Haizebegi 2019

Créer les ponts nécessaires entre la Patagonie et l’Europe

Les recherches menées dans les archives de fonds répartis dans plusieurs pays d’Europe montrent que diverses sources sont d’une importance cruciale pour la reconstruction de ce qui peut l’être après le génocide des yagan, selk’nam et haush s’étant déroulé au sud du détroit de Magellan entre 1870 et 1925.

Les témoignagnes d’explorateurs, chercheurs, navigateurs, et autres voyageurs ayant visité cette région à cette période sont des éléments clés pour démontrer ce que la mémoire collective a conservé de générations et générations. Aujourd’hui encore les fonds archivistiques ne prennent que rarement en compte l’accessibilité aux informations pour les premiers concernés : les descendants des survivants d’un douloureux passé se heurtent à la barrière linguistique de bases de données créées dans la langue du pays hébergeant les archives.

A sa petite échelle, Karukinka essaie d’aller contre cet héritage colonial en favorisant l’accès aux documents qui concernent les yagan, selk’nam et haush. Nous faisons tout notre possible pour digitaliser, traduire et partager les documents que nous trouvons, dans le respect des familles concernées pour tout document de moins de 100 ans.

En 2019 nous avons eu l’opportunité de pouvoir concrétiser en présentiel cette démarche en organisant par exemple l’accès aux archives du fonds Chapman conservées à Nanterre. Mirtha Salamanca, arrière-petite-fille de Kiepja (aussi connue sous le prénom de Lola), a ainsi pu avoir accès aux informations collectées auprès de son aïeule par Anne Chapman en 1965-1966. Et José German Gonzalez Calderon a pu lui aussi accéder aux transcriptions des entretiens d’Anne Chapman réalisés avec sa mère, Ursula, et sa tante Cristina. L’émotion palpable dans cette bibliothèque de banlieue parisienne donne du sens à notre démarche et illustre la nécessité de renforcer les ponts créés depuis 2013 entre le sud de la Patagonie et l’Europe.

Ce moment fort a pu avoir lieu grâce à une carte blanche donnée par Denis Laborde (directeur de recherche au CNRS) à Lauriane Lemasson en janvier 2019 lors d’un colloque où elle présentait ses travaux. Ce festival aurait pu être similaire à un colloque scientifique de plusieurs jours mais elle a saisi l’occasion d’inviter trois membres des communautés selk’nam et yagan à organiser avec elle et à participer à la sixième édition du festival Haizebegi, en octobre 2019 à Bayonne.

Pour la première fois depuis les exhibitions coloniales qui ont marqué les esprits en Europe et outre-Atlantique et mis en scène leurs ancêtres de manière abjecte, Mirtha Salamanca (Selk’nam, de Rio Grande, Grande Île de Terre de Feu, Argentine), José German Gonzalez Calderon (Yagan, d’Ukika, île Navarino, Chili) et Victor Vargas Filgueira (Yagan, d’Ushuaia, Grande Île de Terre de Feu, Argentine) ont pu témoigner du passé, du présent et des possibles futurs de leurs peuples respectifs. La richesse des échanges, née de l’élaboration conjointe entre eux et Lauriane du programme du festival, est le fruit d’une préparation de plusieurs mois ensemble, malgré les distances, du choix des sujets abordés, mettant l’accent sur la nécessité de regards croisés sur les politiques menées en Argentine, au Chili et plus largement dans le monde au sujet des droits des peuples autochtones (Convention 169 de l’OIT entre autres).

Du 3 au 23 octobre 2019, Mirtha, José et Victor ont eu l’occasion de rencontrer de nombreux checheurs et responsables institutionnels, et de visiter plusieurs lieux importants, dont :

– La rencontre avec Pascal Blanchard, historien spécialiste des études postcoloniales, de l’histoire de l’immigration et des zoos humains, lors d’une conférence à Nantes le 4 octobre 2019 ;

– Le fonds Anne Chapman conservé à la bibliothèque Brou de Dampierre de l’université Paris Ouest – Nanterre ;

– L’université basque de Donostia (San Sebastian) lors du séminaire doctoral d’anthropologie sociale ; 

– le directeur du Phonogramm-Archiv de Berlin (rattaché au Musée Ethnographique berlinois) – Lars Kristian Koch, ayant édité en 2017 les chants enregistrés par Furlong, Gusinde et Koppers au début du XXème siècle ;

– la direction des collections “Amérique du Sud” du musée du Quai Branly (Paris)

-L’université de la Sorbonne lors du séminaire doctoral d’ethnomusicologie dirigé par François Picard (Paris)

 

“Lorsque j’ai reçu cette invitation de Denis Laborde, mes premières pensées ont traversé l’Atlantique pour rejoindre l’île de Terre de Feu et toutes ces personnes m’ayant accompagnée ou m’accompagnant là-bas depuis 2013. Que faire de cette carte blanche ? Comment réunir en 10 jours ce que des années ont créé ? 

