Le cap Horn, 400 années de légende (Le Figaro, 16/9/2016)

Par Guillaume de Dieuleveult

Publié le 16/09/2016 à 17:30, mis à jour le 26/09/2016 à 12:52

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Le cap Horn, 400 années de légende (Le Figaro, 16/9/2016) 6

EN IMAGES – Il y a quatre siècles un navire hollandais passait le cap le plus austral du globe et lui donnait un nom devenu symbole. Depuis la découverte du cap Horn, le vent et la mer ont tramé dans l’extrême sud de la Terre de Feu une histoire marine, grandiose et tragique. Voyage vers un caillou mythique.

La forêt magellanique est une dangereuse magicienne. Son chant attire à elle des voyageurs du monde entier et le philtre qu’elle leur administre est capable de changer l’enfer en paradis. Mais l’illusion ne fait généralement effet qu’un court instant, car la nature, dans ces parages, est singulièrement rétive aux charmes de l’enchanteresse. C’est ainsi qu’ayant débarqué dans la baie d’Ainsworth, au pied du glacier Marinelli, un des mille monstres froids qui, s’écoulant de la cordillère de Darwin, baignent les eaux glacées des canaux de Patagonie, par 55° de latitude sud, au cœur de ce fouillis d’îles par lequel le continent américain s’effrite dans l’océan Pacifique, un groupe de voyageurs modernes eut le sentiment d’avoir mis le pied au paradis: il faisait beau, des oiseaux gazouillaient dans le soleil. Au fond des bois, une falaise couverte de mousse laissait s’écouler, goutte à goutte, l’eau de la dernière averse dans une mare qui s’était formée à sa base. Cela donnait une musique d’une pureté absolue, comme un premier chant du monde. Là-dessus, les feuilles minuscules des coigües, les arbres patagons, laissaient passer suffisamment de lumière pour que du sol chauffé monte aux narines un parfum d’humus. Née de ces falaises, une rivière traversait la courte plaine séparant la forêt de la grève: sur ses berges poussaient des arbustes dont les fruits ressemblaient à des pommes miniatures, si petites qu’il aurait fallu à Adam et Eve en croquer beaucoup avant d’être expulsés de cet éden.

L’envoûtement dura le temps d’une promenade: dans l’après-midi, tout changea. En Terre de Feu, il suffit d’un nuage pour que cette beauté primitive de la terre laisse la place à un paysage d’une parfaite morosité: quelques heures plus tard, quand le Stella Australis quittait la baie d’Ainsworth, le ciel était devenu d’un gris insondable, un vent glacial se levait. Le navire, seul bateau d’expédition frayant dans ces parages, s’enfonçait dans un brouillard poisseux, entre deux séries de montagnes obscures, gluantes d’humidité, abritant une forêt compacte qui s’étalait jusqu’à l’eau verte du canal et qui, reculant lorsque la pente devenait trop abrupte, s’effaçait sur des rochers couverts de mousse orange, striés de cascades semblables à des voiles de mariée emportés par le vent.

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Le beau, écrit Rilke, n’est que le premier degré du terrible… A l’approche de l’île de Horn, sous des rafales dépassant les 130 km/h, la nature illustre superbement les paroles du poète. SFautre pour le Figaro Magazine

Naguère encore, la seule évocation de ce lugubre paysage faisait frissonner les marins les plus expérimentés: les innombrables récits de voyage dans cette région inamicale fourmillent de descriptions toutes plus catastrophiques les unes que les autres. Mais les canons de l’esthétique ont singulièrement changé: dans un monde surpeuplé, en voie de surchauffe, la désolation, la solitude et les glaces sont devenues belles aux yeux des hommes. La centaine de passagers présents à bord n’avait donc de cesse d’admirer ce paysage funeste et gigantesque. Ils avaient embarqué deux jours plus tôt à Punta Arenas, au Chili, dans ce confortable navire de la compagnie chilienne Australis. But de ce voyage au bout du monde: le cap Horn, lieu redoutable dont on fête cette année le 400e anniversaire de la découverte. Découverte étant à vrai dire un bien grand mot puisqu’il ne s’est jamais vraiment laissé approcher et que les marins qui le croisent depuis 1616 n’ont généralement qu’une hâte, c’est de le laisser bien loin derrière eux et au plus vite. Miracle de la technique, on peut désormais débarquer sur l’île de Horn: c’était le but du voyage. Depuis quelques années, un officier de la marine chilienne y vit en compagnie de sa femme et de ses deux enfants, le courageux ermite ayant la noble tâche de surveiller le dernier caillou de l’Amérique. Comment peut-on vivre là? La rencontre avec l’Américain le plus austral du monde promettait d’être passionnante.

