Publié le 22 avril 2020 à 10h00·Mis à jour le 22 avril 2020 à 13h00
Puerto Williams (Chili) (AFP) – Armé de son fusil, Miguel Gallardo fait face à une tâche colossale: traquer le castor, introduit dans la région dans les années 1940 et devenu depuis une plaie qui menace les forêts de la Patagonie chilienne.
A partir des 10 couples introduits en 1946, on compte aujourd’hui quelque 100.000 individus dans la zone de la Terre de feu, partagée entre le Chili et l’Argentine. Marcelo, lui, ne parvient à en abattre qu’une soixantaine à chaque saison.
“Le castor est très mignon, très intelligent, mais malheureusement, les dommages qu’il est en train de causer sur la végétation indigène et la faune sont énormes”, déclare à l’AFP ce chasseur qui a 15 ans d’expérience et organise aussi des visites touristiques sur l’Ile Navarino, à proximité de Puerto Williams, à l’extrême sud du Chili.
Avec leurs puissantes dents et leurs talents de bâtisseurs, le castors se sont parfaitement acclimatés à ce nouvel habitat, totalement dépourvu de prédateurs.
“Il faut les éradiquer, mais il ne s’agit pas non plus d’arriver et de leur tirer dessus dans l’eau et qu’ils y pourrissent”, ajoute ce chasseur, qui récupère les spécimens abattus pour utiliser leur fourrure “de très bonne qualité et assez chaude”.
En 1946, des militaires argentins ont rapporté d’Amérique du Nord dix couples de castors du Canada (castor canadensis) dans le but de monter une affaire de peaux et de fourrures en Terre de feu. Mais cela n’a finalement pas marché et ces castors ont été relâchés dans la nature.
Les deux pays voisins effectuent depuis les années 1980 des campagnes de contrôle pour tenter de réduire les populations de ces rongeurs, par des pièges ou des abattages. En face, les ONG de protection de l’environnement, comme l’Union de défense du droit animal de Punta Arenas, dénoncent la cruauté de ces méthodes ainsi que leur manque d’efficacité.
“Les défenseurs des animaux, je les comprends; je comprends que tuer un être vivant, un petit animal intelligent, c’est douloureux. Mais malheureusement, si nous ne prenons pas de mesures concernant le castor, nous allons nous retrouver sans forêt et sans végétation”, met en garde Miguel Gallardo.
– 23.000 hectares dévastés –
“Penser à éradiquer le castor n’est en rien un combat contre le castor mais un besoin de protéger le patrimoine naturel de notre pays”, abonde Charif Tala Gonzalez, responsable du département de conservation des espèces au ministère de l’Environnement.
En quelques années, ces rongeurs semi-aquatiques au pelage marron qui peuvent mesurer jusqu’à un mètre et peser 32 kilos ont fini par coloniser tout l’archipel de la Terre de feu.
Outre qu’il n’a pas de prédateurs naturels dans cette partie du globe, le castor vit en général longtemps, de 10 à 12 ans, durant lesquels il peut avoir 5 à 6 petits chaque année.
Cet animal est connu pour construire des barrages à partir de la végétation existante. Il installe ensuite sa tanière au milieu de la retenue qui se forme alors.
Cette montée des eaux fait mourir la végétation indigène et le peu d’arbres qui survivent sont abattus par les castors pour renforcer leur construction. Ils raffolent particulièrement des lengas centenaires, également appelés hêtres de la Terre de feu, et des coihues, connus sous le nom de hêtres de Magellan.
“La forêt ne peut pas se défendre (…) Tout ce qui reste au milieu de l’eau meurt, car nos forêts ne sont pas préparées à l’excès d’eau”, explique Miguel, le chasseur.
Les autorités chiliennes estiment que depuis leur introduction, les castors ont dévasté plus de 23.000 hectares de végétation indigène, entraînant un manque à gagner évalué à 62,7 millions de dollars à cause de la destruction du bois.
Ils ont également eu un effet sur l’ensemble de la flore et la faune de la zone, leurs barrages provoquant des inondations qui ont coupé des routes, des zones de pâturage et de culture.
“Les écosystèmes de la Patagonie sont uniques (…) Pour qu’ils redeviennent pleinement des forêts, nous parlons en centaines d’années, si les conditions sont réunies”, souligne Charif Tala Gonzalez.
Disparition de l’écrivain chilien Luis Sepulveda à l’âge de 70 ans
Par Le Figaro avec AFP
Publié le 16/04/2020 à 11:22, mis à jour le 16/04/2020 à 12:40
L’auteur du Vieux qui lisait des romans d’amour est décédé en Espagne de suites du Covid-19
L’écrivain chilien Luis Sepúlveda, né le 4 octobre 1949 à Ovalle, est décédé en Espagne du covid-19, ont annoncé ses éditeurs. «L’écrivain Luis Sepulveda est mort à Oviedo. L’équipe de Tusquets Editores regrette profondément sa perte», a écrit le groupe éditorial espagnol dans un communiqué.
L’auteur de 70 ans avait ressenti les premiers symptômes le 25 février alors qu’il revenait d’un déplacement au Portugal et rentrait aux Asturies où il habitait avec son épouse. «Le personnel soignant a tout fait pour lui sauver la vie mais il n’a pas surmonté la maladie. Mes plus sincères condoléances à sa femme et à sa famille», a assuré sur Twitter le président de la région des Asturies, Adrian Barbon.
L’auteur avait milité très jeune dans les jeunesses communistes puis dans une branche du Parti socialiste. Ce qui lui avait valu d’être arrêté en 1973 par le régime du général Augusto Pinochet. Emprisonné pendant deux ans et demi, il avait finalement vu sa peine commuée en exil et avait quitté en 1977 le Chili où il n’est jamais revenu s’installer. Retrouvant sa première femme, la poétesse Carmen Yañez, torturée sous la dictature chilienne, l’écrivain s’établit en 1996 à Gijón, dans les Asturies.
Son premier roman, Le Vieux qui lisait des romans d’amour, publié en 1992 et traduit en trente-cinq langues et adapté au grand écran en 2001, lui avait apporté une renommée internationale. Un autre de ses grands succès fut Histoire d’une mouette et du chat qui lui apprit à voler (1996), à destination des «jeunes de 8 à 88 ans» qui a donné lieu à un film d’animation.
Son œuvre, fortement marquée par l’engagement politique et écologiste ainsi que par la répression des dictatures des années 1970, mêle le goût du voyage et son intérêt pour les peuples premiers. Luis Sepúlveda, qui a aussi eu une activité, toutefois marginale, de scénariste et de réalisateur, est également l’auteur du Neveu d’Amérique (Patagonia express, 1996), des Roses d’Atacama (Historias marginales, 2001) ou de La fin de l’histoire (El fin de la historia, 2016).
Je ne suis pas un optimiste à 100 %, je suis optimiste à 50 %… Ou 70 %! Je pense que le futur sera meilleur que le présent
Luis Sepulveda
Écrivain qui avait foi en l’homme, Luis Sepulveda se montrait aussi optimiste que possible malgré les épreuves qu’il avait traversé dans la vie. «Si nous n’avons pas une perspective du futur, la vie n’a aucun sens, expliquait-il au Figaro en 2009. Quand on comprend le passé, on peut mieux comprendre le présent. Quand on comprend le présent, on peut avoir une vision du futur. Je ne suis pas un optimiste à 100 %, je suis optimiste à 50 %… Ou 70 %! Je pense que le futur sera meilleur que le présent…» Promoteur d’un vivre ensemble militant, attentif aux causes environnementales, il savait bien que «la vie est dure», pour beaucoup, partout. Mais ses engagements suivaient une ligne de conduite claire. «Tout ce que nous faisons pour transformer cette réalité se fait, paradoxalement, d’un point de vue optimiste. Même si cela se termine par une défaite, et, en général, cela se termine souvent par une défaite! Comme le dit un ami mexicain: De défaite en défaite, nous irons jusqu’à la victoire finale.»
1949 Naissance à Ovalle (Chili). À quinze ans, adhère aux Jeunesses communistes.
1973 Emprisonné à la suite du coup d’État du général Pinochet.
1982-1996 Vit à Hambourg. Grand reporter dans la presse allemande et correspondant pour Greenpeace.
1989 Le vieux qui lisait des romans d’amour. Traduit chez Métailié en 1992. Le Monde du bout du monde.
Ethno-acousticienne, Lauriane Lemasson se passionne pour les relations que tissent les peuples avec leur environnement sonore. Un métier qui la pousse à défier, micro en main, les rudes étendues de Patagonie. Avec un objectif : mieux comprendre les dynamiques de peuplement et les sources d’inspiration culturelles des Amérindiens qui occupaient ces confins avant d’être décimés.
