avoir visité l’île Saunders. Lors d’une expédition en 1997, il était en train de prélever des échantillons à son extrémité nord, quand il a remarqué que le panache du mont Michael était anormalement dense. « On aurait dit qu’il soufflait et haletait, et ces caractéristiques m’ont surpris », raconte-t-il. Cela lui a rappelé le mont Erebus, un volcan en Antarctique abritant un lac de lave permanent. Le scientifique et un de ses amis du British Antarctic Survey ont cherché à identifier une signature thermique correspondant au cratère sommital du mont Michael, grâce à un radiomètre embarqué à bord d’un satellite. Ayant observé des températures moyennes de 300 °C, tous deux ont supposé qu’ils avaient bien affaire à un lac de lave, l’un des phénomènes les plus rares de la volcanologie. 

Le photographe Ryan Valasek nage en combinaison étanche, non loin de l’Australis. L’équipe a pu compter ...
Le photographe Ryan Valasek nage en combinaison étanche, non loin de l’Australis. L’équipe a pu compter sur cet équipement pour se protéger des eaux glaciales de l’Atlantique Sud, dont les températures peuvent plonger en dessous de zéro.
PHOTOGRAPHIE DE Renan Ozturk

Bien que le monde compte environ 1 350 volcans potentiellement actifs, la présence actuelle d’un lac de lave permanent n’est attestée que dans huit d’entre eux. En général, après une éruption, la lave exposée à l’atmosphère refroidit et forme un bouchon de roche compact, emprisonnant la chaleur et les gaz à l’intérieur (et risquant de déclencher une nouvelle explosion). Mais, dans les volcans à conduit ouvert, la cheminée qui relie la surface à la chambre magmatique en profondeur n’est pas obstruée. Pour qu’un lac de lave se forme, la pression doit être assez forte pour pousser la lave jusqu’à la surface. Et pour qu’il subsiste, la pression doit continuer à s’exercer, et le rapport entre la chaleur provenant de l’intérieur de la colonne de magma et le taux de refroidissement doit être parfaitement équilibré, afin de maintenir la lave en fusion. Pour John Smellie, c’est le mot « capricieux » qui décrit le mieux les niveaux de pression pompant la lave dans le cratère du mont Michael : « Elle va et vient, peut-être pendant des mois, mais nos recherches montrent qu’elle continue à s’exercer aussi pendant des mois. » 

Parce que ces volcans à conduit ouvert permettent aux scientifiques d’échantillonner et d’analyser les gaz et la lave, ils sont considérés comme un laboratoire essentiel pour mieux comprendre les éruptions volcaniques et aider à les prévoir et à en limiter les risques.

En 2019, une autre équipe de volcanologues a utilisé des données satellitaires à haute résolution pour actualiser la découverte de John Smellie et détecté une anomalie de plus de 9 940 mde large à la surface du cratère. Comme Smellie, ils en ont déduit qu’il s’agissait d’un lac de lave. Leur étude a attiré l’attention d’une nouvelle professeure de volcanologie de l’University College de Londres, Emma Nicholson. Qui savait très bien que, si précise que soit l’imagerie satellitaire, le seul moyen de confirmer – et d’étudier –la présence d’un lac de lave était de gravir le mont Michael et de collecter des échantillons dans le cratère. Le fait qu’aucun géologue de terrain n’ait travaillé sur l’île Saunders depuis vingt ans a nourri sa motivation.

L’équipe érige des murs de neige pour protéger les tentes des vents violents. L’eau potable représentait ...
L’équipe érige des murs de neige pour protéger les tentes des vents violents. L’eau potable représentait un plus grand défi pour elle, qui avait prévu de faire fondre de la neige. Or celle-ci s’est avérée souillée par des composés chimiques provenant du volcan.
PHOTOGRAPHIE DE Renan Ozturk

« Plus jeune, j’adorais me perdre, errer, explorer », raconte la volcanologue. Ses parents, tous deux de fervents randonneurs, l’ont encouragée à suivre sa passion pour l’aventure. Lors d’un séjour aux États-Unis avec sa famille, quand elle avait 6 ans, une excursion à la découverte du volcan du mont Saint Helens a été déterminante pour son parcours. « Tous les arbres étaient encore couchés dans une seule direction, se souvient-elle. Il y avait des cendres partout, même plus de dix ans après l’éruption. Je me rappelle avoir voulu comprendre quelles forces avaient bien pu créer ce paysage. »

En 2020, Emma Nicholson a rejoint une expédition d’étude des îles Sandwich du Sud. Après avoir jeté l’ancre au large de l’île Saunders, elle a tenté, avec d’autres scientifiques, la première ascension du mont Michael. Mais les mauvaises conditions météorologiques ont contraint l’équipe à faire demi-tour – un crève-coeur pour la volcanologue.

