Journal de bord de notre navigation en voilier en Terre de Feu argentine, de Rio Grande à Ushuaia, en passant par le détroit de Le Maire, séparant la Péninsule Mitre et l’Île des Etats.
Nouvelle matinée avec un soleil magnifique ! Nous quittons la Caleta Misión et saluons toutes voiles dehors la plus grande ville de la province de Terre de Feu argentine : Rio Grande.
Une auditrice de la radio locale « Aire Libre » nous prend en photo et relaie sur les réseaux sociaux ce surprenant cliché d’un voilier en Terre de Feu !
Navigation au près à 5 nœuds, avec une bonne brise de 10/12 nœuds qui nous permet de profiter du paysage des côtes désertes de la Grande Île de Tierra del Fuego. Dans l’après-midi, nous retrouvons des amis fidèles depuis le départ de Buenos Aires : une bonne quinzaine de dauphins de Commerso ! Ils nous escortent à nouveau pendant plus d’une heure, pendant que quelques pétrels et albatros profitent des bourrasques pour planer autour de nous. Tout ce « raffut » réveille une otarie qui dormait sur le dos enroulée dans du kelp et ouvre de grands yeux étonnés à notre approche ! Encore une nouvelle journée de navigation exceptionnellement clémente alors que nous sommes par 54 degrés Sud, et suivie d’une nuit calme.
Les conditions sont toujours parfaites pour la région : sous un ciel couvert et un vent de travers de 12/15 nœuds, Milagro file, avec un peu d’aide du courant, à plus de 8 nœuds de moyenne. C’est très régulier et très confortable. Pour une fois on pourrait presque laisser trainer des affaires à bord et les retrouver au même endroit une heure après ! Vers 4h du matin, quelques gouttes de pluie tombent : les premières depuis Bahia San Blas.
6h15, mon quart est terminé mais, avant d’aller retrouver ma couchette, je traine encore pour profiter du calme du lieu. Lauriane prépare le café pendant que mon regard s’attarde en direction de la poupe du navire. Soudain, un aileron noir sort tout droit de l’eau, et monte, monte… c’est énorme, 1,20m de haut peut-être, annonçant l’arrivée en surface d’un gros mâle orque épaulard qui fait entendre son souffle puissant dans le calme de l’aube. Il est accompagné de sa femelle, plus petite et qui se distingue par un aileron beaucoup plus petit en forme de faux, semblable à celui d’un dauphin. Sitôt aperçus, sitôt disparus dans les profondeurs mystérieuses de l’océan… puissance et joie des rencontres éphémères…
Nous atteignons au même moment la pointe San Diego, l’extrémité Est de la Terre de Feu argentine. Depuis peu cette partie de la Grande Île, appelée Péninsule Mitre, est une réserve naturelle protégée. Elle comprend de grandes étendues de tourbières, de nombreuses rivières et des montagnes jamais visitées. C’est un peu la région « oubliée » de la Terre de Feu et où se trouvent un véritable puit à carbone et un sanctuaire pour la faune et la flore fuégiennes. C’est dans ces environs que nous croisons de grands groupes d’albatros, dont un bon nombre de jeunes encore mal habiles avec leurs grandes ailes au moment du décollage.
Extrait de notre navigation à la voile et au portant dans le détroit de Le Maire
A 9h, c’est l’empannage pour entrer dans le détroit de Le Maire, passage maritime mythique. Les conditions changent et de nombreux animaux (dauphins australs, otaries, pétrels et albatros à sourcils noirs) se succèdent pour nous accompagner. Le fort courant de marée est visible à la surface, rappelant par moment à Damien et Lauriane le Corryvreckan passé il y a quelques mois en Ecosse. Au moment de traverser par ce détroit, il ne faut pas se louper car en fonction du cumul vent et courant de marée, ça peut être un vrai jackpot : des vagues statiques peuvent y dépasser les 8 mètres, soit autant de murs infranchissables une fois pris dans la tourmente. Un bref coup d’oeil à une carte des épaves suffit à faire le parallèle entre ces parages et ceux du célèbre cap Horn situé à quelques dizaines de milles nautiques plus au sud.
Au portant dans le détroit de Le MaireAude et Clément, bien emmitouflés…
Sur notre bâbord nous apercevons au loin le relief tourmenté de l’île des Etats où se trouvent réunis le « phare du bout du monde » pour les amateurs de Jules Verne, « l’île de l’abondance » (« Chuanisin ») pour les yagan qui venaient y pêcher avec leurs canoës d’écorce, et « la Cordillère de l’Infini » que les chamans selknam n’hésitaient pas à invoquer durant leurs rituels. Apercevoir les montagnes de l’Île des États depuis le cap San Diego par mauvais temps doit avoir quelque chose d’ineffable.
Les lumières changeantes et les bancs de brume de la Péninsule Mitre, depuis le détroit de Le Maire
Les reliefs de la côte de la péninsule Mitre sont enveloppés de nuages bas et d’écharpes de brume, donnant à l’ensemble une ambiance digne des meilleures séquences photo de Jurassik Park ! Nous enchainons les manoeuvres d’empannage, entrecoupées par un « dej » dont Aude a le secret. Tout le monde est sur le pont pour ne pas perdre une seule miette de cette traversée du détroit et contournement de la pointe de l’île de Terre de Feu. Une dizaine d’otaries à fourrure nagent et plongent sur notre arrière quand un extraordinaire « barrage flottant » se dresse devant nous : des centaines d’albatros sont posés sur l’eau pour une raison que nous ignorons, juste devant notre étrave ! C’est à peine s’ils se déplacent pour nous laisser passer et nous nous gardons bien de trop les déranger.
En début d’après-midi nous ne sommes plusqu’à 100 nautiques d’Ushuaia !! Peu avant d’aller mouiller pour la nuit dans la baie Aguirre, nous distinguons les souffles de nos 4 premiers rorquals australs ! Nous nous mettons à la cape pour mieux apprécier leur proximité et le son de leur souffle puissant et tenter d’écouter ce qu’ils se racontent sous l’eau à l’aide de l’hydrophone. En fin d’après-midi nous atteignons Puerto Español et jetons l’ancre pour profiter d’une vraie nuit avant de reprendre notre route vers l’ouest.
Réveil 6h, départ à 7h sous un ciel bas et gris et une petite pluie fine et froide : finie la période de « sécheresse » entre Buenos Aires et Rio Grande, place au climat subpolaire humide des canaux de Patagonie ! Au fil de la matinée, le ciel s’assèche, des éclaircies parviennent à s’imposer tandis que des grains tombent ici ou là dans le lointain. Comme en Islande, ce sont les 4 saisons chaque jour ici ! D’ailleurs, de subpolaire en matinée, l’atmosphère devient printanière dans l’après-midi.
Conditions printanières dans le canal Beagle à bord du voilier Milagro
Nous approchons des premières îles marquant l’entrée du Canal Beagle : Nueva, Picton et Lennox, et c’est la profusion de couleurs : blancheur des premiers névés, nuances de verts de la forêt dense et tordue par les vents, et le panel des gris et ocres des roches nues. Une importante faune continue de nous accompagner : manchots de Magellan, otaries à fourrure, albatros, cormorans et nos premières sternes arctiques. Et le souffle puissant de plusieurs rorquals qui se prélassent au pied des falaises du canal.
Ecoute des rorquals avec matériel (hydrophone, ampli et casque) que nous avons à bord
A la mi-journée le canal Beagle se transforme en lac et il n’y a pas un souffle d’air ! Nous sommes contraints d’avancer au moteur, en attendant que le vent revienne. En fin d’après-midi, nouvelle séquence émotion. Nous arrivons en face de Puerto Williams, la ville (3500 habitants) la plus au Sud du globe. Elle se situe sur l’île chilienne Navarino, dominée par les sommets découpés des Dientes de Navarino. Au soleil couchant, José, un ami proche et de longue date de Lauriane nous fait signe depuis la rive. Nous le distinguons au loin, accompagné de son ami Miguel et de sa petite chienne Fea-Fea, et lui faisons de grands signes. José n’est pas n’importe qui : il est l’ex-président de la communauté Yagan de l’île Navarino, pêcheur et artisan, mais aussi et surtout une encyclopédie vivante de sa culture et de la cartographie régionale.
José vient saluer notre arrivée depuis la plage (Puerto Williams, île Navarino, canaux de Patagonie, Chili)Milagro photographié depuis Puerto Williams par José Germán González Calderón lors de notre arrivée dans le canal Beagle
Arriver ici après un si long voyage est quelque chose d’énorme pour nous, : nos familles et amis nous suivaient grâce au tracker. Mais découvrir à quel point nous étions attendus ici par des locaux donne une dimension toute autre et puissante que nous commençons à vraiment réaliser depuis Rio Grande.
Ne souhaitant pas arriver à notre destination de nuit et pour profiter des derniers instants de calme avant de retrouver la ville, nous mouillons à 10 milles nautiques d’Ushuaia, à 1h du matin.