Un pays de silence et d’espaces infinis. Dans cette pampa de la Patagonie argentine qui s’étale comme si elle ne devait jamais s’arrêter, les hommes sont rares et peu bavards. Inutile de demander sa route. Car, à part quelques moutons hirsutes qui semblent eux-mêmes se demander ce qu’ils fichent là, il n’y a plus âme pour répondre en ces lieux.
De toutes les façons, en deçà des 53° Sud, une fois passé le remuant détroit de Magellan, il n’existe guère qu’une seule vraie route terrestre sur ce gigantesque archipel qu’est la Terre de Feu : la Ruta n° 3, ruban couleur réglisse serpentant du nord au sud pour relier le bourg de Rio Grande au port d’Ushuaia. Pour le reste, cet antipode parmi les moins peuplés du cône sud-américain se résume à de vastes steppes tavelées de lacs sombres, des montagnes imprenables et des forêts jetées aux marges de l’océan.
Tout à pied
Et pour ne rien arranger, partout, des arbustes tarabiscotés, à demi-couchés, torturés par les bourrasques, des broussailles indémêlables, des lignes de barbelés rouillés et d’interminables barrières qui semblent se liguer pour fermer l’accès aux immenses estancias privées quadrillant encore la majeure partie de ce territoire. Voilà pour le décor : un vide aussi sidérant qu’hostile. Et pas de comité d’accueil.
C’est pourtant dans cette contrée compliquée que Lauriane Lemasson, 30 ans, a choisi de se perdre, seule, des mois durant, uniquement à pied et en dehors de la grande route balisée. Cette jeune bretonne au caractère bien trempé a enjambé les obstacles et les interdits histoire d’aller “là où personne ne va plus”, à l’exception des gauchos. Bref un vagabondage en bonne et due forme. Et en autonomie complète, harnachée d’un sac à dos de 25 kilos dans lequel Lauriane a fait entrer son réchaud à essence, des provisions lui permettant de tenir sans ravitaillement entre sept et dix-neuf jours selon la durée des déplacements, sa toile de tente, son duvet, son fidèle appareil photo Leica, ses carnets de notes, mais surtout une kyrielle de micros et d’instruments d’enregistrement.
Une boussole et une carte
Oubliant régulièrement de se chercher un abri pour le soir – “de toutes les façons, bien souvent, il n’y en avait pas”, se souvient-elle – notre marcheuse infatigable n’avait même pas de GPS lors de sa première échappée, juste une boussole et une bonne vieille carte au 750 000e. Objectif de ses sorties à la dure ? “Capter les sons des paysages patagons”, répond-elle très sérieusement. Drôle de quête, étrange programme.
Car ici, à part les rafales qui sifflent parfois à vous en rendre sourd, mutisme et contemplation sont de mise. “Très vite, on s’aperçoit que cet espace est habité par mille petits bruits qui esquissent bel et bien ces paysages sonores que je traque”, reconnaît Lauriane. De timides cris d’oiseaux, le grincement plaintif des arbres dans la tempête, le grognement des lions de mer, le craquement lointain des glaciers… Le moindre écho devient pour notre exploratrice une manière de compagnie.
Violence des éléments
“Lors de mon premier voyage à travers la Grande Ile de Terre de Feu, se souvient- elle, sur un total de trois mois et demi de pérégrination, je n’ai croisé, en dehors des zones urbaines, que trois personnes : deux estancieros, des employés des élevages qui n’en revenaient pas de voir une Française se balader seule dans les parages, et un vieil Argentin, un retraité avec qui je suis devenue amie. Aujourd’hui décédé, ce dernier vivait isolé et m’a accueillie chez lui sans hésitation un jour de très mauvais temps…”
Pluie, neige, tempête, grand soleil, chaleur harassante ou frimas remontant de l’Antarctique… Cette région a toujours affronté la violence des éléments et ses sortilèges. Avant sa découverte par l’Occident, lors de l’expédition de Magellan en 1512, sur les portulans médiévaux, on résumait d’ailleurs le coin en quelques indications incertaines : “brouillards”, “fin du monde”, “anti-terre”. Mais il en faut plus pour dérouter notre baroudeuse. Car Lauriane n’est pas qu’une aventurière. Et encore moins un genre de Don Quichotte au féminin, courant derrière d’impossibles moulins.
Doctorante à la Sorbonne, elle mène ses explorations sonores dans le cadre d’une très sérieuse thèse pluridisciplinaire en ethnomusicologie et acoustique. Un travail de recherche inédit qu’elle a entamé à partir de 2011 et qui s’appuie sur une intuition de départ qu’elle vérifie au fil de ses incursions en Terre de Feu : “Mes explorations entre Rio Grande et Ushuaia, dans la réserve provinciale Corazón de la Isla, près du lac Fagnano, ou encore sur le canal de Beagle et à travers la réserve de biosphère du cap Horn reposent sur une conviction. Les sons des lieux peuvent encore nous apprendre des choses sur les peuples amérindiens qui les ont occupés jadis. A condition d’écouter attentivement ce qu’ils ont à nous dire”, détaille-t-elle. De même que chaque recoin de la planète possède son odeur particulière, ses couleurs et ses températures, une ambiance tient aussi à l’acoustique.
«Chacun a pu en faire l’expérience, souligne la scientifique. Selon que vous soyez devant une montagne, dans une forêt, dans un désert ou au centre d’un théâtre antique, le paysage sonore influence la façon dont on occupe et perçoit un lieu. C’est cela que j’essaie de comprendre en y ajoutant le filtre de l’histoire, de la géographie et de l’anthropologie.» Partant de là, analyser la dimension acoustique d’un site archéologique, d’un ancien campement amérindien ou encore d’un sanctuaire dans lequel se déroulaient jadis des rituels chamaniques permet de mieux en expliquer le passé, voire de reconstituer une partie de l’environnement et de la culture de ceux qui y vécurent.
Micro en main, oreilles à l’affût
L’universitaire a parcouru plus de 2 000 kilomètres à pied. Avec pour simple Graal le souhait de réentendre la rumeur des premiers peuples fuégiens, ces autochtones patagons qui sont aujourd’hui de parfaits inconnus pour le grand public. «La plupart des livres et des articles à leur sujet affirment que ces Amérindiens arrivés en Terre de Feu il y a plus de 10 000 ans ont disparu depuis belle lurette, s’insurge Lauriane. Or, dès mon premier voyage, j’ai compris que la réalité était tout autre : des descendants de ces peuples indigènes exterminés par les colons européens ou assimilés de force à la culture hispanique sont encore bien vivants, que cela soit en Argentine ou au Chili. Pas plus que leur culture et leurs langues, menacées certes de disparition imminente à force d’être bafouées, n’ont été effacées des mémoires.»
A partir de ce constat, la quête de la jeune chercheuse prit un tour plus urgent encore. Soutenue dans ses recherches par l’ethnologue et explorateur arctique Jean Malaurie, figure mythique de l’aventure en terre extrême, Lauriane multiplia les prises de sons et les tests acoustiques. Elle débusqua, sur ce territoire désormais vidé de ses premiers occupants, des campements oubliés, ainsi que 2 500 emplacements de huttes. Elle reconstitua même les anciens toponymes, en langue amérindienne, de ces lieux qui n’avaient plus pour noms que ceux que leur avaient donnés les Espagnols. Tout ce travail de fourmi permet aujourd’hui à Lauriane d’avancer que dans ces sociétés ancestrales, entièrement tournées vers la nature, les chants chamaniques et les rites s’inspiraient principalement des sons émis par les animaux, les arbres, les vagues, les vents…
A la rencontre des Yagans
L’ethno-acousticienne est aussi partie à la rencontre des derniers locuteurs des langues yagan, haush ou selknam, en Argentine et au Chili. De quoi redonner vie à ce que racontaient au début du siècle dernier les rares anthropologues à s’être intéressés à ces indigènes. Tel le missionnaire Martin Gusinde qui, dans les années 1920, oublia vite sa mission évangélisatrice pour s’immerger avec passion dans le quotidien des tribus. En 2018, lors d’un nouveau voyage, c’est précisément vers les Yagans étudiés par Gusinde que Lauriane décida d’orienter ses recherches. Cap cette fois sur le canal de Beagle (Onashaga en langue yagan). A l’inverse des chasseurs-cueilleurs que furent les Selknams et les Haushs, les Yagans, eux, vivaient sur l’eau. Des nomades des canaux, se déplaçant sur de longues pirogues et se nourrissant surtout de la récolte de coquillages, lesquels étaient, selon les récits anciens, extraits des profondeurs glaciales par des femmes plongeuses quasi nues… Changement d’ambiance. L’expédition se déroule cette fois dans une Terre de Feu maritime, remuante et plus venteuse encore que les fois précédentes. L’Atlantique et le Pacifique s’y rencontrent frontalement, ce qui produit souvent des conditions météo dantesques.
