Parce qu’il est selon nous l’un des meilleurs documentaire dédié à la région du cap Horn et ses habitants et pour bien commencer l’année, nous vous recommandons de visionner “Tanana, estar listo para zarpar” (être prêt à partir naviguer) avec Martin Gonzalez Calderon et réalisé par Alberto Serrano, directeur du Musée Yagan Usi – Martin Gonzalez Calderon de Puerto Williams, île Navarino, région de Magallanes et Cabo de Hornos, Chili. Une véritable expédition sensible dans ces territoires majestueux et à ne pas manquer pour découvrir ces visages qui font les lieux.
Ce film a été principalement tourné dans une des baies du nord de l’île Navarino : la baie Mejillones. Il est dédié à la construction d’un petit voilier, le Pepe II, selon la tradition yagan. Toute la famille de Martin apparaît au fil des séquences, que ce soit pour le choix de l’arbre à utiliser pour la construction mais aussi pour fabriquer ce navire puis le mettre à l’eau. S’ensuit la navigation ancestrale à la voile et à la rame dans les canaux de Patagonie, menée par Martin Gonzalez Calderon et son gendre, tout cela aussi grâce au soutien de pêcheurs locaux, tant la législation complique la navigation traditionnelle à l’approche, entre autres, des glaciers de la cordillère Darwin et du faux cap Horn.
Pour la petite anecdote, Martin est le grand frère d’un des membres honneur de notre association : José German Gonzalez Calderon, venu nous rendre visite en France en octobre 2019. Sa présentation de la version française de ce documentaire et de la navigation telle qu’il l’a vécue dès son plus jeune âge avec sa famille dans les canaux de Patagonie a été un des moments forts du festival Haizebegi. Pour en savoir plus, n’hésitez pas à vous rendre sur la page de ce projet, sur le site de l’association : Haizebegi 2019.
Article traduit de l’espagnol au français par l’association Karukinka :
Dans “Mi sangre yagán” [mon sang yagan], Víctor Vargas Filgueira parcourt les récits méconnus de ses ancêtres et de la colonisation. Infobae Cultura s’est entretenu avec l’auteur.
“Je suis membre d’un peuple illustré par le visage de mon grand-père sur la couverture du livre Mi sangre yagán, ahua saapa yagán (La Flor Azul)”. C’est ainsi que se présente Víctor Vargas Filgueira, âgé de 50 ans et qui conitnue de vivre dans les mers du sud de ses ancêtres, à Ushuaia, et dont l’oeuvre combine l’histoire orale et la recherche sur l’un des peuples indigènes les plus oubliés.
Peut-être que la raison se trouve dans les tueries continues qui provoquèrent la mort de milliers de yagán (aussi yagan ou yámana), les conduisant à une centaine de survivants en à peine trois décennies. Ces navigateurs en canoës étaient d’habiles chasseurs d’otaries et de dauphins et ramassaient toutes sortes de mollusques, depuis les palourdes jusqu’aux oursins. Ils ont été l’objet de persécutions afin que leurs territoires soient convertis en ranchs [estancias] anglais, transformant ainsi leurs terres ancestrales à la faveur du colonialisme au début du XXème siècle.
Mais le livre montre un quotidien méconnu de ce peuple, mais qui est ici, dans le sud, et qui révèle comment la décimation des Yagan a limité la connaissance de la culture des mers du Sud.
Orundellico, son nom yagán, ou Jemmy Button, celui que lui donnèrent ses séquestrateurs.
Un des yagán le plus connu, par les difficultés infligées par Charles Darwin, est Jemmy Button, lequel fût séquestré et conduit en Angleterre avec trois personnes supplémentaires de différentes ethnies de la région, où ils furent examinés, ensuite exhibés, plus tard convertis en serviteurs qui parlaient anglais, avant que Darwin, le théoricien de l’évolution des espèces, les reconduisit dans les mers du sud. Cet autre chapitre du colonialisme sauvage fût également situé dans les environs de la Terre de Feu. Ceci eut lieu un demi siècle avant les narrations qui composent Mi sangre yagán.