Embouquant le canal Magdalena, le Stella Australis s’apprêtait à naviguer toute la nuit dans le labyrinthe d’eau et de roches que composent les canaux de Patagonie. Hautes montagnes couvertes de glace, fjords profonds, récifs et écueils, tourbillons de vent: toujours plus au sud dans ces voies d’eau que les marins chiliens connaissent comme leur poche. Le solide navire ballotté par la longue houle du Pacifique lorsque, sortant du canal Cockburn, il quitte pour quelques heures l’abri des îles avant de se faufiler à nouveau entre deux murailles en direction du canal Beagle, lequel conduit à Ushuaia et à la baie de Nassau, dernière étape avant l’ultime confetti de montagnes émergeant de la mer. Là se trouve le cap Horn.

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Au sud de la grande île de Terre de Feu, sur la rive nord du canal Beagle, Ushuaia, la ville la plus australe du monde. SFautre pour le Figaro Magazine

L’été austral laisse peu de temps à la nuit. Au petit matin, alors qu’un soleil pâle brillait déjà dans un grand ciel délavé par le vent, le bateau se trouvait au pied de l’île de Horn. Bien plus grande que ne la dessinait l’imagination, elle était couverte d’une sorte de gazon vert émeraude qui brillait singulièrement dans la lumière. L’herbe se balançait harmonieusement, agitée par le vent terrible qui soufflait: 130 kilomètres-heure, force 12, la plus haute sur l’échelle de Beaufort qui l’assimile à un ouragan «au-delà du 40e parallèle»: de ce côté-ci, c’est chose courante, juste ce qu’il faut pour porter les pétrels géants, les albatros et les sternes arctiques qui jouaient à raser les falaises. A l’ouest, l’horizon était barré par une formidable muraille gris sombre que touchait du doigt un arc-en-ciel planté dans la mer. Des vagues courtes et dures battaient la coque du navire. Le vent leur enlevait des nuages d’écume: ils se mêlaient aux averses de grêle qui fouettaient brutalement le pont du bateau. Nul gardien de l’île à l’horizon: on pouvait simplement deviner sa petite maison blottie au pied du phare, imaginer l’homme avec sa femme et ses enfants, debout derrière la fenêtre de sa cuisine, une tasse de café fumant à la main, observant le lourd bateau qui tournait en rond au pied de son caillou. De peur qu’ils ne soient retournés par le vent, le capitaine décida de ne pas mettre les canots à la mer. Fidèle à sa terrible légende, le Horn se refusait aux visiteurs. Après l’avoir admiré, on alla prendre le petit déjeuner.

Etonnant contraste entre le confort du voyage et la rigueur de l’environnement qui, il y a quelques décennies, laissait déjà songeur Stefan Zweig. Dans la préface de la très belle biographie qu’il a consacrée à Magellan, l’écrivain viennois raconte que c’est dans l’ennui et le luxe d’une longue traversée de l’Atlantique à bord d’un paquebot que lui est venue l’idée de raconter la vie de l’illustre marin. «Rappelle-toi, écrit-il, dans quelles conditions on voyageait autrefois. Compare cette traversée avec celles des audacieux navigateurs qui découvrirent ces mers immenses.» L’ouvrage raconte comment la quête d’une route plus courte vers les îles aux épices poussa le navigateur portugais à convaincre le futur Charles Quint de lui confier une flotte de cinq navires. Persuadé qu’il existait un passage, quelque part au sud du continent américain, permettant de relier l’Atlantique au Pacifique, Magellan quitta Séville le 10 août 1519 en compagnie de 265 hommes dont peu connaissaient le vrai but du voyage, sinon qu’il durerait très longtemps…

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La compagnie chilienne Australis est une des seules à organiser des expéditions touristiques dans les canaux de Patagonie, jusqu’au cap Horn. Les descentes à terre sont fréquentes comme ici, au pied du glacier Pia. SFautre pour le Figaro Magazine

Son exploit accompli, Magellan alla mourir quelque part dans l’archipel des Philippines. Seuls 18 marins à bord d’un navire proche du naufrage parviendraient à relier Séville, le 6 septembre 1522. Le destin avait interdit à Magellan de recevoir en Europe le tribut du vainqueur. Le temps a réparé l’injustice: le nom de l’illustre marin est resté accolé au détroit qu’il a découvert. L’histoire maritime de la Terre de Feu pouvait commencer. Elle ne manquerait pas de panache, car ici croiseraient les navigateurs les plus intrépides.

