100 ans après la mort de José Menéndez: le roi de Patagonie détrôné et responsable du génocide (ElMostrador.cl, 25/04/2018)

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28 avril 2018
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Le 24 avril marque le centenaire de la mort de José Menéndez, l’un des millionnaires les plus puissants de la région de Magallanes, à qui l’on a dédié monuments et maisons-musées. Aujourd’hui, sa mémoire, autrefois honorée, tombe dans l’oubli, cédant la place à un héritage peu glorieux le liant à la colonisation de la Patagonie et à l’extermination du peuple Ona. Le député Gabriel Boric a demandé le changement du nom de la rue “Menéndez” et la sénatrice Carolina Goic a présenté un projet de loi pour la reconnaissance du génocide selk’nam.

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illustration de José Menéndez par Alejandro Sirio

Il y a cent ans, le 24 avril 1918, mourait dans son manoir de Buenos Aires l’homme d’affaires espagnol José Menéndez, propriétaire d’un empire économique fabuleux en Patagonie et en Terre de Feu. Âgé de 71 ans, il succomba à un cancer du foie. Né dans un village des Asturies, au nord de l’Espagne, dans une famille de paysans, il devint, à quatorze ans seulement, l’un des millions d’émigrants vers l’Amérique, jeunes candidats à la fortune fuyant la misère. Il arriva d’abord à Cuba, où il apprit les rudiments du commerce, puis, après un séjour à Buenos Aires, il s’établit définitivement à Punta Arenas en 1875.

À cette époque, Magallanes était une région reculée du sud du Chili, encore colonie pénitentiaire, qui avait progressé grâce aux premiers immigrants venus de Chiloé, de véritables pionniers souvent oubliés et qui survivaient parfois grâce au contact avec les Aónikenk venant vendre leurs produits.

Punta Arenas, relâche obligatoire des navires transatlantiques passant par le détroit de Magellan, commença à croître grâce à l’apport de familles entières d’Europe — Suisses, Français, Espagnols, Croates — venues des provinces les plus pauvres. Menéndez et un petit groupe de négociants locaux prospérèrent dans le commerce, la navigation côtière et le sauvetage de navires naufragés.

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Livre Menéndez Rey de la Patagonia, de José Luis Alonso Marchante

L’élevage ovin, l’activité initiale de José Menéndez

Mais à la fin du XIXᵉ siècle, un événement allait transformer la région et faire de ces modestes commerçants des hommes immensément riches : en 1878, l’élevage ovin se répand des îles Malouines vers la Patagonie continentale et la Terre de Feu. Cette opération économique était pilotée depuis la Grande-Bretagne : les sociétés d’élevage étaient basées à Londres, le capital provenait d’investisseurs britanniques et toute la production de laine était monopolisée par l’industrie textile britannique.

Ce fut une colonisation économique sans précédent, une stratégie qui hypothéqua l’avenir de la Patagonie, transformée en un vaste domaine privé consacré à la production lainière. José Menéndez et son gendre Moritz Braun en furent les principaux bénéficiaires, hommes d’affaires sur place, propriétaires officiels des exploitations, conspirant auprès de députés et sénateurs pour obtenir la location de millions d’hectares, malgré des lois chiliennes et argentines limitant la possession à 30 000 ha par famille ou entreprise. Menéndez fut seul à posséder un demi-million de moutons !

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Un chasseur selknam

Leur pouvoir était tel qu’un banquier britannique déclara : « Dans quelques années, on ne pourra lancer un bâton sans toucher un Braun, un Blanchard, un Menéndez ou un Campos. » Comme l’écrivit l’auteur argentin Ernesto Maggiori, ces hommes n’avaient rien d’exceptionnel : c’est leur contexte qui fit leur fortune. Les bénéfices énormes tirés de la laine, « l’or blanc », furent réinvestis dans la navigation, les compagnies électriques, banques, assurances, abattoirs et supermarchés, ce qui décupla leur richesse.

Le génocide selk’nam et l’esclavage des ouvriers ruraux organisés par les sociétés d’élevage

Mais ces fortunes sont tachées du sang des indigènes : celui des Selk’nam, peuple millénaire détruit, persécuté, assassiné et déporté, uniquement pour leurs terres. L’un des génocides les plus effroyables de l’histoire contemporaine, orchestré par les sociétés d’élevage, permis par les autorités, accéléré par certains missionnaires. Heureusement, quelques survivants, regroupés dans des communautés comme la « Rafaela Ishton » de Río Grande, sont aujourd’hui fiers de l’héritage culturel de leurs ancêtres.

Les ouvriers ruraux aussi furent victimes de ces grands propriétaires : conditions de travail épouvantables, journées interminables, salaires misérables, payés en bons d’achat à utiliser uniquement dans les magasins des sociétés d’élevage, logements insalubres. Un gouverneur de Santa Cruz raconte que « les ouvriers dormaient à huit ou plus dans des minuscules chambres sans chauffage. Nourriture exécrable, pas de pharmacie. Paiement en bons. Aucun secours en cas d’accident. » Quand ils se révoltèrent, le gouvernement envoya l’armée. Des centaines de journaliers, principalement chiliens, furent fusillés sans procès par l’armée argentine en 1921, crimes pour lesquels personne n’a jamais demandé pardon.

Aujourd’hui, nous savons que cet homme n’était pas destiné à un destin exceptionnel, mais était un homme ordinaire, obsédé par l’idée de bâtir un empire pour satisfaire une cupidité sans limites. En tant qu’homme riche, la presse publia dès sa mort de nombreux éloges : “dernier conquérant”, “roi pasteur”, “nababe du détroit”, “roi de la Patagonie”. Sous la dictature de Pinochet, les hommages se multiplièrent à Punta Arenas, grâce à l’action d’un arrière-petit-fils, Enrique Campos Menéndez, proche du régime. C’est alors que naquirent la rue et le buste à son nom. Cependant, même si ses descendants gardent leur pouvoir, la mémoire imposée s’effrite de plus en plus.

Ouvriers agricoles photographiés avant d’être fusillés en 1921 à Santa Cruz (photographie fournie par José Luis Alonso Marchante)

Au Chili, le député Gabriel Boric a demandé de débaptiser la rue “Menéndez”, et la sénatrice Carolina Goic a présenté une loi pour la reconnaissance du génocide selk’nam. En Argentine, le 25 novembre est devenu le « Jour de l’Aborigène fuégien », et la Commission pour la Mémoire des Grèves de 1921 continue d’honorer chaque année la mémoire des ouvriers fusillés à Santa Cruz.

Aujourd’hui, personne n’ose plus revendiquer l’héritage de Menéndez, roi déchu de la Patagonie, dont la figure s’efface comme du sable dans l’Histoire…

José Luis Alonso Marchante, écrivain espagnol, auteur de « Menéndez, roi de la Patagonie » (Catalonia)


Source originale : https://www.elmostrador.cl/cultura/2018/04/25/a-cien-anos-de-la-muerte-de-menendez-el-destronado-rey-de-la-patagonia-y-responsable-del-genocidio-selknam/ traduit de l’espagnol par l’Association Karukinka

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