Dans l’extrême sud de l’Amérique, le peuple selk’nam ou ona est en train de démontrer qu’il n’est pas disparu, contrairement à ce qu’affirmaient les académiciens et les livres. En récupérant leurs histoires familiales et leurs traditions ils cherchent la reconnaissance.
Traduction par l’association Karukinka d’un article de Victoria Dannemann paru en espagnol le 28/10/2021 et intitulé “Selk’nam: reaparición de un pueblo que se creía extinguido” (Source : https://p.dw.com/p/42IU6)
Maintenant Marcela Comte comprend pourquoi sa mère maintenait toujours les rideaux fermés et était terrorisée d’ouvrir la porte quand quelqu’un frappait. La peur l’accompagnait, même en vivant au nord du Chili, à plus de quatre mille kilomètres de la Terre de Feu, cette île lointaine d’où venait son grand-père.
Pour Hema’ny Molina, la bonne note, qu’elle obtint avec un devoir scolaire au sujet des peuples indigènes de la région australe, qui disait que les selk’nam ou ona étaient disparus, n’était pas juste. “Je regardais mon grand-père et ma mère et je savais qu’ils étaient onas. Je l’ai dit à ma professeure que mon travail était mauvais, qu’ils n’étaient pas disparus, mais je n’ai pas trouvé la force de lui dire que je suis ona” se souvient elle.
Ainsi grandirent ils, loin du territoire de leurs ancêtres et avec plein de contradictions, dans une société qui officiellement les disait disparus et dans laquelle il valait mieux se taire. “Cela toutes les familles l’ont vécu. Nous l’avons très mal vécu au collège, on se moquait de nous. Jusqu’à ce que l’un prenne le pouvoir en s’affirmant et en n’accordant pas d’importance à ce que les autres disent. Mais malgré cela aujourd’hui encore certains n’ont pas dépassé la barrière de la peur” dit Hema’ny Molina, aujourd’hui présidente de la Corporation Selk’nam du Chili.
“Ils n’osent pas le dire publiquement parce que comme les livres disent que nous n’existons pas, ils ne se sentent pas sûrs. “Où est ton peuple” te demandent ils, “et tu crois que tu es tout seul” ajoute Marcela Comte, trésorière de la corporation. Toutes deux appartiennent à la Communauté Covadonga Ona qui réunit des familles qui s’auto-identifient comme selk’nam au Chili (les documents officiels les enregistrent indistinctement en tant que selk’nam ou selknam).
La majorité des survivants du génocide contre ce peuple a fini par se disperser au Chili et en Argentine – pays auxquels appartient la Terre de Feu -, mais aussi beaucoup d’autres ont été embarqués sur des navires marchands vers une destination incertaine. “A un moment donné nous avons cru que nous étions l’unique famille à avoir conscience de venir de là-bas. Toutes les familles l’ont aussi pensé et c’est un très grand sentiment de solitude” dit Molina.
Survivants de l’extermination
Quand le missionnaire et ethnologue allemand Martin Gusinde est arrivé en Terre de Feu en 1918, il a estimé que sur l’île il restait moins de 300 selk’nam. 50 ans plus tard, l’anthropologue Anne Chapman décréta qu’avec la mort de la supposée dernière locutrice nous étions disparus. “Nous avons été victimes d’un génocide physique et académique”, dit Molina.
Le premier choc a eu lieu avec l’arrivée des navigateurs et des chercheurs d’or, et avec la séquestration des indigènes qui furent présenté dans les expositions et les zoos humains en Europe. Dans la seconde moitié du XIXème siècle sont arrivés les pionniers de l’élevage ovin. Molina indique qu’avec l’aval des Etats du Chili et de l’Argentine, “il y a eu de véritable chasses humaines, allant jusqu’au paiement d’une livre sterling pour un homme mort. La Terre de Feu est criblée de cadavres, et beaucoup sans tête parce qu’ils la leur coupaient pour la vendre aux musées.”