Mais la difficulté des conditions de navigation allait considérablement ralentir le travail d’exploration de la région: il faudra attendre plusieurs siècles avant que les canaux de Patagonie soient correctement cartographiés. En 1578, le pirate anglais Francis Drake voguera dans les parages. Découvrant qu’il n’y avait pas de continuation terrestre entre la Terre de Feu et les terres australes, il franchira en premier le passage qui sépare les continents américain et antarctique. Quelques années plus tard, le 14 juin 1615, deux navires hollandais quittaient la rade du Texel. Affrétés par la Compagnie Australe, basée dans la ville de Hoorn, ils étaient commandés par Jacob Le Maire, le fils du fondateur de l’entreprise et Willem Schouten. Les marins avaient pour mission d’ouvrir une nouvelle voie maritime qui éviterait le détroit de Magellan, alors soumis à une restriction imposée par leur grand concurrent: la toute-puissante Compagnie néerlandaise des Indes. Huit mois plus tard, Willem Schouten franchissait le passage de Drake. Croisant au large de la dernière île de Terre de Feu, il lui donna le nom de Hoorn, double hommage à la cité où avait été conçue son expédition et au bateau qui l’avait accompagné jusque-là, la patache Hoorn ayant disparu dans les flammes quelques jours plus tôt.

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Le renard de Magellan est particulièrement adapté à la rudesse de la vie dans ces terres australes. SFautre pour le Figaro Magazine

Parmi les centaines d’expéditions qui allaient se succéder au fil des siècles, il faut garder en mémoire celles de Fitz Roy. Le capitaine britannique allait se rendre à deux reprises en Terre de Feu à bord du célèbre Beagle. En 1826, puis en 1832, en compagnie du naturaliste Charles Darwin, qui allait trouver dans l’observation des Indiens yaghans une confirmation de sa théorie de l’évolution des espèces. En 1882, c’est l’aviso français La Romanche qui se rendit là, dans le cadre d’une expédition scientifique dans les mers australes. Parallèlement, le passage de Drake s’imposait comme une des premières routes commerciales du monde. En 1892, plus de 1 200 voiliers croisaient le cap Horn: tout à leur course de vitesse, les grands clippers évitaient les tortueux canaux de Patagonie. Mais la navigation restait particulièrement périlleuse: en 1905, on dénombrait 53 naufrages au large du ténébreux rocher. C’est dire si l’ouverture du canal de Panamá, en 1914, fut accueillie avec soulagement. En 1949, le Pamir, vaisseau allemand, fut le dernier voilier de commerce à franchir le cap Horn. Fin de l’histoire. Après une courte éclipse qui l’avait placée au carrefour du monde, la Patagonie pouvait reprendre la place qui lui revenait dans l’ordre naturel des choses: loin de tout.

Une autre histoire, littéraire celle-ci, pouvait commencer. Les écrivains ferment souvent la marche des explorateurs. Dans les années 50, alors qu’il naviguait dans le détroit de Magellan, Jean Raspail fit une rencontre qui, raconte-t-il, allait déterminer son existence: un canot de bois avec, au fond, quelques silhouettes massées autour de trois braises scintillant dans le brouillard. C’étaient sans doute les ultimes Kaweskars: les «hommes», comme ils s’appelaient eux-mêmes, les derniers Indiens de canots. Restés bloqués à l’âge de pierre, ils ne survécurent pas à la rencontre de l’homme moderne. Raspail leur a livré un magistral hommage dans son livre Qui se souvient des hommes… Aujourd’hui, les hommes ont disparu. Quelques descendants, métisses d’Indiens et de marins européens, tentent vaguement de se réapproprier une culture dont le sort fut scellé le jour où un de leurs ancêtres vit passer, depuis son rocher, les bateaux de Magellan. Et pour les voyageurs qui aboutissent aujourd’hui dans l’ancien royaume de ces ombres, il ne reste plus qu’à songer, en contemplant l’eau sombre des fjords et les plages de galets où ils vivaient jadis, à l’étrange destin de ce peuple. Ces lieux s’y prêtent particulièrement bien.

https://www.lefigaro.fr/voyages/2016/09/16/30003-20160916ARTFIG00256-le-cap-horn-400-annees-de-legende.php

« L’univers sonore fuégien : le paysage en tant que ressource culturelle » Conférence de Lauriane Lemasson à la Maison de l’Amérique Latine (Paris)