Un peu plus au sud du canal de Beagle se trouve le point de passage du cap Horn, réputé pour être la «patrie officielle du mal de mer»… Et puis, il y a ces fameuses caletas, des fjords aux côtes spongieuses et aux arbres couverts de longs cheveux de lichens, des replis creusés il y a des millénaires par les glaciers. Ces labyrinthes sinuent en allant vers l’ouest, après Ushuaia, puis le long de la façade pacifique de la Patagonie chilienne et jusqu’à l’archipel de Chiloé. «La navigation est le seul moyen si l’on veut accoster sur les îlots et les criques qui essaiment un peu partout, rappelle Lauriane. Mon idée première était de déambuler en canoë à la manière des Yagans, mais techniquement l’expédition était trop complexe et très risquée.» Elle s’embarque donc comme équipière sur un voilier avec une famille française, pour une croisière de trois mois. Approvisionnement et appareillage à Ushuaia, puis traversée des eaux frontalières hautement surveillées par l’armada chilienne pour une première escale dans le port le plus austral du monde : Puerto Williams, sur l’île chilienne de Navarino, un haut lieu de la culture yagan. De là, cap à l’ouest pour zigzaguer à travers les deux bras du Beagle et explorer les rives à pied afin d’y recenser les campements.
Pour ce périple, l’acousticienne a amélioré ces outils d’investigation sonore. Des micros capables d’enregistrer dans toutes les directions, des enregistreurs derniers cris, des protocoles millimétrés et… une simple boîte en bois ! Acheté dans une quincaillerie d’Ushuaia, l’objet est au format d’un carton de chaussures. En tapant sur son couvercle, comme sur un tambour, il produit un bruit sec et fort, lequel résonnera dans le vide. De quoi tester l’écho d’un lieu et analyser la circulation du son dans un site donné. Inspiré du protocole élaboré en 1967 par François Canac (un scientifique français ayant travaillé notamment sur l’acoustique des amphithéâtres romains), ce genre de test avec une boîte permet de mieux comprendre les sites occupés jadis par les premiers habitants.
Une découverte cruciale
Après avoir quitté le bateau, Lauriane est de retour dans les steppes pour deux mois encore de recherche solitaire. Puis, en avril dernier, lors de sa dernière expédition, c’est au centre de la Grande Ile de Terre de Feu qu’elle fait sa découverte la plus importante. Direction le site Ewan I, autrefois utilisé par les Selknams pour le rituel initiatique des jeunes adultes dit du Hain. Etudié par le laboratoire d’anthropologie et d’archéologie du Cadic (Centre austral d’investigations scientifiques d’Ushuaia), le lieu abrite une hutte cérémonielle toujours sur pied et datée de 1905. «Là, raconte Lauriane, j’ai pu procéder à des tests acoustiques pour comprendre l’emplacement de cette hutte. Situé en lisière d’une ancienne clairière, Ewan I fonctionne en effet comme un amphithéâtre où les sons (chants, paroles, cris) sont absorbés, conduits ou déviés par le relief. Il est probable que ces effets ne relevaient pas d’un hasard mais étaient considérés dans le choix du lieu du rituel pour en assurer le bon déroulement.» De quoi éclairer d’un jour nouveau la thèse universitaire de l’acousticienne. «On pourra demain expliquer d’autres lieux sacrés en analysant la façon dont ils résonnent», s’enthousiasme t-elle en pensant déjà à son prochain voyage. Il sera pour bientôt, et peut-être à bord de son propre petit voilier. «Je rêve de traverser l’Atlantique», souffle notre Bretonne. Avant de mettre, à nouveau, le cap au sud. Vers ce pays fuégien qui a encore tant de nuances sonores à lui murmurer.
➤ Plus d’infos sur le site internet de l’association Karukinka
Par Stéphanie Le Bars Publié le 23 janvier 2020 à 07h15, modifié le 23 janvier 2020 à 08h05
Les faits: De novembre à mi-janvier, les 4 500 habitants d’Utqiagvik, en Alaska, ne voient jamais le jour se lever. Le photographe californien Mark Mahaney s’est plongé dans l’ambiance lunaire de cette nuit sans fin.
Comment donner vie à la nuit, illustrer un monde en sursis ? Il y a un an, débarquant pour une douzaine de jours à Utqiagvik (Alaska), la ville la plus au nord des Etats-Unis, le photographe américain Mark Mahaney s’est plié à l’exercice. Venu de Californie, il a plongé dans la nuit sans fin de ce coin du cercle arctique, où, de novembre à mi-janvier, le soleil ne se lève pas. Un lieu infini où, lorsque l’œil cherche l’horizon, il ne voit rien qu’une immensité blanche et plate.
Ce défi à la lumière aurait pu suffire à l’objectif. Mais l’expérience photographique s’est doublée d’un intérêt politique pour « cet épicentre du changement climatique », comme le résume Mark Mahaney. « A cet endroit, même si le sol est recouvert de neige, que le phénomène n’est pas immédiatement apparent, la terre se réchauffe deux fois plus vite qu’ailleurs. La couche de glace, de plus en plus fine, ne protège plus la côte des tempêtes. La ville s’enfonce. » Parti avec l’intention de documenter la vie de ses 4 500 habitants, le photographe en est revenu avec une série d’images fantomatiques, témoignages glacés d’un monde figé, extraterrestre, rassemblées dans un ouvrage, Polar Night (Trespasser).
L’emprise de la glace
« Cet endroit raconte une histoire de survie, d’endurance. » Traverser la nuit polaire, résister au froid et, paradoxalement, survivre au réchauffement climatique. « Quand, durant soixante-cinq jours, la journée n’a ni commencement ni fin, cela laisse une impression bizarre, psychologiquement et physiologiquement. Cette période d’énergie sombre, la “solastalgie”, est propice à la dépression, au suicide, à la consommation de drogues et d’alcool. »
L’emprise de la glace, le poids de la neige, la semi-obscurité troublée par la lumière orangée des réverbères, le froid intense (jusqu’à – 30 °C) dévoilent un univers claquemuré, sans végétation ni humain. « Il n’y a personne dans les rues et je ne voulais pas forcer les portes », explique Mark Mahaney, réticent à jouer « l’homme blanc » exploitant un supposé folklore des Iñupiat, le peuple d’origine de la plupart des habitants. Ces derniers se refusent de toute façon à parler de l’érosion de leur terre et de leur culture. « Ils tirent leurs revenus, plutôt confortables, de l’exploitation pétrolière, qui elle-même contribue au réchauffement climatique… », rappelle le photographe.
Le travail de Mark Mahaney s’attache ici à montrer un « paysage post-apocalyptique, plus proche de la Lune que de la Terre, vide de toute forme de vie ».
Son travail en extérieur s’attache donc à montrer un « paysage post-apocalyptique, plus proche de la Lune que de la Terre, vide de toute forme de vie ». On imagine le crissement de pas isolés sur la neige, la gifle du vent. Des voitures abandonnées, portières ouvertes, semblent prises dans un étau de neige, des maisons paraissent inhabitées avant que l’on n’aperçoive une lueur derrière des vitres glacées ou une fumée sortant de la cheminée. « L’esthétique n’est pas une priorité dans ces contrées et on trouve toutes sortes de vieux objets s’empilant dans les cours et les jardins », autant de formes figées dans le froid.
Le photographe a trouvé des signes de vie dans cet étrange vide. Un graffiti sur un mur. La gueule béante de chiens de traîneaux, impatients de reprendre leur course. Le photographe y signe au passage un hommage à la tradition de ces équipages iconiques, dont l’utilisation est elle aussi en voie de disparition, et fait un clin d’œil à l’expression locale « three dogs night » (« une nuit à trois chiens »), qui mesure la froideur de la nuit. « Plus il fait froid, plus il faut de chiens autour de toi pour survivre. » A l’issue de son séjour, Mark Mahaney a capté les rayons de la première aube revenue, teintant cet unique cliché d’un rose bleuté réconfortant. Car, lorsque le soleil se relève enfin, « le temps peut de nouveau exister ».
