Des représentants des communautés des peuples autochtones de Terre de Feu voyagent en France pour présenter leurs cultures ancestrales, dans le cadre du mois de la science et de la culture qui se déroule dans ce pays. 2019 a été déclarée par l’ONU l’Année international des Langues Indigènes, dans le but de diffuser son important apport à la culture des peuples.
La secrétaire des Relations Internationales Cecilia Fiocchi a fait remarqué la présence en de représnetants des communautés autochtones : “C’est une fierté pour tous les fuéguiens que des membres des communautés autochtones puissent participer à des événements internationaux comme celui-ci, qui est né de l’impulsion de chercheurs de l’Université de la Sorbonne et du Centre National de Recherches Scientifiques, institutions académiques françaises de grand prestige.”. ” C’est une opportunité de visibiliser les cultures ancestrales de notre province” valorise-t-elle.
Mirtha Salamanca, membre de communauté selk’nam de Río Grande, Víctor Vargas, membre du peuple yagán de Ushuaia et José González Calderón, de la communauté yagán de Puerto Williams voyagent en France pour présenter les cultures ancestrales autochtones de Tierra del Fuego.
Mirtha Salamanca est membre du Conseil National des Peuples Indigènes, en tant que représentante du peuple selk´nam. “Nous allons voyager en France invités par des chercheurs de ce pays, pour visibiliser là-bas notre culture ancestrale et compléter une série de recherches que nous réalisons sur notre peuple. En plus de participer en tant qu’intervenants au cours de présentations et conférences dans plusieurs parties du pays, nous pourrons visiter les archives d’Anne Chapman, laquelle fût une grande chercheuse de notre culture, et compléter les études que nous nous sommes en train de réaliser pour faire connaître notre cosmovision. Nous avons l’espoir que cela promeuve l’enracinement à notre terre et le droit à l’identité autochtone” exprima-t-elle.
Pour sa part, Víctor Vargas est auteur du livre “Mi Sangre Yagán” (“Mon sang yagan”), édité en 2017 par les Editions Culturelles de Terre de Feu, et il travaille au Musée del Fin del Mundo de Ushuaia, au sein duquel il promeut la culture et l’histoire de son peuple lors de communications et recherches. “Ceci a pour objet d’unir le passé avec le présent. Les yagans sont la communauté humaine qui a habité de manière permanente la part la plus au sud de tout le continent.”
En ce qui concerne José González Calderón, il réside à Puerto Williams, Chili, et il faut savoir qu’il est le neveu de Cristina Calderón, laquelle fût déclarée trésor humain vivant, étant la dernière locutrice vivante de la langue yagan. Cette année, l’ONU a déclaré l’année internationale des langues indigènes.
Grâce à l’invitation de Denis Laborde, directeur du festival Haizebegi, Lauriane Lemasson a pu inviter trois de ses fidèles informateurs à venir témoigner en France de leur histoire. Mirtha Salamanca, José German Gonzalez Calderon et Victor Vargas Filgueira seront donc en France (Bretagne, Bayonne et Paris) du 2 au 23 octobre 2019. Lauriane les accompagnera pendant ce séjour au programme chargé : rencontre avec l’historien spécialiste de l’histoire coloniale Pascal Blanchard (https://fr.wikipedia.org/wiki/Pascal_Blanchard_(historien)), collecte de joncs (atelier de vannerie yagan) et visite du site mégalithique de Saint Just, rencontre avec Jean-Luc Nahel à Paris (responsable des relations internationales de la Conférence des Présidents d’Université), visite du Panthéon, rencontre avec l’équipe de la bibliothèque Brou de Dampierre de l’Université de Nanterre et consultation du Fonds Anne Chapman, animation et participation à des conférences, tables rondes et ateliers (vannerie yagan) à Bayonne et San Sebastian, puis retour à Paris pour la visite du Musée de l’Homme, la conférence dans le cadre du séminaire d’études ethnomusicologiques de Sorbonne Université (dirigé par Pr. François Picard), rencontre avec l’équipe dédiée à la conservation de la collection “Amériques” du Musée du Quai Branly, et enfin seconde consultation du Fonds Anne Chapman avant le retour à Nantes et le vol de retour à Ushuaia.
Pour compléter ces informations, quelques mots de Denis Laborde, organisateur du festival et responsable de la carte blanche donnée à Lauriane Lemasson (et de fait à ses informateurs) :
“Du 10 au 20 octobre : 10 films, 5 concerts, 14 rencontres et débats, 2 colloques, 3 expositions, 5 conférences, 1 spectacle de danse contemporaine, 7 stages et ateliers et le Grand Bal Tango du 18 au Gaztetxe. Et cette « cérémonie de résilience » au Musée Basque de Bayonne, le 12 octobre à 11 heures. Ce jour-là, des membres des peuples Selk’nams et Yahgans venus d’Ushuaia, de Rio Grande et de Puerto Williams, en Terre de Feu, racontent l’histoire de leurs peuples : les exploitations, les génocides, les zoos où leurs ancêtres furent exhibés et les restes humains dans les musées du monde. Gérard Collomb, ethnologue au CNRS, sera là pour les écouter. Et Lars Christian Koch viendra leur remettre, au nom des Archives sonores de Berlin qu’il dirige, les enregistrements réalisés entre 1907 et 1923 par les missions ethnographiques en Terre de Feu. Cette cérémonie se fait sous l’égide de l’UNESCO dans le cadre de l’Année Internationale des Langues Indigènes. À Bayonne, ce 12 octobre, la voix de leurs ancêtres sera restituée aux Selk’nams et aux Yahgans.
Vous êtes étonnés que tout cela se passe au prétexte de musique ? Souvenez-vous que la musique est un art de l’écoute et que cette capacité se doit d’être mise au service d’autres dispositifs. Comme sut le dire Florence Delay lors de la première édition du festival en 2014, « il faut savoir écouter pour pouvoir s’entendre ».