Itinéraire de notre voilier en Terre de Feu argentine
Vendredi 24 Janvier 2025, 24ème et dernière matinée de cette navigation hauturière le long des côtes argentines : nous arrivons au bout du bout de la Patagonie argentine, à Ushuaia ! Je me fais réveiller par l’équipage car, après des jours de comique de répétition à sortir la tête par la descente pour demander si nous étions enfin arrivés à Ushuaia, cette fois c’est vrai, nous y sommes ! La ville et les reliefs alentours me semblent identiques à mes souvenirs de 2013. C’est la fin d’une navigation de >2000 nautiques, 24 jours dont quelques escales pour éviter du mauvais temps ou permettre à des équipiers de retourner au travail dans les temps impartis, du chaud sec, puis du froid humide, et finalement une traversée des quarantièmes rugissants et des cinquantièmes hurlants dans des conditions très favorables !
Entrée dans la baie d’Ushuaia en voilier… un rêve qui se réalise pour notre équipage
Nous voilà amarrés au ponton du club Afasyn, face à la ville. C’est un peu mythique tout ça puisque c’est d’ici que partent les voiliers vers les canaux et la péninsule antarctique. Si on m’avait dit qu’un jour je serais sur un voilier à quai de ce ponton… je n’y aurais pas cru !
Milagro est amarré au club Afasyn, juste derrière le voilier d’expédition Spirit of Sydney (Ushuaia, Tierra del Fuego, Argentine)
Nous rangeons rapidement Milagro afin d’aller nous dégourdir les jambes en ville et faire les démarches administratives qui s’imposent (préfecture navale et douanes). En soirée nous partons fêter notre arrivée avec quelques plats de « terriens » dignement arrosés.
Naviguer jusqu’à Ushuaia en voilier, défi relevé !
Partis de Saint Nazaire, Milagro et son équipage sont arrivés et cette arrivée sonne aussi comme un nouveau départ : cap vers les canaux de la Réserve de Biosphère du Cap Horn, où il y a tant à étudier et à explorer.
Notre départ de Camarones se fait sous voile, nous permettant une bonne moyenne de vitesse jusqu’à ce que le vent faiblisse trop fortement, nous obligeant à un peu de moteur en fin d’après-midi. Naviguer en Patagonie c’est toujours faire l’expérience de conditions changeantes !
Nous accompagnent pendant plusieurs dizaines de milles nautiques des goélands faisant de la patinette sur les panneaux solaires. Nous nous amusons de ce petit groupe aux mouvements synchronisés avec ceux du navire et de leurs prises de bec (au sens propre et figuré!). Le caïd de la bande, au bec déformé par les affrontements, se fait respecter et conservera lui la meilleure place tout du long !
Réunion de goélands sur les panneaux solaires (descente de l’Argentine, Patagonie en voilier)
Le vent revient dans la soirée et pour le quart de début de nuit, 25/30 nœuds, Milagro file à 7/8 nœuds. Avec ses 45 tonnes, le « Gro » aime la brise. Force 6-7 pour lui (et pour nous) c’est parfait : sa masse et son inertie lui permettent d’écraser la houle et de conserver sa vitesse. Le crépuscule est magnifique : Vénus, Mars et la Lune se lèvent sous l’œil de la Croix du Sud, tandis que le vent, parfaitement régulier, permet de ne pas toucher aux réglages des voiles pendant plusieurs heures.
[Cap au Sud #12] de Buenos Aires (Argentine) à Puerto Williams (Chili) Troisième partie 34Coucher de soleil sur le phare de Puerto Deseado (Patagonie argentine)
En fin de nuit le vent retombe mais la journée est magnifique : pas un nuage de la journée et en t-shirt dans les 40e Sud ! Une troupe (20 à 30 individus) de dauphins de Commerson nous escorte cap au 180° et régulièrement se joignent à eux des dauphins Lagénorhynchus australis (aussi appelés Dauphins de Peale), plus grands et tout aussi joueurs avec Milagro. Ils sautent hors de l’eau et se croisent de la proue à la poupe.
Dauphin de Commerson jouant à la proue du voilier en Patagonie (Atlantique Sud)
Cette journée de calme nous fait alterner voile et moteur et se termine par un superbe coucher de soleil. Cette descente de l’Atlantique Sud nous permet de contempler des nuits étoilées inoubliables, avec pour seule pollution lumineuse les feux de navigation du navire. La Voie Lactée, le nuage de Magellan et les constellations de l’hémisphère Sud semblent à portée de main depuis le grand large et c’est un des luxes qu’offre la navigation hauturière.
Et une bougie pour Milagro, Damien, Lauriane et Toupie : il y a un an tout juste ils arrivaient à Nantes ! Que de chemin parcouru depuis ! Vous remarquerez que, comme pour le cap Nord (Nordkapp, Norvège), le pâté Hénaff était de sortie…
Mon quart de fin de nuit se déroule dans un grand calme et la nouvelle journée s’annonce aussi belle que la précédente ! Les conditions sont toujours incroyablement clémentes alors que nous approchons du 49ème degré Sud ! La faune australe commence à bien se manifester : nous croisons nos premiers lions de mer parfois réunis autour d’un radeau improvisé de branchages et observons de magnifiques albatros qui survolent Milagro. Dans le lointain nous apercevons le souffle d’une baleine, une première qui, espérons le, en appellera beaucoup d’autres ! Nous filons toutes voiles dehors, toujours plus au sud pour quitter les Quarantièmes Rugissants et entrer dans les Cinquantièmes Hurlants.
Rencontre entre un lion de mer et une océaniteAlbatros sur bâbord !
La nuit suivante je suis réveillé par les mouvements du navire qui me secouent dans ma bannette. En prenant mon quart à 8h sur le pont, l’atmosphère a bien changée : une forte houle s’est installée et les crêtes des vagues commencent à se briser et blanchir. Force 7-8 et des creux d’environ 2,50m. L’océan nous rappelle que nous approchons les 50èmes. Ça ne me fait pas du tout la même impression que la Manche par force 7, c’est plus hostile, plus rude. Ici il n’y a personne pour nous aider rapidement en cas d’urgence, d’où la vigilance accrue de l’équipage lors des manœuvres et l’importance de veiller les uns sur les autres. Je ressens vraiment l’immensité et la dureté de cette région réputée inhospitalière, sensation contrebalancée par la carcasse massive et rassurante de Milagro qui semble trouver toute sa mesure dans ces conditions un peu plus exigeantes.
Avec le bateau ballotté par l’océan ça va être pour moi une après-midi de repos et farniente à écouter de la musique sous la couette car ça bouge et il commence à faire frais. Toupie la mascotte corgi est quant à elle fidèle à ses habitudes, drôle et imperturbable quelles que soient les conditions. Elle se prélasse dans sa douillette niche du carré tout en veillant sur les entrées et sorties de « son » équipage, réclame jeux, biscuits et câlins. Par contre à l’heure des croquettes plus rien d’autre n’existe : elle intègre le rythme de la houle et attend patiemment, en équilibre avant-arrière et gauche-droite sur ses pattes, le moment opportun pour traverser dans la foulée du carré jusqu’à la cuisine et sa gamelle.
Toupie, marin expérimentée et welsh corgi mascotte du bord !
Nous sommes à moins de 50 milles nautiques du détroit de Magellan et 150mn de Rio Grande, la grande ville argentine du Nord-Est de la Grande Île de Terre de Feu. Dans la soirée nous laissons sur notre tribord l’embouchure Est du détroit de Magellan pour continuer notre descente de l’Argentine en voilier et atteindre progressivement les eaux fuégiennes.
L’agitation de la mer diminue durant la nuit, la houle tombe à 1,5-2m et le vent faiblit à 20/25 nœuds. Nous avançons à >7 nœuds avant le retour de la pétole, d’une mer d’huile et du ronronnement du moteur. Aujourd’hui c’est ma fête, la Saint Sébastien et notre maîtrise du timing est telle que nous arrivons ce même jour au large de la baie… San Sebastián ! Cette immense baie du Nord de l’île de Terre de Feu est partiellement protégée par une longue langue de terre : la Punta Páramo. J’avais exploré ces environs avec Lauriane en 2013 et y revenir 12 ans après à la voile est toujours synonyme d’aventure et de grands espaces.
Petits pétrels de l’Atlantique Sud
A la mi-journée nous arrivons enfin en vue des côtes de cette terre mythique. Comme le dit Lauriane, on ne se lasse pas de la Terre de Feu, plus on l’explore plus on se rend compte de sa richesse, les amis deviennent une deuxième famille, et revenir devient un véritable besoin car, bien au-delà des recherches scientifiques menées, une part de soi est désormais là-bas.
[Cap au Sud #12] de Buenos Aires (Argentine) à Puerto Williams (Chili) Troisième partie 35Aude, Sébastien et Clément à la proue du voilier Milagro, à l’approche de la Caleta Misión (Rio Grande, côte Atlantique de l’île de Terre de Feu argentine)
Il est 15h lorsque Milagro jette son ancre pour la première fois en Terre de Feu, plus précisément dans la Caleta Misión, petite échancrure dans cette côte parsemée de récifs et située à proximité du Cabo Domingo. Il nous faut anticiper les changements de marées car le marnage nous rappelle celui de la Bretagne nord : entre 6 et 12m !