Les hommes et les anciens étaient assassinés et les jeunes femmes et les enfants séquestrés. Les enfants du métissage forcé parlaient la langue et étaient élevés comme selk’nam, mais on leur refusait le droit de l’être. Beaucoup finirent dans les missions salésiennes situées en dehors de l’île, où ils prétendirent sauver les indigènes des massacres et les évangéliser, mais ils apportèrent des maladies qui les décimèrent. Les enfants survivants furent donnés en adoption. Beaucoup perdirent leurs noms et grandirent sans connaître leurs origines.
“Il y a une coupure historique durant laquelle personne n’a rien su de nous. Ce fût tellement violent que la première réaction des enfants a été de se taire et d’oublier qu’ils étaient selk’nam, parce que de cela dépendait la vie. Le trauma familial est très grand, c’est pour cela qu’il est difficile de parler”, dit Marcela Comte.
Des histoires de famille à la reconnaissance
Du côté argentin de la Terre de Feu, la communauté indigène Rafaela Ishton a réussi à obtenir des droits et garanties, ce qui est en aval aussi de la lutte de ce peuple au Chili. Dans le dernier recensement du pays, 1.144 personnes se reconnaissent comme selk’nam et la communauté Covadonga Ona regroupe plus de 200 membres.
Avec la Corporation Selk’nam du Chili, ils veulent la reconnaissance officielle de l’Etat en tant qu’ethnie originaire. La chambre des députés a approuvé l’idée du législateur et le Gouvernement vient d’autoriser le déblocage de fonds pour l’étude anthropologique, historiographique et arquéologique requise. Une fois remise, le Sénat devra se prononcer. Cela leur permettra d’accéder à une série de bénéfices qui composent la loi nommée Loi Indigène. Un autre antécédent positif est que, depuis quelques années, ils participent à des instances destinées aux peuples originaires et qu’ils ont des échanges entre eux.
De plus, cela fait cinq ans qu’ils travaillent avec l’Université Catholique Silva Henríquez – et maintenant s’ajoute l’Université de Magallanes-, dans la recherche des antécédents sur la survie selk’nam au Chili. “Certains ont seulement le soupçon et rien avec quoi le prouver, mais ils se regardent dans le miroir et il y a une tendance inexplicable. Quand ils commencent à recueillir les histoires et les coutumes, ils trouvent un ancêtre qui a été adopté, à qui le nom a été changé, et qui a transmis les traits culturels qui sont restés dans la famille” indique Hema’ny Molina.
L’anthropologue Constanza Tocornal, de l’Université Catholique Silva Henríquez, travaille avec eux à la reconstruction de la mémoire orale et des histoires de famille, et dans la révision des sources archivistiques et documentaires.
“La reconnaissance culturelle et politique du peuple selk’nam doit considérer que le génocide a rendu difficile la continuité culturelle. Dans ces mémoires familiales il y a des processus intimes d’invisibilisation, la peur et la violence soufferts jusqu’à l’auto-identification en tant que peuple, dans une société qui les disait disparus. Cela aussi fait partie des composants identitaires”, explique-t-elle.
Le processus légal de reconnaissance n’a rien à voir avec la pureté du sang précisent-ils au sein de la corporation. Les peuples changent et même si aujourd’hui ils ne vivent plus dans le territoire ni parlent la langue, ils maintiennent quelques caractéristiques culturelles. Eux-mêmes découvrent des similitudes quand ils se réunissent. Il y aussi certaines pratiques et habiletés dans les familles, comme le travail textile ou en cuir qui “une fois qu’est reconnue la possibilité d’un ancêtre selk’nam et que celui-ci est corroboré par des récits ethnographiques, rencontre une plus grande explication” ajoute Tocornal.
Aujourd’hui ils sont dans un processus de récupération de la langue, qui ne s’est jamais perdue complètement. Chaque jour ils reçoivent plus de questions des collèges et universités pour qu’ils leur livrent leur témoignage relate Marcela Comte: “Ils nous posent beaucoup de questions, nous leur enseignons quelques mots et ils se retrouvent émerveillés que nous soyons là et que les textes scolaires soient faux.”
Article traduit de l’espagnol au français par l’association Karukinka :
Dans “Mi sangre yagán” [mon sang yagan], Víctor Vargas Filgueira parcourt les récits méconnus de ses ancêtres et de la colonisation. Infobae Cultura s’est entretenu avec l’auteur.