Polar Night, de Mark Mahaney, Trespasser, 52 pages, 36 euros. trespasser.pub
A la périphérie d’Utqiagvik, 19 h 55. MARK MAHANEYUn chien de traîneau, 11 h 13. MARK MAHANEYLa route du cimetière, 20 h 16. MARK MAHANEYUne maison typique d’Utqiagvik, 10 h 44. MARK MAHANEYLe cimetière d’Imaiqsaun, 18 h 4. MARK MAHANEYLe poste de police, Kiogak Street, 16 h 48. MARK MAHANEYMidnight, un des derniers chiens de traîneau du nord de l’Alaska, 11 h 14. MARK MAHANEY
L’étudiante et chercheuse française Lauriane Lemasson a détaillé les activités menées par trois membres des peuples Selk’nam et Yagan à Paris et dans d’autres villes européennes. Elle a souligné l’accueil qu’ils ont reçu et la possibilité de « se rapprocher de la place de l’autre, pour ne pas commettre les choses inacceptables qui se sont faites, dans une partie des XIXe et XXe siècles, en anthropologie ». Elle a souligné que sur les peuples autochtones, « le seul pouvoir que possèdent les colonialistes est d’imposer la honte de leur propre identité, mais aujourd’hui cette honte est devenue de la fierté », a-t-elle affirmé.
Por Redacción Infofueguina le jeudi 19 décembre 2019 · 08:30. Traduit de l’espagnol par l’association Karukinka
« J’ai présenté mon travail lors d’un colloque international à Paris, c’était en janvier 2019, et j’ai rencontré Denis Laborde qui est l’organisateur du Festival Haizebegi. “Il a suivi mes recherches, commencées en 2011, et lorsqu’il est venu au colloque, il m’a interrogé sur mon travail”, a commencé Lauriane Lemasson, chercheuse française étudiante à la Sorbonne, en élaborant sa thèse sur “Le paysage sonore comme élément culturel”. ressource, dans le sud.” de Hatitelén (détroit de Magellan)”, pour laquelle elle se rend régulièrement en Patagonie chilienne-argentine et entretient des contacts fréquents avec des membres des peuples autochtones.
Lemasson a déclaré qu’après l’entretien, l’oganisateur du festival Haizebegi lui a dit qu’elle avait « carte blanche » pour ce festival qui a eu lieu en octobre dernier à Bayonne – France, avec en arrière-plan une interview qu’elle avait réalisée à Punta Arenas avec Mirtha Salamanca, petite-fille de Lola Kiepja, et qui a été traduite dans différentes langues mais toujours « avec préavis à Mirtha elle-même, pour savoir si elle avait son accord », a précisé la chercheuse française.
Après avoir écouté l’interview, Laborde a proposé d’inviter Mirtha Salamanca au festival et a déclaré que “deux personnes supplémentaires pourraient être invitées, peut-être trois si nous avons la subvention”, a mentionné Lauriane Lemasson, prévenant que l’association dirigée par Denis Laborde est soutenue par beaucoup d’efforts, avec ses propres contributions ou celles de collaborateurs, « mais sans financement direct de l’État », a-t-elle souligné.
Elle a déclaré qu’il s’agissait d’une association qui « travaille beaucoup avec les immigrés, sur des questions sociales et soutient de nombreuses causes humanitaires ». Dans ce but, on a souligné l’importance de se référer à la situation des peuples indigènes de la zone, en invitant – en consultation avec Mirtha Salamanca – Víctor Vargas Filgueira et José González Calderón, tous deux appartenant au peuple Yagan.
Lauriane Lemasson a précisé que tout le matériel présenté, ainsi que le contenu des entretiens et conférences, avait été élaboré et choisi par Salamanca, Vargas Filgueira et González Calderón. « Les initiatives sont nées d’eux, car l’idée était qu’ils définissent ce qu’ils voulaient partager avec les gens en France », a-t-elle souligné.
Elle a déclaré qu’ils ont pu parler « d’une variété de sujets importants tels que les élevages de saumons, le respect de leur culture par les artistes et les chercheurs, l’importance de redonner aux informateurs une copie des travaux lorsque le travail est fait pour qu’il ne soit pas perdu ». La chercheuse française a commenté que plus tard les membres des peuples autochtones ont pu échanger et partager avec des références locales, et dans ces contacts ils ont réalisé qu’en France aussi il y avait des peuples autochtones “parmi lesquels ceux de mes ancêtres”, a déclaré Lauriane Lemasson, mentionnant qu’elle descend des Bretons.
Un autre contact important a été avec Pascal Blanchard, qui fait des recherches sur ce qu’on appelle les « zoos humains », et avec qui ils ont pu « se rendre compte qu’il n’y avait pas que des shelk’nam et des yagans exposés, mais qu’il y avait aussi des membres de peuples européens et d’autres parties du monde, c’était aussi important pour moi parce que j’ai découvert qu’il y avait aussi des gens de ma ville qui étaiten exposés là-bas”, a-t-elle déclaré.
La chercheuse française a indiqué que c’est avec les zoos humains que “le racisme est né, car il vient de cette époque-là. Avant, il y avait l’ignorance de l’autre, mais pas cette hiérarchie entre les gens. Avec l’ère des zoos humains, le racisme est né et a été soutenu par les anthropologues et les scientifiques de l’époque, dans le but de comprendre l’évolution humaine.”
Elle a déclaré qu’ils avaient également eu « accès aux archives de (l’anthropologue franco-américaine Anne) Chapman, où c’était très fort de voir qu’ils pouvaient avoir un contact direct avec ce matériel. Ils ont également établit des contacts avec le responsable des Relations extérieures de la Conférence des présidents des universités françaises, Jean Luc Nahel, avec qui a été évoquée la possibilité de quelques projets futurs.
L’activité comportait, comme autre point fort, une conférence pour les étudiants français visiblement émus par les témoignages, notamment celui de Mirtha Salamanca et l’histoire de sa grand-mère Lola Kiepja. En conclusion, les étudiants, de leur propre initiative, ont décidé de déposer une note signée pour soutenir la demande de restitution des restes et « demander une réponse ».
Lauriane Lemasson a indiqué, enfin, qu’il est apparu au cours du voyage que le chercheur doit « se rapprocher de la place de l’autre, pour ne pas commettre les choses inacceptables qui se sont faites dans une partie des XIXe et XXe siècles en anthropologie. Il était également très important de savoir que les gens venaient demander quand les ateliers ont lieu, comme l’atelier de vannerie qui a été répété chaque our pendant 2h, relétant l’importance de la relation qui s’est établie. En conclusion le seul pouvoir que les colonialistes ont est née du fait d’avoir imposé au peuple la honte de leur propre identité, mais aujourd’hui cette honte s’est transformée en fierté », souligne la chercheuse française.
La Patagonie est une région mystérieuse et isolée qui s’étend à l’extrême sud du Chili et de l’Argentine. Ses paysages grandioses et sa faune particulière, font de la Patagonie un paradis pour les amoureux de la nature et les aventuriers. En outre, la Patagonie a accueilli certaines des expéditions nautiques les plus célèbres de l’histoire. Du Détroit de Magellan au Cap Horn, les explorateurs ont navigué sur les voies navigables de Patagonie pendant des siècles, en observant ses glaciers majestueux, ses montagnes et ses forêts luxuriantes. Aujourd’hui, les fjords chiliens font partie des lieux les plus époustouflants du monde à découvrir à la voile. Dans cet article, nous présentons les fondamentaux de la voile océanique en Patagonie, en résumant ce que vous devez savoir avant de planifier votre expédition.
Conditions météorologiques et mois pour la navigation
La météo au Chili est très hétérogène et varie énormément selon la latitude. Dans le nord du pays, il fait sec et chaud, mais les zones côtières sont refroidies par le courant de Humboldt. Alors que le sud a tendance à être assez humide et venteux, et peut être extrêmement changeant. La meilleure période de l’année pour naviguer au large en Patagonie se situe entre octobre et mars. Pendant cette période, le temps est légèrement plus prévisible et plus calme. Nous vous recommandons de réserver votre bateau longtemps à l’avance si vous avez l’intention de visiter la Patagonie sur la période de décembre à février, car il existe très peu de marinas en Patagonie.
Conseils pratiques pour la navigation
Bien qu’elles soient parmi les voies navigables les plus reculées du monde, la majorité des canaux et des fjords protégés de Patagonie sont navigables. Pendant les mois d’été, ces canaux ne sont pas gelés. Cependant, vous rencontrerez des glaces à vous approcher des glaciers. Les voies navigables sont très profondes, mesurant environ 100 mètres de profondeur ou plus. Cependant, en raison de l’insuffisance de développement de l’industrie nautique en Patagonie, la plupart des marinas ne conviennent pas aux voiliers de plus de 50 à 80 pieds, malgré la profondeur des canaux.