[Cap au Sud #12] de Buenos Aires (Argentine) à Puerto Williams (Chili) Troisième partie 36[Cap au Sud #12] de Buenos Aires (Argentine) à Puerto Williams (Chili) Troisième partie 37
Face à nous une immense plage de sable précède les étendues fuégiennes : la pampa et ses herbes jaunies par le vent et le froid, que seuls les lointains reliefs de la Cordillère Darwin interrompent à l’horizon. Près de nous, au sud, une digue délabrée depuis plusieurs décennies, le « futur » port de Rio Grande et au loin la ville. Un petit ilot voisin du navire héberge ses colonies d’animaux : au « rez de chaussée » les lions de mer et dans les « étages » des couples de cormorans et quelques manchots de Magellan (les fameux « pingüinos »).
le Cap Domingo, la jetée du « futur » port de Rio Grande et Milagro au mouillage (c) Maria LokvicicLe voilier Milagro au mouillage à Rio Grande (c) Maria LokvicicNous y sommes ! Le voilier Milagro sur la côte atlantique de Tierra del Fuego argentine (c) Maria Lokvicic
Les conditions sont aussi idylliques qu’inespérées : depuis des semaines les conditions étaient dantesques et il aurait été inenvisageable de faire escale ici. A notre arrivée c’est mer d’huile et grand soleil. Nous sortons la pavillonnerie : les pavillons breton et français sont remplacés par de nouveaux et le drapeau de la province de Terre de Feu argentine prend place, celui-là même qui avait été offert à l’association lors de la venue en France de Mirtha Salamanca, en 2019. Comme elle le dira plus tard : « Vous êtes les bienvenus et la Terre de Feu vous accueille comme il se doit, comme vous le méritez ».
Les drapeaux Breton, de Karukinka, argentin et de la province de Terre de Feu sont tous de sortie pour l’occasion !
L’arrivée de Milagro fait sensation dans cette ville de >100000 habitants qui ne voit jamais de voilier (le dernier en date, un voilier russe, avait fait naufrage sur les plages du quartier de la Margen Sur en 2014…). Il n’y a pas le moindre petit port et c’était un véritable défi pour nous d’y faire escale pour fêter notre arrivée à Karukinka, la Terre de Feu en langue selk’nam. De nombreuses voitures s’arrêtent pour prendre des images, des vétérans de la guerre des Malouines sont aux abois et nous aurons même les honneurs des informations de la radio locale !
Le voilier Milagro filmé depuis le Cap Domingo par un habitant de Rio Grande (Tierra del Fuego, Argentine)
En soirée c’est au tour des retrouvailles sur la plage avec les amis de longue date : Mirtha, Alejandro, Maria, Ezequiel dit « Vaina », José et sa compagne Adriana. Maté, facturas et embrassades… l’émotion est palpable car depuis des années Lauriane leur disait qu’elle reviendrait un jour à la voile. Les années passaient et c’était presque devenu une blague à chacun de ses retours en avion… et là… c’est avec une certaine stupéfaction que s’exprime « Lo hiciste boluda ! »… Car oui, c’est sa marque de fabrique : contre vents et marées elle ne cesse de travailler et n’abandonne jamais ses rêves, nous embarquant de près ou de loin tous dedans !
Retrouvailles en Terre de Feu, pas même le temps de retirer le gilet pour la photo pendant que Damien gère l’annexe! (plage de Rio Grande, Patagonie argentine) (c) Maria Lokvicic
Tout ce petit monde prend donc place dans l’annexe, grâce à une méthode de portage que seul Damien maîtrise dans sa tenue de Casimir (à cheval sur son dos !). Après visite de notre chaleureux Milagro, nous fêtons tous ensemble et dignement notre arrivée en Terre de Feu, qui plus est le jour des 30 ans de Clément ! Le retour sur la plage sera lui aussi inoubliable, par une nuit sans Lune et avec la houle qui va bien pour remplir les bottes au moment de débarquer sur la plage.
Damien et Mirtha (Caleta Misión, Rio Grande, Tierra del Fuego)Damien, Maria et Mirtha (Caleta Misión, Rio Grande, Tierra del Fuego)Vaina contemple le cap Domingo depuis le voilier Milagro (Terre de Feu argentine)Alejandro Pinto et Vaina, dans le cockpit de Milagro
Au petit matin nous devrons reprendre notre route pour contourner la péninsule Mitre, les prévisions météo sont parfaites. A croire que les divinités fuégiennes nous ouvrent grand les bras pour ce retour dans les canaux de Patagonie.
Lettre de la Communauté Kawésqar à l’exécutif des élevages de saumon Carlos Odebret : « Vous avez lancé une croisade de haine contre nous" (23/06/2025, Mapuche Diario) 39
Dans le cadre des projets de développement d’élevages de saumon dans la région de Magallanes (Patagonie, Chili) la communauté kawesqar lutte.
Monsieur Carlos Odebret Président de Salmones Magallanes
Depuis notre communauté indigène kawésqar, Groupes Familiaux Nomades de la Mer, nous vous adressons nos salutations. Nous ne répondrons pas aux arguments que vous avez publiés dimanche dans le Magallanes, car, tout comme les données de production de l’industrie que vous dirigez, ils sont faux, ce sont des mensonges.
Nous savons que ce qui vous dérange, c’est que nous ne nous soyons pas inclinés à vos pieds comme tant d’autres que vous manipulez à votre guise. Sachez que nous avons un engagement envers nos anciens et donc envers notre territoire, chose que vous ne comprenez sûrement pas, et nous pouvons le comprendre, car vous n’avez pas le cœur d’un indigène comme nous.
Vous avez lancé une croisade de haine contre nous, car vous ne pouvez pas comprendre que de simples habitants, étudiants, pêcheurs, artisans indigènes puissent s’opposer à la dévastation menée par l’industrie. Vous nous privez de nos droits, comme si nous ne pouvions pas chercher les outils nécessaires pour dénoncer la destruction de notre mer.
Nous souhaitons vous préciser quelque chose de très simple : ici, personne ne dirige les communautés, et nous comprenons aussi que vous ne puissiez pas le comprendre, vous êtes habitués à avoir des chefs. Dans notre communauté, cela n’existe pas, nous n’avons pas non plus l’habitude de diriger d’autres communautés, car, comme vous le savez, chacune jouit d’une totale autonomie.
Monsieur Odebret, parlons de colonialisme. Vous osez nous désigner comme si vous étiez le patron de Magallanes, n’est-ce pas là du colonialisme ? Qui êtes-vous pour restreindre notre autodétermination ? Vous parlez de Juan Carlos Tonko comme s’il était un exemple de « bon indigène », mais vous ne dites pas qu’il jouit de toute votre sympathie et qu’il a rejoint l’industrie destructrice, comme beaucoup d’autres, ce qui est sa totale liberté, mais cela détruit toute objectivité.
Monsieur Odebret, enfin, nous voulons vous faire une invitation. La première est de ne pas mentir : mentir nuit au monde, aux personnes et aux systèmes. Un exemple clair est ce qui se passe au niveau mondial. Nous n’avons rien d’autre que la mémoire de nos anciens kawésqar, mémoire que vous voulez effacer.
La seconde, c’est qu’avant de nommer notre communauté, nos alliés et notre représentante, vous devriez laver votre bouche avec du savon, car vous ne mesurez pas le mal que vous causez.
Nous vous saluons en espérant que cette lettre parvienne à votre bureau.
Communauté Kawésqar Groupes Familiaux Nomades de la Mer Puerto Natales, 23 juin 2025
Lettre de Carlos Odebret
Monsieur le Directeur,
A Magallanes, où plus de 99 % du littoral est sous une forme de protection, les tensions entre protection environnementale et développement productif sont structurelles. Il n’est pas surprenant que ce territoire soit devenu un terrain idéal pour les ONG internationales qui, de loin, y trouvent une vitrine parfaite pour porter des causes globales. Mais lorsque cette influence se manifeste par des litiges systématiques et sans ancrage territorial, une question inévitable surgit : quand un recours légitime devient-il une stratégie de blocage ?
Un exemple de plus en plus évident est celui du groupe Communautés Kawésqar Nomades de la Mer, dirigé par Leticia Caro, qui a mené une stratégie judiciaire soutenue avec des ONG comme FIMA, AIDA et Greenpeace. Ils ont présenté des recours devant la Cour d’Appel — y compris un récent pour le rejet d’une demande de terres fiscales — et onze plaintes devant le Tribunal de l’Environnement contre des projets d’investissement : centres d’élevage, usines, travaux publics, sans distinction d’échelle ni d’origine.