Alors voilà. Le festival Haizebegi n’a d’autre ambition que d’être un tiers terme qui catalyse des rencontres. Cela est vrai pour les Selk’nams et les Yahgans, cela est vrai aussi pour les si belles photos réalisées par Lauriane Lemasson en Terre de Feu et qui sont exposées dans le cloître de la Cité des Arts, cela est vrai pour les chercheurs brésiliens qui viennent présenter les documentaires sur l’immigration musicale au Brésil, cela est vrai aussi pour le travail de photographe que Jean-Marie Colin a effectué au Centre Atherbea qui accueille les blessés de nos mondes sociaux et cherche à favoriser leur réinsertion sociale. Les portraits de résidents qu’il a réalisés seront exposés sur les rives de l’Adour. Et par ce geste artistique unique, trace de l’implication de chacun dans sa propre histoire, ces personnes que nous avons nous-mêmes tellement de mal à apercevoir retrouvent une pleine visibilité dans l’espace public. La musique, un art de l’écoute.
Denis Laborde, Directeur artistique Haizebegi“
Pour en savoir plus et connaître le programme détaillé du festival, rendez-vous sur le site https://haizebegi.eu
Quatre étudiants racontent leur incroyable expédition dans l’Antarctique
Par Maud Kenigswald Publié le 12/07/2019 à 09:49, mis à jour le 12/07/2019 à 17:46
L’équipe du projet Amazing Antarctique: de gauche à droite, Clément Tissot, Camille Amaz, Aurélie Schwartz, Robin Amaz, Frédéric, Floriane Eonnet, Jacques et Catherine Amaz.Camille Amaz
En février 2019, une équipe menée par quatre étudiants ingénieurs prenait le large pour un mois d’expérimentation scientifique en Antarctique. Six mois plus tard, de retour sur la terre ferme et forts de leur recul, ils racontent leur expédition.
Le 10 février dernier, un groupe supervisé par quatre élèves de l’IMT Mines-Albi quittait Ushuaia pour mettre le cap sur l’Antarctique, afin d’y mener une série d’expériences scientifiques. Néanmoins, leur aventure ne se circonscrit pas à ce mois passé hors du temps, elle comprend également l’année de préparation ainsi que le retour à la vie «réelle».
Ainsi, réunis sur un toit de Paris, les étudiants au cœur du projet se confient au Figaro Étudiant sur leurs péripéties: récit à quatre voix d’une épopée dans le Grand froid.
À l’origine, une soif de défis
Amazing Antarctique, c’est à l’origine quatre jeunes de 21 ans, étudiants ingénieurs à Albi: Aurélie, Clément, Floriane et Robin. Las de leur train-train quotidien, les amis se sont lancés à l’assaut du Sixième Continent, au service de la science.
Robin Amaz est à l’initiative du projet: depuis son plus jeune âge, ce Lyonnais est passionné de milieux froids et a fortiori, de sciences. Enfermé pendant ses deux années de classe préparatoire, Robin rêvait de grands espaces. Lors de sa troisième année d’études supérieures, à l’IMT Mines-Albi, il s’est lancé. Pour ce faire, il a dû constituer un groupe de choc autour de lui: Aurélie, Floriane et Clément, trois camarades de promo. Clément n’a pas hésité une seconde, voyant là une occasion de «montrer l’exemple». «Je voulais prouver qu’à 21 ans, on peut déjà accomplir des prouesses, scientifiques notamment» rapporte-t-il. Même discours pour Floriane, qui souhaitait également profiter de l’expédition «pour faire passer un message de prévention écologique».
Et le défi a commencé avant même la montée à bord du voilier: «Il s’agissait de préparer en un an une expédition que les professionnels mettent généralement cinq ans à orchestrer», raconte Robin. Une fois ce constat dressé, la course contre la montre est lancée. Il fallait donc être efficace, se répartir le travail. Pour pallier leur manque d’expérience dans le domaine, les quatre étudiants ont dû redoubler d’effort, sacrifiant tout leur temps libre à la préparation du projet. Cette année s’est donc écoulée à toute vitesse, avec la constitution du reste de l’équipe: outre les quatre élèves, le groupe comptait également Camille Amaz, biostatisticienne à Lyon, ainsi que trois «mécènes» – qui n’étaient autres que les parents de Robin et un proche de la famille Amaz – et les marins.
Départ destination ailleurs
Un jour de janvier 2019, il est déjà temps de quitter la France pour la Patagonie. Avant d’embarquer à bord du voilier, l’équipe a décidé de passer trois semaines ensemble, pour s’habituer à la promiscuité. Vingt jours plus tard, l’excitation au ventre, les huit aventuriers pénètrent dans ce qui va devenir leur fief pendant un mois, le voilier Podorange. Les équipiers découvrent les cabines, et doivent s’habituer sans broncher à faire fi de toute intimité pour (re)découvrir la vie en collectif: «Pas de portes, les cabines étaient séparées par des rideaux donc on entendait tout», explique Aurélie.
Appareillage pour le détroit de Drake, passage obligatoire pour accéder à l’Antarctique. Ce bras de mer séparant l’extrémité sud de l’Amérique du Sud et l’Antarctique est particulièrement redouté, y compris par les marins aguerris. Pour les étudiants, les quatre jours de traversée du Drake se sont apparentés à un véritable calvaire. Clément en garde des souvenirs amers: «On vivait avec un rythme de balancier non rythmé permanent, qui nous a tous rendus malades», décrit-il, les empêchant par là même d’avaler quelque aliment et les circonscrivant au seul espace de leur couchette.
Trois fois par jour, pendant deux heures, chaque binôme devait aller sur le pont pour vérifier qu’il n’y ait pas d’iceberg ou d’obstacles impromptus, que le sonar n’aurait pu repérer. «Ces tours de garde nous trempaient invariablement, on rentrait dans nos cabines frigorifiés», se rappelle Robin. L’occasion pour les étudiants d’expérimenter des mers particulièrement compliquées, et donc, d’entrer dans le «dur» de la navigation. Une fois arrivés en Antarctique, l’équipe n’a pas pris plus d’une nuit pour se reposer. L’objectif: commencer le travail scientifique au plus vite afin de mettre à profit leur environnement singulier.
Leur objectif: faire avancer science et consciences
En préparant leur expédition, la volonté des étudiants était claire: faire avancer science et consciences en rapportant des données permettant d’enrichir la réflexion sur le réchauffement climatique. Ils ont ainsi centré leurs recherches sur quatre domaines. Leur premier objet de recherche est l’étude des planctons, afin de fournir à Plankton Planet, une filiale du CNRS (Centre national de la recherche scientifique) des échantillons de plancton de cette zone, ce dont ils manquent cruellement.
