CRITIQUE – Le romantisme des causes perdues et l’esprit d’enfance de l’écrivain et explorateur français palpitent dans Petits éloges de l’ailleurs.
Pour en saisir le premier degré, l’appel des horizons lointains et le goût du jeu, il faut sans doute découvrir l’œuvre de Jean Raspail (1925-2020) dans ses jeunes années, quand l’insouciance de l’enfance n’est pas encore trop loin et que les préoccupations de l’âge adulte s’invitent sur la pointe des pieds, quand les préjugés et les mauvaises réputations ne gâchent pas le bonheur de la rencontre. Ainsi, Le Camp des saints, le roman le plus célèbre de l’écrivain, paru en 1973, dans lequel il imagine la France et l’Europe submergées par des millions de migrants, apparaît alors comme une dystopie aux allures de western à la Sam Peckinpah plutôt qu’en roman culte prophétique – ce qu’il est devenu, notamment pour une certaine extrême droite, au fil du temps. Mais, au final, peu importe le moment pourvu que la découverte advienne et que les livres soient lus.
On conseillera donc autant aux néophytes qu’aux fidèles de Raspail Petits éloges de l’ailleurs, copieux volume remarquablement préfacé…
« Zahori », tourné dans la steppe, raconte l’amitié inattendue entre une jeune fille de 13 ans originaire du Tessin et un vieil indien Mapuche. C’est le premier film de Mari Alessandrini, une Argentine qui a fait son école de cinéma à Genève. A voir sur les écrans romands.
« C’est, je crois, le premier film tourné par une Patagonienne », dit à la RTS Mari Alessandrini, née et élevée en Argentine. Mais c’est à Genève qu’elle vit aujourd’hui. Genève où, sur recommandation d’une amie, elle a fait ses études à la HEAD (Haute école d’art et de design), après avoir fait de la photo et du cirque contemporain. « A la suite d’un accident d’acrobatie à 25 ans, j’ai su que je ne pouvais plus faire d’activités physiques intenses. Le cinéma s’est présenté comme l’aboutissement de tous les arts que j’avais pratiqués », poursuit-elle.
Pour son premier film, en compétition cet été au Festival de Locarno, elle n’a pas choisi la facilité. Elle a tourné dans la steppe sauvage, qui recouvre 80% de la Patagonie, loin de tout, et a travaillé avec ce qu’il y a de plus difficile au cinéma: des animaux, des enfants et des acteurs amateurs.
Récit initiatique
« Zahori » raconte l’histoire de Mora (13 ans) qui veut devenir « gaucho ». Elle se rebelle contre l’école et s’affirme auprès de ses parents, des écologistes suisses italiens et végétariens, dont le rêve d’autonomie s’est transformé en cauchemar. Car dans ce coin du monde, la terre refuse d’être cultivée.
Mora a pour amis un vieil Indien et son cheval blanc, baptisé « Zahori ». Une nuit de tempête, l’animal s’enfuit. Mora se met en tête de le retrouver. En le cherchant, la jeune fille entame sa quête vers l’émancipation et passera de l’enfance à l’adolescence.
Née en Argentine mais de père italien, Mari Alessandrini a-t-elle fait un film autobiographique? « Un peu oui, mais c’est surtout de la fiction, de la poésie, mes rêves et les conflits contemporains qui animent cette région du monde ». Parmi ces conflits, la réalisatrice cite la grande solitude de ses habitants, les internats sous domination militaire ou religieuse, la rudesse d’une terre où il est plus facile de chasser que de labourer ainsi que les différentes cultures entre les peuples d’origine et ceux de l’immigration, la plupart européens ou nord-américains, qui rêvent d’un ultime Eldorado.
L’humour à travers deux missionnaires burlesques
La question religieuse est aussi présente, notamment à travers les figures burlesques de deux missionnaires roux, sortes de Laurel et Hardy mormons, portant la bonne parole dans la pampa.
Il y a beaucoup de télévangélistes, de mormons et de témoins de Jehovah; ils sont très insistants et ont remplacé les missionnaires catholiques.Mari Alessandrini, réalisatrice de « Zahori »
« Zahori » est un film plutôt contemplatif, qui met en valeur une nature à la fois sublime et d’une extrême violence qui peut permettre la réalisation de ses idéaux ou les briser, à l’image de ceux des parents de Mora qui s’y accrochent malgré tout, au détriment de leur bonheur et de celui de leurs enfants: « Je voulais montrer la puissance des lieux qui obligent à changer de philosophie ou à s’adapter ».
Dans l’extrême sud de l’Amérique, le peuple selk’nam ou ona est en train de démontrer qu’il n’est pas disparu, contrairement à ce qu’affirmaient les académiciens et les livres. En récupérant leurs histoires familiales et leurs traditions ils cherchent la reconnaissance.