Le cas le plus illustratif est la demande d’ECMPO (Espace Marin Côtier des Peuples Autochtones) « Kawésqar – Última Esperanza », déposée en 2018, qui déclarait ouvertement vouloir « stopper l’avancée de la salmoniculture dans la région ». La demande couvre 275 421 hectares (une surface équivalente au Luxembourg) et, après quatre ans de procédure judiciaire, a été rejetée par la Cour Suprême en février 2023. Cependant, la procédure reste ouverte (il manque le Rapport d’Usage Coutumier de la CONADI et le vote au CRUBC), ce qui pourrait prolonger le blocage de plus de 40 concessions aquacoles pour une décennie supplémentaire. Les ONG connaissent les failles du système : elles obtiennent, sans refus formel, le même effet qu’une résolution défavorable.
En 2023, la communauté Kawésqar a demandé une nouvelle ECMPO de 12 000 hectares face au parc national Cabo Froward (initiative de la Fondation Rewilding et du gouvernement). Cela montre comment des instruments comme les ECMPO deviennent des outils d’occupation stratégique du territoire, coordonnés avec des ONG qui manipulent le système institutionnel.
Il ne s’agit pas de remettre en cause le droit de recourir à la justice, mais la judiciarisation sans dialogue, sans liens réels avec les communautés et sans assumer les conséquences sociales du blocage des projets. C’est une intervention verticale qui instrumentalise les conflits depuis des bureaux lointains. Quand Greenpeace célèbre une décision d’un simple « like » sur les réseaux, la justice environnementale se réduit à du militantisme superficiel : un « activisme du clic » qui affecte des vies réelles.
Du monde indigène, des critiques comme celles du dirigeant Juan Carlos Tonko dénoncent un « colonialisme vert », où le discours environnemental supplante les communautés dans la prise de décision. Le ministre Luis Cordero (2020) a averti : « Le procès remplace le dialogue politique, et l’action environnementale devient une tranchée idéologique ».
Les Communautés Kawésqar Nomades de la Mer représentent 3 des 18 communautés Kawésqar, mais leur cause se présente comme la voix collective. Cette simplification déforme le débat et occulte la diversité indigène. Judiciariser sans dialogue ne protège pas les droits : cela bloque les opportunités.
Ce n’est pas écologie contre économie, ni indigènes contre entreprises. Il s’agit de gouvernance environnementale avec des règles claires, une participation authentique et un développement humain. La justice environnementale ne peut pas être une tranchée idéologique : quand elle l’est, ce sont les communautés qui cherchent le progrès qui en pâtissent.
Carlos Odebret Président des Salmoniculteurs de Magallanes
Le lobbyiste d’affaires Eduardo Frei a déclaré que pour que le Chili devienne un pays développé et puisse beaucoup exporter, « la première chose que nous devons faire est tuer la Loi Lafkenche, car elle est en train de tuer l’industrie du saumon au Chili ».
L’ancien président Eduardo Frei et les industriels du saumon au Japon : Il faut « tuer la Loi Lafkenche (19/06/2025, Mapuche Diario) 41
Osaka, Japon, 19 juin 2025 (radiodelmar.cl) – Lors du sommet d’affaires Chili-Japon à l’Expo d’Osaka, qui s’est tenu le 16 juin au Japon, l’ancien président et actuel lobbyiste d’affaires, Eduardo Frei Ruiz-Tagle, a été invité par le gouvernement de Gabriel Boric ainsi que par les associations patronales forestières, agro-industrielles et salmonicoles, afin de défendre les groupes exportateurs chiliens et les investissements des multinationales japonaises au Chili.
Lors de cette rencontre d’affaires, cité par El Mercurio, l’ex-président a indiqué : « Par exemple, dans le secteur du saumon, nous sommes les deuxièmes producteurs mondiaux et les entreprises japonaises sont prêtes à investir pour doubler nos exportations. Mais pour cela, la première chose que nous devons faire est de tuer la Loi Lafkenche, car elle est en train de tuer l’industrie du saumon au Chili. Je le dis sans détour ! »
La Loi Lafkenche (n° 20.249) est une législation de la République qui permet aux peuples autochtones, ainsi qu’aux activités de pêche artisanale, aux communautés et entreprises locales (gastronomie, tourisme), de demander la protection de zones du littoral via la mise en place des Espaces Côtiers Marins des Peuples Autochtones (ECMPO).
Les propos de Frei ont été publiés par El Mercurio de Santiago du Chili. Ce média a également recueilli les réactions de Sady Delgado, directeur général de la méga-entreprise AquaChile, propriété du groupe AgroSuper de la famille Vial et membre du patronat Conseil du Saumon, qui a remercié « la clarté avec laquelle l’ex-président Frei a exposé les difficultés auxquelles le secteur est confronté ».
Delgado a ajouté que l’ex-président « a tout à fait raison dans ce qu’il dit, car c’est une loi qui affecte fortement le développement de la salmoniculture et qui affectera aussi d’autres industries ».
Des lois contre la “permisologie” pour accélérer l’extractivisme au Chili
Suite aux propos de Frei, Susana Jiménez, présidente de la Confédération de la Production et du Commerce (CPC), a déclaré à El Mercurio que l’ex-président « a fait référence à une situation réelle. Les processus de renouvellement de concessions et de nouveaux projets d’investissement sont bloqués. Et cela a beaucoup à voir avec la manière dont la loi a été gérée. Il ne devrait pas y avoir de demandes d’espaces incroyablement grands qui bloquent les investissements et ne finissent que par être des transferts de richesse ».
À l’Expo Osaka, Eduardo Frei a exposé deux autres points qu’il considère comme essentiels à débloquer dans notre pays : la lenteur du système politique à traiter les questions stratégiques. Il a pris pour exemple la manière dont l’Accord Transpacifique (TPP11) a été traité : « Nous avons mis quatre ans à le ratifier et nous avons perdu des marchés en Asie. Quatre ans perdus, en commerce international, c’est beaucoup ».
La deuxième revendication de Frei concerne les infrastructures : « Le Chili ne dispose d’aucun port de grande envergure et cela doit changer, sinon ce sera un frein à notre potentiel exportateur », a argumenté l’ex-président.
Ce sommet d’affaires s’est terminé par une visite du pavillon du Chili à l’Expo Osaka, où le public a pu déguster des saumons et des vins, proposés par les associations de producteurs de saumon et le groupe Vinos de Chile.
11 janvier 2025 : Belle journée, douce, ensoleillée… les Quarantièmes Rugissants sont cléments avec nous ! Personne sur l’eau, personne sur terre, nous longeons sous voiles une côte désertique et sèche, dépourvue de végétation, hormis quelques arbustes et de grandes étendues de touffes d’herbes jaunies balayées par le vent.
Damien, skipper du voilier MilagroSébastien à la veillela côte désertique de la Patagonie Argentine
Après avoir veillé jusqu’à 2h du matin pour contourner la péninsule Valdès, je n’entends pas notre arrivée au mouillage le matin devant Puerto Madryn. Une perturbation orageuse arrivant du nord doit virer violemment sud à la tombée de la nuit. Les prévisions annoncent des rafales supérieures à 60 nœuds ce qui rend des plus logiques la décision de trouver un abri. Le mouillage face à la ville est tranquille dans la matinée, tout le monde en profite pour se reposer et je rattrape le retard des notes de mon carnet de voyage.
Le sillage de Milagro en Atlantique Sud
Puerto Madryn est la ville principale de la province du Chubut. Avec ses immeubles en verre et sa musique à fond le long de la plage, elle contraste complètement avec la pampa aride et plate à perte de vue derrière elle. Elle apparaît comme une parenthèse urbanisée dans un territoire immense, vouée au commerce des minerais et, en saison, au tourisme.
A 14h, les conditions changent : des rafales continues et brûlantes font monter la température de l’air à 40 degrés, c’est suffocant ! Nous n’avions jamais senti un air aussi chaud, comparable à la sensation que donne l’ouverture de la porte d’un four. Le vent et la houle augmentent. Peu à peu les conditions deviennent tellement mauvaises dans la seule zone de mouillage autorisée par la Préfecture Navale Argentine que nous devons alors insister lourdement pour obtenir de mouiller de l’autre côté du quai des autorités. La houle dépasse 1m50, avec une fréquence très courte, lorsque nous sommes autorisés à bouger. Lever le mouillage ne se fait pas sans peine (ni généreux rinçage des équipiers en charge de cette manoeuvre). Une fois l’ancre jetée de l’autre côté, ce n’est pas byzance mais en comparaison c’est du pur bonheur. A bord, malgré l’épaisse isolation du voilier, la chaleur est rude. Tout l’équipage, Toupie et Parbat inclus, tente de se rafraîchir au mieux.
Notre mascotte Toupie recherche elle aussi la fraîcheur dans le carré…
La bascule de vent du nord au sud arrive à la tombée de la nuit. L’anxiété est palpable car la mise à jour météo évoque toujours l’arrivée de violentes rafales. Tout sur le pont a été rangé et solidement amarré. Vers 21h30 une espèce d’onde de choc apparaît sur la baie, chargée de poussière, et traverse entre les immeubles avant d’atteindre la baie et de percuter Milagro. De grosses rafales de 55-60 nœuds aplatissent la houle de nord et fait chuter la température de l’air d’une bonne quinzaine de degrés ! Vers minuit le calme est bien revenu, permettant une bonne nuit de repos.