-Comment le colonialisme a-t-il fait passer les Yagans de plusieurs milliers à une centaine en trente ans ?
-Les chroniques coloniales l’attribuent aux maladies, mais cela représente 0 pour cent de ce qui s’est passé lors de l’extermination. On leur a coupé la tête et les oreilles, et certains propriétaires terriens, dont les descendants possèdent encore de grandes propriétés, nous chassaient pour pouvoir élever leurs moutons sur nos territoires. Sur notre territoire, ces chasseurs sont tous anglais, irlandais, écossais, il n’y a pas d’allemands ou d’autres nationalités. Le chasseur le plus cruel était un Écossais nommé McLeland.
« Mi sangre yagán, ahua saapa yagán » (La Flor Azul), de Víctor Vargas Filgueira
-Il y en avait aussi avec de bonnes intentions, selon le livre, comme l’anthropologue allemand Martín Gusinde.
-Comme aujourd’hui, il y a des gens bons et des gens mauvais, comme dans l’histoire de l’humanité. Un Alvear de l’époque disait : « l’Indien nous l’avons déjà eu, nous avons maintenant pour nous la femme et les enfants, nous en faisons nos serviteurs ». C’est une histoire horrible qui s’est produite. La Terre de Feu n’est pas un grand territoire, chaque ville ne dépassait pas six mille habitants, ce qui facilitait le travail d’extermination. Et après le massacre, ils ont été pris comme travailleurs gratuits dans les ranchs des gringos.
-Existe-t-il aujourd’hui des membres de l’ethnie Yagan qui préservent leurs coutumes ?
-Cette question provient également d’une étude colonisée. Vous voulez que moi ou ma communauté soyons nus en train de travailler dans un canoë d’écorce. J’ai un téléphone portable dans ma poche parce qu’il n’est plus utile de chasser en canoë ou de collecter comme le faisait mon peuple. Cela nous a laissé la pensée hégémonique selon laquelle si vous êtes indien, vous devez avoir une caractéristique, par exemple un bandeau, des cheveux longs. Aucun yagan ne peut imiter mon grand-père et si un documentaire est réalisé sur l’Amazonie, certains porteront sûrement des baskets Nike. Je suis le premier conseiller de l’ethnie Yagán, mais la seule chose que l’on peut souligner est que je suis de petite taille, car mon peuple chassait dans une pirogue d’écorce et que les Yagán mesurent en moyenne 1,5 mètre, tandis que les Selk’nam 1,80 parce qu’ils ont parcouru la terre ; Ils étaient tous formés par leur mode de vie. Il y a un lien qui nous permet de nous retrouver avec nos ancêtres, et puis une possibilité plus marquée de manger du poisson de mer, car nous en sommes issus.
Trois protagonistes de l’histoire yagán
-Le livre montre une série de cérémonies, également accompagnées de photographies, au cours desquelles le visage ou le corps est peint. Qu’est-ce que cela signifie ?
-C’est comme le Père Noël ou Noël. L’homme a besoin de célébrer. Et quand notre pauple nécéssitait une cérémonie de croyance, spirituelle, la quina des yagán était une cérémonie pour recréer le bien et le mal. L’homme a toujours eu besoin de recréer le bien et le mal, et les yagán utilisaient cela surtout avec les jeunes. La peinture noire correspondait au mal et la rouge à la bonté.
-Les femmes semblaient se maquiller le visage.
-Les femmes se faisaient des lignes sur le visage, et les lignes rouges étaient liées au bon esprit et le blanc était cérémoniel.
-Vous dites que votre grand-père était le sorcier et les Yagans dans le livre, disent à plusieurs reprises qu’ils ne doivent pas divulguer leurs connaissances. Comment cela fonctionnait-il ?
-Celui qui est venu s’est toujours cru supérieur et à tel point qu’à ce moment-là, les nôtres se sont dit : « Je ne vais pas te montrer ce que nous savons ». C’était une logique de protection.