De plus, les fjords de Patagonie sont un paradis pour les mouillages. Cependant, ces zones exposées peuvent connaître des rafales soudaines et puissantes, donc recherchez plutôt des zones boisées où les vents sont plus calmes. Cela dit, ces endroits isolés sont parfaits pour jeter l’ancre si les marins ont besoin d’un lieu pour s’abriter des intempéries imprévisibles dans les canaux.
Choses à voir et à faire lors d’une expédition en voilier en Patagonie
La Patagonie est une vaste région qui englobe près de 1,043 million de kilomètres carrés de paysages accidentés, de flore exquise et de faune fascinante. Elle est une des dernières régions sauvages encore intactes du monde, nombreux sont ses atouts à découvrir. Vous pourriez facilement passer trois ou quatre semaines à naviguer sur les mers de Patagonie. Avec autant de routes proposées, la meilleure approche consiste souvent à consulter un agent de voyages spécialisés afin de planifier au mieux votre itinéraire. Par exemple, un itinéraire faisant route vers le sud en direction de la pointe sud de la Patagonie pourrait commencer à Puerto Natales et se terminer à Puerto Williams. Sur le chemin, les navires peuvent repérer des baleines, observer les impressionnants glaciers de marée du Glacier Alley et franchir le puissant Cap Horn. Pendant votre voyage, vous pouvez également débarquer de votre bateau pour faire de la randonnée, du vélo ou du kayak dans ce paysage remarquable.
Croisière d’Expédition en Patagonie si vous n’êtes pas marinIl est indéniable que la meilleure façon de découvrir la Patagonie dans toute sa splendeur, est à bord d’un voilier. Cependant, ceux qui n’ont pas les connaissances nécessaires pour naviguer, peuvent toujours découvrir la majesté de la région à bord d’un navire. Australis est l’une des rares compagnies à organiser des croisières de luxe dans les fjords de Patagonie. Pour plus d’informations, téléchargez notre brochure.
Mirtha Salamanca faisait partie d’une délégation de membres des peuples Shelknam et Yagan, qui se sont rendus en France pour mener différentes activités. Elle a raconté les conférences et réunions auxquelles ils ont participé et a souligné l’importance de « récupérer ce qui nous appartient ». Elle a également exprimé un regard critique sur le travail d’Anne Chapman avec son arrière-grand-mère, Lola Kiepja.
« L’invitation personnelle était due à la lignée de Lola Kiepja, mon arrière-grand-mère. J’y suis allé avec deux frères du peuple Yagan, Víctor Vargas d’Ushuaia et José González Calderón de Puerto Williams, et nous sommes restés environ 20 jours très intenses. Nous avons participé au festival auquel ils nous ont invités, organisé depuis six ans, où il y a de la musique et où différents sujets sont abordés », a déclaré Mirtha Salamanca, membre du peuple Shelknam.
Dans des déclarations à l’émission de radio « Desde las Bases », elle a déclaré que « dans ce cas, le thème était les peuples indigènes. La grande surprise, pour ceux qui étaient présents, a été qu’il y avait des shelknam et des yagans, car la version officielle était qu’il n’y en avait plus. A partir de là, l y a eu des autorités très importantes, nous avons visité les musées, c’était un précédent très important et nous allons continuer parce qu’il y a beaucoup à faire”, a déclaré Salamanca.
Plus tard, elle a mentionné que « la connexion a été faite par Lauriane Lemasson, que j’ai rencontrée à Punta Arenas grâce à une invitation que m’avait adressée l’université et ensuite je l’ai rencontrée. Ce fut une grande surprise, elle fait un travail magnifique sur ce qui a à voir avec la toponymie de l’île, avec les sons de la nature, et ce travail a également été exposé au cours de ces journées », a souligné la membre du peuple Shelknam.
Prévoyant que la scientifique française « est sur le point de revenir en Terre de Feu, nous allons donc continuer à travailler. C’est très courageux, car cela sert à récupérer ce qui nous appartient. En France nous avons été en contact avec des étudiants universitaires, nous avons pu voir les archives d’Anne Chapman. J’ai pu voir quelques chroniques, c’est quelque chose avec lequel nous devons beaucoup travailler, nous devons profiter de cette opportunité”, a déclaré Mirtha Salamanca.
Puis elle a commenté qu’ils donnaient également « des conférences dans une université en Espagne, nous avons pris contact avec le directeur du musée de Berlin. C’est vraiment une activité qui nous a laissé beaucoup de choses et nous avons pu faire une demande concernant le retour des restes humains qui se trouvent dans ces musées », a-t-elle confirmé.
Critiques pour Anne Chapman
Dans le même sens, elle a mentionné que lors des entretiens, ils ont évoqué « ce qu’était le zoo humain, car c’était un exemple clair de racisme. Nous savons ce qui est arrivé à notre peuple et nous avons pu le dénoncer là-bas », a-t-elle fait remarquer. Plus tard, à propos du travail d’Anne Chapman, elle le remet en question et déclare : « Je dis toujours que mon opinion, en tant que membre de la famille, est celle d’un désaccord avec ce qui a été fait avec ma grand-mère. »
« Beaucoup disent que cela servait à protéger quelque chose de ma grand-mère, mais j’aurais préféré qu’elle n’ait rien laissé. Parce que nous savons que les chants chamaniques étaient privés, ce disque n’aurait pas dû exister et a également été utilisé à mauvais escient. Vraiment pour nous, en tant que famille, c’est quelque chose de très triste. Je considère qu’Anne Chapman est venue avec tout le matériel, avec tout l’argent, ma mère, par exemple, n’a pas voulu l’accueillir parce qu’elle ne nous respectait pas », a déclaré l’arrière-petite-fille de Lola Kiepja.
Elle raconte que lorsqu’elle et sa famille se sont présentés à l’anthropologue franco-américaine, « elle a répondu qu’elle n’allait pas nous aider, parce qu’elle avait travaillé avec « les vrais ». Ne connaissant pas notre lignée et notre appartenance, les gens ne savent pas que derrière ces archives se cache une histoire très cruelle. Elle a même dit que Lola avait eu « 12 enfants, six purs et six impurs », qu’est-ce que cela veut dire ? Elle n’avait aucun respect pour la famille », a insisté Salamanca.
Un peuple outragé et la nécessité de récupérer l’histoire
Au cours de l’interview, elle a déclaré : « Nous savons que notre peuple a été violé, maltraité, nous devons donc avoir un peu de respect pour cette histoire. Nous sommes un peuple qui reste silencieux, mais nous combattons et travaillons. Nous avons découvert un documentaire dans lequel apparaissaient des images de nous dont nous ignorions l’existence. Pris sans aucune autorisation, nous avons beaucoup de choses à sauver, beaucoup de choses sur lesquelles travailler », a-t-il prévenu.
Il a indiqué que « quelque chose de différent peut être fait, je dis toujours que nous avons un État absent. Nous avons une entité de contrôle qui est l’Institut national des affaires autochtones, mais nous devons d’abord dire que nous ne sommes pas un problème. Il semble que nous devons être à leur merci, nous avons nos lois qui doivent être respectées », a-t-il affirmé.
Mirtha Salamanca a déclaré que parfois « c’est très regrettable, nous pensons que dans les écoles, il faut toujours dire la vérité. C’est pourquoi je dis que nous sommes vivants, je pense que nous devons raconter ce qui est arrivé à notre peuple, avec la soi-disant conquête qui était en réalité une invasion de notre peuple et de tous les peuples d’Amérique. »
« Parce que nous sommes un peuple préexistant et qu’ils nous ont tout pris, ils nous ont pratiquement imposé leurs lois. Je respecte l’hymne, le drapeau, mais ils nous ont été imposés. Nous avions les haruwen, nos groupes familiaux. Nous vivions librement, dans la nature, en harmonie, puis tout s’imposait. Nous devons travailler dur là-dessus, essayer de récupérer notre culture et dire la vérité. C’est l’activité que nous envisageons », a conclu le représentant du peuple Shelknam.
Photo: Facebook Lauriane Lemasson
Source : https://www.infofueguina.com/tu-ciudad/rio-grande/2019/11/11/mirtha-salamanca-trabajar-para-recuperar-lo-nuestro-42827.html Traduit de l’espagnol apr l’association Karukinka
Dans la Bahía Inútil (Chili) une équipe de scientifiques a découvert une sépulture infantile appartenant à la culture Selk’nam, avec des caractéristiques uniques. Le trousseau qui l’accompagne présente des objets méconnus, ainsi que des objets funéraires inhabituels dans cette région.