Nous reprenons notre route au lever du jour, par un bon vent de 15/20 nœuds et accompagnés d’une quinzaine de dauphins de Comerson, petits dauphins noir et blanc d’environ 1,50m qui virevoltent et jouent autour de Milagro.
Dauphin de Commerson jouant à l’étrave du voilierDauphin de Commersonl’horizon dans le Golfo Nuevo, au sud de la Péninsule Valdés
L’après-midi des groupes de ces petits dauphins nous rendent régulièrement visite et le quart de nuit, sous un ciel sans nuage, est alors synonyme de soirée d’astronomie : observation des étoiles, de la Voie Lactée, comptage des étoiles filantes… le tout sous le haut patronage de la Croix du Sud qui nous montre le cap à suivre.
Le lendemain nous naviguons sur une mer d’huile, la limite entre le ciel et la mer s’estompe. Nous sommes contraints d’utiliser le moteur pour continuer à avancer. Nous sommes seuls, nous ne croisons personne, l’océan est un désert dans cette région du monde. La terre que nous apercevons au loin semble elle aussi oubliée des hommes, jusqu’à notre arrivée dans la soirée devant la petite ville de Camarones. Un premier manchot de Magellan nous fait l’honneur d’une visite.
Camarones est une petite ville de 1300 habitants de la province de Chubut, située à 44,45 degrés de latitude Sud. Elle a été fondée en 1900, pour l’exportation de fruits et de matières premières dont la laine (très réputée).
Les décos de Noël toujours en place à CamaronesL’équipage heureux de fouler la terre ferme en PatagonieCoucher de soleil sur le port de Camarones
Nous passons la soirée dans le seul restaurant ouvert, « Alma Patagonia ». Il ne paie pas de mine à l’extérieur mais l’intérieur est très agréable et chaleureux. Et nous avons très bien mangé ! Une bonne adresse pour ceux qui passeraient par cette petite ville, sorte de porte d’entrée vers le grand sud de la Patagonie.
Devanture du restaurant Alma Patagonica (Camarones, Chubut, Patagonie argentine)Dîner à Camarones (Alma Patagonica)
Au moment de régler en espèces, nous réalisons une fois de plus les effets de l’inflation en Argentine : en 2013 nous échangions 1 euro contre 6 pesos argentins; en 2025 c’est 1 euro pour… 1280 pesos. La fabrication de nouveaux billets n’ayant pas suivi, nous nous retrouvons avec de grosses liasses de billets de 100, 200, 500 ou 1000 pesos pour régler notre repas et ne pouvons nous empêcher d’avoir une pensée pour les Argentins n’ayant pas de compte bancaire pour placer leurs économies dans une autre devise. L’ambiance tous ensemble étant ce qu’elle est, le retour à bord en zodiac se fait à 2h du matin…!
[Cap au Sud #11] de Buenos Aires (Argentine) à Puerto Williams (Chili) Deuxième partie 62
Nous passons la journée suivante à Camarones. Philippe et Patrick doivent débarquer pour reprendre l’avion et rentrer en Suisse. Nous en profitons pour nous ravitailler en produits frais, notamment dans une petite épicerie où le temps s’est arrêté : elle a plus d’un siècle, conservée dans son jus, et les gérantss seraient chez nous en retraite depuis longtemps…C’est suranné et ça ne manque pas de charme.
Philippe et Patrick reprennent la route vers la SuissePetites courses à l’épicerie historique de CamaronesIntérieur de la Casa Rabal, fondée en 1901
Retour à bord en début d’après-midi pour un atelier cuisine pendant que de bonnes rafales de vent dont la région a les secrets secouent Milagro et marbre l’océan de volutes blanchâtres. D’où l’importance d’avoir un bon mouillage dans la région…
Lessive et repos à bord avant de reprendre le largeDamien aux fourneaux : préparation de repas pour les prochains jours en haute merLe voilier Milagro au mouillage à Camarones (Chubut, Patagonie argentine)
Jeudi 16 Janvier 2025 : accompagnés par quelques dauphins, nous quittons Camarones avec du bon vent régulier, et un grand ciel bleu. Direction Rio Grande (560mn en route directe).
Le Réseau des Femmes Autochtones pour la Défense de la Mer, composé de cinq peuples (Diaguita, Chango, Mapuche, Kawésqar et Yagán) a dénoncé les attaques et l’invisibilisation subies au Chili malgré une loi reconnue internationalement comme un modèle de conservation marine inclusive : la loi Lafkenche. #unoc3 peuples autochtones chili
[UNOC3 peuples autochtones] Déclaration du réseau des «Femmes Autochtones» face à la Politique Océanique du Chili à la Conférence des Océans UNOC3 (Mapuche Diario, 19/06/2025) 64
Lors de la Troisième Conférence des Nations Unies sur les Océans (UNOC3), qui s’est tenue du 9 au 13 juin 2025 à Nice (France), le Chili a projeté une image de leader mondial en matière de politiques océaniques, annonçant son engagement à protéger plus de la moitié de son océan — dépassant ainsi l’objectif 30×30 —, à accueillir le Secrétariat du Traité sur la Haute Mer et à se porter candidat pour co-présider la prochaine Conférence des Océans (UNOC4).
Cependant, depuis cette même tribune internationale, le Réseau des Femmes Autochtones pour la Défense de la Mer, représentant les visions collectives des cinq peuples qui le composent — Diaguita, Chango, Mapuche, Kawésqar et Yagán —, ainsi que l’Identité Territoriale Lafkenche et d’autres leaders des peuples côtiers du sud du Chili, ont exposé une contradiction douloureuse : le pays qui cherche à diriger la conservation marine mondiale attaque et invisibilise chez lui une loi reconnue internationalement comme un modèle de conservation marine inclusive.
Il s’agit de la Loi 20.249, qui crée les Espaces Côtiers Maritimes des Peuples Autochtones (ECMPO), une réglementation issue de la lutte légitime des peuples autochtones. Cette loi permet d’attribuer l’administration d’espaces maritimes côtiers délimités à des communautés ayant historiquement exercé leur usage coutumier, dans le but de préserver les pratiques traditionnelles, de conserver les ressources naturelles, de garantir le bien-être et le lien ancestral avec la mer, et de promouvoir une gouvernance participative et inclusive du littoral entre les différents acteurs territoriaux.
Comme l’a expliqué Pamela Mayorga Caro, coordinatrice du Réseau, lors de la conférence, cette loi est « un outil de co-administration qui rend visibles et donne la possibilité aux communautés d’avoir une voix démocratisée sur l’avenir de leurs territoires ».
Alors que le Chili aspire à diriger la conservation marine mondiale, ses avancées océaniques n’intègrent pas de manière substantielle les côtes continentales et les eaux intérieures, épicentre des conflits socio-environnementaux. Et, paradoxalement, la Loi 20.2491, qui pourrait être l’un des outils clés pour progresser dans ce sens, ne fait pas partie de l’agenda officiel des politiques océaniques du pays et, au contraire, fait l’objet de fortes attaques de la part de secteurs industriels et politiques qui cherchent à la modifier.
Comme l’a réitéré Astrid Puentes Riaño, Rapporteuse spéciale de l’ONU, lors de plusieurs interventions à la Conférence des Océans, et dans un récent article publié dans El País, dans l’élaboration de politiques océaniques efficaces « la reconnaissance des droits des communautés côtières est essentielle, car environ 500 millions de personnes dépendent de la pêche artisanale et, tout comme le peuple mapuche lafkenche, beaucoup d’entre elles sont des peuples autochtones dont l’expérience sert à protéger la vie de l’océan. Cependant, elles sont rarement incluses dans les processus de prise de décision, alors qu’elles sont essentielles pour trouver des solutions. »2
Ingrid Echeverría Huequelef, coordinatrice du Réseau, s’est exprimée depuis Nice en affirmant qu’il s’agit « d’une loi née de la spiritualité du peuple mapuche lafkenche, une loi inclusive… mais qui, en raison de l’ignorance, est très durement attaquée par les industries extractives et par un certain mouvement politique chilien. » De son côté, Yohana Coñuecar Llancapani, coordinatrice du Réseau et représentante des peuples autochtones à la Commission régionale d’utilisation du littoral de la Région des Lacs, a ajouté qu’en tant que femmes défenseures du territoire, « nous subissons des campagnes de haine et de racisme, et sommes constamment invisibilisées par l’État. »
Cette loi et sa défense reposent sur une compréhension profonde de l’océan, que les représentantes du Réseau ont exprimée clairement : « La mer est pour nous un espace de mémoire, de subsistance, de spiritualité, de culture et de travail. » Cette perspective ancestrale, qui contraste fortement avec les politiques extractivistes de « l’Économie Bleue » promues par les gouvernements et les industries, offre des alternatives concrètes et durables pour la protection des océans, fondées sur des systèmes de gouvernance communautaire et des savoirs transmis de génération en génération. Face à un modèle qui considère la mer comme une ressource à exploiter, les femmes autochtones proposent une relation de réciprocité et de soin qui a prouvé son efficacité depuis des siècles.