De plus, Robin, Aurélie, Clément et Floriane, ont souhaité, avec l’aide d’une biostatisticienne, «étudier la réaction du corps lorsqu’il évolue dans des conditions extrêmes pendant une durée prolongée», à l’instar de ce mois sur un voilier en Antarctique. Un troisième aspect de leur recherche se concentrait sur le microplastique afin d’en observer l’évolution dans ce périmètre depuis 2018, date des dernières expérimentations sur place. Enfin, les quatre jeunes se sont intéressés aux courants océaniques: la péninsule Antarctique constituant le point de jonction des trois océans, elle est le lieu parfait pour suivre la salinité, prendre des mesures de l’eau et faire des relevés quotidiens.
Un dur retour à la réalité
À l’issue de ce mois passé hors du temps, à concentrer uniquement son attention sur les sciences et l’environnement, il était déjà temps pour toute l’équipe de revenir sur la terre ferme, puis de rejoindre l’Hexagone. Le retour à la réalité fut brutal: «On a par exemple redécouvert la couleur verte, qui est inexistante en Antarctique: en débarquant du voilier, on a directement été se rouler dans l’herbe», rapportent Clément et Robin, le ton rieur.
Ce retour s’est révélé particulièrement stressant: les étudiants devaient à la fois rattraper leur retard, notamment à l’école mais aussi, organiser les conférences et plus généralement, s’occuper de l’après-expédition.
Désormais, les perspectives sont nombreuses pour ces étudiants. «Je compte organiser des ateliers à destination des enfants pour les informer sur les bons comportements à adopter pour ne pas polluer l’environnement», explique Robin. Le deuxième pan de leur action se situe sur le terrain scolaire puisqu’ils désirent accroître le nombre de projets sur l’écologie dans leur école, l’IMT Mines-Albi. Les idées fourmillent: ils souhaitent rendre leur campus zéro-plastique, mettre en place des ruches et des ateliers pour faire son savon, son shampooing ou encore son yaourt soi-même. Là encore, il s’agit d’encourager les étudiants à prendre leurs responsabilités vis-à-vis de la Terre. «L’avenir de la planète nous appartient», conclut Robin Amaz.
Des chercheuses en sciences sociales du CONICET partagent leurs études culturelles et leurs expériences liées aux langues des peuples autochtones d’Argentine.
Les langues autochtones d’Argentine
CONICET/DICYT Cancha, poncho, gaucho, morocho, carpa, vincha, pucho… Un grand nombre de mots de notre langage quotidien proviennent du quechua, une langue inca qui est en contact avec l’espagnol depuis cinq cents ans. Le quechua est une langue indigène dynamique, sous ses diverses formes, que l’on trouve dans certaines régions d’Argentine, de Bolivie, du Pérou, du Brésil, du Chili, de Colombie et d’Équateur. Mais ce n’est pas la seule : au moins quatorze langues indigènes sont parlées aujourd’hui en Argentine, sur les trente-cinq qui étaient parlées avant l’arrivée des Espagnols. Que sait-on d’elles ? Pourquoi est-il important de prendre soin d’elles, de les valoriser et de les promouvoir ?
« Dans notre pays, nous comptons 39 groupes autochtones – Mbyá-Guaraní, Mocoví, Pilagá, Toba-Qom, Wichí et Huarpe, entre autres – certains sont nombreux, d’autres plus restreints. Selon les estimations du dernier recensement de la population (INDEC, 2010), sur les 40 millions d’habitants, 2,4 % se déclarent autochtones, soit plus de 950 000 personnes », expliquent Ana Carolina Hecht, Noelia Enriz et Mariana García Palacios, anthropologues et chercheuses du CONICET.
Carolina étudie la socialisation linguistique, la vitalité et le déplacement de la langue Toba Qom dans différents espaces (familial, domestique, scolaire) dans les communautés urbaines Qom de la province de Buenos Aires del Chaco ; Noelia travaille avec les communautés Mbyá-Guaraní de Misiones, en étudiant les connaissances qui circulent à l’intérieur et à l’extérieur de l’école interculturelle bilingue, et Mariana analyse comment les enfants des quartiers Qom de Buenos Aires et du Chaco construisent leurs connaissances du monde social, en particulier leurs connaissances religieuses, dans des contextes communautaires et scolaires interculturels. Ensemble, ils participent au projet « Interculturalité et éducation dans les communautés Toba/Qom et Mbyá-Guaraní d’Argentine : une approche historique et ethnographique de la diversité ethnique et linguistique dans les écoles », qui fait partie du programme d’anthropologie et d’éducation de l’Université de Buenos Aires.
Leurs recherches les ont même amenés à vivre des expériences de cohabitation lors de travaux de terrain. « J’ai passé du temps avec la communauté avec laquelle je travaillais. Nous avons également fait de l’observation participante : nous avons pris part à des activités communautaires », explique Noelia. « Nous essayons de développer des activités que les communautés elles-mêmes demandent », ajoute Carolina, « par exemple, des conférences et des ateliers dans des écoles bilingues interculturelles et des instituts de formation des enseignants où nous discutons de l’interculturalité, des enfants autochtones, des langues en contact, de la diversité et des inégalités. »
Langues et territoires autochtones
Selon les scientifiques, les langues indigènes argentines sont celles qui proviennent de familles linguistiques originaires de notre territoire ; Parallèlement, il existe également d’autres langues parlées en Argentine qui ont été apportées par des migrants des pays voisins. « Les peuples autochtones sont toujours plus nombreux que les langues autochtones parce que de nombreux peuples ont cessé de parler leurs propres langues en raison de processus historiques d’invisibilité, de discrimination, de déni, d’assujettissement, entre autres facteurs », note Hecht.
Aujourd’hui, l’éventail des situations est très diversifié : des langues qui ne sont plus parlées, d’autres qui n’ont qu’une seule mémoire, des situations bilingues, des communautés indigènes où l’espagnol prédomine, des communautés où la langue indigène reste vitale dans la famille et la communauté. « Ces situations peuvent même affecter la même communauté : les enfants Qom qui parlent espagnol comme première langue et d’autres qui parlent espagnol comme deuxième langue », ajoute Mariana.