Les photos que montre cette note rendent compte d’une société avec ses rituels, ses gens, ses célébrations et ses jeux. Les Yagans.
Étape mythique des grandes traversées, le célèbre Cap Horn. Un lieu chargé en histoire maritime… et en mystères.
Par Julien Baldacchino, source : https://www.radiofrance.fr/franceinter/le-cap-horn-ce-bout-du-monde-qui-fascine-5448157
Le Cap Horn, qui marque le début de la remontée des navires vers la France est le dernier des trois caps que passent les skippers de la célèbre course, après les caps de Bonne-Espérance (au sud de l’Afrique) et Leeuwin (au sud de l’Australie). Il est le point le plus au sud de l’Amérique, à l’extrême sud de l’archipel chilien de la Terre de Feu.
Et c’est, pour tous les skippers, et au-delà, pour tous les navigateurs depuis plusieurs siècles, l’un des passages les plus compliqués du monde entier en mer. Et c’est ce qui fait la renommée du Cap Horn : de nombreux bateaux y ont fait naufrage, et des dizaines de marins y ont perdu la vie.
Vents et vagues
Franchi pour la première fois par Jacob Le Maire et Willem Schouten (qui avaient été financés par la ville hollandaise de Hoorn, qui lui a donné son nom) il y a 400 ans, en 1616, le cap Horn a la particularité de se situer à une latitude de 56° sud.
Soit bien en-dessous de la latitude de 40° au-delà de laquelle les vents sont particulièrement violents (les fameux “Quarantièmes rugissants”). Plus exactement, avec sa latitude, le cap Horn se situe entre les “cinquantièmes hurlants” et les “soixantièmes stridents”.
Et les vents violents donnent lieu, en plus, à des vagues très fortes et des courants importants. Les plus hautes vagues dans la zone peuvent atteindre 30 mètres de haut.
Un cap incontournable jusqu’au XXe siècle
Mais si ce cap est si compliqué à franchir, pourquoi tant de navigateurs s’y sont-ils frottés pendant des siècles ? Parce qu’il n’y avait pas le choix ! Avant la construction du canal de Panama, inauguré en 1914, le sud du Chili était le seul passage entre l’océan Atlantique et le Pacifique. Il existe deux routes : le détroit de Magellan, qui passe entre le sud du continent américain et la Terre de Feu, et le passage de Drake, entre la Terre de Feu et l’Antarctique, près du Cap Horn donc.
Ainsi, l’année 1982, quelque 1.200 voiliers sont par le Cap Horn, essentiellement des navires de commerce. Après 1914 et l’ouverture du canal de Panama, ce nombre n’a cessé de décroître : en 1949, le Cap Horn a vu passer son dernier bateau commercial, le Pamir, un navire allemand.
Aujourd’hui, ce célèbre cap n’est plus franchi que par des navigateurs sportifs qui veulent défier leurs limites. Et il reste une épreuve compliquée : en 2009 par exemple sur le Vendée Globe, le skipper Jean Le Cam a chaviré peu avant d’arriver au Cap Horn, obligeant deux de ses concurrents, Vincent Riou et Armel Le Cléac’h, à se détourner Vendée Globe pour aller à son secours.
Chansons et littérature
Bien qu’il ne soit plus aussi emprunté, le Cap Horn reste un lieu fort pour la culture populaire. Plusieurs chants de marins l’évoquent, et de nombreux ouvrages littéraires, dont beaucoup de récits de voyage (comme Jean Raspail qui a consacré plusieurs livres à la Patagonie et à la Terre de feu).
Enfin, le Cap Horn a aussi laissé sa trace dans l’histoire scientifique : pour écrire son fameux “De l’origine des espèces”, Charles Darwin a fait un tour du monde en bateau pendant cinq ans qui l’a conduit notamment sur la Terre du Feu. Dans Le voyage du Beagle”, il raconte lui aussi son passage épique du Cap Horn.