Cette vision intégrale se traduit par une proposition politique concrète et sans ambiguïté : « les politiques publiques ne peuvent être fondées sur le centralisme, elles doivent émaner des territoires. Elles ne peuvent être influencées par le pouvoir économique des industries. » Leur position, forgée par des années de résistance, est inébranlable : « nous, femmes de la mer, ne permettrons pas le recul des droits que nous avons obtenus de haute lutte, pour nous-mêmes et pour les gens qui vivent et travaillent sur la mer, la naviguent et récoltent non seulement des poissons, mais aussi des algues, des coquillages, pour ceux qui résistent et protègent les esprits qui habitent les territoires. » — Ingrid Echeverría Huequelef.
Cette fois depuis la Conférence sur les Océans, demain depuis différents territoires côtiers du Chili, et en novembre à Belém lors de la COP30, le Réseau des Femmes Autochtones pour la Défense de la Mer maintiendra sa voix haute et continuera d’interpeller directement le gouvernement chilien, la FAO, les organisations internationales, les bailleurs de fonds, les industries et tous les acteurs impliqués dans la gouvernance de la mer. Le message est clair :
Mettre fin à la marchandisation de l’océan au nom de la croissance bleue et à d’autres mesures de conservation fondées sur les aires, qui ne respectent ni nos droits ni nos modes de vie.
Assurer une approche interculturelle et de genre transversale dans les politiques océaniques et une participation active et centrale des peuples autochtones et des communautés de la mer dans la gouvernance marine.
Garantir la non-régression des droits dans les territoires côtiers-marins acquis à travers des processus de lutte légitimes.
Prévenir, arrêter et garantir la justice face aux menaces et à la criminalisation des défenseur·e·s de la mer.
Exiger de la cohérence au gouvernement chilien dans sa politique océanique pour pouvoir se porter candidat à l’accueil du Secrétariat du Traité sur la Haute Mer et à l’organisation de l’UNOC4.
Le Réseau rappelle un principe fondamental : garantir des océans sains exige d’inclure les voix de celles et ceux qui vivent de la pêche, de la récolte et de la cueillette, qui habitent les côtes et comprennent de première main l’interdépendance entre la santé des océans, les activités humaines et la justice territoriale.
Le Chili doit résoudre ses incohérences internes et honorer ses engagements et responsabilités légales envers les communautés, avant de prétendre à la reconnaissance de son leadership mondial en matière de politiques océaniques.
« Le Chili parle très bien à l’extérieur, mais à la maison, il doit régler ses comptes. » — Pérsida Cheuquenao Aillpán, Présidente de l’Identité Territoriale Lafkenche et coordinatrice du Réseau des Femmes.
Nice a montré que cette contradiction n’est pas exceptionnelle, mais fait partie d’une crise mondiale plus profonde où il existe toujours un fossé abyssal entre le discours environnemental et la pratique extractiviste, face auquel il n’y a pas de place pour la complaisance ni pour le silence complice.
Lire l’Appel à l’Action complet ici [en espagnol].
Un monde perdu découvert sous la glace de l’Antarctique : des chercheurs internationaux ont annoncé la découverte d’un monde perdu, potentiellement vieux de plus de 30 millions d’années, situé à plus d’un kilomètre sous la glace de l’Antarctique. Ce paysage ancien aurait pu regorger de rivières, de forêts, et peut-être même d’animaux sauvages.
L’Antarctique n’a pas toujours été un désert glacé. Selon les scientifiques, il abritait autrefois un écosystème luxuriant. « Cette découverte est comme l’ouverture d’une capsule temporelle », a déclaré le professeur Stewart Jamieson, géologue à l’Université de Durham en Angleterre et co-auteur de l’étude, publiée dans la revue Nature Communications.
Des recherches débutées en 2017
Les travaux sur le terrain ont commencé en 2017, lorsque l’équipe a foré le fond marin afin d’extraire des sédiments provenant d’un écosystème enfoui sous la glace.
« La terre sous la calotte glaciaire de l’Antarctique oriental est moins connue que la surface de Mars », a souligné le professeur Jamieson.
C’est en analysant ces sédiments que les scientifiques ont mis au jour un ancien paysage situé à plus d’un kilomètre de profondeur.
Un paysage vaste et préservé
Le paysage découvert se situe dans la région de Wilkesland, dans l’Antarctique de l’Est, et s’étend sur plus de 30 000 km², soit environ deux fois la taille de la Bretagne.
Des traces de pollen de palmiers anciens ont été retrouvées, suggérant que la zone pouvait avoir un climat tropical avant sa glaciation.
Grâce à des outils de pointe, notamment le radar à pénétration de sol, les chercheurs ont identifié des blocs de terrain surélevé mesurant entre 120 et 170 kilomètres de long et jusqu’à 85 kilomètres de large. Ces blocs sont séparés par des vallées pouvant atteindre 40 kilomètres de largeur et près de 1 200 mètres de profondeur.
Un paysage sculpté par les rivières
L’analyse indique que cette formation géologique n’a probablement pas été érodée par la glace, mais façonnée par des rivières. Le paysage aurait donc été formé avant l’apparition de la calotte glaciaire antarctique, il y a environ 34 millions d’années.
Un schéma représentant l’ancien paysage fluvial préservé sous la calotte glaciaire de l’Antarctique oriental. Image crédits nature Communications
Les chercheurs poursuivent leurs études sur cette zone afin de mieux comprendre l’évolution du climat, des écosystèmes anciens et de la calotte glaciaire.
La fragmentation de Gondwana et la naissance d’un relief unique
Lorsque le supercontinent Gondwana a commencé à se disloquer, le mouvement des masses terrestres a engendré de profondes fissures et formé les crêtes imposantes identifiées sous la glace de l’Antarctique. Ce processus tectonique ancien a façonné un paysage complexe qui est resté figé pendant des dizaines de millions d’années.
À cette époque reculée, la région abritait probablement des rivières sinueuses et des forêts denses dans un climat tempéré, voire tropical. Cette hypothèse est étayée par la découverte de pollen de palmier ancien à proximité du site, selon The Economic Times.
Par ailleurs, les sédiments extraits contenaient des micro-organismes marins, évoquant un environnement caractérisé par des mers chaudes et une biodiversité importante.
Un paysage qui évoque la Patagonie… ou les tropiques
« Il est difficile de dire exactement à quoi ressemblait ce paysage ancien, mais selon la période que l’on considère, le climat aurait pu ressembler à celui de la Patagonie moderne, ou même à quelque chose de tropical », a expliqué le professeur Stewart Jamieson.
En d’autres termes, l’Antarctique verdoyant n’est pas uniquement un phénomène hypothétique ou contemporain. Il fut bel et bien une réalité géologique dans un lointain passé.
Un gel brutal qui a figé l’écosystème
Lorsque le climat mondial s’est refroidi, une calotte glaciaire s’est formée, recouvrant progressivement le continent antarctique. Ce processus a interrompu l’érosion active et a gelé le paysage sous-glaciaire, un peu comme un mammouth piégé dans la glace.
« L’histoire géologique de l’Antarctique enregistre d’importantes fluctuations », a déclaré Jamieson. « Mais des changements aussi brusques ont laissé peu de temps à la glace pour modifier significativement le paysage sous-jacent. »
Même lors de périodes de réchauffement climatique, comme au cours du Pliocène moyen il y a environ 3 millions d’années, la glace n’a jamais complètement reculé au point de révéler cette ancienne topographie.
Elle est donc restée préservée, intacte sous la glace depuis des dizaines de millions d’années.
Mieux comprendre le passé pour prédire l’avenir
L’équipe scientifique espère que l’étude de ce paysage enfoui et de son évolution sous l’effet des glaciations successives permettra d’améliorer les modèles actuels sur la fonte des glaces.
« Ce type de découverte nous aide à comprendre comment le climat et la géographie sont étroitement liés, et à quoi nous pouvons nous attendre dans un monde où les températures augmentent », a conclu Jamieson.
D’après le British Antarctic Survey, le réchauffement climatique accélère le déclin démographique de ces oiseaux de l’Antarctique.
Par Le HuffPost avec AFPPartager
Capture d’écran Facebook @Parks and Wildlife Service Western Australia Le réchauffement climatique est la principale cause de déclin des manchots empereurs. (illustration)
ENVIRONNEMENT – Un constat alarmant. Le réchauffement climatique, et en particulier le recul de la banquise dans l’Antarctique, fait décliner « plus vite que prévu » la population des manchots empereurs, dont nombre de colonies ont perdu plus de 20 % de leurs membres en 15 ans, alerte une étude britannique de référence publiée mardi 10 juin.