Traduction par l’association Karukinka d’un article de Victoria Dannemann paru en espagnol le 28/10/2021 et intitulé « Selk’nam: reaparición de un pueblo que se creía extinguido » (Source : https://p.dw.com/p/42IU6)
Maintenant Marcela Comte comprend pourquoi sa mère maintenait toujours les rideaux fermés et était terrorisée d’ouvrir la porte quand quelqu’un frappait. La peur l’accompagnait, même en vivant au nord du Chili, à plus de quatre mille kilomètres de la Terre de Feu, cette île lointaine d’où venait son grand-père.
Pour Hema’ny Molina, la bonne note, qu’elle obtint avec un devoir scolaire au sujet des peuples indigènes de la région australe, qui disait que les selk’nam ou ona étaient disparus, n’était pas juste. « Je regardais mon grand-père et ma mère et je savais qu’ils étaient onas. Je l’ai dit à ma professeure que mon travail était mauvais, qu’ils n’étaient pas disparus, mais je n’ai pas trouvé la force de lui dire que je suis ona » se souvient elle.
Ainsi grandirent ils, loin du territoire de leurs ancêtres et avec plein de contradictions, dans une société qui officiellement les disait disparus et dans laquelle il valait mieux se taire. « Cela toutes les familles l’ont vécu. Nous l’avons très mal vécu au collège, on se moquait de nous. Jusqu’à ce que l’un prenne le pouvoir en s’affirmant et en n’accordant pas d’importance à ce que les autres disent. Mais malgré cela aujourd’hui encore certains n’ont pas dépassé la barrière de la peur » dit Hema’ny Molina, aujourd’hui présidente de la Corporation Selk’nam du Chili.
« Ils n’osent pas le dire publiquement parce que comme les livres disent que nous n’existons pas, ils ne se sentent pas sûrs. « Où est ton peuple » te demandent ils, « et tu crois que tu es tout seul » ajoute Marcela Comte, trésorière de la corporation. Toutes deux appartiennent à la Communauté Covadonga Ona qui réunit des familles qui s’auto-identifient comme selk’nam au Chili (les documents officiels les enregistrent indistinctement en tant que selk’nam ou selknam).
La majorité des survivants du génocide contre ce peuple a fini par se disperser au Chili et en Argentine – pays auxquels appartient la Terre de Feu -, mais aussi beaucoup d’autres ont été embarqués sur des navires marchands vers une destination incertaine. « A un moment donné nous avons cru que nous étions l’unique famille à avoir conscience de venir de là-bas. Toutes les familles l’ont aussi pensé et c’est un très grand sentiment de solitude » dit Molina.
Survivants de l’extermination
Quand le missionnaire et ethnologue allemand Martin Gusinde est arrivé en Terre de Feu en 1918, il a estimé que sur l’île il restait moins de 300 selk’nam. 50 ans plus tard, l’anthropologue Anne Chapman décréta qu’avec la mort de la supposée dernière locutrice nous étions disparus. « Nous avons été victimes d’un génocide physique et académique », dit Molina.
Le premier choc a eu lieu avec l’arrivée des navigateurs et des chercheurs d’or, et avec la séquestration des indigènes qui furent présenté dans les expositions et les zoos humains en Europe. Dans la seconde moitié du XIXème siècle sont arrivés les pionniers de l’élevage ovin. Molina indique qu’avec l’aval des Etats du Chili et de l’Argentine, « il y a eu de véritable chasses humaines, allant jusqu’au paiement d’une livre sterling pour un homme mort. La Terre de Feu est criblée de cadavres, et beaucoup sans tête parce qu’ils la leur coupaient pour la vendre aux musées. »
Les hommes et les anciens étaient assassinés et les jeunes femmes et les enfants séquestrés. Les enfants du métissage forcé parlaient la langue et étaient élevés comme selk’nam, mais on leur refusait le droit de l’être. Beaucoup finirent dans les missions salésiennes situées en dehors de l’île, où ils prétendirent sauver les indigènes des massacres et les évangéliser, mais ils apportèrent des maladies qui les décimèrent. Les enfants survivants furent donnés en adoption. Beaucoup perdirent leurs noms et grandirent sans connaître leurs origines.
« Il y a une coupure historique durant laquelle personne n’a rien su de nous. Ce fût tellement violent que la première réaction des enfants a été de se taire et d’oublier qu’ils étaient selk’nam, parce que de cela dépendait la vie. Le trauma familial est très grand, c’est pour cela qu’il est difficile de parler », dit Marcela Comte.