Publié le 16/09/2016 à 17:30, mis à jour le 26/09/2016 à 12:52
EN IMAGES – Il y a quatre siècles un navire hollandais passait le cap le plus austral du globe et lui donnait un nom devenu symbole. Depuis la découverte du cap Horn, le vent et la mer ont tramé dans l’extrême sud de la Terre de Feu une histoire marine, grandiose et tragique. Voyage vers un caillou mythique.
La forêt magellanique est une dangereuse magicienne. Son chant attire à elle des voyageurs du monde entier et le philtre qu’elle leur administre est capable de changer l’enfer en paradis. Mais l’illusion ne fait généralement effet qu’un court instant, car la nature, dans ces parages, est singulièrement rétive aux charmes de l’enchanteresse. C’est ainsi qu’ayant débarqué dans la baie d’Ainsworth, au pied du glacier Marinelli, un des mille monstres froids qui, s’écoulant de la cordillère de Darwin, baignent les eaux glacées des canaux de Patagonie, par 55° de latitude sud, au cœur de ce fouillis d’îles par lequel le continent américain s’effrite dans l’océan Pacifique, un groupe de voyageurs modernes eut le sentiment d’avoir mis le pied au paradis: il faisait beau, des oiseaux gazouillaient dans le soleil. Au fond des bois, une falaise couverte de mousse laissait s’écouler, goutte à goutte, l’eau de la dernière averse dans une mare qui s’était formée à sa base. Cela donnait une musique d’une pureté absolue, comme un premier chant du monde. Là-dessus, les feuilles minuscules des coigües, les arbres patagons, laissaient passer suffisamment de lumière pour que du sol chauffé monte aux narines un parfum d’humus. Née de ces falaises, une rivière traversait la courte plaine séparant la forêt de la grève: sur ses berges poussaient des arbustes dont les fruits ressemblaient à des pommes miniatures, si petites qu’il aurait fallu à Adam et Eve en croquer beaucoup avant d’être expulsés de cet éden.
L’envoûtement dura le temps d’une promenade: dans l’après-midi, tout changea. En Terre de Feu, il suffit d’un nuage pour que cette beauté primitive de la terre laisse la place à un paysage d’une parfaite morosité: quelques heures plus tard, quand le Stella Australis quittait la baie d’Ainsworth, le ciel était devenu d’un gris insondable, un vent glacial se levait. Le navire, seul bateau d’expédition frayant dans ces parages, s’enfonçait dans un brouillard poisseux, entre deux séries de montagnes obscures, gluantes d’humidité, abritant une forêt compacte qui s’étalait jusqu’à l’eau verte du canal et qui, reculant lorsque la pente devenait trop abrupte, s’effaçait sur des rochers couverts de mousse orange, striés de cascades semblables à des voiles de mariée emportés par le vent.
Naguère encore, la seule évocation de ce lugubre paysage faisait frissonner les marins les plus expérimentés: les innombrables récits de voyage dans cette région inamicale fourmillent de descriptions toutes plus catastrophiques les unes que les autres. Mais les canons de l’esthétique ont singulièrement changé: dans un monde surpeuplé, en voie de surchauffe, la désolation, la solitude et les glaces sont devenues belles aux yeux des hommes. La centaine de passagers présents à bord n’avait donc de cesse d’admirer ce paysage funeste et gigantesque. Ils avaient embarqué deux jours plus tôt à Punta Arenas, au Chili, dans ce confortable navire de la compagnie chilienne Australis. But de ce voyage au bout du monde: le cap Horn, lieu redoutable dont on fête cette année le 400e anniversaire de la découverte. Découverte étant à vrai dire un bien grand mot puisqu’il ne s’est jamais vraiment laissé approcher et que les marins qui le croisent depuis 1616 n’ont généralement qu’une hâte, c’est de le laisser bien loin derrière eux et au plus vite. Miracle de la technique, on peut désormais débarquer sur l’île de Horn: c’était le but du voyage. Depuis quelques années, un officier de la marine chilienne y vit en compagnie de sa femme et de ses deux enfants, le courageux ermite ayant la noble tâche de surveiller le dernier caillou de l’Amérique. Comment peut-on vivre là? La rencontre avec l’Américain le plus austral du monde promettait d’être passionnante.