Ce déclin rapide a été observé par satellites dans seize colonies, situées dans la péninsule antarctique, la mer de Weddell et la mer de Bellingshausen, qui représentent un tiers de la population de la plus grande espèce de manchots au monde, rapporte l’étude du British Antarctic Survey publiée dans la revue Nature Communications : Earth & Environment.
« Nous avons là une illustration très déprimante du changement climatique et un déclin démographique qui se déroule plus vite que prévu, mais il n’est pas trop tard », a déclaré Peter Fretwell, chercheur de cet observatoire britannique qui a dirigé l’étude. Les conclusions de ces nouvelles observations sont « probablement environ 50 % pires » que les estimations les plus pessimistes réalisées à l’aide de modèles informatiques, a-t-il ajouté.
Réchauffement climatique
Première cause à l’origine de ce déclin, le réchauffement climatique amincit la glace sous les pattes des manchots dans leurs zones de reproduction. Ces dernières années, certaines colonies ont perdu l’intégralité de leurs poussins, noyés ou morts de froid lorsque la glace a cédé sous leurs minuscules pattes, avant qu’ils ne soient prêts à affronter l’océan glacial.
L’étude suggère que le nombre de manchots est en baisse depuis le début de la surveillance précise par satellite, en 2009, soit avant que le réchauffement ne réduise la reconstitution annuelle de la banquise, selon Peter Fretwell. Le changement climatique reste le principal facteur du déclin, a-t-il précisé, entraînant d’autres menaces pour les manchots, telles que des précipitations plus importantes ou l’intrusion croissante de prédateurs, comme les orques et les phoques par exemple.
« Il n’y a pas de pêche, pas de destruction de leur habitat, pas de pollution qui cause le déclin de leurs populations. C’est simplement la température de la glace sur laquelle ils se reproduisent et vivent, et c’est vraiment le changement climatique », a-t-il déclaré à l’AFP.
Selon une étude réalisée en 2020, les manchots empereurs, dont le nom scientifique est Aptenodytes forsteri, comptent environ 250 000 couples reproducteurs, tous en Antarctique. Les manchots n’appartiennent pas à la même famille que les pingouins de l’hémisphère nord, plus petits et capables de voler.
Extinction d’ici la fin du siècle ?
L’œuf de manchot empereur est couvé en hiver par le mâle, tandis que la femelle part à la pêche pendant deux mois, avant de revenir nourrir les petits par régurgitation. Pour survivre par eux-mêmes, les oisillons doivent développer des plumes imperméables, un processus qui commence généralement à la mi-décembre, pendant l’été austral.
Le chercheur considère qu’il y a de l’espoir que les manchots se rapprochent du pôle Sud à l’avenir, mais il est difficile de dire « combien de temps ils vont tenir là-bas », précise Peter Fretwell. Des modélisations informatiques avaient déjà prévu que l’espèce sera proche de l’extinction d’ici la fin du siècle si l’humanité ne réduit pas ses émissions de gaz à effet de serre.
Toutefois, à la lumière des dernières découvertes inquiétantes, « il se peut que nous devions repenser ces modèles », a déclaré Peter Fretwell et il est de plus en plus nécessaire d’étudier le reste de la population. « Nous allons probablement perdre beaucoup de manchots empereurs, mais (…) si nous réduisons nos émissions de gaz à effet de serre, alors nous sauverons l’espèce », conclut le scientifique.
Pour le passage au 25 décembre, me voilà en route pour une croisière hauturière, dans un taxi direction un hôtel, depuis l’aéroport Ezeiza de Buenos Aires vers le centre de la capitale argentine, après un vol sans histoire sur Air France de 13h depuis Paris. Sur le périphérique le passage à Noël, se matérialise par de nombreux tirs de feu d’artifice et de fusées d’un quartier à l’autre, et aussi par l’absence quasi-complète de moyen de quitter l’aéroport entre 23h et 01h du matin ! Il ne faut pas arriver en Argentine un 24 Décembre, on ne plaisante pas avec Noël ici.
Le lendemain matin l’Uber de Noël nous dépose, Jacques (le président de l’association) et moi devant la grille du Yacht Club de Buenos Aires, petit havre de verdure et de paix au cœur de cette mégapole et de son quartier chic de buildings en verre. Nous retrouvons Lauriane, Damien, Toupie, Parbat et le bon vieux Milagro, tous fatigués par cette traversée de l’Atlantique. Juste le temps de saluer ceux qui quittent le bord, François et Henri, et direction ma cabine et les quelques mètres carrés qui seront ma maison flottante pour les prochaines semaines de navigation en Atlantique Sud.
Sébastien, Damien, Jacques et Toupie réunis au Yacht Club Argentino (Buenos Aires, Argentine)
Autour du ponton la faune est nombreuse à nous observer : tortues qui bullent en surface, iguanes terrestres d’un mètre de long qui se prélassent au soleil dans l’herbe sèche, cormorans qui poursuivent celui de leur congénère qui a péché un poisson et a le malheur de ne pas l’avoir encore avalé, bref, ça s’active autour de nous et nous en prenons de la graine tous les jours jusqu’à 19h, heure fatidique de l’arrivée de milliers de moustiques en provenance des marais environnants et qui nous obligent à tout fermer et fuir le bateau jusqu’à la nuit tombée.
Un de nos voisins de ponton au Yacht Club Argentino (Buenos Aires, Argentine)
Pendant cette semaine d’entre les fêtes un rythme soutenu se met en place : entretien du bateau à gogo, démarches administratives avec les autorités, préparation de l’avitaillement, réparation du plancher du cockpit qui s’affaisse, installation d’une éolienne, installation (chaotique) d’une sonorisation d’exception dans le carré, laverie, avitaillement en nourriture, carburant et gaz, changement dans l’accastillage, matelotage…et réparation de la grand-voile !
Modification des butées du chariot de GVInstallation d’un support d’antenneRéparation de la Grand-VoileInstallation de l’éolienneSY Milagro au Yacht Club Argentino
En effet, celle-ci a souffert lors de la dernière traversée de 2 déchirures verticales, au niveau de coutures qui nécessitent de la dégréer pour la réparer. Heureusement Clément, professionnel de la voile qui travaille sur les Imoca du Vendée Globe, prend cette réparation en main. C’est long et fastidieux, écrasés par la chaleur de l’été argentin sur une dalle en béton ensoleillée. Nous transpirons à grosses gouttes. Ces travaux sont heureusement coupés par d’agréables pauses repas à la cafétéria du Yacht Club (mention spéciale au restaurant du siège du yacht club qui est magnifique et dont les plats proposés sont excellents).
L’une des pauses bien méritées de l’équipage à la cafétéria du Yacht Club
On décolle du Yacht Club Argentin !
Finalement, la préparation se termine en même temps que l’année 2024 : l’année 2025 commence avec notre départ de Buenos Aires au complet avec Jacques, Philippe, Patrick, Clément, Aude (présente depuis le départ de St-Nazaire !), Lauriane, Damien, Toupie, Parbat et moi. Nous quittons le Yacht Club le 1er janvier 2025, dès que Milagro décolle de sa place au fond vaseux, direction la sortie du Rio de la Plata.
[Cap au Sud #10] de Buenos Aires (Argentine) à Puerto Williams (Chili) Première partie 91Une partie de l’équipage du voilier Milagro
Le delta est absolument gigantesque : les extrémités ne peuvent pas se voir depuis le chenal précisément balisé que nous empruntons. L’eau reste douce jusqu’à très loin au large et turbide, chargée par les sédiments du delta arrachés aux montagnes. Autre particularité : pendant au moins 100 nautiques, la profondeur est très faible et constante : moins de 10m ! Même sans côte à l’horizon, il est possible de mouiller presque partout et le chenal balisé d’accès à Buenos Aires pour les gros navires paraît interminable !
Slalom entre les cargos du Rio de la PlataCargos au mouillage dans le Rio de la Plata (Argentine)
Nous passons la nuit au mouillage face à des mangroves, près de La Plata, ainsi que les deux journées suivantes tout en gagnant vers l’est dans les eaux douces et laiteuses du Rio de la Plata, en attendant qu’un coup de vent passe au large et nous laisse gagner la haute mer. Mère Nature en profite pour nous faire cadeau de quelques ciels somptueux.
[Cap au Sud #10] de Buenos Aires (Argentine) à Puerto Williams (Chili) Première partie 92[Cap au Sud #10] de Buenos Aires (Argentine) à Puerto Williams (Chili) Première partie 93[Cap au Sud #10] de Buenos Aires (Argentine) à Puerto Williams (Chili) Première partie 94[Cap au Sud #10] de Buenos Aires (Argentine) à Puerto Williams (Chili) Première partie 95[Cap au Sud #10] de Buenos Aires (Argentine) à Puerto Williams (Chili) Première partie 96[Cap au Sud #10] de Buenos Aires (Argentine) à Puerto Williams (Chili) Première partie 97
A partir de ce moment-là nous passons à de la navigation hauturière non-stop : des quarts de 3h sont programmés en binômes ; un équipier qui barre et reste sur le pont en continu, et un second qui intervient pour les manœuvres et un soutien « logistique » pour celui sur le pont, afin de rendre la veille plus agréable, le tout avec un glissant de 1h30. Pour ma part je commence avec Damien et finis avec Aude.