En novembre dernier, j’ai retrouvé celle qui était entre-temps devenue Exploratrice pour National Geographic dans les îles Malouines, pour un nouveau voyage sur l’île Saunders. La jeune femme avait monté une expédition pour réaliser la première ascension du mont Michael et la première étude de terrain de son cratère. L’Australis, voilier à moteur à coque en acier, nous attendait à quai à Port Stanley.

Notre expédition aurait semblé ridiculement petite au capitaine Cook. Ben Wallis, 43 ans, le capitaine australien, et deux autres membres d’équipage étaient à la manoeuvre. Emma Nicholson, avec ses collègues João Lages, 30 ans, géochimiste et volcanologue, et Kieran Wood, 37 ans, ingénieur en aérospatiale et spécialiste des drones déjà présent lors de l’expédition de 2020, formaient l’équipe scientifique. Le photographe Renan Ozturk, 43 ans, dirigeait une équipe de quatre personnes chargées de la communication. Enfin, Carla Pérez, 39 ans, alpiniste équatorienne et l’une des rares femmes à avoir atteint le sommet de l’Everest sans oxygène, devait conduire l’expédition pendant les phases d’ascension et de redescente du mont.

Le mont Michael crache un mélange de gaz, alors que l’équipe s’apprête à débarquer du matériel ...
Le mont Michael crache un mélange de gaz, alors que l’équipe s’apprête à débarquer du matériel sur l’île. Le capitaine de l’Australis suit de près la météo de l’Atlantique Sud, précisant qu’ils n’ont guère le droit à l’erreur : « Personne ne peut venir vous chercher en cas de problème. »
PHOTOGRAPHIE DE Renan Ozturk

Ben Wallis avait déjà emmené l’Australis dans les îles Sandwich du Sud. L’expérience avait été éprouvante. « Je préfère ne pas en parler », me dit-il sur le moment. Il n’était pas le seul à redouter cette partie de l’océan. Notre route frôlerait le passage de Drake, entre la pointe de l’Amérique du Sud et l’Antarctique, là où les océans Pacifique et Atlantique se rencontrent et forment les eaux les plus dangereuses de la planète. À cette latitude, aucune masse continentale ne vient entraver le vent ou les courants et la hauteur des vagues peut atteindre jusqu’à 12 m.

Des semaines après que je lui avais posé la question pour la première fois, le laconique capitaine a fini par me livrer un récit haletant : celui d’une traversée au cours de laquelle il avait survécu en pleine mer à une tempête dont les vents avaient dépassé les 145 km/h sur son anémomètre – avant qu’il cesse de le consulter.

Depuis plus de vingt ans qu’il naviguait sur des petits bateaux autour de la péninsule Antarctique, il effectuait régulièrement quatre ou cinq traversées aller-retour du passage de Drake chaque été. Mais il lui avait fallu plusieurs années, reconnaissait-il, avant de se sentir prêt pour entreprendre un nouveau voyage vers les îles Sandwich du Sud.

« Ce qui [les] rend différentes, c’est qu’elles sont hors du monde », m’expliqua Ben Wallis. En d’autres termes, ce chapelet d’îles se trouvait hors de portée des avions basés à terre, et peu de navires traversaient la région. Ce qui signifiait qu’« il n’y a personne pour venir vous chercher en cas de problème », conclut-il.

Quand nous avons pris la mer, le premier jour, les vents étaient faibles. Nous en avons donc profité pour nous détendre sur le pont, simplement couverts de coupe-vent. Mais, chaque jour, la température fraîchissait légèrement et nous y passions moins de temps. Au cinquième jour de notre traversée, l’île de Géorgie du Sud était en vue. L’endroit était autrefois un centre prospère de chasse à la baleine.