Ne pouvant faire abstraction de l’intensité de mes rencontres avec Mirtha Salamanca, José German Gonzalez Calderon et Victor Vargas Filgueira, je voulais que cette opportunité serve à changer les regards, que ces paysages patagons ne soient plus pour nous tous ces paysages sans visages de ma première expédition (2013).

Un itinéraire en somme, avec pour point de départ l’absence.

Grâce à Denis Laborde et au Festival Haizebegi, c’est avec beaucoup d’émotion que j’ai pu inviter ces trois membres des communautés yagan et selk’nam (Argentine et Chili) à venir s’exprimer eux-même, et non de manière interposée, de l’histoire de leurs peuples à Bayonne.”

Lauriane Lemasson, dans Haizebegi #6, Munduko Musiken Etxea, Bayonne, 2019, p.309

Une venue synonyme de partage et convivialité

Conférences

Des sujets choisis ensemble

L’intégralité du programme des conférences et rencontres a été élaboré conjointement, entre Mirtha, José, Victor et Lauriane.

Parmis les sujets abordés: les droits des peuples autochtones, le respect des peuples vs la création artistique et/ou recherche scientifique, la préservation/récupération des langues selk’nam, yagan et haush, les restes humains, archives et objets présents en Europe, et les projets d’élevage de saumon en territoire yagan.

Ateliers

De la vannerie yagan à Bayonne !

Parce que la vannerie en jonc tressé pratiquée, entre autres, par Victor rassemble les gens et favorise le dialogue spontanément et de manière informelle, le choix a été fait d’organiser chaque jour durant le festival un atelier de deux heures d’initiation à la vannerie yagan.

Les joncs avaient été cueillis et préparés en Bretagne, avec Lauriane et ses parents, lors de quelques jours passés chez eux avant de prendre la direction de Paris puis Bayonne.

Expositions

Artisanats et photos

Afin de faire découvrir les créations artisanales, expressions de leurs cultures, de nombreux objets ont été présentés au public : canoës en écorces, harpons en os de baleine, paniers en jonc tressé, masques peints, bijoux,…

Des photos de 2013 réalisées par Lauriane ont également été exposées : dix-huit clichés réunis au sein de l’exposition intitulée “Paysages sans visages”. 

Concerts

des cultures sources d’inspiration

Plusieurs artistes ont été conviés à ce festival afin de présenter leurs créations s’inspirant de différents aspects des cultures yagan, selk’nam et haush. Parmis ceux-ci, le compositeur Joaquin Cofreces (originaire d’Ushuaia), les créateurs de “fictions spéculatives” Pablo Esbert Lilienfeld et Federico Vladimir Strate Pezdirc, et le danseur Sylvain Sicaud de la compagnie “Quelque part” (Strasbourg).

Séminaires

Donostia (San Sebastian) et Paris !

Grâce à des partenariats scientifiques et au rattachement de chercheurs à différents laboratoires, plusieurs séminaires ont été dédiés à la venue de Victor, Mirtha et José. 

Plusieurs sujets dont “ce que prends… et ce que rends le chercheur…” ont permis de sensibiliser de jeunes chercheurs aux bonnes pratiques en termes d’échange et surtout de respect, dialogue et restitution des informations, sons et/ou images collectées. Travailler en collaboration “avec” et non “sur” des informateurs.

Présentations

Grand public et collégiens

Afin de faire découvrir leurs histoires et cultures, José, Mirtha et Victor ont pu échanger avec le public lors de nombreuses conférences, tables rondes, ateliers et rencontres. 

Parmi ces évènements, une rencontre a eu lieu avec des collégiens d’une établissement bayonnais accueillant des élèves de nombreuses nationalités. Des questions pertinentes suivies de réponses détaillées et sensibles ont fortement marquées les esprits des participants.

et un livre !

Haizebegi #6, Munduko Musiken Etxea, Bayonne, 2019

Regroupant des textes d’une vingtaine d’auteurs, il est accessible via le lien suivant : https://www.calameo.com/books/006115554b02b9ffa9f2b