Clément à la barre !Toupie, marin aguerrie, profite de Sébastien, un de ses équipiersAude et Clément matelottent dans le carré
Il faut s’habituer à ce rythme particulier d’une navigation hauturière, si différent du rythme terrestre : le temps se distant, les distances aussi, un rythme monotone mais indispensable s’installe. Les prévisions se gâtent et nous décidons de nous réfugier à Bahia San Blas, malgré des données hydrographiques peu engageantes : nous avons parcourus 680 nautiques depuis le départ, à la voile mais aussi au moteur, le temps ayant été particulièrement calme depuis le départ.
Bahia San Blas : notre entrée dans les Quarantièmes Rugissants.
Bahia San Blas est caractéristique de la côte argentine jusqu’à Ushuaia : pas de marina ni de digue ; nous mouillons devant la plage. Les bateaux locaux ne sont que de gros zodiacs qui sont tirés à terre à l’issue de leur sortie, nous comprendrons pourquoi rapidement… La ville, de quelques milliers d’habitants, n’est qu’un front de mer : après 2/3 rangées de maisons, c’est la pampa qui commence… immense.
Il fait très chaud, c’est étouffant. Nous déjeunons dans le seul restaurant ouvert et rapidement il est temps de retourner à bord pour le coup de vent annoncé. Le ciel est déjà très sombre et le clapot grossit : trop tard pour ne pas être trempés ! Le retour en annexe est aussi « sportif » que mémorable. Tout le monde est littéralement rincé, l’eau est à 23 degrés et une moule échappée d’une boîte à pizza trouve son bonheur en faisant des longueurs au fond de l’annexe…
Aussitôt l’annexe remontée, le coup de vent arrive : le vent se met à souffler en continu à 30/35 nœuds, avec des rafales dépassant les 50 noeuds et soufflant les crêtes des vagues et le sable sur la plage. Le ciel est constamment zébré d’éclairs à 360°, c’est impressionnant ! Le bateau roule énormément, un fort courant s’opposant au vent dominant. Le roulis met particulièrement mal à l’aise et épuise. Certains restent apathiques dans leur couchette, comme vidés de toute énergie et la situation va perdurer une grande partie de la nuit.
Moment de convivialité au mouillage, pour ne pas voir le temps qu’il fait dehors…Image d’une bonne nuit au mouillage…Image d’une bonne nuit au mouillage…Image d’une bonne nuit au mouillage…
Au matin et après une courte accalmie le coup de vent reprend, cette fois à 40 nœuds et venant du sud. Milagro roule et tourne en continu autour de son ancre à cause des effets simultanés du vent et du courant de la rivière. La température chute. Ce vent continu est impressionnant et fatiguant : il finit par entrer dans la tête, devenant insupportable. Sacré contraste entre ce vent qui hurle sur le pont et le calme feutré et douillet du carré 2m plus bas. De nombreuses fois nous nous dirons que Milagro est bien le bateau qu’il faut pour l’endroit où nous sommes ! Calme et soleil reviennent vers 18h, promesses d’une nuit réparatrice au mouillage pour laisser retomber la houle formée au large.
Le 10 janvier départ 10h sous le soleil, une bonne brise et encore de la houle qui va faire rouler le bateau… La sortie de la rivière est stressante, avec des bancs de sable aux profondeurs bien différentes des données indiquées sur nos cartes. Nous faisons cap sur Puerto Madryn, ville située dans la baie sud de la péninsule Valdès, péninsule rendue célèbre par la Calypso du Commandant Cousteau dans les années 70 : cette baie est une nurserie à baleines bleues. On verra ça d’ici quelques jours !
« Climbing Through », vous n’en avez jamais entendu parler ? Il s’agit d’un récit publié sur le blog de la marque Arc’teryx, où la guide de montagne et thérapeute Julia Niles revient sur une expédition singulière qu’elle a vécu dans la vallée de Cochamó, au Chili. Plus qu’un simple retour à l’escalade, cette aventure marque pour elle une forme de renaissance. Avec ses mots, elle nous raconte comment l’escalade, longtemps mise entre parenthèses, est redevenue un point d’ancrage dans sa vie. Une histoire intime, avec en toile de fond une grimpe qui aide à retrouver son équilibre.
Retrouver la falaise après des années d’éloignement
Lorsque Julia accepte l’invitation de la grimpeuse pro Émilie Pellerin à la rejoindre pour une expédition en Patagonie, elle ne s’est pas préparée à l’impact que ce retour en falaise allait avoir sur elle. Ancienne grimpeuse très expérimentée, Julia avait depuis longtemps troqué les grandes voies pour une vie bien remplie : celle d’une mère célibataire et d’une femme pleinement investie dans sa vie professionnelle. Une vie à cent à l’heure où l’escalade était devenue un lointain souvenir, un passé qu’elle pensait avoir rangé dans un coin de sa tête. Mais Cochamó, avec ses parois de granite imposantes, ses marches d’approches sauvages et son ambiance brute, aura réveillé en elle quelque chose de profond.
L’escalade m’avait déjà sauvée par le passé ; elle pouvait peut-être me sauver à nouveau. | Julia Niles
Une aventure portée par la solidarité féminine
Ce qui marque Julia au cours de cette expédition, c’est la composition inédite de l’équipe : un groupe presque entièrement féminin, une première dans son parcours. Cette configuration génère une dynamique singulière, loin des modèles parfois dominés par la recherche de performance ou la rivalité. L’ambiance qui s’installe est faite de bienveillance, d’écoute et de respect. Chacune peut exprimer ses doutes, ses émotions, ou sa fatigue sans crainte d’être jugée. Une atmosphère rare, où la vulnérabilité devient une force partagée.
C’était une mission hors du commun. Pour la première fois, parmi tous les tournages, séances photo et expéditions auxquels j’avais participé, nous étions plus de femmes que d’hommes. | Julia Niles
Pour Julia, cette cohésion entre femmes joue un rôle central dans sa redécouverte de l’escalade. Elle y retrouve une pratique attentive aux ressentis et aux besoins de chacune. Ce climat de confiance transforme l’expédition en une expérience marquante, où le lien humain compte autant que la grimpe en elle même.
La montagne comme outil thérapeutique
En tant que psychothérapeute, Julia fait rapidement le lien entre les émotions traversées en paroi et les mécanismes psychologiques mis en oeuvre dans un parcours de reconstruction personnelle.
Là-haut sur la paroi, j’étais plongée dans mes pensées. Tandis que mes yeux absorbaient le paysage magnifique, j’examinais ma vie en démêlant mes problèmes. Je me suis aperçue que j’avais profondément besoin de ça. | Julia Niles
À Cochamó, chaque mouvement, chaque prise, chaque décision engage des ressources mentales importantes — confiance, résilience, gestion de la peur, capacité à accepter l’imprévu. Dans son récit, elle nous rappelle également que la grimpe exige une grande concentration: paradoxalement, loin de s’ajouter à la charge mentale, elle offre au contraire un soulagement, une bouffée d’air frais face à la pression constante du quotidien.
Ralentir pour mieux ressentir
Une autre dimension du récit de Julia tient à la lenteur imposée par l’environnement de Cochamó. Ici, pas de chrono, pas de course à la cotation. L’approche se fait à pied, parfois sur plusieurs jours. Les longues fissures de granite se méritent, les bivouacs en paroi demandent de la patience, beaucoup de patience. Ce rythme ralenti tranche net avec l’agitation du quotidien, et met en avant une pratique de l’escalade plus épurée, presque proche de la méditation.
Je me suis immergée dans le rythme qu’inspire la nature. Au soir, descendant en rappel dans le ciel pourpre, je me suis fondue dans le paysage, comblée, en paix, n’ayant plus besoin de rien d’autre. | Julia Niles
Dans ce retour à l’essentiel, Julia redécouvre le plaisir simple de grimper pour elle-même, sans attente de performance. Une grimpe qui apaise, qui recentre, qui donne du sens. Dans un monde où tout va vite, l’escalade devient pour elle un espace rare où le temps reprend sa juste place.
Une histoire personnelle sans exploit ni paillettes
Climbing Through n’est ni un récit d’exploit, ni un palmarès de performances. C’est une histoire humaine et sincère, ancrée dans la réalité d’une femme qui cherche à concilier passion, travail, maternité et équilibre personnel. C’est également un beau témoignage sur le rôle que peut jouer l’escalade dans les parcours de vie, y compris les plus intimes.
En revenant à l’escalade, Julia Niles nous démontre que la grimpe ne se limite pas à l’effort physique : elle ouvre un espace intérieur, fait de remises en question, d’instants de joie et de reconquête de soi.