Les Oiseaux de Patagonie, habitants des forêts et montagnes de la Réserve de biosphère du cap Horn

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La Réserve de Biosphère du Cap Horn (RBCH), créée par l’UNESCO en juin 2005, représente l’une des zones les plus pristines de la planète et abrite des écosystèmes forestiers uniques au monde. Située à l’extrémité sud du continent américain (entre 54° et 56°S), cette réserve de plus de 5 millions d’hectares protège les forêts sub-antarctiques les plus australes de la planète. Ce dossier est dédié aux oiseaux de Patagonie forestiers et de montagne : il s’agit du groupe de vertébrés terrestres le plus diversifié de cet écosystème.
Le Parc Ethnobotanique Omora, situé à l’extrême sud de la Patagonie sur l’île Navarino au cœur de la RBCH, héberge depuis janvier 2000 le programme de recherche ornithologique à long terme le plus important de l’hémisphère sud pour les forêts subpolaires. Ce programme, mené conjointement par l’Universidad de Magallanes, l’Université du Nord du Texas et la Fondation Omora, a permis de capturer et baguer plus de 10 000 oiseaux forestiers sur une période de 15 ans, générant des données scientifiques sans précédent sur l’avifaune sub-antarctique.
Table des matières du dossier “Oiseaux de Patagonie”
Contexte écogéographique
L’écorégion sub-antarctique magellanique
L’écorégion sub-antarctique magellanique s’étend du golfe de Penas (47°S) jusqu’à l’île Horn (56°S), représentant les forêts les plus australes du monde. Cette écorégion se distingue radicalement des forêts boréales de l’hémisphère nord par plusieurs caractéristiques fondamentales qui influencent profondément l’avifaune.
Les forêts sub-antarctiques du Cap Horn n’ont aucun équivalent écogéographique dans l’hémisphère sud. Elles s’étendent près de 10 degrés de latitude plus au sud que les forêts tempérées de Nouvelle-Zélande (47°S) ou de Tasmanie (43°37’S). Cette position australe extrême crée des conditions environnementales uniques pour les oiseaux qui y résident ou migrent.
Climat océanique et conditions environnementales
Le climat de la RBCH est caractérisé par une forte influence océanique qui module radicalement les conditions de vie des oiseaux forestiers. Contrairement aux forêts boréales de l’hémisphère nord qui subissent un climat continental avec des hivers extrêmement froids (-32°C à Bonanza Creek, Alaska) et des étés chauds, les forêts de la réserve naturelle du Cap Horn présentent un climat isotherme remarquable.
Au Parc Omora, l’amplitude thermique annuelle n’est que de 8,9°C, avec une température moyenne du mois le plus chaud (janvier) de 10,8°C et du mois le plus froid (juin-juillet) de 1,9°C. Cette modération thermique, combinée à des précipitations réparties uniformément tout au long de l’année (contrairement aux forêts boréales où les pluies sont concentrées en été), crée des conditions environnementales exceptionnellement stables pour l’avifaune.
Gradient pluviométrique large
La RBCH présente l’un des gradients de précipitations les plus extrêmes au monde, avec des valeurs annuelles passant de plus de 5000 mm à l’ouest à moins de 500 mm sur l’île Navarino à l’est. Ce gradient pluviométrique influence directement la richesse spécifique des oiseaux forestiers. Les recherches menées sur 61 sites de monitoring dans la RBCH ont démontré qu’une augmentation de 100 mm des précipitations annuelles moyennes entraîne une diminution d’environ 1% de la richesse spécifique aviaire.
Cette relation négative entre précipitations et diversité aviaire est un phénomène particulier aux forêts sub-antarctiques. Les zones les plus humides, exposées aux vents pacifiques, présentent une avifaune moins diversifiée que les secteurs plus abrités comme l’île Navarino, qui concentre la plus haute diversité d’espèces forestières de toute la RBCH.
Formations végétales et habitats aviaires
Les forêts de la RBCH sont dominées par trois espèces principales du genre Nothofagus (hêtres du sud) qui créent des mosaïques d’habitats distinctes pour l’avifaune:
- Forêts sempervirentes de coigüe de Magellan (Nothofagus betuloides) : dominantes dans les zones côtières humides avec plus de 1000 mm de précipitations annuelles. Richesse moyenne de 17,9 ± 0,5 espèces d’oiseaux.
- Forêts mixtes de coigüe et lenga (N. pumilio) : habitat prioritaire pour plusieurs espèces d’intérêt conservatoire dont le Pic de Magellan (Campephilus magellanicus). Richesse moyenne de 19,7 ± 0,4 espèces, la plus élevée des trois types forestiers.