La guide de montagne Carla Pérez conduit les membres de l’équipe sur les derniers mètres de ...
La guide de montagne Carla Pérez conduit les membres de l’équipe sur les derniers mètres de l’ascension qui fait d’eux les premiers à fouler le sommet du mont Michael. Derrière elle, Emma Nicholson transporte un appareil conçu pour échantillonner et mesurer les gaz volcaniques émis par le cratère.
PHOTOGRAPHIE DE Renan Ozturk

Après un bref arrêt au port de Grytviken, où nous nous sommes enregistrés auprès des autorités britanniques qui gèrent le sanctuaire marin de la Géorgie du Sud et des îles Sandwich du Sud, nous avons quitté l’abri protecteur des côtes géorgiennes pour nous enfoncer plus avant dans l’Atlantique Sud. Des icebergs commençaient à apparaître à l’horizon. À l’aide du radar et protégés par la coque en acier du voilier, nous avons zigzagué dans le dédale formé par ces énormes écueils luisants, jusqu’à ce que, dans l’après-midi de notre huitième jour en mer, l’île Saunders surgisse brusquement du brouillard.

Minuscule croissant de 8 km de long émergeant de l’océan Atlantique Sud, l’île ne présente aucun mouillage sûr. Notre meilleure option restait la baie Cordelia, qui offre une protection minimale contre le vent et la houle, mais qui est aussi bordée de hauts-fonds que les cartes marines qualifient de « mauvais » et de « non hydrographiés ».

Alors que nous nous dirigions vers la terre, les nuages qui enveloppaient l’île étaient en train de se dissiper et nous avons pour la première fois aperçu le mont Michael : l’apparence basse, ramassée et presque parfaitement symétrique d’une montagne qui, sans offrir un spectacle grandiose, n’en était pas moins imposante.

Ben Wallis a fait passer l’Australis sous les falaises qui surplombent l’extrémité nord de la plage et a jeté l’ancre. Notre temps était compté : selon lui, nous pouvions rester seize jours tout au plus avant que les conditions météo nous obligent à partir. La tonne d’équipement stockée en toute sécurité dans le gaillard d’avant a été répartie entre nos cabines exiguës ; le matériel serait transporté en canot pneumatique jusqu’à la plage le lendemain matin.

Enveloppés par le brouillard et fouettés par le vent et la neige au sommet du mont ...
Enveloppés par le brouillard et fouettés par le vent et la neige au sommet du mont Michael, Emma Nicholson (à gauche) et l’ingénieur en aérospatiale Kieran Wood utilisent un ordinateur portable connecté à une caméra thermique pour rechercher des indices de la présence de lave à l’intérieur du cratère.
PHOTOGRAPHIE DE Renan Ozturk

Pendant les préparatifs, le photographe Ryan Valasek poussa soudain un cri depuis le pont : « Regardez-moi ça ! » Nous avons tous rejoint la timonerie : un nuage scintillant en forme de soucoupe apparut dans le ciel nocturne au-dessus du mont Michael. Mes yeux ont d’abord distingué des taches rouges et violet foncé dans la nuit étoilée. Le Soleil s’était couché depuis déjà deux heures. J’ai alors réalisé lentement que la lumière provenait de l’intérieur du volcan. Tandis que nous scrutions le ciel, la palette de couleurs semblait changer graduellement : le rouge brique vira à l’écarlate, puis à l’orange, le violet foncé s’adoucissant jusqu’à devenir pourpre. Dehors, les mains agrippées au bastingage, Emma Nicholson tremblait à la fois de froid et d’excitation. Le spectacle incandescent auquel nous assistions, projeté sur la face inférieure d’un nuage, fut la première manifestation concrète de ce qu’elle était venue chercher à l’autre bout du monde : de la lave.

Le matin, nous nous sommes levés tôt et avons revêtu des combinaisons étanches par-dessus plusieurs couches de polaire, pour résister aux températures glaciales de l’eau. Bien que la mer fut suffisamment calme pour nous permettre de sortir du canot pneumatique de 4 m de l’Australis et d’atteindre le rivage sans difficulté, le ressac était encore assez puissant pour risquer de submerger le bateau chaque fois que nous débarquions notre chargement.