“Je suis membre d’un peuple illustré par le visage de mon grand-père sur la couverture du livre Mi sangre yagán, ahua saapa yagán (La Flor Azul)”. C’est ainsi que se présente Víctor Vargas Filgueira, âgé de 50 ans et qui conitnue de vivre dans les mers du sud de ses ancêtres, à Ushuaia, et dont l’oeuvre combine l’histoire orale et la recherche sur l’un des peuples indigènes les plus oubliés.
Peut-être que la raison se trouve dans les tueries continues qui provoquèrent la mort de milliers de yagán (aussi yagan ou yámana), les conduisant à une centaine de survivants en à peine trois décennies. Ces navigateurs en canoës étaient d’habiles chasseurs d’otaries et de dauphins et ramassaient toutes sortes de mollusques, depuis les palourdes jusqu’aux oursins. Ils ont été l’objet de persécutions afin que leurs territoires soient convertis en ranchs [estancias] anglais, transformant ainsi leurs terres ancestrales à la faveur du colonialisme au début du XXème siècle.
Mais le livre montre un quotidien méconnu de ce peuple, mais qui est ici, dans le sud, et qui révèle comment la décimation des Yagan a limité la connaissance de la culture des mers du Sud.
Orundellico, son nom yagán, ou Jemmy Button, celui que lui donnèrent ses séquestrateurs.
Un des yagán le plus connu, par les difficultés infligées par Charles Darwin, est Jemmy Button, lequel fût séquestré et conduit en Angleterre avec trois personnes supplémentaires de différentes ethnies de la région, où ils furent examinés, ensuite exhibés, plus tard convertis en serviteurs qui parlaient anglais, avant que Darwin, le théoricien de l’évolution des espèces, les reconduisit dans les mers du sud. Cet autre chapitre du colonialisme sauvage fût également situé dans les environs de la Terre de Feu. Ceci eut lieu un demi siècle avant les narrations qui composent Mi sangre yagán.
-Comment le colonialisme a-t-il fait passer les Yagans de plusieurs milliers à une centaine en trente ans ?
-Les chroniques coloniales l’attribuent aux maladies, mais cela représente 0 pour cent de ce qui s’est passé lors de l’extermination. On leur a coupé la tête et les oreilles, et certains propriétaires terriens, dont les descendants possèdent encore de grandes propriétés, nous chassaient pour pouvoir élever leurs moutons sur nos territoires. Sur notre territoire, ces chasseurs sont tous anglais, irlandais, écossais, il n’y a pas d’allemands ou d’autres nationalités. Le chasseur le plus cruel était un Écossais nommé McLeland.
“Mi sangre yagán, ahua saapa yagán” (La Flor Azul), de Víctor Vargas Filgueira
-Il y en avait aussi avec de bonnes intentions, selon le livre, comme l’anthropologue allemand Martín Gusinde.
-Comme aujourd’hui, il y a des gens bons et des gens mauvais, comme dans l’histoire de l’humanité. Un Alvear de l’époque disait : « l’Indien nous l’avons déjà eu, nous avons maintenant pour nous la femme et les enfants, nous en faisons nos serviteurs ». C’est une histoire horrible qui s’est produite. La Terre de Feu n’est pas un grand territoire, chaque ville ne dépassait pas six mille habitants, ce qui facilitait le travail d’extermination. Et après le massacre, ils ont été pris comme travailleurs gratuits dans les ranchs des gringos.
-Existe-t-il aujourd’hui des membres de l’ethnie Yagan qui préservent leurs coutumes ?
-Cette question provient également d’une étude colonisée. Vous voulez que moi ou ma communauté soyons nus en train de travailler dans un canoë d’écorce. J’ai un téléphone portable dans ma poche parce qu’il n’est plus utile de chasser en canoë ou de collecter comme le faisait mon peuple. Cela nous a laissé la pensée hégémonique selon laquelle si vous êtes indien, vous devez avoir une caractéristique, par exemple un bandeau, des cheveux longs. Aucun yagan ne peut imiter mon grand-père et si un documentaire est réalisé sur l’Amazonie, certains porteront sûrement des baskets Nike. Je suis le premier conseiller de l’ethnie Yagán, mais la seule chose que l’on peut souligner est que je suis de petite taille, car mon peuple chassait dans une pirogue d’écorce et que les Yagán mesurent en moyenne 1,5 mètre, tandis que les Selk’nam 1,80 parce qu’ils ont parcouru la terre ; Ils étaient tous formés par leur mode de vie. Il y a un lien qui nous permet de nous retrouver avec nos ancêtres, et puis une possibilité plus marquée de manger du poisson de mer, car nous en sommes issus.