Article paru en espagnol et traduit par l’association Karukinka. Titre original (espagnol) : “Aparecen objetos desconocidos en la sepultura de un niño Selk’nam en Tierra del Fuego”
Couples mandibulaires de guanacos adultes faisant partie du mobilier funéraire unique / Photos fournies par Thierry Dupradou
Le peuple Selk’nam de la Terre de Feu était une tribu qui vivait à la pointe sud de l’Amérique du Sud. Elle était composée de chasseurs-cueilleurs nomades qui subsistaient à l’origine grâce aux guanacos sauvages, aux oiseaux, aux rongeurs, aux coquillages et aux pinnipèdes (phoques, otaries et morses) qu’ils chassaient. Au début du XXe siècle, les maladies infectieuses et un génocide perpétré par les colons britanniques, argentins et chiliens en ont anéanti la plupart.
Avec leurs voisins, les Haush, cette tribu était l’un des rares groupes de chasseurs-cueilleurs d’Amérique dont les moyens de subsistance étaient limités à une seule île. Ses archives archéologiques sont abondantes, mais on sait peu de choses sur ses pratiques mortuaires.
Une étude internationale, dirigée par l’Université de Magallanes à Punta Arenas (Chili), avec la participation de l’Institut de biologie évolutive (UPF-CSIC), a décrit l’enterrement d’un enfant de cette tribu aux caractéristiques uniques, située à Bahía Inútil. La datation au radiocarbone situe la sépulture au début de la période postcolombienne.
« Ni en Terre de Feu, chilienne ou argentine, un trousseau similaire n’avait pas été trouvé aux côtés des restes humains de chasseurs-cueilleurs terrestres. Les biens étaient beaucoup plus simples, mais en général il s’agissait de sépultures d’adultes », explique à Sinc Alfredo Prieto, chercheur à l’Université de Magallanes, qui a dirigé l’étude publiée dans la revue The Journal of Island and Coastal Archaeology.
Dans l’ouvrage, Prieto et son équipe décrivent les matériaux archéologiques trouvés à côté du squelette d’un enfant très bien conservé. Ce qui frappe, ce sont les objets funéraires qui l’accompagnent, inhabituels dans cette région.
« Il existe plusieurs éléments mystérieux dont nous ignorons l’utilité. On ne sait même pas s’il s’agit de copies ou d’outils utilisés à l’époque. Il peut s’agir par exemple de reproductions d’outils en bois qui n’ont jamais survécu. Nous ne pouvons rien oser là-dessus non plus. Certains d’entre eux simulent des outils familiers, comme des pinces à feu. D’autres, comme les boules à rainures ou les outils en pierre, on sait qu’ils ont été utilisés », ajoute le scientifique.
Crâne d’enfant. Il apparaît brisé suite à son émergence du tombeau qui avait été érodé / Photo fournie par Thierry Dupradou
Os regroupés par paires
Les restes de l’enfant étaient accompagnés de modèles uniques d’objets en os. Il s’agissait principalement de fragments de becs de manchots royaux (75 % des restes) et de mâchoires de guanaco disposés par paires pour ressembler à des becs, ce qui est inhabituel et jamais observé auparavant dans d’autres tombes. Le manchot royal fait partie de la mythologie Selk’nam.
L’abondance, la densité et la diversité des tombes témoignent d’un ensemble matériel et culturel complexe, ainsi que d’un savoir-faire technique jusqu’alors inédit chez ce groupe de chasseurs-cueilleurs.
« Les paires de mâchoires du guanaco sont remarquables. Elles sont apparues ensemble par paires et l’une d’entre elles possède même des preuves d’amarrage. En raison du type de coupe et de la taille, il semble que leur fonction était de les utiliser comme becs, ce qui est très étrange », explique Prieto. On ne trouve rien de tel dans la littérature archéologique, nulle part dans le monde.
Ils ont également trouvé des matières premières lithiques, légèrement gravées, ce qui est relativement rare dans ces sites. Beaucoup de ces éléments n’avaient jamais été observés dans les archives archéologiques ou ethnographiques de la Terre de Feu.
« Une étrange pièce évoquant une navette révélerait des techniques de tissage de filets, mais c’est le seul fragment dont la forme semble induire une fonction. De plus, toutes les pièces sont des ensembles de paires structurelles ; entre le pointu et le fissuré, ou entre l’ouvert et le fermé, constitués de matériaux divers. Comme nous perdons l’intégrité du placement initial, nous ne savons pas vraiment s’ils faisaient partie de « mécanismes » plus vastes”, poursuit-il.
“Il existe plusieurs éléments mystérieux dont nous ne connaissons pas l’utilité”, explique Alfredo Prieto.
Une génétique particulière
Selon les archives archéologiques, il semble que la population de Selk’nam dépassait à peine 1 500 personnes, sur un territoire de près de 48 000 km2. De plus, jusqu’à présent, les scientifiques ne peuvent pas déterminer si ces individus étaient les descendants directs des premiers groupes qui ont peuplé l’île, ou s’ils sont arrivés plus tard.
Les restes humains de l’enfant révèlent qu’ils appartenaient à un jeune adolescent dont l’alimentation était majoritairement terrestre. Les analyses ostéologiques n’ont montré aucun problème osseux ni pathologie, suggérant qu’il s’agissait d’un individu sans aucune anomalie. “Nous ne connaissons pas les causes du décès”, ajoute l’expert.
Les informations ethnographiques indiquent que les décès d’enfants non dus à des accidents étaient incompréhensibles pour les Selk’nam, qui les imputaient généralement à un chaman d’un groupe ennemi et encourageaient les actes de vengeance.
Une autre particularité de cette découverte est qu’elle fournit la première preuve génétique du sous-haplogroupe mitochondrial D1g5 dans la population Selk’nam de la Terre de Feu. Ce fait pourrait indiquer que ses origines remontent à la première vague de colonisation humaine de l’Amérique du Sud.
« L’haplotype mitochondrial D1g5 n’a été décrit qu’en 2012, en partie parce qu’il a une répartition assez restreinte dans le sud de l’Amérique du Sud. Localement, dans le sud du Chili et en Patagonie, cela peut être assez courant. On estime qu’il a environ 15 000 ans, c’est-à-dire le résultat de l’arrivée de certains des premiers colonisateurs de l’Amérique et de leur dispersion ultérieure dans tout le cône sud”, explique Carles Lalueza Fox, chercheur à l’Institut de biologie évolutive. à Sinc ( UPF-CSIC) et co-auteur de l’étude.
Lieu de découverte à côté de la côte de Bahía Inútil, Terre de Feu / Universidad de Magallanes
C’est la première fois qu’il est décrit en Terre de Feu, mais cela concorde avec la possibilité qu’il y ait eu des contacts avec les populations locales au nord du détroit de Magellan. “Cela correspond également aux indications de restes marins, puisque l’enfant a été retrouvé sur la côte du détroit et bien que les Selk’nam étaient des chasseurs-cueilleurs terrestres, cela indiquerait moins d’isolement que ne le supposent les témoignages ethnographiques et plus de contacts avec les populations voisines, “, argumente Lalueza Fox.
Son équipe séquence actuellement certains génomes d’autochtones de la Terre de Feu pour les intégrer dans le contexte de la diversité génomique du continent américain. “Il est possible que nous trouvions des preuves de sélection naturelle et d’adaptation au froid dans certains gènes liés au métabolisme”, conclut-elle.
Seuls cinq autres haplogroupes d’ADNmt ont été découverts jusqu’à présent dans des échantillons provenant d’anciennes populations de cette région : celui de cet enfant Selk’nam, deux Yamana et deux Kawesqar.
Interaction avec d’autres cultures
L’enterrement témoigne d’interactions de grande envergure avec d’autres cultures, tant sur le continent qu’ailleurs sur l’île. Leurs voisins immédiats étaient d’autres groupes nomades, deux maritimes (Yamana et Kawesqar) et deux terrestres (Haush sur l’île et Aonikenk sur le continent).
Les Selk’nam n’étaient pas des marins, donc tous les objets de ce type trouvés dans la sépulture proviendraient de l’extérieur de la Terre de Feu, obtenus auprès de leurs voisins proches.
L’équipe séquence actuellement certains génomes des peuples autochtones de la Terre de Feu.
Les contacts directs et indirects avec ces groupes seraient cruciaux pour avoir accès à des animaux et à des matières premières exotiques, comme par exemple le nandou de Darwin (Rhea pennata), l’obsidienne verte ou les restes du mollusque D. magellanicum trouvés dans les sites de cette région. .