D’énormes éléphants de mer australs et des phoques de Weddell plus petits reposaient au ras de l’eau, tandis que des milliers de manchots papous, de manchots à jugulaire et de pétrels géants occupaient les collines brunes et grises désolées séparant la mer des pentes enneigées de la montagne. Une cacophonie de criaillements résonnait à nos oreilles. Pour éviter toute guerre de territoire avec la faune, nous avons décidé d’établir notre camp de base sur un champ de neige peu profonde, à 750 m de la plage.

Ce soir-là, l’île Saunders nous a révélé son premier obstacle. En bordure du camp, João et Emma testaient l’acidité de la neige, que nous avions l’intention de faire fondre pour obtenir de l’eau buvable. Les résultats ont laissé Emma sans voix. L’eau de l’île – du moins, dans les environs immédiats du camp – n’était pas potable.

Une vague charriant des morceaux de glace déferle sur Renan Ozturk, alors qu’un canot l’attend pour ...
Une vague charriant des morceaux de glace déferle sur Renan Ozturk, alors qu’un canot l’attend pour le ramener vers l’Australis. La météo a en effet contraint des membres de l’équipe à nager au-delà des brisants pour quitter l’île.
 
PHOTOGRAPHIE DE Matt Irving

Lors de la première nuit sur place, alors qu’elle était allongée à côté de Carla dans leur tente, les idées n’ont cessé de trotter dans la tête d’Emma. L’absence d’eau potable obligerait à mettre fin à l’expédition si une autre source d’eau ne pouvait être trouvée. Mais cette neige souillée faisait aussi partie des raisons pour lesquelles elle était revenue sur l’île Saunders.

Environ un dixième de l’humanité vit dans un rayon de 96 km autour d’un volcan et est confronté à toute une série de risques potentiels liés à l’activité volcanique. Tout aussi menaçants que les éruptions, mais pourtant bien moins étudiés, figurent les effets à long terme de la consommation d’eau et de l’inhalation d’air contaminés par les volcans à conduit ouvert, qui expulsent souvent un mélange de gaz. La vapeur d’eau et les dioxydes de carbone et de soufre constituent en général plus de 90 % du panache d’un volcan. Mais, quand la lave est proche de la surface, elle émet aussi du fluor, du chlore et du brome – des éléments très acides. Les pentes de neige du mont Michael constituent une zone de prélèvements idéale pour évaluer l’impact de tels volcans sur la nappe phréatique. « Il n’y a pas de sources externes de pollution », a souligné Emma Nicholson, expliquant que presque « tous les produits chimiques mesurés dans la neige ou les eaux souterraines viennent du volcan ».

Une meilleure compréhension de ce processus pourrait permettre d’aider les populations vivant dans ces environnements à trouver des solutions à long terme, notamment en matière de traitement de l’eau et d’alertes ciblées sur la qualité de l’air. Mais, pour étudier correctement ce phénomène durant les quelques jours dont elle disposait sur l’île Saunders, la volcanologue devrait prélever systématiquement des échantillons sous le panache de fumée depuis l’intérieur du cratère jusqu’au sommet du volcan.

Le lendemain, Carla constitua une équipe pour remédier au problème d’eau potable. En canot pneumatique, l’équipage transporta près de 500 l d’eau produite par le dessalinisateur de l’Australis jusqu’à la plage, que l’équipe de Carla achemina sur 750 m jusqu’au camp. Pendant ce temps-là, Emma, Kieran et moi avons passé la journée à explorer la montagne et à prélever des échantillons de neige.

Cette nuit-là, dans sa tente, dont la toile claquait sous le vent, Emma Nicholson fit soigneusement fondre chaque échantillon de neige, y ajoutant ensuite de l’acide nitrique pour en préserver la composition en vue de son étude en laboratoire – une opération délicate avec un produit chimique hautement corrosif utilisé à l’intérieur d’un abri secoué par les rafales.