Trois protagonistes de l’histoire yagán
-Le livre montre une série de cérémonies, également accompagnées de photographies, au cours desquelles le visage ou le corps est peint. Qu’est-ce que cela signifie ?
-C’est comme le Père Noël ou Noël. L’homme a besoin de célébrer. Et quand notre pauple nécéssitait une cérémonie de croyance, spirituelle, la quina des yagán était une cérémonie pour recréer le bien et le mal. L’homme a toujours eu besoin de recréer le bien et le mal, et les yagán utilisaient cela surtout avec les jeunes. La peinture noire correspondait au mal et la rouge à la bonté.
-Les femmes semblaient se maquiller le visage.
-Les femmes se faisaient des lignes sur le visage, et les lignes rouges étaient liées au bon esprit et le blanc était cérémoniel.
-Vous dites que votre grand-père était le sorcier et les Yagans dans le livre, disent à plusieurs reprises qu’ils ne doivent pas divulguer leurs connaissances. Comment cela fonctionnait-il ?
-Celui qui est venu s’est toujours cru supérieur et à tel point qu’à ce moment-là, les nôtres se sont dit : « Je ne vais pas te montrer ce que nous savons ». C’était une logique de protection.
Les photos que montre cette note rendent compte d’une société avec ses rituels, ses gens, ses célébrations et ses jeux. Les Yagans.
Patagonie : mais où sont donc les peuples Yagan, Haush et Selk’nam ? (partie 1)
Si l’on regarde une carte de Terre de feu, l’une des premières sensations est celle de vide, un criant vide de sens. Le territoire est immense mais les toponymes manquent pour décrire ce qui m’entoure.
parLauriane Lemasson, chercheuse en ethnomusicologie, acoustique et géographie à Sorbonne Université et fondatrice de l’association Karukinka – publié le 14 juin 2021 à 10h58
En 2011 j’ai posé pour la première fois mon regard sur ce Finistère américain : l’extrême sud de la Patagonie, au sud du détroit Hatitelen, plus connu sous le nom de détroit de Magellan. Après avoir étudié un large corpus d’ouvrages disponibles en Europe, les conclusions étaient sans appel concernant les premiers habitants de ces terres : il ne restait plus qu’une seule femme yagan à Villa Ukika, au Chili, et plus aucun Haush ou Selk’nam en Patagonie. Tous avaient disparu à la suite des maladies importées d’Europe, malgré les bonnes volontés des missions anglicanes et salésiennes qui tentèrent de les sauver en leur apportant refuge, nourriture, vêtements, et surtout«civilisation».
Voici en résumé ce que dit l’histoire officielle. Je décidai malgré tout de m’y rendre pour la première fois en janvier 2013 et pendant un peu plus de trois mois. Je savais que j’allais sûrement sillonner un désert vidé de ses premiers habitants pendant toute cette période, mais peut-être que les paysages, eux, auraient encore des choses à me conter. Je partis donc, principalement seule et en autonomie complète, avec pour compagnons d’expédition mon sac à dos, ma tente, mon duvet, et de quoi manger, photographier et enregistrer. Passés ces trois premiers mois d’exploration et beaucoup d’autres missions à la suite, je peux vous assurer que oui, ces lieux devenus espaces continuent de beaucoup m’apprendre sur l’horreur du génocide dont ont été victimes les peuples Yagan, Haush et Selk’nam.