La population Mbyá est un cas très particulier. Il possède sa propre langue et vit à Misiones, une partie du Paraguay et du Brésil. La langue parlée permet à ses locuteurs de communiquer dans les trois pays en tant que lingua franca. Cependant, cela s’écrit différemment dans les trois territoires. « Dans l’un, c’est influencé par le portugais ; au Paraguay, par le guarani standard ; et ici, par l’espagnol », explique Noelia. Par exemple, ce qui ressemble à un « ch » chez nous s’écrit avec un « x » au Brésil. Cela illustre la complexité de la langue indigène.
L’énorme défi de l’école
Ce scénario complexe représente un défi majeur pour l’éducation interculturelle bilingue (EIB), une forme d’éducation qui garantit les droits constitutionnels des peuples autochtones. Comme le reflète la loi sur l’éducation nationale n° 26 206 (chapitre XI, article 52), l’EIB « favorise un dialogue mutuellement enrichissant de connaissances et de valeurs entre les peuples autochtones et les populations ethniquement, linguistiquement et culturellement différentes, et favorise la reconnaissance et le respect de ces différences ».
Cependant, les chercheurs constatent que ces situations disparates et nuancées auxquelles sont confrontées les langues autochtones ne sont pas toujours prises en compte dans les politiques éducatives. « La législation relative à l’EIB s’adresse davantage aux enfants autochtones vivant en milieu rural, parlant des langues autochtones et ayant très peu de contacts avec l’espagnol. Aujourd’hui, la situation la plus répandue concerne les enfants autochtones en milieu urbain, avec des niveaux variables de maîtrise de ces langues », explique Carolina.
Pour les chercheuses en sciences sociales, l’idéal serait que ces lois prennent en compte la diversité des réalités et des nuances sociales. L’éducation interculturelle bilingue devrait être un défi commun à tous ; une forme d’éducation pour toute la société argentine, et pas seulement pour les populations ethniquement définies ; et ainsi démontrer que l’Argentine est un pays multiculturel. De plus, nous devrions envisager des interventions impliquant les communautés elles-mêmes, et pas seulement des interventions extérieures.
Reconnaître l’histoire pour regarder vers le futur
« Ce n’est pas parce qu’un peuple ne parle plus activement sa langue aujourd’hui qu’il est moins autochtone », explique Carolina, qui évoque la dimension historique pour analyser cette question. Certains processus historiques ont déterminé les différentes situations que nous connaissons aujourd’hui. Si nous nous concentrons uniquement sur le présent, nous aurons tendance à privilégier les situations actuelles sans tenir compte des processus qui y ont conduit. Les liens entre langue et identité sont toujours très complexes, car même à l’école, de nombreuses personnes sont perçues comme moins autochtones parce qu’elles ne parlent pas la langue autochtone. « La langue est importante pour identifier les peuples, mais ce n’est pas le seul trait d’identification », ajoute Mariana.
Noelia demande : « Pourquoi ne pas préserver la richesse culturelle d’un pays ? Pourquoi la nier ? Pourquoi demander aux gens d’être différents ? La diversité est le patrimoine de l’Argentine. Rien n’indique que s’attaquer à la diversité ne soit pas préjudiciable à la société. De plus, dans ce cas précis, la diversité est liée aux origines de l’espace dans lequel le pays évolue actuellement, et ces populations sont antérieures aux États-nations. »
Pour prendre soin et protéger la diversité linguistique, « il faut d’abord des politiques d’aménagement linguistique et d’éducation qui découlent de cette situation complexe actuelle », résument-elles. Il serait donc intéressant de promouvoir davantage d’espaces où ces questions sont réfléchies et débattues, afin de démanteler des idées profondément ancrées dans le sens commun le plus répandu et, en fin de compte, de renforcer la législation sur l’éducation interculturelle bilingue afin qu’elle ne soit pas seulement un idéal mais qu’elle soit mise en pratique dans tout le pays.
Par Audrey Garric Publié le 08 avril 2019 à 17h00, modifié le 09 avril 2019 à 16h24
Vêlage (détachement d’une masse de glace) sur le glacier Hubbard, en Alaska, en août 2018. JIM MONE / AP
Partout sur le globe, les glaciers se dévêtent progressivement de leurs majestueux manteaux blancs aux nuances de bleu. Conséquence du réchauffement de l’atmosphère, ces sentinelles du climat ont perdu plus de 9 600 milliards de tonnes de glace au cours des cinquante dernières années. A eux seuls, ils ont entraîné une élévation du niveau de la mer de 2,7 cm sur la période, contribuant pour 25 % à 30 % de la hausse globale. Voilà les conclusions d’une étude parue dans Nature lundi 8 avril, extrêmement précise quant à l’observation des bouleversements qui affectent ces géants continentaux.
« Globalement, les glaciers perdent chaque année environ trois fois le volume de glace stocké dans l’ensemble des Alpes européennes », compare Michael Zemp, premier auteur de l’étude et glaciologue à l’université de Zurich (Suisse).
« Nos résultats montrent que les glaciers continentaux, notamment la Patagonie, l’Alaska ou les Alpes, sont ceux qui sont le plus affectés par le climat, davantage que les calottes glaciaires du Groenland et de l’Antarctique », qui ne font pas partie de l’étude, ajoute le second auteur, Emmanuel Thibert, glaciologue à l’université Grenoble Alpes et à l’Institut national de recherche en sciences et technologies pour l’environnement et l’agriculture.
Pour mener cette étude, qui couvre dix-neuf des régions les plus englacées du globe, l’équipe internationale de chercheurs s’est fondée sur deux types de données recueillies entre 1961 et 2016 : des photographies aériennes et satellites de 19 000 glaciers du monde, permettant de calculer leurs pertes de masse sur de longues périodes ; et des observations de terrain (carottages, mesures de précipitations et de fonte) pour 450 d’entre eux, représentatifs de massifs entiers, afin de connaître leur variation et réponse annuelle au changement climatique.
Résultat : la perte de masse s’est accélérée au cours des trente dernières années, particulièrement lors de la décennie 2006-2016, pour atteindre 335 milliards de tonnes (gigatonnes, Gt) de glace perdues chaque année. Soit davantage que la fonte du Groenland (la suite de cet article est réservée aux abonnés)
Publié le 05/04/2019 à 09:57, mis à jour le 05/04/2019 à 09:57
FIGAROVOX/TRIBUNE – À l’occasion des 150 ans de Vingt mille lieues sous les mers et de la réédition du Comte de Chanteleine, le sénateur du Finistère Michel Canévet rend hommage à l’écrivain et à son oeuvre «remède de cheval contre les pessimismes.