Sous sa tente, Emma Nicholson ajoute un stabilisateur chimique pour préserver les échantillons d’eau recueillis sous ...
Sous sa tente, Emma Nicholson ajoute un stabilisateur chimique pour préserver les échantillons d’eau recueillis sous le panache du volcan qu’elle étudiera dans son laboratoire. On en sait peu sur les risques sanitaires à long terme liés à l’exposition aux éléments à l’état de traces libérés par les volcans à conduit ouvert.
PHOTOGRAPHIE DE Renan Ozturk

Le lendemain, nous avons effectué notre première tentative d’ascension du mont Michael. Alors que nous nous trouvions à 60 m du sommet, un signal d’alarme aigu nous transperça les oreilles malgré le rugissement du vent. Emma et Carla portaient des capteurs pour nous avertir de la présence de dioxyde de soufre. Nous avons enfilé les encombrants respirateurs sous nos lunettes de ski et avons poursuivi l’ascension.

À mesure que nous grimpions, les conditions météo se détérioraient. Le vent se renforçait, et d’épais nuages recouvraient la montagne. Kieran tenta de lancer un drone équipé d’un capteur thermique, qui se retrouva immédiatement pris dans des vents tourbillonnants, avant d’être récupéré en hâte. D’autres équipements souffrirent aussi : plusieurs appareils photo rendirent l’âme et un GPS portable se dérégla.

« Nous devons nous encorder », m’a crié Carla, indiquant que l’opération était nécessaire au cas où des crevasses seraient dissimulées sous la neige. Nous nous sommes tous attachés à la corde et j’ai conduit le groupe dans la pénombre.

Après avoir tâtonné sur une trentaine de mètres dans la tempête, il m’a semblé trouver le bord du cratère, mais, entre les vents de 100 km/h et l’épais brouillard, je n’arrivais pas à voir plus loin que ma main. Le reste du groupe m’a rejoint. Emma a sorti de son sac un instrument de la taille d’une mallette auquel étaient fixés plusieurs petits bouts de tuyaux flexibles : il s’agissait d’un capteur qui enregistrerait les principaux gaz du panache. Kieran a poursuivi son ascension pour reconnaître les lieux.

Dix minutes après avoir disparu dans le nuage, il est revenu, tout sourire : « C’est beaucoup mieux là-haut. Je crois que j’ai trouvé le sommet. »

Emma Nicholson et João Lages observent l’intérieur du cratère du mont Michael. Les parois abruptes et ...
Emma Nicholson et João Lages observent l’intérieur du cratère du mont Michael. Les parois abruptes et les couches de cendres témoignent d’éruptions antérieures. « Il est clair qu’il a eu un passé bien plus explosif que ce que nous voyons aujourd’hui », note la volcanologue.
PHOTOGRAPHIE DE Renan Ozturk

Un peu plus tard, nous nous sommes tous serrés dans les bras, sur le point culminant de la montagne. Le ciel était bleu, mais d’épais nuages remplissaient le cratère, semblable à un chaudron de sorcière. L’idée d’en explorer l’intérieur dans ces conditions – ou d’attendre que le temps se lève – semblait absurde.

Nous avions accompli la première ascension, mais nous n’avions toujours aucune idée de ce que le volcan renfermait.

Le jour suivant, nous nous sommes entassés dans une tente pour examiner les prévisions et discuter des options. Par radio depuis l’Australis, Ben nous informa qu’un système dépressionnaire arrivant dans quelques jours provoquerait des « conditions de mer dangereuses » – c’était la première fois que nous l’entendions utiliser cette expression. Nous espérions rester quelques jours de plus, mais il était temps de quitter l’île Saunders. Pourtant, Emma tenait absolument à retourner au sommet. Entre les pannes d’équipement et les conditions extrêmes, elle n’avait pu recueillir avec Kieran qu’une petite quantité de données. « Nous n’avons toujours pas résolu le mystère de l’existence d’un lac de lave au sommet du mont Michael », a souligné la volcanologue. Et puis elle n’avait pas collecté suffisamment d’échantillons de glace et de gaz pour pourvoir étudier l’influence du volcan sur l’eau.

Malgré tout, il restait une lueur d’espoir : une accalmie était prévue avant l’arrivée du prochain système dépressionnaire. Nous avons alors décidé de diviser l’équipe en deux : Kieran et moi lèverions le camp pendant que Carla reconduirait Emma, Renan et João au sommet. Si tout se passait bien, ils descendraient directement du sommet jusqu’à la plage, où le canot nous ramènerait à l’abri, à bord de l’Australis.