Embouquant le canal Magdalena, le Stella Australis s’apprêtait à naviguer toute la nuit dans le labyrinthe d’eau et de roches que composent les canaux de Patagonie. Hautes montagnes couvertes de glace, fjords profonds, récifs et écueils, tourbillons de vent: toujours plus au sud dans ces voies d’eau que les marins chiliens connaissent comme leur poche. Le solide navire ballotté par la longue houle du Pacifique lorsque, sortant du canal Cockburn, il quitte pour quelques heures l’abri des îles avant de se faufiler à nouveau entre deux murailles en direction du canal Beagle, lequel conduit à Ushuaia et à la baie de Nassau, dernière étape avant l’ultime confetti de montagnes émergeant de la mer. Là se trouve le cap Horn.
L’été austral laisse peu de temps à la nuit. Au petit matin, alors qu’un soleil pâle brillait déjà dans un grand ciel délavé par le vent, le bateau se trouvait au pied de l’île de Horn. Bien plus grande que ne la dessinait l’imagination, elle était couverte d’une sorte de gazon vert émeraude qui brillait singulièrement dans la lumière. L’herbe se balançait harmonieusement, agitée par le vent terrible qui soufflait: 130 kilomètres-heure, force 12, la plus haute sur l’échelle de Beaufort qui l’assimile à un ouragan «au-delà du 40e parallèle»: de ce côté-ci, c’est chose courante, juste ce qu’il faut pour porter les pétrels géants, les albatros et les sternes arctiques qui jouaient à raser les falaises. A l’ouest, l’horizon était barré par une formidable muraille gris sombre que touchait du doigt un arc-en-ciel planté dans la mer. Des vagues courtes et dures battaient la coque du navire. Le vent leur enlevait des nuages d’écume: ils se mêlaient aux averses de grêle qui fouettaient brutalement le pont du bateau. Nul gardien de l’île à l’horizon: on pouvait simplement deviner sa petite maison blottie au pied du phare, imaginer l’homme avec sa femme et ses enfants, debout derrière la fenêtre de sa cuisine, une tasse de café fumant à la main, observant le lourd bateau qui tournait en rond au pied de son caillou. De peur qu’ils ne soient retournés par le vent, le capitaine décida de ne pas mettre les canots à la mer. Fidèle à sa terrible légende, le Horn se refusait aux visiteurs. Après l’avoir admiré, on alla prendre le petit déjeuner.
Etonnant contraste entre le confort du voyage et la rigueur de l’environnement qui, il y a quelques décennies, laissait déjà songeur Stefan Zweig. Dans la préface de la très belle biographie qu’il a consacrée à Magellan, l’écrivain viennois raconte que c’est dans l’ennui et le luxe d’une longue traversée de l’Atlantique à bord d’un paquebot que lui est venue l’idée de raconter la vie de l’illustre marin. «Rappelle-toi, écrit-il, dans quelles conditions on voyageait autrefois. Compare cette traversée avec celles des audacieux navigateurs qui découvrirent ces mers immenses.» L’ouvrage raconte comment la quête d’une route plus courte vers les îles aux épices poussa le navigateur portugais à convaincre le futur Charles Quint de lui confier une flotte de cinq navires. Persuadé qu’il existait un passage, quelque part au sud du continent américain, permettant de relier l’Atlantique au Pacifique, Magellan quitta Séville le 10 août 1519 en compagnie de 265 hommes dont peu connaissaient le vrai but du voyage, sinon qu’il durerait très longtemps…
Son exploit accompli, Magellan alla mourir quelque part dans l’archipel des Philippines. Seuls 18 marins à bord d’un navire proche du naufrage parviendraient à relier Séville, le 6 septembre 1522. Le destin avait interdit à Magellan de recevoir en Europe le tribut du vainqueur. Le temps a réparé l’injustice: le nom de l’illustre marin est resté accolé au détroit qu’il a découvert. L’histoire maritime de la Terre de Feu pouvait commencer. Elle ne manquerait pas de panache, car ici croiseraient les navigateurs les plus intrépides.
