“Au Chili, avec les derniers cow-boys de Patagonie” (Le Figaro, 17/07/2020)

https://www.lefigaro.fr/international/au-chili-avec-les-derniers-cow-boys-de-patagonie-20200703

Au Chili, avec les derniers cow-boys de Patagonie

Par Alexandra Fuller et Vincent Jolly

Publié le 03/07/2020 à 05:00

REPORTAGE – Aux confins des fjords chiliens, dans un territoire aussi indomptable que les bêtes qui y vivent, des hommes partent braver les éléments pour capturer le bétail le plus sauvage d’Amérique du Sud. Une tradition qui tend à disparaître devant l’arrivée du tourisme de masse. Un travail photographique exposé jusqu’en octobre au Festival Photo La Gacilly, dans le Morbihan.

C’est une histoire de sang, de courage et de tradition. Et comme dans beaucoup de ce genre d’histoire, des chevaux et des cavaliers émérites en sont les principaux acteurs. Reste que ces hommes risquent quotidiennement de perdre leurs bras, leurs jambes – quand ce n’est pas leur vie. Une telle histoire ne peut se dérouler ailleurs que dans un paysage profondément sauvage ; un lieu si lointain qu’il est presque impossible de s’y aventurer par des moyens ordinaires. Un endroit qui n’apparaît pas sur la plupart des cartes. Une région que l’on ne trouve que si l’on sait où chercher.

Pour cette histoire, c’est d’abord Sutherland qu’il nous faut trouver: un bras de terre au sud du Chili, dans la Patagonie australe. Aucune route n’y mène. Aucun campement n’a été établi à proximité. Au nord, Sutherland est bordé par le Parc national Torres del Paine ; et au-delà, les infranchissables champs de glace qui séparent la Patagonie chilienne du reste du pays. À l’ouest, une myriade de petites îles éparpillées…

La nuit polaire de Mark Mahaney (Le Monde, 23/1/2020)

The road into the cemetery, South of Utqiagvik, 8:16 PM.
Mark Mahaney

Par Stéphanie Le Bars Publié le 23 janvier 2020 à 07h15, modifié le 23 janvier 2020 à 08h05

Les faits: De novembre à mi-janvier, les 4 500 habitants d’Utqiagvik, en Alaska, ne voient jamais le jour se lever. Le photographe californien Mark Mahaney s’est plongé dans l’ambiance lunaire de cette nuit sans fin.

https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2020/01/23/la-nuit-polaire-de-mark-mahaney_6026931_4500055.html

Comment donner vie à la nuit, illustrer un monde en sursis ? Il y a un an, débarquant pour une douzaine de jours à Utqiagvik (Alaska), la ville la plus au nord des Etats-Unis, le photographe américain Mark Mahaney s’est plié à l’exercice. Venu de Californie, il a plongé dans la nuit sans fin de ce coin du cercle arctique, où, de novembre à mi-janvier, le soleil ne se lève pas. Un lieu infini où, lorsque l’œil cherche l’horizon, il ne voit rien qu’une immensité blanche et plate.

Ce défi à la lumière aurait pu suffire à l’objectif. Mais l’expérience photographique s’est doublée d’un intérêt politique pour « cet épicentre du changement climatique », comme le résume Mark Mahaney. « A cet endroit, même si le sol est recouvert de neige, que le phénomène n’est pas immédiatement apparent, la terre se réchauffe deux fois plus vite qu’ailleurs. La couche de glace, de plus en plus fine, ne protège plus la côte des tempêtes. La ville s’enfonce. » Parti avec l’intention de documenter la vie de ses 4 500 habitants, le photographe en est revenu avec une série d’images fantomatiques, témoignages glacés d’un monde figé, extraterrestre, rassemblées dans un ouvrage, Polar Night (Trespasser).

L’emprise de la glace

« Cet endroit raconte une histoire de survie, d’endurance. » Traverser la nuit polaire, résister au froid et, paradoxalement, survivre au réchauffement climatique. « Quand, durant soixante-cinq jours, la journée n’a ni commencement ni fin, cela laisse une impression bizarre, psychologiquement et physiologiquement. Cette période d’énergie sombre, la “solastalgie”, est propice à la dépression, au suicide, à la consommation de drogues et d’alcool. »

L’emprise de la glace, le poids de la neige, la semi-obscurité troublée par la lumière orangée des réverbères, le froid intense (jusqu’à – 30 °C) dévoilent un univers claquemuré, sans végétation ni humain. « Il n’y a personne dans les rues et je ne voulais pas forcer les portes », explique Mark Mahaney, réticent à jouer « l’homme blanc » exploitant un supposé folklore des Iñupiat, le peuple d’origine de la plupart des habitants. Ces derniers se refusent de toute façon à parler de l’érosion de leur terre et de leur culture. « Ils tirent leurs revenus, plutôt confortables, de l’exploitation pétrolière, qui elle-même contribue au réchauffement climatique… », rappelle le photographe.

Le travail de Mark Mahaney s’attache ici à montrer un « paysage post-apocalyptique, plus proche de la Lune que de la Terre, vide de toute forme de vie ».

Son travail en extérieur s’attache donc à montrer un « paysage post-apocalyptique, plus proche de la Lune que de la Terre, vide de toute forme de vie ». On imagine le crissement de pas isolés sur la neige, la gifle du vent. Des voitures abandonnées, portières ouvertes, semblent prises dans un étau de neige, des maisons paraissent inhabitées avant que l’on n’aperçoive une lueur derrière des vitres glacées ou une fumée sortant de la cheminée. « L’esthétique n’est pas une priorité dans ces contrées et on trouve toutes sortes de vieux objets s’empilant dans les cours et les jardins », autant de formes figées dans le froid.