La traction de Carla sur la corde atteint Emma au moment où elle tente d’obtenir une vue dégagée du fond du cratère du mont Michael, espérant apercevoir une tache orange lumineuse en contrebas. Même si elle désire ardemment confirmer la présence du lac de lave, il reste d’autres tâches scientifiques importantes à accomplir, notamment les prélèvements de gaz. L’équipe a placé le dispositif d’échantillonnage dans la partie la plus épaisse du panache, afin d’enregistrer les concentrations de gaz les plus élevées, qui fourniront une mine de données.

Des collègues de João, à l’université de Palerme, ont mis au point le capteur pour un tel cas de figure et, alors qu’il installe le dispositif au bord du cratère, le chercheur, d’ordinaire réservé, pousse un hurlement perçant, entre cri d’extase et cri de guerre.

Carla Pérez regarde le coucher du soleil depuis l’Australis, alors que le voilier tangue dans des ...
Carla Pérez regarde le coucher du soleil depuis l’Australis, alors que le voilier tangue dans des vagues de 4,5 m. Le trajet retour de l’île Saunders à Port Stanley, dans les Malouines, aura duré onze jours. L’équipage a dû affronter les vents dominants et une mer agitée.
PHOTOGRAPHIE DE Renan Ozturk

Un peu avant, Renan Ozturk a décidé lui aussi de se risquer à faire voler le drone une dernière fois, malgré les vents imprévisibles. Alors qu’il s’efforce encore de manoeuvrer le petit appareil, l’écran du contrôleur de vol dévoile au même moment le fond noirci du cratère. Le vent s’est calmé, et voici qu’il apparaît : le neuvième lac de lave actif du monde.

L’ovale rougeoyant ressemble plus à une mare, mais Emma peut enfin pousser un soupir de soulagement : « C’est manifestement de la lave proche de la surface, explique la volcanologue, qui alimente le panache de gaz que nous sommes en train de mesurer. » Pendant ce temps, loin en contrebas, un reflet gris recouvre la mer. Des morceaux de banquise ayant dérivé au nord depuis l’Antarctique cernent la baie Cordelia. Certains ont la taille de petits rochers, d’autres sont aussi gros que des réfrigérateurs. « Il y a mieux comme conditions », commente par radio Dave Roberts, le second de Ben Wallis.

Comme il est trop dangereux de débarquer l’annexe sur la plage, Kieran et moi, vêtus de nos encombrantes combinaisons étanches, tirons notre matériel à travers les déferlantes jusqu’au canot pneumatique ancré non loin du rivage. Pendant des heures, l’équipage fait de nombreux allers-retours pour transborder nos équipements sur l’Australis. Enfin, Emma, Carla, Renan et João nous rejoignent sur la plage pour nous annoncer la nouvelle de la découverte du lac de lave. Mais nous n’avons pas le temps de célébrer l’événement.

Une heure avant le coucher du soleil, alors que la plage est plongée dans la pénombre, nous réalisons que nous allons devoir quitter l’île à la nage. Plus tôt pendant le voyage, j’avais plaisanté sur cette possibilité – mais à ce moment précis, cela ne faisait plus rire personne.

L’un après l’autre, les membres de l’équipe enjambent les morceaux de glace, puis, entre deux vagues aussi hautes qu’eux, tentent de nager jusqu’au canot pneumatique. Au moment où nous ne sommes plus que trois sur la plage, il fait nuit noire. Un petit point lumineux danse dans le noir d’encre : ce sont Ben et Dave qui nous attendent dans le canot, au-delà des brisants. Ils sont à moins de 30 m, mais, dans l’obscurité, avec les vagues et le champ de mines des morceaux de glace, j’ai l’impression que des kilomètres nous séparent.

« Nous sommes prêts à vous récupérer », grésille la voix de Ben dans la radio. Je glisse celle-ci dans ma combinaison étanche, puis nous nous prenons par les bras João, notre cameraman Matt Irving et moi, et entrons dans l’eau. Après quelques pas, une vague puissante nous renverse. Je bois la tasse. À peine remonté à la surface, me voilà embarqué par la houle vers la vague suivante. La tête de nouveau sous l’eau, j’espère ne pas me faire assommer par un bloc de glace. Le froid me mord le visage. En rouvrant les yeux, je distingue le mont Michael qui se dessine dans le ciel nocturne, mais le halo irréel qui l’entourait jusque-là a disparu.