Des histoires de famille à la reconnaissance
Du côté argentin de la Terre de Feu, la communauté indigène Rafaela Ishton a réussi à obtenir des droits et garanties, ce qui est en aval aussi de la lutte de ce peuple au Chili. Dans le dernier recensement du pays, 1.144 personnes se reconnaissent comme selk’nam et la communauté Covadonga Ona regroupe plus de 200 membres.
Avec la Corporation Selk’nam du Chili, ils veulent la reconnaissance officielle de l’Etat en tant qu’ethnie originaire. La chambre des députés a approuvé l’idée du législateur et le Gouvernement vient d’autoriser le déblocage de fonds pour l’étude anthropologique, historiographique et arquéologique requise. Une fois remise, le Sénat devra se prononcer. Cela leur permettra d’accéder à une série de bénéfices qui composent la loi nommée Loi Indigène. Un autre antécédent positif est que, depuis quelques années, ils participent à des instances destinées aux peuples originaires et qu’ils ont des échanges entre eux.
De plus, cela fait cinq ans qu’ils travaillent avec l’Université Catholique Silva Henríquez – et maintenant s’ajoute l’Université de Magallanes-, dans la recherche des antécédents sur la survie selk’nam au Chili. « Certains ont seulement le soupçon et rien avec quoi le prouver, mais ils se regardent dans le miroir et il y a une tendance inexplicable. Quand ils commencent à recueillir les histoires et les coutumes, ils trouvent un ancêtre qui a été adopté, à qui le nom a été changé, et qui a transmis les traits culturels qui sont restés dans la famille » indique Hema’ny Molina.
L’anthropologue Constanza Tocornal, de l’Université Catholique Silva Henríquez, travaille avec eux à la reconstruction de la mémoire orale et des histoires de famille, et dans la révision des sources archivistiques et documentaires.
« La reconnaissance culturelle et politique du peuple selk’nam doit considérer que le génocide a rendu difficile la continuité culturelle. Dans ces mémoires familiales il y a des processus intimes d’invisibilisation, la peur et la violence soufferts jusqu’à l’auto-identification en tant que peuple, dans une société qui les disait disparus. Cela aussi fait partie des composants identitaires », explique-t-elle.
Le processus légal de reconnaissance n’a rien à voir avec la pureté du sang précisent-ils au sein de la corporation. Les peuples changent et même si aujourd’hui ils ne vivent plus dans le territoire ni parlent la langue, ils maintiennent quelques caractéristiques culturelles. Eux-mêmes découvrent des similitudes quand ils se réunissent. Il y aussi certaines pratiques et habiletés dans les familles, comme le travail textile ou en cuir qui « une fois qu’est reconnue la possibilité d’un ancêtre selk’nam et que celui-ci est corroboré par des récits ethnographiques, rencontre une plus grande explication » ajoute Tocornal.
Aujourd’hui ils sont dans un processus de récupération de la langue, qui ne s’est jamais perdue complètement. Chaque jour ils reçoivent plus de questions des collèges et universités pour qu’ils leur livrent leur témoignage relate Marcela Comte: « Ils nous posent beaucoup de questions, nous leur enseignons quelques mots et ils se retrouvent émerveillés que nous soyons là et que les textes scolaires soient faux. »
Article traduit de l’espagnol au français par l’association Karukinka :
Dans “Mi sangre yagán” [mon sang yagan], Víctor Vargas Filgueira parcourt les récits méconnus de ses ancêtres et de la colonisation. Infobae Cultura s’est entretenu avec l’auteur.
“Je suis membre d’un peuple illustré par le visage de mon grand-père sur la couverture du livre Mi sangre yagán, ahua saapa yagán (La Flor Azul)”. C’est ainsi que se présente Víctor Vargas Filgueira, âgé de 50 ans et qui conitnue de vivre dans les mers du sud de ses ancêtres, à Ushuaia, et dont l’oeuvre combine l’histoire orale et la recherche sur l’un des peuples indigènes les plus oubliés.
Peut-être que la raison se trouve dans les tueries continues qui provoquèrent la mort de milliers de yagán (aussi yagan ou yámana), les conduisant à une centaine de survivants en à peine trois décennies. Ces navigateurs en canoës étaient d’habiles chasseurs d’otaries et de dauphins et ramassaient toutes sortes de mollusques, depuis les palourdes jusqu’aux oursins. Ils ont été l’objet de persécutions afin que leurs territoires soient convertis en ranchs [estancias] anglais, transformant ainsi leurs terres ancestrales à la faveur du colonialisme au début du XXème siècle.
Mais le livre montre un quotidien méconnu de ce peuple, mais qui est ici, dans le sud, et qui révèle comment la décimation des Yagan a limité la connaissance de la culture des mers du Sud.
Orundellico, son nom yagán, ou Jemmy Button, celui que lui donnèrent ses séquestrateurs.