Si l’on regarde une carte de Terre de feu, l’une des premières sensations est celle de vide, un criant vide de sens. Le territoire est immense mais les toponymes manquent pour décrire ce qui m’entoure. Des rivières, montagnes, collines, plaines… devaient pourtant avoir des noms, avant, lorsqu’ils faisaient partie d’un quotidien, que des voix troublaient le silence. Où sont-ils désormais ? Et ces restes de vie, ces ustensiles de pierre taillée qui jonchent le sol de ces anciens campements, ne sont-ils pas les témoins de l’exode, de la fuite face à l’arrivée des génocidaires ? Imaginez un dîner familial et faites-en disparaître tous les membres assis autour de la table : voici la sensation qui vous prend aux tripes quand vous vous retrouvez là. Le temps s’y est arrêté et ces bribes de vie quotidienne vous entourent, sans leurs acteurs. Où sont-ils ? Qu’ont-ils vécu ici ? Ont-ils pu s’en sortir en s’engouffrant dans l’inextricable forêt fuégienne ? Ou bien ont-ils été capturés et déportés comme tant d’autres vers les missions, la prison de Rawson ou le camp de concentration de l’île Dawson, séparés de leur territoire, pour favoriser l’expansion des élevages d’ovins et de bovins ? Tout cela s’est déroulé durant la conquête d’un désert qui n’en était pas un : la colonisation aussi macabre que rapide initiée par l’Argentine et le Chili entre la fin du XIXe et le début du XXe siècles en Patagonie.
Sinistre trafic humain
Durant la même période se développèrent en Europe occidentale les théories d’anthropologie physique. Convaincus d’avoir trouvé en Patagonie le chaînon manquant entre l’homme et l’animal, de nombreux chercheurs firent appel à des explorateurs ou se rendirent sur place pour les étudier. L’objectif était de confirmer leurs théories empreintes des conclusions de Charles Darwin lors de son passage dans l’extrême sud patagon. Il était difficile de convaincre les Selk’nam, Haush et Yagan de se soumettre à toutes sortes de mesures anthropométriques, comme le montrent certains témoignages, dont ceux de Paul Hyades. Ces personnes connaissaient depuis plusieurs décennies déjà le cruel traitement que leur réservaient les Blancs en ces terres de non-droit. Le réflexe était donc celui de la fuite. Alors les chercheurs et explorateurs se mirent à déterrer les cadavres, malgré l’opposition des familles, et à les envoyer vers différents musées, dont le musée d’Ethnographie du Trocadéro, devenu en 1937 musée de l’Homme, faisant fi de l’éthique et violant les pratiques funéraires des populations concernées.
Ce sinistre trafic se déroula principalement entre 1880 et 1920 en Patagonie. Ces personnes, une fois arrivées par bateau, furent morcelées, classées et stockées, comme objets d’une collection. Ils font partie aujourd’hui encore de la collection de restes humains modernes du musée de l’Homme qui regroupent officiellement plus de 1 000 squelettes et 18 000 crânes. Les restes humains de Terre de feu ont entre autres été collectés par la mission scientifique du cap Horn dans la baie Orange (1882-1883) et la mission de Henri Rousson et Polydore Willems en péninsule Mitre (1890-1891), mais aussi grâce aux dons réalisés par Martin Gusinde et Perito Moreno, ce dernier étant aussi l’un des principaux collecteurs et collectionneurs des restes humains composant la collection du musée de La Plata en Argentine. Et au musée de La Plata se trouvent aussi… des Français ! Agriculteurs, cordonniers, trappeurs, couturières, tisseuses… Ils y sont classés par sexe, métier et lieu d’origine.
Elles ne passent pas inaperçues lorsqu’on déambule dans Trentemoult. Rue Roiné, rue du Port, rue de la Californie notamment, les imposantes maisons de capitaines racontent une histoire aux contours encore mystérieux. Qui étaient leurs occupants, plus souvent en mer que sur la terre ferme ? Auteur nantais d’ouvrages sur la marine marchande, Frédéric Grellier a mené l’enquête. « A partir des recensements sur la période 1891-1921, on dénombre 96 capitaines au long cours ayant vécu à Trentemoult. Parmi eux, j’ai identifié 36 capitaines cap-horniers », rapporte-t-il.