Maladroitement, je nage comme je peux en direction du point lumineux. Puis je sens les mains de Dave, des mains de marin incroyablement fortes, m’extraire de l’eau et me déposer sur le fond du canot qui tangue. Ben remet alors les gaz et nous emmène. Direction l’Australis – et la maison.

[Cap au Sud #6] Escale au Cap Vert

[Cap au Sud #6] Escale au Cap Vert

Mi-novembre, nous voici au mouillage dans la baie de Praia, la capitale de l’archipel du Cap Vert, pays indépendant depuis 1971. La descente vers le sud est déjà bien entamée puisque nous sommes désormais à la latitude de Dakar (Sénégal). 

L’arrivée s’est faite de nuit en longeant les îles de part et d’autre sans les voir. Nous pensions croiser des pêcheurs ou apercevoir des phares mais rien, seuls de rares halos lumineux au loin nous donnaient l’indication de présences humaines et pas un nuage pour annoncer les îles. Nous en avons conclu que ces îles étaient préservées de la pollution lumineuse et peu habitées. Cette arrivée, aux lueurs de la ville endormie et dans le plus grand calme, s’est faite sans même réveiller les équipers calés dans leurs couchettes. Avant d’aller se reposer, nous jetons un oeil au grand drapeau du Cap Vert qui surplombe une falaise située face au navire. Quelques chiens se répondent dans le lointain, rappelant à Toupie qu’elle n’est maintenant plus seule à des milles à la ronde !

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[Cap au Sud #6] Escale au Cap Vert 92

Pendant la première journée, l’équipage reste à bord, après une grasse matinée bien méritée et en attendant les formalités d’entrée dans le pays accomplies. En début d’après-midi, sous une chaleur écrasante malgré le vent, un nouvel équipier nous rejoint : François. C’est la deuxième fois qu’il vient faire un stage à bord puisqu’il était de l’équipe Pornichet-Dublin en avril dernier. Cette fois avec des températures toutes autres, il est ravi de retrouver sa cabine tribord et l’équipage du Milagro ! Nous fêtons ça en improvisant des mojitos avec un rhum des Canaries.

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[Cap au Sud #6] Escale au Cap Vert 94

Puis il faut commencer à remettre en ordre le navire : gros ménage, lessives et avitaillement en nourriture. Damien et Lauriane se chargent des formalités administratives. Elles sont multiples puisqu’il faut se présenter à la police maritime, puis à l’immigration. Les bureaux n’étant pas toujours ouverts et aucun horaire indiqué, l’attente se fait parfois longue ! En rentrant de ces démarches, Lauriane nous trouve un improbable « taxi privé » qui simplifiera grandement nos déplacements : Djonni ! Entre musique à fond et conduite parfois en mode rallye dans les rues de Praia, il y a de l’ambiance !

Nous passons quelques jours à Praia pour se reposer et s’acclimater à la chaleur. Le spinnaker qui avait quelques égratignures suite à sa baignade imprévue est réparé (couture + scotch à voile) afin d’être à nouveau utilisé lors de la transatlantique. Deux équipiers rentrent en France avant qu’Etienne ne nous rejoigne depuis Bilbao.

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Juliane, la montagnarde du bord, grimpe à plusieurs reprises en haut du mât pour vérifier la poulie et la sortie de mât avant de passer une nouvelle drisse toute neuve en dyneema (encore merci Toni!). Ce qui s’avère simple présenté en quelques mots a quand même été plus pénible que prévu. Le mât de Milagro fait 21m et, la drisse précédente ayant cassé, le restant était retombé dans le mât sans pouvoir servir de guide à la nouvelle. D’où l’idée de faire descendre un petit bout avec un plomb à son extrémité. Sauf qu’à deux reprises le plomb bloque au niveau des barres de flèches et impossible de le remonter ou descendre. Après quelques essais la petite caméra du bord ne nous donne pas non plus de réponse au « pourquoi ça bloque » et finalement, après une petite sieste, Damien tente un énième passage et cette fois ça fonctionne : la nouvelle drisse est en place et pile dans les temps pour prendre l’annexe direction le petit bistrot de la plage afin de boire une Strela Kriola bien fraîche.