Un des yagán le plus connu, par les difficultés infligées par Charles Darwin, est Jemmy Button, lequel fût séquestré et conduit en Angleterre avec trois personnes supplémentaires de différentes ethnies de la région, où ils furent examinés, ensuite exhibés, plus tard convertis en serviteurs qui parlaient anglais, avant que Darwin, le théoricien de l’évolution des espèces, les reconduisit dans les mers du sud. Cet autre chapitre du colonialisme sauvage fût également situé dans les environs de la Terre de Feu. Ceci eut lieu un demi siècle avant les narrations qui composent Mi sangre yagán.
-Comment le colonialisme a-t-il fait passer les Yagans de plusieurs milliers à une centaine en trente ans ?
-Les chroniques coloniales l’attribuent aux maladies, mais cela représente 0 pour cent de ce qui s’est passé lors de l’extermination. On leur a coupé la tête et les oreilles, et certains propriétaires terriens, dont les descendants possèdent encore de grandes propriétés, nous chassaient pour pouvoir élever leurs moutons sur nos territoires. Sur notre territoire, ces chasseurs sont tous anglais, irlandais, écossais, il n’y a pas d’allemands ou d’autres nationalités. Le chasseur le plus cruel était un Écossais nommé McLeland.
« Mi sangre yagán, ahua saapa yagán » (La Flor Azul), de Víctor Vargas Filgueira
-Il y en avait aussi avec de bonnes intentions, selon le livre, comme l’anthropologue allemand Martín Gusinde.
-Comme aujourd’hui, il y a des gens bons et des gens mauvais, comme dans l’histoire de l’humanité. Un Alvear de l’époque disait : « l’Indien nous l’avons déjà eu, nous avons maintenant pour nous la femme et les enfants, nous en faisons nos serviteurs ». C’est une histoire horrible qui s’est produite. La Terre de Feu n’est pas un grand territoire, chaque ville ne dépassait pas six mille habitants, ce qui facilitait le travail d’extermination. Et après le massacre, ils ont été pris comme travailleurs gratuits dans les ranchs des gringos.
-Existe-t-il aujourd’hui des membres de l’ethnie Yagan qui préservent leurs coutumes ?
-Cette question provient également d’une étude colonisée. Vous voulez que moi ou ma communauté soyons nus en train de travailler dans un canoë d’écorce. J’ai un téléphone portable dans ma poche parce qu’il n’est plus utile de chasser en canoë ou de collecter comme le faisait mon peuple. Cela nous a laissé la pensée hégémonique selon laquelle si vous êtes indien, vous devez avoir une caractéristique, par exemple un bandeau, des cheveux longs. Aucun yagan ne peut imiter mon grand-père et si un documentaire est réalisé sur l’Amazonie, certains porteront sûrement des baskets Nike. Je suis le premier conseiller de l’ethnie Yagán, mais la seule chose que l’on peut souligner est que je suis de petite taille, car mon peuple chassait dans une pirogue d’écorce et que les Yagán mesurent en moyenne 1,5 mètre, tandis que les Selk’nam 1,80 parce qu’ils ont parcouru la terre ; Ils étaient tous formés par leur mode de vie. Il y a un lien qui nous permet de nous retrouver avec nos ancêtres, et puis une possibilité plus marquée de manger du poisson de mer, car nous en sommes issus.
Trois protagonistes de l’histoire yagán
-Le livre montre une série de cérémonies, également accompagnées de photographies, au cours desquelles le visage ou le corps est peint. Qu’est-ce que cela signifie ?
-C’est comme le Père Noël ou Noël. L’homme a besoin de célébrer. Et quand notre pauple nécéssitait une cérémonie de croyance, spirituelle, la quina des yagán était une cérémonie pour recréer le bien et le mal. L’homme a toujours eu besoin de recréer le bien et le mal, et les yagán utilisaient cela surtout avec les jeunes. La peinture noire correspondait au mal et la rouge à la bonté.
-Les femmes semblaient se maquiller le visage.
-Les femmes se faisaient des lignes sur le visage, et les lignes rouges étaient liées au bon esprit et le blanc était cérémoniel.
-Vous dites que votre grand-père était le sorcier et les Yagans dans le livre, disent à plusieurs reprises qu’ils ne doivent pas divulguer leurs connaissances. Comment cela fonctionnait-il ?
-Celui qui est venu s’est toujours cru supérieur et à tel point qu’à ce moment-là, les nôtres se sont dit : « Je ne vais pas te montrer ce que nous savons ». C’était une logique de protection.
Les photos que montre cette note rendent compte d’une société avec ses rituels, ses gens, ses célébrations et ses jeux. Les Yagans.