Le photographe a trouvé des signes de vie dans cet étrange vide. Un graffiti sur un mur. La gueule béante de chiens de traîneaux, impatients de reprendre leur course. Le photographe y signe au passage un hommage à la tradition de ces ­équipages iconiques, dont l’utilisation est elle aussi en voie de disparition, et fait un clin d’œil à l’expression locale « three dogs night » (« une nuit à trois chiens »), qui mesure la froideur de la nuit. « Plus il fait froid, plus il faut de chiens autour de toi pour survivre. » A l’issue de son séjour, Mark Mahaney a capté les rayons de la première aube revenue, teintant cet unique cliché d’un rose bleuté réconfortant. Car, lorsque le soleil se relève enfin, « le temps peut de nouveau exister ».

Polar Night, de Mark Mahaney, Trespasser, 52 pages, 36 euros. trespasser.pub

A la périphérie d’Utqiagvik, 19 h 55.
A la périphérie d’Utqiagvik, 19 h 55. MARK MAHANEY
Un chien de traîneau, 11 h 13.
Un chien de traîneau, 11 h 13. MARK MAHANEY
La route du cimetière, 20 h 16.
La route du cimetière, 20 h 16. MARK MAHANEY
Une maison typique d’Utqiagvik, 10 h 44.
Une maison typique d’Utqiagvik, 10 h 44. MARK MAHANEY
Le cimetière d’Imaiqsaun, 18 h 4.
Le cimetière d’Imaiqsaun, 18 h 4. MARK MAHANEY
Le poste de police, Kiogak Street, 16 h 48.
Le poste de police, Kiogak Street, 16 h 48. MARK MAHANEY
Midnight, un des derniers chiens de traîneau du nord de l’Alaska, 11 h 14.
Midnight, un des derniers chiens de traîneau du nord de l’Alaska, 11 h 14. MARK MAHANEY

Stéphanie Le Bars

“Luis Sepulveda : Dernières nouvelles du Sud” (Le Figaro, 11/04/2012)

https://www.lefigaro.fr/livres/2012/04/11/03005-20120411ARTFIG00593-luis-sepulveda-dernieres-nouvelles-du-sud.php

Luis Sepulveda : Dernières nouvelles du Sud

Par Françoise Dargent

Publié le 11/04/2012 à 13:40, mis à jour le 11/04/2012 à 18:33

Chronique d’un voyage avec le photographe Daniel Mordzinski.

Nous sommes partis un jour vers le sud du monde pour voir ce qu’on allait y trouver.» Force est de constater, 3 500 kilomètres plus tard, que l’écrivain chilien Luis Sepulveda et le photographe argentin Daniel Mordzinski ont au moins trouvé leur bonheur. En 1996, les deux amis décident d’entreprendre une virée au sud du 42e parallèle, sans bagage superflu, mais avec une devise patagonne vissée en tête: «Se hâter est le plus sûr moyen de ne pas arriver.» Plus tortues que lièvres, l’auteur du Vieux qui lisait des romans d’amouret son «socio», son associé, comme il l’appelle, se sont arrêtés au gré des rencontres imprévues tout au long de cette route infinie, sous un ciel où «les nuages sont à portée de main».

Au commencement, il y avait l’idée d’un livre qui les changerait des éternels reportages qu’ils faisaient ensemble pour le compte de revues diverses. D’où cette philosophie de partir sans idée précise, à l’inverse du reporter qui va chercher ce qu’on lui demande. À l’arrivée, il y a Dernières nouvelles du Sud, le roman d’une région disparue et d’une époque révolue, «un recueil de nouvelles posthumes», conclut Sepulveda, qui l’a finalement écrit quinze ans après avoir voyagé. Le temps a donné de la valeur aux souvenirs. L’Argentine a bien changé depuis quinze ans, jusqu’en Patagonie, paraît-il. La plupart des personnes croisées par les deux hommes étaient âgées et ne sont plus aujourd’hui. Reste leur présence dans ces textes.

Panache et mordant

Luis Sepulveda, conteur embusqué derrière le voyageur, restitue, pour chacun, toute une vie en Patagonie, au fil de chapitres qui se lisent comme des nouvelles. Ses portraits disent la singularité de cette terre, colonisée depuis des lustres, mais étonnamment fière. Les auteurs ont su en saisir le sel. Le lecteur croise dans ce recueil l’homme qui se dit être l’arrière-arrière-petit-fils de Davy Crockett ; la délicate Dona Delia Rivera de Cossio, presque centenaire, dans son jardin couvert de roses, là où souffle un vent à décorner les bœufs ; l’équipe de mécanos désœuvrés de la ligne du Patagonia Express, réquisitionnée pour les besoins du tourisme au mépris des autochtones ; ou encore un luthier récupérant le bois rare laissé sur le chantier abandonné du vieil express pour fabriquer les violons que lui commande l’Orchestre symphonique de Berlin.

Sepulveda raconte leur histoire avec le panache qui leur est dû. Il sait aussi se faire mordant envers les gêneurs, les profiteurs et les milliardaires qui rachètent des centaines d’hectares sur cette immense terre sauvage. Les photographies de Mordzinski viennent ponctuer ses propos. Ce livre valait bien quinze années d’attente.

«Dernières nouvelles du Sud» de Luis Sepulveda et Daniel Mordzinski, traduit de l’espagnol (Chili) par Bertille Hausberg, Métailié, 190 p., 20 €.