Pour les parisiens ou ceux qui seront de passage à Paris : Conférence de Lauriane sur l’espace sonore de la Terre de Feu jeudi 14 janvier à 19:00 à la Maison de l’Amérique Latine. http://mal217.org/fr/agenda/tribune-de-la-musique  Au plaisir de vous y retrouver et avec tous nos bons voeux pour cette nouvelle année ! tribmusique_mal_14012016L’univers sonore de la Patagonie Passionnée par la Patagonie insulaire, Lauriane Lemasson est musicienne, photographe et audio-naturaliste. Ses recherches en écologie sonore appliquée à l’ethnomusicologie (doctorante contractuelle au sein du laboratoire IreMus, Université Paris Sorbonne) concernent les liens qui se tissent entre l’homme et les sons de la nature en milieux extrêmes. Depuis 2014, elle dirige l’association Karukinka, en référence au mot indien selk’nam signifiant « la dernière terre des hommes ». Cette association se fonde sur un échange interculturel et pluridisciplinaire. Elle œuvre dans le but d’explorer les liens qui se tissent entre l’homme et son environnement, en associant des chercheurs et des acteurs locaux et internationaux. Pour Lauriane Lemasson, l’écologie sonore a pour vocation d’intégrer l’étude des sons de l’environnement dans différents domaines dont l’anthropologie, la géographie et les sciences cognitives. Elle travaille sur la manière dont était utilisé le paysage sonore par les nomades des canaux et les chasseurs-cueilleurs du sud du détroit de Magellan, parmi lesquels les Selk’nam, Haush et Yahgan qui ont habité ces territoires pendant des millénaires. En Terre de Feu argentine, elle a suivi les pas de peuples décimés par les maladies apportées d’Europe au début du XXème siècle, ou par les chasseurs de têtes payés par des estancieros. Un hommage à la grande ethnologue Anna Chapman (1922-2010) sera également rendu par Lauriane Lemasson.

Menendez, Roi de Patagonie : sortie du livre de José Luis Alonso Marchante

A la fin du 19ème siècle, un espagnol venu d’Asturie débarqua en Patagonie pour chercher fortune : José Menendez.

Déterminé, il devint assez rapidement le propriétaire de milliers d’hectares en Patagonie chilienne et argentine, et l’un des plus grands éleveurs de moutons, principalement destinés à la production de la laine exportée sur le marché mondial.

La véritable histoire de la construction de l’empire de José Menendez a été longtemps occultée par les histoires officielles du Chili et de l’Argentine. Après 6 ans d’investigations, l’historien asturien José Luis Antonio Marchante réalisa l’ouvrage Menendez, Rey de la Patagonia dans lequel il met en lumière les sombres détails de la conquête de la Patagonie par José Menendez.

 

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Dans son livre, disponible à l’heure actuelle uniquement en langue espagnole ici en livre numérique, José L. Alonso Marchante témoigne du génocide des peuples natifs (Selk’nam, Kawésqar, Yágan et Haush) et de l’exploitation des travailleurs chiliens (peones) qui furent, tous deux, des moyens rapides et efficaces pour Menendez d’asseoir son pouvoir politique et financier en Patagonie. Il explique comment il usa de la corruption aux plus hauts niveaux des Etats pour parvenir à acquérir des milliers d’hectares de terres alors que leur concentration dans les mains de quelques familles était interdite par les lois argentine et chilienne. José Luis Antonio Marchante expose donc au grand jour la tolérance du Chili et de l’Argentine à l’égard de ces pratiques illégales réalisées sur leur sol et dissimulées des histoires officielles jusqu’à ce jour.

Parmi les autres conséquences dramatiques de sa conquête du Grand Sud, la faune et la flore fuégiennes furent également impactées. Le mouton prit la place du guanaco (lama patagon), diminuant drastiquement la principale source de nourriture des Indiens Selk’nam (chasseurs-cueilleurs) et, compte-tenu de la capacité du mouton à trouver de la nourriture en coupant très ras la végétation, c’est toute une flore qui s’est retrouvée ravagée.

Ce livre est le fruit de l’analyse de nombreux témoignages non-officiels et archives. Il ouvre la voie à une importante quête de vérité sur la vraie histoire de la Patagonie, région qui loue toujours l’héritage de la Famille Menendez-Braun. Nous citerons pour exemples les nouvelles infrastructures (palais, maison-musée) construites récemment et la rue qui porte leur nom à Punta Arenas, autant de symboles de la puissance de cette famille qui a particulièrement contribué à l’âge d’or de la Patagonie (1880-1920) avec l’exportation de la laine et la diffusion d’une histoire officielle modifiée dans leur intérêt.

