Sonia Blampain relate sa navigation en équipage qui a mené Capella, un sloop de 40 pieds, de la Bretagne jusqu’à la Terre de Feu. À l’arrivée à Ushuaia, un grand moment de bonheur et de fierté.

Le canal de Beagle
Le canal de Beagle | D.R.

Cela fait bientôt huit mois que je vis avec le capitaine le voyage de Capella vers le cap Horn ! Nous avons d’abord été six mois en équipage, à quatre. Capella, c’est un sloop de 40 pieds de 2007 de chez Bénéteau. Acheté en 2011 à Cherbourg, il a été entièrement préparé́ l’hiver dernier pour ce périple, après un convoyage, à l’été 2022, avec un ami, Éric, de Léros en Grèce jusqu’à Locmiquélic en Bretagne, où j’étais déjà !…. Il s’est assuré que je tenais la mer. Avec Patrick, le second de cette nouvelle aventure, ils ont notamment fabriqué une casquette en contreplaqué marine et plexiglas, pour affronter les vents redoutables de la terre de feu, du canal de Beagle, du détroit Le Maire et de l’archipel du Horn…

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Patrick et le capitaine font la casquette… | D.R.

C’est son Graal de marin, le Horn : le capitaine navigue depuis l’enfance, il a tout appris de son père, pilote d’un sous-marin et heureux propriétaire d’un pêche-promenade – un luxe dans les années 70. D’autres de la lignée ont eu également le pied marin ; ce passage du fameux cap, c’est un clin d’œil à̀ tous ces ancêtres, grands-oncles (dont un qui fut capitaine au long cours), un arrière-grand-père maître saleur sur un terre-neuvas (encore à̀ la voile), mort d’une gangrène et inhumé en mer à̀ Terre-Neuve et son grand-père maternel, décoré́ de la Croix de guerre après la bataille de Norvège, lors de la Seconde Guerre mondiale… Tous des grands bourlingueurs des mers !

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Capella face au cap Horn, le 16 janvier 2024. | D.R.

Cette traversée audacieuse s’est faite en deux temps : partant de Locmiquélic, nous avons mis le cap pour les Canaries en août 2023. À bord, Patrick, Cécile, le capitaine et moi-même. Nous avons eu des conditions de navigation idéales, nous avons été souvent entourés de dauphins, il y a eu une petite saute d’humeur de « Robert », le pilote automatique, un soir de vent mais rien d’alarmant ! Nous avons fait une escale à Porto puis à Lisbonne. Ensuite nous avons découvert (ou redécouvert pour certains) Madère avec le départ de Cécile et l’arrivée de Marc en VIP.

Escale aux Selvagens

Nous avons repris nos navigations vers les Canaries et nous avons débarqué tels des aventuriers, jouant avec le ressac sur l’archipel des Selvagens où l’un des gardiens nous a promenés parmi les rochers et les nids de puffins, magnifique !

Enfin, nous sommes arrivés jusqu’à la jolie ville de Santa Cruz de la Palma pour atteindre un peu plus tard Tenerife, où le bateau nous attendra trois semaines, le temps d’un retour en Bretagne afin de régler des affaires et de revoir les proches, notamment le fils du capitaine, Josselin, sportif des mers lui aussi… Et pour moi, l’occasion de faire un vol plané dans des escaliers ! Pas de casse mais un corps couvert d’ecchymoses, un pied droit foulé me donnant un handicap certain pendant les deux mois suivants, et sur un voilier, c’est pas le pied !

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Capella sous spi quittant la Canaries. | D.R.

La deuxième partie du périple vers le grand sud, mi-octobre, s’organise encore à quatre mais cette fois avec Pierre-Ahn, moussaillon sur le bateau familial dès l’enfance. Il a pris la place de Cécile dans la cabine avant !

Le 23 octobre 2023, nous larguons les amarres, cap sur Mindelo… Comme la voile est une activité sportive pleine de surprises, c’est à̀ ce moment-là que le pilote décide de faire de sévères caprices, un coup je marche, un coup je ne marche pas, sans prévenir et sans logique ! Nous sommes aux aguets et le capitaine très soucieux… Responsable, il nous invite à̀ continuer à̀ dessiner de nouveaux sillages avec Capella, il va trouver une solution. Lors d’une prise de ris, c’est la grand-voile qui va se déchirer, un mouillage s’impose pour une réparation illico presto. En prime, un boulon qui tient le safran est cassé ! La mer : « Ne rien attendre sinon l’inattendu ! »

« Roberta », un nouveau pilote

Nous poursuivons notre route, la décision a été prise de changer de pilote. Murielle, une amie, nous rejoindra à̀ Mindelo avec « Roberta », un nouveau modèle qui pour ce long périple loin d’être anodin, nous est essentiel ! Sa valise sera chargée…

Car, au cours du trajet, vers trois heures du matin, c’est au tour du rail de chariot de grand-voile de nous faire des siennes, il explose lors d’un empannage, à cause des caprices de Robert… Allez hop ! Tout le monde sur le pont, à̀ aider à la réalisation d’une réparation de fortune. Le vent souffle à 25 nœuds, on est sous génois seul. C’est grâce aux manilles textiles que le capitaine aime à̀ fabriquer et à l’intervention efficace de chacun, en synergie, que nous pouvons continuer notre route. Les poissons volants nous accompagnent par série ! En félicité ! J’adore les regarder !