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[Cap au Sud #6] Escale au Cap Vert 96

Comme chaque soir nous débarquons les pieds dans l’eau (et parfois plus avec la houle) et sommes accueillis par le petit groupe d’hommes et leur meute de chiens qui vivent sur cette plage et veillent, contre petite rémunération, sur notre annexe. Le jour précédent l’arrivée d’Etienne nous aurons la chance de dîner avec une tourterelle blottie au calme dans les mains de Lauriane (elle et les oiseaux…) et au son de la musique cap-verdienne, dont vous pourrez écouter un petit extrait ici (pour les mélomanes exigeants, c’est une prise de son avec le téléphone…).

Le lendemain nous partons au marché municipal, celui situé sur le Plateau et qui regorge de personnes, de bruits, de produits inconnus et de parfums. Les fruits et légumes sont exposés mais aucun prix n’est affiché ! Notre chauffeur de taxi privé ne nous ayant pas suivi et notre portugais étant plus que rudimentaire, le prix payé après calcul du change nous paraît totalement prohibitif, à nous l’étiquette de touristes ! Nous repartons les sacs remplis de produits locaux : maracuja, farine de manioc, fleurs d’hibiscus séchées (pour le bissap), graines de baobab, pommes-cannelle… Au retour, Djonni, notre chauffeur de taxi, viendra à bord et sera refait de pouvoir faire un réel Instagram depuis le pont du navire : la jeunesse ici a les mêmes préoccupations que sur le vieux continent! Comme à chaque aller-retour nous nettoyons méticuleusement tout pour éviter qu’un passager clandestin potentiellement envahissant ne prenne place : le cafard. Ils sont nombreux, à la nuit tombée, à se faufiler un peu partout autour de nous, d’où notre grande crainte d’en embarquer malencontreusement un à bord.

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[Cap au Sud #6] Escale au Cap Vert 102
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[Cap au Sud #6] Escale au Cap Vert 103

Un dernier grand coup de ménage est fait pour nettoyer l’intégralité du bateau pendant que les formalités de sortie du territoire sont faites et nous levons l’ancre en direction du sud de l’île Santiago pour passer la nuit. Le lendemain matin, après baignade évidemment (l’eau est à 28 degrés…), nous partons en direction de l’île Brava (4000 habitants) pour un dernier stop avant le Brésil et en laissant dans notre sillage l’île volcanique Fogo.

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[Cap au Sud #6] Escale au Cap Vert 105

Cette petite île est réputée pour être l’une des plus belles du Cap Vert et nous confirmons bien que la baie de Tantum est somptueuse avec ses barques colorées et le village de pêcheurs qui la surplombent. Après pêche d’une magnifique carangue par Etienne, nous nous mettons en route. L’arrivée dans le village se mérite, avec une descente de l’annexe à la nage (impossible de débarquer l’annexe avec la houle) et une montée sèche sous un soleil de plomb. De là nous nous rendons dans le centre du village et demandons comment rejoindre Nova Sintra, la « ville » principale, pour visiter et tenter de trouver quelques produits frais encore, ceux du marché pourrissant déjà les uns après les autres… En l’espace d’un quart d’heure nous nous retrouvons comme des sardines en boîte dans le minibus scolaire, entourés d’enfants étrangement silencieux : notre présence les rend muets ce qui fait bien rire le chauffeur. Nous voyons défiler les kilomètres sur des routes escarpées et pavées. Plus nous gagnons en altitude plus la végétation devient luxuriante, avec des manguiers, papayers, ipomées, yuccas, ficus et grands hibiscus. Nous arrivons à destination une demi-heure plus tard et découvrons LA boisson cap-verdienne : l’Actimalt. Bien frais sur le chemin du retour, c’est un régal ! Puis ce sera retour sur la plage chargés comme des mules et un chargement de l’annexe assez épique, tous en maillots et aidés par les pêcheurs pour passer un à un les sacs de nourriture. Après une bonne nuit nous levons l’ancre accompagnés par les voeux de bon voyage des pêcheurs que nous croisons au sortir de la baie et avec l’envie de revenir au Cap Vert plus longuement car entre les paysages et l’accueil des habitants, cette étape est vraiment à ne pas manquer.

Rdv d’ici quelques jours depuis l’autre hémisphère : sous le soleil du Brésil à Salvador de Bahia!