Michel Canévet est sénateur du Finistère, il a préfacé la réédition d’un des premiers romans de Jules Verne, Le Comte de Chanteleine, (Paris, Magellan & Compagnie, 2018).
Jules Verne fait partie de ces noms de la culture française qui règnent dans chaque recoin de nos vies quotidiennes sans même qu’on y prenne garde. Des rues portent son nom, des musées exposent et célèbrent son œuvre, des écoles se placent sous ses auspices. Mais encore: des bourses, des navires, des centres de loisirs, un vaisseau spatial, une université picarde, une soufflerie nantaise et jusqu’à une course de running, qui se tient chaque année à Amiens, honorent le souvenir de l’écrivain français le plus traduit au monde. Est-ce un hasard si Emmanuel et Brigitte Macron ont choisi de s’entretenir avec Donald Trump et son épouse, lors de leur première rencontre, dans un restaurant parisien de la Tour Eiffel, baptisé en hommage à l’auteur du Vingt mille lieues sous les mers dont nous fêtons le cent-cinquantième anniversaire?
Jules Verne est d’abord l’un de nos grands romanciers d’aventure et d’anticipation. Mais c’est aussi, à ce que nous en dit sa renommée mondiale, un magnifique exemple d’une France qui s’exporte culturellement et dont la créativité, l’audace et l’esprit d’invention sont des marques de fabrique. Peu d’auteurs auront su incarner à ce point les tentations de l’ouverture et de l’enracinement, de l’exploration du monde et de l’attachement aux origines, dans une fresque hétéroclite où se côtoient les paysages lunaires, les immensités sous-marines, les déserts de Patagonie, les nuits lugubres des Carpates, mais aussi les rivages du Finistère et les rues de Paris au XXe siècle. Face aux velléités du repli comme solution à tous nos maux, Jules Verne nous offre une vision du monde où la curiosité, la soif d’apprendre et l’espérance viennent défaire les certitudes en enseignant l’altérité. C’est une leçon utile en période de gros temps lorsque chacun voit en l’autre une menace.
Que vive le plus longtemps possible la mémoire de Jules Verne pour inspirer tous ceux qui doutent encore que l’imaginaire soit un ferment d’action et d’émancipation.
Bien sûr, Jules Verne n’échappe pas à son temps. On trouve chez lui les marques d’une IIIe République fière de son empire colonial. Mais si certaines des croyances de l’époque ont bel et bien changé, on n’ôtera pas à l’œuvre de Jules Verne sa vertu cardinale: la conviction intime que l’homme est capable de surpasser ses failles et de franchir toutes les frontières du monde. En 1905, la nécrologie du Figaro, qui avait accueilli plusieurs de ses nouvelles dans son supplément illustré, le désignait très justement comme le «plus inventif peut-être de nos romanciers» avant d’y voir le «patriarche de l’imagination française». Plus d’un siècle plus tard, on ne l’honore pas moins. Au moment où se tient, à Nantes, une belle exposition sur les héroïnes de Jules Verne et que Le Monde lance une collection dédiée aux Voyages extraordinaires, je ne peux souhaiter qu’une chose: que vive le plus longtemps possible la mémoire de Jules Verne pour inspirer tous ceux qui doutent encore que l’imaginaire soit un ferment d’action et d’émancipation. Jules Verne est un remède de cheval contre les pessimismes.
Le cap Horn, c’est là où semble s’arrêter la planète, à l’extrême sud de la terre de Feu. Un caillou mythique qui fascine autant qu’il effraie les aventuriers. Pour y arriver, il faut naviguer dans des mers agitées, d’abris en ports. Et pour le découvrir réellement, il faut accoster, puis randonner.
Patricia Oudit Publié le 17/01/2019 à 12h07 – Mis à jour le 18/01/2019
Pourquoi aller là-haut ? Manquer de se faire engloutir par cette lande écossaise marécageuse, qui fait trampoline sous les pieds, crevée de lochs en son sommet, se faire agripper dans ces petites forêts pleines d’arbustes morts, se faire écorcher par des buissons piquants ? Perdre son chemin alors que la vue est dégagée ? En tout cas, il n’y a personne dans le coin. Que des canards sprintant à la surface de l’eau, impuissants comme l’albatros de chez Baudelaire. On y croise aussi des skuas, des caiquenes et autres majestueux volatiles qui se sont arrêtés de voler au bord du monde. C’est normal, après il n’y a plus rien, que le vent qui glace les os en haut de cette île déserte. Le mouillage s’est fait à Caleta Martial, à 9 milles du Horn. On vous reparlera plus loin de ce spot où phoques et otaries assurent discrètement le comité d’accueil.
Au sommet, le soleil passe un rayon timide hors de sa couverture nuageuse et l’âme d’explorateur refait surface avec lui. Combien sommes-nous à avoir vu le cap Horn à l’envers ? Est-ce un titre de gloire ? Pour les marins, le rocher est le témoin muet d’un duel permanent entre les océans Atlantique et Pacifique et signe le bon de sortie de l’enfer, ou le ticket d’entrée, ça dépend du vent, comme disent les Normands. Vu de dos, par la face nord, le cap Horn est une large plaine jaune-brun-ocre qui s’évase sur les côtés et pourrait être transformée en terrain de golf le plus austral de la planète. Un green extrême.
En son sommet, le Horn parlerait plus aux grimpeurs, surtout côté droit, où l’obsédé des ouvertures trouverait sans doute son bonheur dans cette falaise, même si elle n’est pas calcaire. Et pourquoi pas tendre une slackline ? On pourrait peut-être en parler à Andy Lewis, l’athlète américain, pionnier de la discipline. Il trouverait sûrement stupide d’installer une ligne là où le vent décorne les bœufs sans faiblir, mais ça pourrait toutefois l’amuser. Les comparaisons s’arrêtent là. Le Horn, c’est la Tombe du Diable, comme l’écrit l’immense écrivain chilien Francisco Coloane. Découverte du cap Horn en quatre étapes…
Puerto Williams
Avenue Juan Pablo II, sur les coques des bateaux de pêche sont tagués de mots d’amour et des messages. « Boris, te quiero e mi gusta », gravé sur celle du Tormenta II. Les Banksy locaux n’ont pas de murs pour exprimer leur art, les maisons qui bordent les routes en gravier sont de bois et de tôle ondulée. Que peut faire un jeune dans cette ville militaire, où le centre commercial est installé sur une micro-place composée d’une petite dizaine d’échoppes d’artisanat local, dont le best-seller est le bonnet multicolore à pompon tricoté main ? Heureusement, il y a du wi-fi. Les habitants ont donc Facebook et tweetent peut-être. Ils savent probablement vivre sans les réseaux sociaux, mais nous ne saurions vivre comme eux. Eux ont appris qu’il ne faut jamais donner à manger aux chiens errants, sous peine qu’ils ne vous suivent et ne finissent par déféquer sur le pont de votre voilier.