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“La petite sirène”… | D.R.

Notre arrivée au Cap-Vert est musclée, j’ai appris à barrer en pleine nuit, pendant l’un de mes quarts, 2 heures et demie d’affilée, par force 6/7, car Robert a totalement rendu l’âme… À quai, après l’arrivée de Murielle et du matériel adéquat, le capitaine va rester enfermé trois jours dans ce qu’il nomme la cave afin d’installer Roberta ! Ce n’est pas une mince affaire.

Sa persévérance, malgré les 30° C en journée, nous amène jusqu’au jour J de l’essai. Frémissant d’impatience, nous constatons avec joie que ce nouveau pilote est heureux du savoir-faire de son capitaine : Capella est fin prêt pour la grande aventure, il a une cinquième équipière fiable qui saura nous seconder, en sécurité, jusqu’au grand Sud !

Pendant cette aventure, nous avons traversé bien des péripéties : un orage énorme avec des éclairs en ronde autour du bateau, la perte de notre radeau de survie que nous avons su repêcher malgré́ les 27 nœuds dans les canaux, la sortie houleuse de la ria San Blas en Argentine, qui a cassé le réducteur du guindeau et a fendu un plexi avec une vague énorme, un OFNI qui nous a frôlés, un cargo qui nous fait de l’œil… L’expérience du capitaine, des autres marins, mon attention, moi qui suis un matelot depuis à peine trois ans et notre bonne étoile ont toujours épargné notre belle embarcation, Capella la bien nommée.

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Le capitaine et l’artiste Joachim Torres Garcia. | D.R.

Lors de ce voyage, après Mindelo, nous avons mis le cap sur Fernando de Noronha, île brésilienne étonnante de beauté, une escale entre robes-filets transparentes où l’on devine des bikinis et les plages de sable fin splendides, bordées de cocotiers… Pendant la traversée de l’Atlantique, ensemble nous avons vécu le passage de l’équateur, où Neptune est venu baptiser les novices des mers comme il se doit afin de les accueillir dans son royaume.

Gourmandises argentines

Nous avons vogué dans le pot au noir avec ses gros grains, savouré des douches sur le pont et tout au long des nombreux milles, les pêches toujours plus énormes de Pierre-Ahn et des marins enthousiastes comme des gamins, et un jour jusqu’à deux thons jaunes de plus de 15 kilos coup sur coup. On en offrira dès notre arrivée, lors d’une escale à Quequen, en Argentine, afin d’éviter un force 8 car l’accueil au club nautique Vito Dumas sera merveilleux de gentillesse…

C’est là que nous ferons connaissance avec la Prefectura, soit le lourd processus administratif de l’Argentine… Et que la tendresse de la viande élevée dans la pampa des ranchs, accompagnée de vins locaux ainsi que les empanadas, délicieuses spécialités de petits chaussons fourrés, nous régaleront… Le voyage, c’est aussi cela, des gourmandises !

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Pierre-Ahan vient de pecher un thon. | D.R.

Enfin est venu le moment de l’entrée dans le détroit Le Maire puis dans le canal de Beagle, le moment des mouillages sauvages et hors norme comme seul sait le faire le capitaine. Puis l’arrivée triomphante à Ushuaïa où nous attend un couple d’amis, navigateurs aussi, ravi de partager un bout de l’aventure, celui qui va dessiner les sillages dans l’archipel du Horn et le passage du cap ! Et ce sera une réussite ! Le cap se laissera approcher sous voiles et deviner dans une brume digne d’un paysage de Bretagne Nord ! Nous sommes heureux, heureux comme qui… le capitaine !

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L’équipage au cap Horn. | D.R.

Dans le club d’Ushuaïa, où flottent des unités hors norme, en acier ou en alu, comme dans les ports de Puerto Williams, de Punta Arena, de Puerto Deseado, de Piriapolis ou de La Paloma, quand les marins viennent causer avec nous en nous demandant notre programme, ils sont toujours stupéfaits et de concert, regardant Capella le magnifique, sloop de plastique rutilant d’entretien, nous lancent : « Vous avez fait le cap Horn avec ça ? »

On a fait ça avec « ça »

