Enquête sur le saumon d’élevage, une industrie florissante responsable d’importants problèmes environnementaux et sociétaux, qui fait la fortune de la Norvège. A couper le souffle… et l’appétit.
ARTE – MARDI 9 NOVEMBRE À 20 H 50 – DOCUMENTAIRE
Cette ode au saumon atlantique ne plaira pas à tout le monde. Les végétariens pourraient être déçus. L’auteur, Albert Knechtel, livre certes un vibrant hommage à cet animal musculeux, capable d’entreprendre un long périple dans l’océan, puis de franchir de multiples obstacles pour remonter la rivière où il est né. Mais le documentariste n’envisage jamais d’épargner à ce vaillant athlète une fin pathétique, accroché à la ligne d’un pêcheur.
En Norvège, il resterait 530 000 saumons sauvages, tandis que près de 400 millions sont élevés dans des cages flottant dans les fjords. Faut-il, dès lors, miser sur la pisciculture pour préserver l’animal, emblématique du pays ? Sous cet angle, ce sont les consommateurs qui risquent de digérer de travers le pavé rosé posé dans leur assiette.
Car les conditions dans lesquelles grandissent ces animaux entassés dans des fermes marines sont loin de servir l’image de nature resplendissante que la Norvège voudrait promouvoir. Il s’agit d’un des pires élevages industriels, explique en substance Ulrich Pulg, de l’institut de recherches Norce, à Bergen : « Près de 20 % des saumons meurent dans leurs enclos, ce serait inacceptable dans des élevages de porcs ou de bovins. » En 2018, environ 50 millions de saumons ont succombé à la surpopulation et aux maladies.
Produire toujours plus
Entre images des fjords magnifiques et chiffres implacables, le documentaire dresse un tableau sans concession du deuxième secteur économique de la Norvège, après celui du pétrole. Il donne la mesure de ce très « bon filon », comme le dit le titre. A l’aéroport d’Oslo, pas un vol international de passagers ne décolle sans un chargement de saumons dans les soutes, se félicite le directeur du fret. Lui ne souhaite qu’une chose : le développement et l’industrialisation toujours plus poussée de la salmoniculture dans son pays.
En janvier 2020, les exportations ont atteint 88 millions de tonnes, 3 % supérieures à 2019, pour une valeur de 677 millions d’euros, soit un bond de 21 %. Et le gouvernement encourage le mouvement, en accordant massivement de nouvelles concessions sur les côtes (plus de 1 400 en 2019).
Pour produire toujours plus, les firmes norvégiennes essaiment jusque dans le Pacifique. Le film donne un aperçu refroidissant des conditions de travail sur les côtes chiliennes, où cinquante décès ont été recensés parmi les employés en sept ans. L’industrie laisse sur place une grave pollution marine, tout en exportant la quasi-totalité de sa production, trop chère pour les marchés locaux. « Ici, les entreprises norvégiennes font tout ce qu’on leur interdit dans leur pays. Elles se comportent comme des colons », accuse Juan Carlos Cardenas, un vétérinaire qui se bat depuis vingt ans contre les conséquences sociales qu’elles imposent.
Dans sa dernière partie, l’auteur se perd un peu en digressions inutiles. Son propos se passerait aisément de la recette de l’escalope du saumon à l’oseille du prestigieux restaurant Troisgros, à Roanne (Loire) – qui l’a d’ailleurs rayée de sa carte –, ou de l’évocation plutôt mal expliquée d’une tentative de repeuplement d’un affluent du Rhin, en Allemagne. Les dernières images valent pourtant le coup : elles sont tournées dans les paysages vierges de Patagonie, sur lesquels lorgne la salmoniculture.
Le Saumon, un bon filon, documentaire d’Albert Knechtel (All., 2020, 1 h 31).