La vie semble dure ici. Le vent balaie la poussière. Un militaire se met au garde-à-vous toutes les heures quand la cloche près de sa petite cahute retentit. Une marina est en phase de construction. Enfin, on ne sait plus vraiment, tant la ville semble être un chantier permanent. Puerto Williams est une escale plus ou moins obligée pour les bateaux en route vers le cap Horn et l’Antarctique. Les marins y trouvent un abri sûr dans sa baie encerclée de sommets enneigés dès le printemps, et le lieu est égayé par les cargos colorés qui y mouillent. Abri, c’est vite dit… Quand le vent souffle à 50 nœuds (environ 90 km/h), il fait claquer les lampadaires à chapeau pointu près des épaves. Il y a peut-être moyen de surfer au large, une bonne grosse houle cap-hornière ? Les Chiliens du coin n’en savent rien. « Ici, il y a surtout des vaches, des moutons à cuire en asado (barbecue local en croix) et des militaires », précise Estefania, 15 ans, rencontrée au supermarché remarquablement approvisionné. « Tu m’étonnes, sans Chipster et sans confiture de lait, on pourrait crever ! Tu me prends comme ami sur Facebook ? Je n’ai pas d’amis français ! », rajoute sa copine Eugenia, qui écoute Beyoncé sur son iPod. Tiens, c’est drôle, on en parlait des militaires, ils tentent un truc fou, un jogging par 50 nœuds de vent, ils se plient beaucoup en avant. On sent qu’ils ont l’habitude des sports extrêmes. On leur souhaite bien du soulagement au retour avec le vent dans le dos. Ils viennent de passer devant le panneau « Paris 15 000 km ». Juste à côté, il y a un autre panneau « voie d’évacuation en cas de tsunami ». On n’avait donc pas tort d’imaginer du surf, et du gros. D’un coup, on est inquiets pour ceux qui vivent dans des baraquements qu’on imagine voler très facilement.
Sur la route, on peut croiser des intrépides. Pablo, militaire évidemment, s’inquiète. Les habitants de Puerto Williams ont perdu le titre si convoité de ville la plus australe de la planète. Un hold-up selon lui. « Soi-disant qu’il n’y avait pas assez d’habitants ici, alors c’est Ushuaïa qui a récupéré l’emblème. Pour nous, c’est un manque à gagner, ça marche bien avec les touristes, l’étiquette “austral”. » Et puis, il y a le Micalvi, bateau de guerre allemand qui s’est échoué penché et a été réaménagé en yacht-club. Comme il y a une connexion wi-fi, très lente, c’est le hot-spot du coin. Au premier étage, on se croirait dans un club anglais du XIXe siècle, ambiance vieux bois foncé. Table à cartes antiques et globe d’un autre siècle trônent en face du gouvernail d’époque d’où on a une vue imprenable sur la proue du navire. Au rez-de-chaussée, c’est plus coloré, des centaines de drapeaux et de tee-shirts tapissent chaque parcelle de mur et de plafond. Tous les marins du monde, amateurs et pros, semblent être passés ici un jour ou l’autre. Ils ont tous écrit des petits mots pour remercier les Chiliens de ce moment inoubliable.
Puerto Toro
Partir de Puerto Williams, c’est dire ciao à la civilisation. Le Horn est à 95 milles nautiques (175 km). Pour le wi-fi et le portable, c’est terminé. Une fois dans le canal Beagle, mince frontière entre l’Argentine et le Chili, à hauteur de l’île Gable, on voit la cordillère Darwin, battue par les vents, celle-là même qui a été traversée d’ouest en est par une équipée d’alpinistes pendant 35 jours (voir l’excellent documentaire de 90 minutes intitulé Sur le fil de Darwin). Sommets saupoudrés. Nuages lenticulaires. Cormorans bruyants. Devant nous, les « Gremlins ». Une paire de rochers que l’on appelle ainsi à cause de leur petit air sournois et méchant qui fait que quelques-uns leur sont rentrés dedans. Au niveau des fourberies locales, il y aussi les kelps, algues géantes et tentaculaires capables de coincer un bateau. L’épave rouillée qui gît juste devant nous est celle du Logos, un bateau-bibliothèque de Mormons qui distribuaient des bibles et qui s’est échoué sur un rocher en face de l’îlot Snipe, le 4 janvier 1988.
En se rapprochant de la baie de Puerto Toro, on se demande qui peut bien vivre là. Puerto Toro, c’est un rocher égaré à 51 kilomètres au sud de Puerto Williams, qui prend rétrospectivement des allures de capitale. Parmi les quelques cabanes où habitent une petite dizaine de pêcheurs, il y a pourtant une école. Avec un instituteur qui fait classe à quatre élèves de 10 à 16 ans. Tous les trois ans, il est relevé, mais pour le moment, c’est lui le maître le plus austral de la planète. En juin, Puerto Toro revit, nous dit-on. Sa baie se remplit alors d’une dizaine de chaluts qui viennent pour repartir ensuite les cales pleines de king crabs, le trésor local qui vaut de l’or sur nos marchés mais qui, ici, s’échange de bateau à bateau, contre deux paquets de cigarettes, un pack de bières et quelques biscuits.