Oui, le capitaine et notre équipage, nous avons réussi à déployer les voiles de Capella à travers les eaux de la terre de feu, dans les canaux de Patagonie et dans l’Atlantique. Capella a déjà̀ sillonné une bonne partie de la Méditerranée et a réalisé plusieurs fois la traversée vers les Antilles… C’est bien avec « ça » que nous sommes maintenant cap-horniers ! Que nous avons remonté l’avenue des glaciers où un soir, lors d’un mouillage, près du glacier de Pia, Capella s’est retrouvé entouré de grelots, dont un de plusieurs tonnes qui a séjourné́ gentiment toute la nuit, bloqué par les amarres à terre, se languissant de s’être fait prendre ainsi, à quelques mètres du bateau… Il a disparu au petit matin ! Ouf ! Enfin, pour regagner l’Atlantique, nous avons emprunté, avec « ça », le mythique canal de Magellan, avec des vents à contre… Comme l’a écrit Antoine de Saint-Exupéry : « L’impossible recule toujours quand on marche vers lui. »

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Capella et les grelots. | D.R.

L’audace et la confiance du capitaine tout au long de ce périple, nous ont procuré la joie de rencontrer des grands marins d’acier comme Christophe Augier, Marc et Sylvie, Robin et Amanda de Chamade, Théo, Samantha, Gabriel et Fabien de Metapassion, Éric et Patricia à La Palma, André Brenner, qui a construit le phare du bout du monde sur l’île de Los Estados, au détroit Le Maire, et bien d’autres encore comme Thibault à La Paloma sur son Yka, Gérard et Klorane sur leur vieux gréement unique au monde, L’Albatros, Frédéric et Martha, respectivement skipper et chef cuisinier sur des yachts de 28 mètres…

Au Brésil, où nous allons bientôt laisser le bateau pour quelques mois, lors d’un mouillage face à la praia Tereza, à Ilhabela, la merveilleuse, Fanch viendra toquer sur la coque de Capella qui arbore toujours fièrement son Gwen ha Du et avec un grand sourire nous présentera une assiette de crêpes toutes fraiches ! Quelle belle madeleine de Proust ! Voilà trois ans qu’il navigue, il est parti du Crouesty. Il est animateur et cuisinier, amoureux de la mer. Sacrés marins !

Des équipiers comblés

L’audace et la confiance naturelles du capitaine lui ont permis d’accepter ma demande, moi la « petite sirène » – c’est ainsi qu’il m’a nommée dès notre rencontre –, ma demande de voyager à ses côtés, de continuer à découvrir et à apprendre la navigation dans cette aventure de plusieurs mois, d’oser le cap et la pleine mer, sachant mon caractère entier épris de solitude ! Il a accepté, je l’en remercie. Il a construit différents équipages où Cécile la Bretonne, férue de voile, est venue un bout, au début, où nous avons été soudés des mois entiers avec Patrick, le second, passionné de photographie et de randonnée – d’ailleurs lors de l’une d’entre elles nous avons découvert, émus, le squelette d’une énorme baleine étendu dans l’humidité ombragée d’un espace sablonneux, au Chili.

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Le capitaine et la “petite sirène”. | D.R.

Marc nous a régalé de son bon sens marin, de ses connaissances d’ingénieur en électricité́, de ses recettes et de ses blagues. Pierre-Ahn, le quartier-maître, passionné lui aussi de photographie, embarqué sur Capella avec son drone, nous a offert des vues et des lumières à couper le souffle, à la hauteur de sa réactivité́ marine et de sa sagesse. Puis Jean Bernard et Christine, toujours heureux de vivre, les sens à fleur d’eau, d’air, de ciel comme le capitaine, qui naviguent comme ils respirent, sont venus spécialement en Terre de Feu pour le Cap…

Après leur départ, c’est Cauane, la Brésilienne dont le prénom signifie tortue, mordue de kitesurf, qui a goûté à la navigation à la voile ; elle s’est étonnée de tous les bruits et les mouvements constants d’un bateau mais même lors de ses craintes elle ne s’est jamais plainte et elle a essayé d’être rapidement apte à la solitude des quarts ! Aujourd’hui, en cet automne de l’hémisphère Sud, nous bouclons une autre étape, de Buenos Aires à Paraty, à deux ! La pleine mer en équipage est aussi une aventure de promiscuité́ humaine qui demande bienveillance et communication, ce n’est pas toujours chose aisée ! La mer exige une grande énergie physique et mentale, de la souplesse, de la rigueur, de la patience, de la concentration et tant d’autres qualités… C’est l’école de la mer. Pour tout un chacun, quel que soit l’âge…

De tout ce périple, nous retiendrons également l’immense révolution satellitaire Starlink qui nous a permis d’avoir Internet au large donc la météo et tant d’autres liens utiles partout où nous sommes passés, jusqu’au cap Horn ! La nécessité d’une préparation du bateau aux petits oignons car malgré tout, il y aura des imprévus et des avaries… Et l’assurance, dès le départ, que le chemin se dessine au fur et à mesure des sillages, des morceaux de vie apprécies, des difficultés dépassées…

« – Alors, capitaine, en route pour de nouvelles aventures ?

– Oui petite sirène, cap sur les Caraïbes ! »

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