Le capitaine Kervégan, figure de Trentemoult
S’il n’est pas né à Rezé, le Lorientais Alphonse Kervégan est pour Serge Plat* « une vraie figure trentemousine ». Marié à Élisabeth Agaisse une jeune fille du village et fille d’un capitaine au cabotage, il a dirigé, après sa retraite de navigateur au long cours, le service des Roquios. Depuis le bureau de sa maison donnant sur la Loire, il surveillait la ponctualité des petits vapeur. Après la guerre 39-45 Il s’est aussi investi dans la reconstruction du port de Rezé, et de la remise en état du service des vedettes. Il est devenu conseiller municipal rezéen de 1951 à 1959. Pour son courage pendant la guerre 14-18 son parrain, le Préfet de Loire Inférieure, lui a remit en 1937 l’insigne de la Légion d’honneur. Il s’est éteint, entouré des siens en 1963.
Auteur de l’ouvrage Des Roquios aux Navibus, éditions Coiffard, Serge Plat prépare un livre sur la vie maritime du capitaine Kervégan.
Capitaines trentemousins
En 1893, le Gouvernement français relance la navigation à voile, menacée par la vapeur, en promulguant la loi des primes à la navigation. De 1897 à 1902, 107 grands voiliers cap-horniers de primes sont construits dans les chantiers nantais. Pour recruter des officiers, les armateurs se tournent logiquement vers Trentemoult. On retrouve à la tête de ces navires qui partent au Chili, en Californie, en Australie, en Nouvelle-Calédonie, au Japon… des capitaines issus de familles de marins : Lesage, Bessac, Boju, Lancelot, Lemerle… D’autres, tels les capitaines Salaün ou Kervégan, viennent de Bretagne pour étudier à Nantes puis s’installent à Trentemoult. Les équipages se constituent en majorité dans les contrées bretonnes, très pauvres à l’époque.
Traversées périlleuses
Sur ces trois mâts d’une centaine de mètres de long, qui peuvent transporter jusqu’à 3 000 tonnes de marchandises (nitrates, charbon, blé, nickel, bois…), 20 à 25 hommes embarquent pour un an. Les traversées sont périlleuses, notamment aux abords du fameux Cap Horn. « C’était excessivement dangereux. Les navires étaient très élégants, mais difficiles à manœuvrer, pas adaptés à une mer dure », relate Frédéric Grellier. Plus de 100 voiliers cap-horniers français firent ainsi naufrage entre 1890 et 1932. Le capitaine Alphonse Kervégan, qui franchit cinq fois le Cap Horn, échappa de justesse à ce funeste sort. En 1906, il éprouva en effet une grande frayeur, sur le Montebello. « Il fit naufrage à l’île Kangourou. Il fut l’un des seuls à s’en sortir et à sauver son équipage », raconte, émue, sa petite-fille, Jacqueline Le Rouzic. « Il dégageait une grande sérénité. C’était son métier, il le faisait avec cœur et courage », poursuit celle qui habite aujourd’hui la maison du capitaine.
En embarquant en 1766 à bord d’un des bateaux de l’expédition Bougainville, Jeanne Barret, travestie en homme, est devenue l’une des premières exploratrices françaises. Experte en supercherie, mais aussi en herboristerie.
Publié le 23 août 2020 à 20h26· Mis à jour le 23 août 2020 à 20h28
Décembre 1766, rade de Rochefort, en Pays de la Loire : on s’active sur le pont de la flûte « l’Etoile »,chargée à bloc de denrées de ravitaillement. Tous les regards se tournent vers ce grand navire dont la vapeur tamise le bleu du ciel. On parle de lui dans les tavernes, les maisons, les fermes, les presbytères. C’est la flûte « l’Etoile » qui s’apprête à faire voile pour le tour du monde ! Pour la première fois, un équipage français va se lancer dans cette expédition.
En retrait, un homme et son jeune valet attendent d’embarquer. Elancé et mince, l’homme, la quarantaine, a le regard sévère. Le jeune garçon à ses côtés est petit, trapu, les joues roses couvertes de tâches de son. Tous deux attendent de monter à bord pour ce périple de deux ans autour du globe, une grande expédition officielle voulue par le roi Louis XV, conduite par Louis Antoine de Bougainville. Au programme : exploration de nouvelles terres,…