Caleta Martial
La baie de Nassau a mauvaise réputation. C’est une mauvaise fille qui envoie ses marins par le fond avec ses vents déments, imprévisibles, à plus de 90 km/h. On s’imagine sauter à pieds joints dans le canot de sauvetage, surtout bien viser, l’eau est à 3°C, et rallier la côte en tentant de ne pas s’y faire déchiqueter. Ne plaisantons pas trop. Ce jour-là, la baie de Nassau a pris deux hommes, deux marins-pêcheurs. Ce ne seront sûrement pas les seuls du mois. Survol d’hélico dès le lendemain pour les localiser. Un seul passage est effectué. Ces pauvres bougres cherchés mollement allongeront certainement la liste des disparus. « Le naufrage est une sorte de sport national, ici », dédramatise le capitaine. C’est un cercueil, fait d’écueils et de deuils, aurait pu écrire cet amateur de vers en mer. Celle-ci s’est un peu déchaînée pendant quelques heures avant le jeter d’ancre à Caleta Martial. Surprise : une plage de sable blanc et fin et des eaux cristallines. Avec dix degrés de plus, ce serait les tropiques en Écosse. Pourquoi n’y a-t-il pas une seule carte postale disponible de ce spot terrible ? Après avoir épuisé les distractions locales, parties de Scrabble dans le carré et nourrir les skuas sur le pont avec les restes avariés de l’agneau embarqué à bord, il n’y a plus qu’à monter pour voir l’envers du Horn.
Le Horn
A la fin de ce dédale d’archipels, « chaque mille peut être une torture ». Le capitaine du bateau est un poète, décidément. Le Horn, il l’a vu plus de soixante fois. Devant le rocher, il a penché son bateau jusqu’à la limite oblique, quand le vent, qui n’est plus freiné par aucun obstacle, gémit comme un fantôme entre les voiles. Il a vu les lumières blanches de l’Antarctique, à 950 kilomètres de là, éclairer ses voiles de nuit. Mais aujourd’hui, la Tombe du Diable, coupable de plus de 800 naufrages, se montre clémente. On voudrait sonder le fond, pour retrouver ces centaines de mâts plaqués au sol comme des gisants. Le rocher sombre éclairé par la lumière rasante du matin, un albatros qui flotte au-dessus des voiles… Où sont vagues scélérates, vaisseaux fantômes, hordes de pirates ? Esprit du Horn, où es-tu ? Dans le calme ambiant, on se prend à customiser le rocher : une plateforme de cliff-diving à 27 mètres, là, ce serait pas mal… Et y aurait-il assez de marge pour un saut en base-jump de tout là-haut ? Ce n’était qu’un jour sans au cap Horn. Le diable était en RTT. On pensera à revenir pour voir les prédictions du capitaine Robert Mieth prendre corps : « Cape Horn is the place where the devil made the biggest mess he could » («Le cap Horn est le lieu où le diable a créé le plus gros bazar dont il était capable.»)
Son dernier “geste” de rébellion: mourir la veille de Noël, à 91 ans. Anarcho-pacifiste, socialiste libertaire, Osvaldo Bayer laisse un vide incommensurable. Journaliste, historien, défenseur des droits humains, il s’est investi dans la lutte pour les droits des peuples originaires à récupérer ses terres.
Auteur d’un ouvrage fondamental pour la culture politique argentine: La Patagonia rebelde * (La Patagonie rebelle) et la biographie de « Severino Di Giovanni, l’idéaliste de la violence » (1970), Osvaldo Bayer a dénoncé l’exploitation et la mort des travailleurs ruraux en Patagonie et a montré comment les familles de l’oligarchie et les secteurs dominants les opprimaient . Il a toujours élevé sa voix avec courage et fut porteur d’une éthique qui en font de lui le dernier grand anarchiste argentin du XXe siècle. Les menaces, la persécution et la censure de la Triple A en 1975 l’ont forcé à s’exiler en Allemagne, d’où il a dénoncé le terrorisme d’État pendant la dernière dictature civico-militaire (1976-1983).
“J’ai décidé de ne pas avoir pitié des impitoyables. Mon manque de pitié envers les assassins, envers les bourreaux agissant depuis le pouvoir, se réduit à les démasquer, les laissant nus devant l’histoire et la société en revendiquant d’une certaine manière ceux d’en bas, qui à toutes les époques sont sortis dans la rue pour crier, pour protester et qui ont été massacrés, traités comme des criminels, torturés, volés, jetés dans une fosse commune “. (El camino al paraíso, Planeta, 2016)
Pendant plus de dix ans, il a enquêté sur l’histoire des 1500 travailleurs ruraux de Santa Cruz, tués entre 1920 et 1921. Il a eu la chance de retrouver de nombreux survivants parmi les soldats, les officiers et les propriétaires fonciers. La Patagonie rebelle rassemble les quatre volumes de Los vengadores de la Patagonia trágica (Les vengeurs de la Patagonie tragique) les trois premiers publiés en Argentine entre 1972 et 1974, et le quatrième volume publié en Allemagne en 1978.
Combattant infatigable, il a parcouru les villes du pays pour accompagner les procès contre les génocidaires du passé, qu’il s’agisse du génocide contre les Indiens ou contre les militants politiques des années 70. Il n’a jamais baissé les bras même dans les pires conditions politiques en utilisant la parole comme arme principale de combat. À Buenos Aires, dans la ville de Rauch il organisa en 1963 un referendum citoyen pour changer le nom du colonel prussien par celui d’”Arbolito”, le nom de l’indien ranquel qui l’avait tué. Il a été arrêté par ordre du général Juan Enrique Rauch, ministre de l’Intérieur de la dictature, arrière-petit-fils de Federico Rauch. Il a été emprisonné pendant 62 jours.
Depuis 2004, Bayer a réclamé le transfert du monument du général Julio Argentino Roca, situé au centre ville de Buenos Aires. Le général et futur président dirigea la « Conquête du désert » entre 1879 et 1881 afin d’obtenir la domination totale sur les régions du sud de la Pampa et sur la Patagonie orientale, jusqu’alors sous domination de la nation Mapuche. Des dizaines de milliers d’indiens furent tués ou transformés en esclaves. Bayer avait l’intention de dresser à la place un monument à la Femme originaire, projet partagé par l’Université populaire des Mères de la Place de Mai.