Mais la difficulté des conditions de navigation allait considérablement ralentir le travail d’exploration de la région: il faudra attendre plusieurs siècles avant que les canaux de Patagonie soient correctement cartographiés. En 1578, le pirate anglais Francis Drake voguera dans les parages. Découvrant qu’il n’y avait pas de continuation terrestre entre la Terre de Feu et les terres australes, il franchira en premier le passage qui sépare les continents américain et antarctique. Quelques années plus tard, le 14 juin 1615, deux navires hollandais quittaient la rade du Texel. Affrétés par la Compagnie Australe, basée dans la ville de Hoorn, ils étaient commandés par Jacob Le Maire, le fils du fondateur de l’entreprise et Willem Schouten. Les marins avaient pour mission d’ouvrir une nouvelle voie maritime qui éviterait le détroit de Magellan, alors soumis à une restriction imposée par leur grand concurrent: la toute-puissante Compagnie néerlandaise des Indes. Huit mois plus tard, Willem Schouten franchissait le passage de Drake. Croisant au large de la dernière île de Terre de Feu, il lui donna le nom de Hoorn, double hommage à la cité où avait été conçue son expédition et au bateau qui l’avait accompagné jusque-là, la patache Hoorn ayant disparu dans les flammes quelques jours plus tôt.
Parmi les centaines d’expéditions qui allaient se succéder au fil des siècles, il faut garder en mémoire celles de Fitz Roy. Le capitaine britannique allait se rendre à deux reprises en Terre de Feu à bord du célèbre Beagle. En 1826, puis en 1832, en compagnie du naturaliste Charles Darwin, qui allait trouver dans l’observation des Indiens yaghans une confirmation de sa théorie de l’évolution des espèces. En 1882, c’est l’aviso français La Romanche qui se rendit là, dans le cadre d’une expédition scientifique dans les mers australes. Parallèlement, le passage de Drake s’imposait comme une des premières routes commerciales du monde. En 1892, plus de 1 200 voiliers croisaient le cap Horn: tout à leur course de vitesse, les grands clippers évitaient les tortueux canaux de Patagonie. Mais la navigation restait particulièrement périlleuse: en 1905, on dénombrait 53 naufrages au large du ténébreux rocher. C’est dire si l’ouverture du canal de Panamá, en 1914, fut accueillie avec soulagement. En 1949, le Pamir, vaisseau allemand, fut le dernier voilier de commerce à franchir le cap Horn. Fin de l’histoire. Après une courte éclipse qui l’avait placée au carrefour du monde, la Patagonie pouvait reprendre la place qui lui revenait dans l’ordre naturel des choses: loin de tout.
Une autre histoire, littéraire celle-ci, pouvait commencer. Les écrivains ferment souvent la marche des explorateurs. Dans les années 50, alors qu’il naviguait dans le détroit de Magellan, Jean Raspail fit une rencontre qui, raconte-t-il, allait déterminer son existence: un canot de bois avec, au fond, quelques silhouettes massées autour de trois braises scintillant dans le brouillard. C’étaient sans doute les ultimes Kaweskars: les «hommes», comme ils s’appelaient eux-mêmes, les derniers Indiens de canots. Restés bloqués à l’âge de pierre, ils ne survécurent pas à la rencontre de l’homme moderne. Raspail leur a livré un magistral hommage dans son livre Qui se souvient des hommes… Aujourd’hui, les hommes ont disparu. Quelques descendants, métisses d’Indiens et de marins européens, tentent vaguement de se réapproprier une culture dont le sort fut scellé le jour où un de leurs ancêtres vit passer, depuis son rocher, les bateaux de Magellan. Et pour les voyageurs qui aboutissent aujourd’hui dans l’ancien royaume de ces ombres, il ne reste plus qu’à songer, en contemplant l’eau sombre des fjords et les plages de galets où ils vivaient jadis, à l’étrange destin de ce peuple. Ces lieux s’y prêtent particulièrement bien.