- Forêts décidues et formations coigüe-ñirre-toundra (N. antarctica et zones de transition) : présentes dans les secteurs à drainage intermédiaire avec moins de 1000 mm de précipitations. Richesse moyenne de 15,6 ± 0,3 espèces.
Le sous-bois forestier comprend des espèces emblématiques comme le canelo (Drimys winteri), le notro (Embothrium coccineum) dont les fleurs tubulaires rouges produisent un nectar abondant pour les oiseaux nectarivores, et le coicopihue (Philesia magellanica) dont les fleurs sont essentielles au colibri du Chili.
Au-delà de la limite forestière (variable entre 400 et 900 m d’altitude), s’étendent les habitats andins hauts caractérisés par des formations de plantes en coussins (Bolax gummifera, Azorella), des lichens (Usnea aurantiaco-atra) et des mousses qui constituent l’habitat de deux espèces d’oiseaux à distribution restreinte : le Diamant jaune ou Mélanodère à sourcils jaunes (Melanodera xanthogramma) et la Bécassine ou Attagis de Magellan (Attagis malouinus).
Assemblages d’oiseaux forestiers
Composition spécifique et abondance
Le programme de capture au filet japonais mené au Parc Omora pendant plus de 15 ans a révélé que trois espèces dominent largement les assemblages d’oiseaux forestiers, représentant 75% de toutes les captures:
- Synallaxe rayadito (Aphrastura spinicauda) : l’espèce la plus abondante avec 9,24 individus/ha, présente dans 100% des sites de monitoring. Ce petit passereau de ~12 grammes occupe une grande variété d’habitats mais est particulièrement abondant dans les forêts sempervirentes côtières de coigüe.
- Phrygile de Patagonie (Phrygilus patagonicus) : l’oiseau le plus fréquemment capturé dans les filets japonais, présent dans tous les types de forêts (100% des sites). Poids moyen de 30-35 grammes, guilde trophique mixte granivore-nectarivore, visitant les fleurs d’Embothrium coccineum comme voleur de nectar.
- Élénie à crête blanche (Elaenia albiceps) : espèce migratrice majeure, présente dans 100% des sites de monitoring durant l’été austral. Se nourrit des fruits du canelo (Drimys winteri) avant sa migration automnale vers les forêts amazoniennes.
Huit espèces constituent le groupe des oiseaux les plus abondants, représentant plus de 95% des captures totales dans les filets japonais:
- Aphrastura spinicauda (Synallaxe rayadito)
- Phrygilus patagonicus (Phrygile de Patagonie)
- Elaenia albiceps (Élénie à crête blanche)
- Turdus falcklandii (Merle austral)
- Zonotrichia capensis (Bruant chingolo, à col roux)
- Spinus barbatus (Chardonneret à tête noire)
- Troglodytes aedon (Troglodyte familier)
- Anairetes parulus (Taurillon mésange huppé)
Homogénéité des assemblages forestiers
Contrairement à ce que l’on pourrait attendre dans un territoire aussi vaste et hétérogène, l’assemblage d’oiseaux forestiers de la RBCH présente une remarquable homogénéité à travers les différents types de végétation. La plupart des espèces détectées sont présentes dans les trois types principaux de forêts (coigüe, mixte, coigüe-ñirre-toundra).
Les exceptions notables incluent :
- Hirondelle bleue et blanche (Pygochelidon cyanoleuca patagonica) : absente des forêts coigüe-ñirre-toundra
- Moineau domestique (Passer domesticus) : espèce exotique observée uniquement dans les forêts de coigüe près de Puerto Williams
- Perruche australe (Enicognathus ferrugineus) et Pic de Magellan (Campephilus magellanicus) : trouvés principalement dans les forêts mixtes de coigüe et lenga, et moins fréquemment dans les deux autres types de végétation
Les espèces généralistes comme le Rayadito épineux, le Sporophile à gorge noire, le Bruant chingolo à col roux, l’Élénie à crête blanche, les cinclodes (Cinclodes patagonicus, C. fuscus), le Chardonneret à tête noire et le Merle austral sont présentes dans 100% des sites de monitoring, démontrant une grande plasticité écologique.
Espèces spécialistes et caractéristiques
Certaines espèces montrent des préférences d’habitat plus marquées, révélant des patterns de distribution spécifiques au sein de la RBCH:
Pattern 1 – Espèces restreintes aux forêts bien développées : La Perruche australe est strictement limitée aux zones abritées avec des forêts anciennes bien développées de Nothofagus pumilio, correspondant à des secteurs recevant moins de 1000 mm de précipitations annuelles et moins exposés aux vents violents.