J’ai rencontré pour la première fois Osvaldo Bayer en 2010 à l’occasion de la Foire du livre de Francfort. En février de 2011, j’ai partagé avec lui un dîner chez la directrice de la Maison Argentine de la Cité U à Paris en compagnie d’amis argentins. Pendant le repas, Osvaldo n’arrêtait pas de raconter d’anecdotes savoureuses : sa rencontre en 1960 avec le Che à Cuba , avec l’écrivain Julio Cortázar à Paris, son admiration pour Marlène Dietrich, l’histoire des cinq prostituées de la maison close “La Catalana” à Puerto San Julián**, qui ont refusé d’avoir des relations sexuelles avec les soldats qui ont tiré sur les ouvriers lors de la grève des travailleurs ruraux à Santa Cruz, affirmant qu’elles n’allaient pas coucher avec des meurtriers. ». Nous avons mangé du couscous avec du vin algérien pour fêter « le printemps arabe »… Une soirée inoubliable qui a durée tard dans la nuit. Malgré le long trajet qui l’avait amené ce matin d’Allemagne et les trois heures de conférence, Osvaldo, avec ces 84 ans, n’a pas arrêté de nous subjuguer par son énergie débordante.
Dans une note du journal Página 12, Silvina Friera écrit : « Osvaldo savait qu’il fallait s’investir avec le corps et la parole dans de nouvelles-vieilles batailles. S’il avait précédemment dénoncé l’exploitation et la mort de travailleurs ruraux en Patagonie et accompagné les Mères de la Place de Mai, il n’a pas hésité ces dernières années à protester face aux attaques du gouvernement contre les droits de l’homme et sociaux. “Le gouvernement de (Mauricio) Macri est comme un retour au Moyen Âge”, a déclaré l’écrivain lors de la dernière interview de ce journal, en août 2016. Ne pas savoir qu’il y a eu 30 000 disparus, ce qui est l’un des faits fondamentaux de la politique des droits de l’homme du pays, c’est une ignorance qui ne peut être pardonnée, ne peut être excusée (…) Les 30 000 disparus seront toujours la plus grande honte de l’Argentine. “
A la question : Quel est l’idéal d’un gouvernement anarchiste? Comment vous l’imaginez?
-Le gouvernement par assemblée, tout le peuple doit intervenir. Je pouvais voir à quel point les assemblées étaient positives (lors de la crise de 2001-2002). Avec quelle sagesse intervenaient les gens à l’assemblée du quartier de Belgrano; même les vieilles dames qui n’avaient jamais parlé de toute leur vie se sont exprimées. C’était un spectacle magnifique d’écouter les voisins qui n’avaient jamais parlé de leur vie et qui avaient dit ce qu’ils pensaient. Quelle belle période que fut la démocratie de quartier. »
Les réseaux demandent une rue pour Osvaldo Bayer
La mort d’Osvaldo Bayer a provoqué un émoi chez ceux qui connaissaient et admiraient l’auteur de La Patagonia rebelde. 24 heures après sa mort, les réseaux ont commencé à façonner un hommage: que la rue Ramón L. Falcón porte le nom de l’écrivain et journaliste. Ainsi, le nom d’un répresseur serait changé en celui d’un défenseur des droits humains. Pour donner une impulsion à la campagne lancée sur les réseaux sociaux, la député Myriam Bregman du PTS-FIT a présenté ce 26 décembre un projet de loi qui doit être débattu à l’Assemblée législative de la ville de Buenos Aires.
Le vieux frondeur nous laisse le meilleur héritage possible: la rébellion en quête de plus de liberté, plus de démocratie et plus d’égalité. Un clin d’œil pour la France des gilets jaunes.
* La Patagonia rebelde est un film réalisé par Héctor Olivera en 1974 et interprété par Héctor Alterio, Luis Brandoni, Federico Luppi et Pepe Soriano. Il a été écrit par Olivera, Fernando Ayala et Osvaldo Bayer, d’après le livre de Bayer intitulé « Les vengeurs de la Patagonie tragique ». Le 13 juin 1974 le président Juan Domingo Perón signe le décret d’approbation pour que le film puisse être projeté. Après la mort du président, il a été interdit le 12 octobre de la même année par le gouvernement d’Isabel Perón. Jorge Cepernic, gouverneur péroniste de Santa Cruz, a été emprisonné pendant six ans par la dernière dictature civico-militaire de l’Argentine, pour avoir, entre autres, permis que le film soit tourné dans cette province. La plupart des acteurs et des cinéastes ont dû partir en exil. En Argentine, il n’a pu être montré à nouveau qu’en 1984, avec le retour de la démocratie. Le film a remporté l’Ours d’argent au Festival international du film de Berlin en 1974.
**Depuis 2011, l’histoire des putes de San Julián a été jouée au Théâtre Cervantes, mis en scène par Ricardo Mosquera. En plus de collaborer en tant que scénariste, Bayer, qui avait déjà joué en tant qu’éleveur anglais dans la version cinématographique de La Patagonia Rebelde, a fait ses débuts en tant qu’acteur de théâtre et participa à la pièce en racontant lui-même sa tâche de chercheur dans cette histoire.
Publié le 17/12/2018 à 14:00, mis à jour le 17/12/2018 à 18:54
EXCLUSIF – Greenpeace a publié, ce lundi, une enquête révélant un «scandale de pollution massive» opéré par des sous-traitants de cinq compagnies pétrolières, dont Total, au nord de la Patagonie. Une action en justice a été menée par les populations locales pour dénoncer le déversement de résidus d’hydrocarbure dans d’immenses bassins de stockage à l’air libre.
Une gigantesque «piscine de déchets toxiques» aurait poussé ces derniers mois au nord de la Patagonie argentine. Au terme d’une enquête de plusieurs mois publiée ce lundi, l’ONG de défense de l’environnement Greenpeace révèle «un scandale de pollution massive» opéré par des sous-traitants de cinq compagnies pétrolières, dont Total, au sud de l’Argentine, sur le site de Vaca Muerta, dans la région semi-désertique de Neuquen. Le groupe pétrolier français, de son côté, assure ne pas être au courant de l’existence de ces bassins et indique que des «vérifications complémentaires» vont être menées.
Près du village d’Añelo, non loin des sites pétroliers, où vivent des membres de la communauté autochtone des Mapuche, les compagnies pétrolières sont accusées de déverser des «résidus toxiques à l’air libre, dans de gigantesques piscines creusées sans aucune protection entre les déchets et le sol», révèle Greenpeace. Contactée par Le Figaro, la firme française assure que le traitement de résidus de… (la suite de l’article est malheureusement réservée aux abonnés)