L’Homme et la Nature, une même communauté

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Les activités de KARUKINKA sont nées de la conviction que les enjeux écologiques doivent s’inscrire dans une dynamique de relations directes homme / nature. Notre vie quotidienne, l’éducation de nos enfants, nos activités économiques, se déroulent pour l’essentiel dans un cadre spatio-temporel d’où la nature est absente.

Le développement durable et l’écologie s’inscrivent chaque jour d’avantage dans l’horizon politique et intellectuel de nos sociétés modernes. Cette conscience collective émergente doit, pour s’installer durablement, trouver un relais dans les consciences individuelles, dans l’intimité de la relation qu’entretient chacun avec la nature.

Il est donc essentiel de générer des dynamiques de revitalisation du dialogue homme/nature. L’ambition de KARUKINKA est, à sa modeste mesure, de contribuer à cet objectif.

Ce projet d’expédition est de comprendre la relation entre les cultures indiennes (Haush, Selk’nam et Yahgan) et la nature au sud du détroit de Magellan, avec deux approches :

– S’immerger dans des lieux autrefois habités par les indiens et suivre leurs pas en se référant aux travaux anthropologiques antérieurs ;

– Etudier l’environnement sous différentes facettes grâce à une équipe de chercheurs de spécialités différentes ;

– Enregistrer et photographier les territoires traversés ;

– Développer une approche sensible de l’environnement et prolonger cette étude par des créations artistiques, conférences et expositions qui permettront au public d’appréhender cet espace et de s’en imprégner.

Le récit de la quatrième partie de l’expédition Terre de Feu 2013 est en ligne sur le blog du Leica Store de Paris

http://leicastoreparis.org/expedition-explorasons-4eme-partie/

Face à nous Lëm se couche et Hanuxa fait son entrée, devant le regard de Watauineiwa résidant sous nos pieds…

Au réveil, le soleil fait monter la température à 25°C à l’intérieur de la tente, 18°C relevés à l’extérieur et à l’abri, avec des rafales de vent de 4 km/h en moyenne, 6km/h maximum relevé à onze heures. La pression atmosphérique est de bonne augure : 1000 hPa ! Les choses s’annoncent bien. Nous contemplons l’immense baie d’Ushuaia jusqu’à sa disparition complète de notre champs de vision après avoir repris notre chemin en direction des estancias Punta Segunda et Encajonado.

Les paysages se suivent, toujours grandioses, sous un soleil fidèle et de nombreux et beaux nuages. Vers 17h30, nous arrivons à l’estancia Encajonado. Des troupeaux de vaches, moutons et chevaux entourent cette exploitation et sont répartis sur plusieurs centaines de mètres de clôtures. Nous rencontrons un homme d’une trentaine d’années occupé à retirer la selle de son alezan et qui nous indique où passer dans ce labyrinthe. Une route rarement empruntée par son pickup se dessine sur le littoral du canal. Elle serpente en direction de la préfecture maritime de Puerto Almanza.

Sur cette route verdoyante, toute l’immensité de la Terre de Feu s’exprime : la plaine interminable ponctuée de sombres buissons d’épineux d’une quarantaine de centimètres, la largeur du canal au courant peu prononcé, et les sommets tachetés de neige de la sierra Sorondo faisant face aux sommets de l’île chilienne… Au beau milieu de cet environnement grandiose, nous finissons par trouver un lieu de bivouac juste à côté d’un ruisseau, à quelques mètres du canal et tourné vers l’ouest.

Le ciel est dégagé et progressivement le soleil descend face à nous. J’enregistre, prends des notes, photographie et contemple cet ancien territoire indien. Le coucher de soleil de ce jour restera pour longtemps dans nos mémoires. Face à nous, la chaleur du feu solaire rencontre les miroitements argentés du canal et du ruisseau. Les nuages vaporeux donnent à voir toutes les nuances de gris possibles, laissant passer peu de lumière sur les sombres montagnes des chaînes environnantes. Lëm (le dieu du Soleil) part se coucher et sa belle-sœur, la déesse Hanuxa (la Lune) arrive, sous le regard du dieu suprême des Yagans : Watauineiwa, la Terre.

Nous restons assis, silencieux, jusqu’à la disparition complète de Lëm et les premières apparitions des étoiles du Sud derrière nous, doucement accompagnés par les cris des goélands et des ibis (manifestations de la déesse Lexuwa), le léger flux et reflux du canal et le débit régulier du ruisseau s’écoulant de manière imperturbable à quelques mètres de notre tente.