Le nandou de Darwin a disparu de la Terre de Feu à la fin du Pléistocène, et sa présence parmi les tombes signifie qu’il a probablement été importé de la steppe continentale.
De l’obsidienne avait déjà été découverte à Bahía Inútil, non loin de ce lieu de sépulture. D. magellanicum habite les profondeurs marines du détroit de Magellan et a probablement été collecté par voie maritime dans des bateaux. « Les Selk’nam n’étaient pas des marins », souligne Prieto.
Cet enterrement offre une fenêtre unique pour découvrir des aspects jusque-là inconnus de la société Selk’nam.
Haizebegi musikaren munduak festibala kari gomitatu dituzte Victor Gabriel Vargas Filgueira eta Jose German Gonzalez Calderon yagan populukoak; eta Myrtha Salamanga Selk’nam populukoa, Argentina eta Txileko Suaren Lurraldetik, Lauriane Lemasson antropologoaren bidez, zeinak tesiaren gaia, preseski, bi populuen memoria baitu. Beraien lekukotasuna garraiatu dute, populu horiek jasandako genozidioa odolean daramate, baina bizirik daudela aldarrikatzen dute, biziaren alde borrokatzen dira.
Zertara etorri zarete?
MYRTHA SALAMANCA:Selk’nam populuko jatorrizko gisa etorri naiz gure egia kontatzera.
VICTOR GABRIEL VARGAS:Konkista bat izan delarik, badelako beti menperatua eta menperatzailea. Eta kultura batek desagertu beharra du bertzearen supremaziarekin. Eta horixe egin dute; Argentinako leku askotan islatua dago kolonoaren eta konkistatzailearen pasaia: estatuetan, beirateetan… Alta, denboraren pasearekin ohartzen zara gauzak ez direla horrela.
Zer ekarri duzue hona?
M.S.:Lola izena eman zion zuriak, baina egiazki Kiepja zuen. Amama kendu egin didate, haren memoria. Ez zen bizi erraza izan emakumeentzat. Haren kantuak xamanikoak ziren, sendatzeko balio zuten. Eta antropologoek edatera eman zioten kanta zezan, eta oraingo egunean musika ere ematen diote. Baina kantu horiek bazuten beraien funtzioa. Eta hori oso barnetik daramat. Funtsean, nire herriko emazteek bizi izandakoa da: bakardadea, bortxaketak, misio salestarrera eramandako seme-alabengandik bereizketak, eta gizonen hilketak.
V.G.V.:Badugu soroa hiritik kanpo, zalapartatik urrun. Eta geure buruari galdetzen diogu ea gure aitatxi-amamek nahi ote zuten 2×2 metroko etxetxorik? Nahi ote zuten sedentarioa izan? Jakinez herri nomada zela eta enbor-azalezko kanoetan nabigatzen zutela. Historia ez da ehiztari indigenena. Edo lanaren truke gure jendeari ematen ez zitzaien saria. Bada nagusitasun gaitza. Erabakitzeko botere horrek gu baztertzen segitzen gaitu.
Bortxak zizelkaturiko herriak zarete.
V.G.V.:[Jose de] San Martinek Andeak gurutzatu omen zituen, eta indioekin, mulatoekin eta gautxoekin —Argentinako gautxoa ere bazterkina izan zen—, idatzia utzi zuenez. Haiekin zeharkatu zuen, ez baitzuten erabakitzeko botererik: «Bazatozte, edo bazatozte». Eta kontatzen du Buenos Airesko aberatsek hiru zerbitzari ematen zizkiotela beraien haurrak harekin joan ez zitezen.
M.S.:Amak beti uste izan zuen ez zuela amarik, harik eta 1979an agertu zen arte. Orduan kolpeak, arropa pozoituaren banaketa kontatu zizkigun, haurrei banatzen zitzaizkien goxoki pozoituak… Behin baino gehiagotan eskapatu zen herrietatik hamaika kilometrora zegoen misiotik, baina Poliziak harrapatzen zuen bakoitzean zafratzen zuen. Esklabotza modu bat zen. Bizkarra sahats adarrez jotzen zioten, odoletan uzteraino.
Amamaren bizkar.
M.S.:Horregatik, amamaren argazkia denetan ikusten dudalarik, musika modernoarekin… errespetua eskatzen dut. Eta inork baldin badu dudarik, etor dadila baimena eskatzera, ez dezala liburutik har; galde diezagula. Egia ez da asmatzen. Baina borrokatzen gara bizirik garela errateko; gure amama ez zen azkena: hor gaude gu.
Indigenaren kosmobisioa aipatu duzu?
V.G.V.:Farmaziako medikamentuetan indigenok ez ditugu kutxak ikusten, baizik eta zein landaretatik atera diren. Landareotatik kutxetara iristeko bide bihurria eginarazten dizute, eta hori da kapitalismoa. Eta zein da Argentinaren eta Txileren etsairik handiena? Indigena; indigenak nahi duelako zuzen joan, bide bihurririk gabe.
Kosmobisio horretan, gizakiok badugu arima bat, eta hura badoalarik, gorpuak lurperatzen genituen saiengandik babesteko… Zientziak dio: «Mitologia!». Ez, ordea: gizakiak ziren, eta orduko zeremonia horiek oraingo eskola eta hezkuntza ziren.
La sixième édition du festival Haizebegi, consacré aux « mondes de la musique » et aux sciences sociales, s’ouvre aujourd’hui à Bayonne. Pour son directeur, l’anthropologue Denis Laborde, l’étude des œuvres et des façons de faire de la musique offre un éclairage crucial sur les rapports sociaux.
Vous avez créé en 2014 à Bayonne un centre de recherche sur les musiques du monde (ARI) et le festival Haizebegi, qui mélange musique et recherche. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce festival? Denis Laborde1 : En langue basque, « haize begi » signifie « regard du vent ». La musique, comme le vent, ignore les frontières et porte témoignage. Elle dit quelque chose de celles et ceux qui la font, et elle constitue une magnifique porte d’entrée sur tous les univers de culture. Ce festival, que nous avons créé avec mes doctorants de l’EHESS, est unique en son genre. Il conjugue les sciences sociales (conférences, débats, colloques, publications) et la musique (concerts, films, expositions, danse).
Pour cette sixième édition, qui se déroulera jusqu’au 20 octobre, nous accueillons des musiciens syriens, cubains, argentins, kanaks, et des créateurs basques qui seront à l’honneur avec Rain of Music, un invraisemblable opéra pour robots, à la pointe des nouvelles technologies et composé dans le cadre d’un projet scientifique international. Nous accueillons aussi des Selk’nam et des Yagán de l’extrême sud de la Patagonie, grâce à l’ethnomusicologue Lauriane Lemasson qui leur consacre sa thèse. Ils viennent d’Ushuaïa, de Puerto Williams et du Cap Horn ; leurs ancêtres ont été exhibés dans des « zoos humains » lors de l’Exposition universelle de Paris en 1889, ou encore vendus aux enchères à Punta Arenas en 1895.
Pour évoquer cette mémoire douloureuse, nous organisons le 12 octobre une cérémonie de résilience : Lars Christian Koch, qui dirige le Phonogramm-Archiv de Berlin, leur remettra solennellement des copies des enregistrements sonores qui furent réalisés entre 1907 et 1923, par des missions ethnographiques allemandes en Terre de Feu. C’est une manière très symbolique de leur rendre la voix de leurs ancêtres.
Des Selk’nam ont été exhibés durant l’Exposition universelle de Paris en 1889. Nicolas Bancel et al.
Le festival, tel que nous le concevons, ne considère pas du tout la musique comme un instrument de divertissement : c’est un outil d’intelligibilité des sociétés humaines, qui fait de l’art de l’écoute une attitude de connaissance qui s’étend bien au-delà de la musique. C’est pourquoi un festival organisé par des chercheurs n’est pas la même chose qu’un festival organisé par des opérateurs culturels, ne serait-ce que parce que nous y associons un « programme » de 332 pages en forme de revue scientifique.
En quoi l’anthropologie de la musique consiste-t-elle ? D. L. : C’est une manière spécifique de saisir les « faits de musique ». Tout est parti d’une curiosité, d’une libido sciendi, et d’un désir de sauvetage, à quoi s’est ajouté un outil providentiel : l’écriture musicale sur portée de cinq lignes. Pendant plusieurs siècles, les transcriptions musicales permettent de « sauver » les musiques des autres ; les recueils et les chansonniers en portent témoignage.
Un festival organisé par des chercheurs n’est pas la même chose qu’un festival organisé par des opérateurs culturels.
Mais lorsque Thomas Edison invente son phonographe à cylindre, ce sont les sons que l’on conserve, et ce dès 1889. Que faire alors de ces rouleaux de cire ? On leur dédie de grandes phonothèques : à Vienne, Berlin ou encore Paris, avec les Archives de la paroles, créées par Ferdinand Brunot et Émile Pathé en 1911.
Les études sur les musiques de tradition orale se développent donc dans les musées. C’est une manière de préserver ce que l’on nommerait aujourd’hui un « patrimoine de l’humanité ». Puis les ethnomusicologues se posent des questions passionnantes : comment les répertoires s’inventent-ils, se stabilisent-ils, se diffusent-ils, s’influencent-ils ? Comment les transcrire, quelles sont leurs propriétés ? Comment peuvent-ils résonner en nous, susciter des pensées, des émotions, des états d’âme ? Comment mettent-ils les corps en mouvement dans la danse ou dans la transe ? Au-delà, nous pouvons analyser la façon dont des personnes se réunissent, font de la musique ensemble ; découvrir les significations culturelles qui leur sont attachées et la vie sociale de ceux qui fabriquent ces musiques.
Préparation des robots pour le spectacle Rain of Music, un opéra pour robots créé par les artistes et les informaticiens de l’Université du Pays basque, du Scrime et de l’ESTIA.
La musique a-t-elle une dimension universelle ou des significations diverses selon les cultures et les peuples ? D. L.: La musique a ceci en commun avec le langage qu’elle est une capacité de l’espèce humaine. Tous les êtres humains peuvent parler et faire de la musique. Il n’empêche que l’humanité parle des langues très différentes et joue des musiques distinctes. Les capacités humaines sont « phylogénétiquement déterminées et culturellement déterminantes », nous dit Dan Sperber3. C’est cela, l’universalisme de la musique. Mon chien Mugi essaie de parler, de chanter même. Je sens bien qu’il progresse, mais ça ne vient pas. J’ai dû renoncer : il lui manque une détermination phylogénétique.
Donc pour répondre à votre question : oui, la musique a une dimension universelle en ce sens que c’est une capacité commune à l’espèce humaine. Pour autant, être universaliste ne signifie pas que l’on cherche à construire une théorie générale de la musique qui vaudrait de tout temps et en tous lieux. Chaque occasion de musique est unique et nous l’étudions en tant que telle. Ensuite, nous mettons en série tous les cas étudiés, et nous voyons si nous pouvons généraliser, ou pas. Mais le souci de généralisation n’intervient qu’après les analyses in situ, sinon le regard est biaisé.
(…) Les personnes en déshérence peuvent être des porteuses de traditions qu’elles mettent en partage.
Pourriez-vous donner une illustration concrète, d’une étude que vous mèneriez actuellement par exemple ? D. L. : Depuis 2015, je m’intéresse aux pratiques musicales des personnes qui se trouvent en situation de migration forcée. Il y a désormais un fort afflux de migrants au Pays basque. Ils traversent la péninsule Ibérique et se retrouvent à Bayonne, où l’Institut des sciences humaines et sociales du CNRS vient d’installer notre institut ARI (pour Anthropological Research Institute on Music)4.
Cet afflux est remarquablement géré par la ville et par les bénévoles regroupés en associations. Il faut que cela se sache : le centre Pausa a accueilli 10 000 migrants en moins d’un an dans une dynamique extrêmement positive. Dans le cadre de l’institut, nous développons un programme pour comprendre ce qui se joue lorsque des migrants font de la musique dans ces lieux de répit.
Festival Haizebegi 2017, Ritos de la Tunda
À l’automne 2015 par exemple, le village de Baïgorry a accueilli pendant trois mois cinquante migrants venus de Calais : à la fin de l’hiver, ces migrants veulent remercier ce village qu’ils s’apprêtent à quitter. Ils demandent des instruments, on leur apporte un violon, une flûte, des percussions… Et cette « fête interculturelle » du 31 janvier va devenir pour les habitants un moment de sidération : chacun découvre que ces personnes en déshérence peuvent être des porteuses de traditions qu’elles mettent en partage. Cela change radicalement le regard que l’on porte sur elles. C’est à cela que nous nous intéressons, avec l’appui de l’Institut Convergences Migrations dont nous sommes partie intégrante.
Mais nous voulons aller plus loin. Si l’expression musicale transforme les représentations que nous nous faisons des migrants, pourquoi les chercheurs ne travailleraient-ils pas avec les institutions culturelles pour faire de la musique l’instrument d’une dignité retrouvée, voire un outil d’intégration ? C’est tout l’enjeu de l’extension aux pratiques artistiques du Programme national d’aide à l’accueil en urgence des scientifiques en exil (Pause) du Collège de France, auquel nous sommes associés. L’expertise acquise à Bayonne montre que cet enjeu est tout à fait considérable.
Une large partie de vos travaux portent aussi sur la création musicale et l’improvisation… D. L. : Cela me passionne ! On associe les musiques traditionnelles à la répétition à l’identique de schémas dont « la tradition » interdirait de sortir. Or, c’est tout le contraire ! L’histoire des traditions musicales est faite de moments de stabilisation des répertoires, puis de gestes déviants produits par des musiciens inventifs. La plupart de ces gestes passent inaperçus, d’autres créent des polémiques, d’autres enfin sont implémentés et modifient durablement les manières de faire. C’est de cette manière qu’une tradition reste elle-même, en changeant au fil du temps. Le cas de l’improvisation est un cas extrême. On a tendance à penser que tout se passe spontanément, qu’il suffit de laisser libre cours à son inspiration. Or, on ne s’improvise pas improvisateur…
Dans La Mémoire et l’Instant5, j’ai montré que ces poètes basques qu’on appelle bertsulari (faiseurs de vers) rencontrent peu de succès lorsqu’ils s’enferment dans leur paysage mental. Les meilleurs improvisateurs et les meilleures improvisatrices – car les femmes sont aujourd’hui les championnes – sont celles ou ceux qui entrent en communication avec le public. Ils intègrent ses réactions dans leurs improvisations et chaque spectateur a le sentiment d’en devenir un coauteur.
Haizebegi 2017
Vous étiez musicien avant de basculer dans la recherche. Comment avez-vous bifurqué ? D. L. : J’ai fait mes études au Conservatoire national supérieur de musique de Paris. J’ai donc grandi dans ce monde très concurrentiel de la musique savante occidentale, un monde dans lequel on est déjà trop vieux à 14 ans ! Mon dernier engagement comme chef d’orchestre fut la direction des Crystal Psalms d’Alvin Curran à Radio France pour New Albion Records, une firme de San Francisco. Puis ce fut l’anthropologie. Je me suis alors départi de ces jugements de valeurs que j’avais intégrés à mesure de ces années, et le monde est devenu plus vaste.
Haizebegi 2015
Depuis, je cherche à investir dans la recherche scientifique les capacités créatives développées dans la pratique artistique. Dans ma pratique de l’anthropologie, je m’inspire de Bach qui envisageait la composition musicale par l’action. Bach n’était pas un théoricien en ce sens qu’il n’a jamais écrit de traité de fugue. Mais il a composé L’Art de la Fugue… auquel tous les traités se réfèrent comme à un chef-d’œuvre de l’esprit humain. C’est dans cette approche active que s’inscrit le festival Haizebegi.
Je suis de ceux qui cherchent à réinventer le métier de chercheur en sciences sociales. Je ne travaille donc pas à construire une théorie universelle de la musique, mais je fais de mon engagement dans le monde un exemplum. Alors non, je ne joue plus de piano, je ne compose plus, ni ne fabrique de musique. Mais c’est parce que nous sommes en situation d’urgence. L’anthropologie exige un engagement total. Ça vous prend la vie. ♦
1.Ethnologue, directeur de recherche au CNRS et directeur d’études à l’EHESS, Denis Laborde est spécialiste d’anthropologie de la musique.
2.Ce projet fait collaborer les artistes de l’Université du Pays basque (Bilbao), les informaticiens du Scrime (LaBRI, unité CNRS/Université de Bordeaux, Bordeaux INP) et de Estia-Recherche à Bidart.
3.D. Sperber, Le Symbolisme en général, Paris, Hermann, 1974.
4.Basque Anthropological Research Institute on Music, Emotion and Human Societies. Équipe du Centre Georg Simmel (unité CNRS/EHESS).
5.La Mémoire et l’Instant. Les improvisations chantées du bertsulari basque, Donostia, Elkar, 2005, 349 p.