Pattern 2 – Espèces des zones arbustives exposées : Le Mérulaxe des Andes (ou Tapaculo de Magellan, Scytalopus magellanicus) utilise caractéristiquement les formations arbustives basses dominées par les calafates (Berberis buxifolia, B. ilicifolia) et le chaura (Gaultheria mucronata) sur les îles exposées à l’océan Pacifique.
Pattern 3 – Espèces généralistes ubiquistes : Le Bruant chingolo (ou Bruant à col roux (Zonotrichia capensis) est l’espèce la plus généraliste en termes d’utilisation d’habitat dans toute la RBCH, habitant tous les types d’environnements y compris les marges des glaciers.
Pattern 4 – Espèces d’altitude restreinte : Le Diamant jaune (ou Mélanodère à sourcils jaunes, Melanodera xanthogramma) et la Bécassine ou Attagis de Magellan (Attagis malouinus) sont confinés aux zones andines hautes au-dessus de la limite forestière (>400-900 m), avec des exigences d’habitat spécialisées et une distribution géographique restreinte.
Espèces d’intérêt conservatoire majeur
Le Pic de Magellan (Campephilus magellanicus)
Le Pic de Magellan représente l’espèce la plus emblématique des forêts sub-antarctiques et constitue un enjeu de conservation de portée mondiale. C’est le plus grand pic d’Amérique du Sud, avec une masse corporelle de 275-347 grammes, et l’espèce congénère survivante des pics Ivory-billed (Campephilus principalis) et Imperial (C. imperialis) d’Amérique du Nord, aujourd’hui probablement éteints.
Statut de conservation :
- En Danger dans les régions administratives chiliennes d’O’Higgins et Maule (33-37°S)
- Vulnérable dans les régions chiliennes du Bío-Bío à Magallanes (38-56°S)
- Vulnérable en Argentine selon les classifications nationales
Écologie et habitat :
Le Pic de Magellan est endémique des forêts anciennes de Nothofagus du sud du Chili et de l’Argentine adjacente. Les recherches menées sur l’île Navarino ont démontré que cette espèce sélectionne préférentiellement les arbres de Nothofagus les plus grands et de plus grand diamètre pour excaver ses cavités, qui sont placées plus haut du sol et présentent des entrées plus larges comparées à celles utilisées par les autres espèces cavernicoles secondaires.
L’île Navarino héberge probablement les plus hautes densités de Pic de Magellan dans tout le Chili. Le Parc Omora à lui seul abrite environ dix groupes familiaux de cette espèce. Les forêts mixtes de N. betuloides et N. pumilio sont particulièrement importantes pour la présence de cette espèce de faible abondance mais d’intérêt majeur pour l’observation ornithologique.
Rôle écologique :
En tant que principal excavateur de cavités et seul pic de la RBCH, le Pic de Magellan joue potentiellement un rôle d’espèce-clé (keystone species) dans l’écosystème forestier. Les cavités qu’il excave dans les troncs de lenga sont fréquemment utilisées par les Perruches australes pour la nidification. Douze espèces d’utilisateurs secondaires de cavités ont été identifiées sur l’île Navarino, allant de ~11 à 447 grammes, dont le Rayadito épineux (~12 g) est le plus abondant et fréquent utilisateur de cavités non-excavées.
Cependant, contrairement à l’hypothèse initiale, les petits passereaux utilisent rarement les cavités fournies par ce grand pic. La provision de cavités par le Pic de Magellan semble plus importante pour les oiseaux de plus grande taille, particulièrement les rapaces et les perruches. De plus, les trous de fourragement élargis par les pics peuvent servir de cavités de nidification pour l’assemblage plus large d’utilisateurs secondaires, représentant ainsi un service écologique par un mécanisme différent de la simple excavation de cavités.
Menaces :
L’exploitation forestière, le remplacement des forêts natives par des plantations de monocultures d’espèces exotiques à croissance rapide (Eucalyptus, Pinus radiata) dans le centre-sud du Chili et en Argentine, ainsi que la fragmentation de l’habitat par les castors nord-américains (Castor canadensis) introduits et la prédation par le vison d’Amérique (Neovison vison) ont drastiquement affecté les populations de Pic de Magellan sur la majeure partie de son aire de distribution.
Chouette masquée (Strix rufipes)
La Chouette masquée est une espèce indicatrice de forêts anciennes résidente dans les forêts du Parc Omora. Comme le Pic de Magellan, c’est une espèce congénère de la Chouette tachetée (Strix occidentalis), qui a joué un rôle central dans le débat sur la conservation des forêts anciennes dans le nord-ouest du Pacifique aux États-Unis et au Canada.
Statut de conservation :
Classée comme espèce à Données Insuffisantes au niveau national au Chili (la législation chilienne sur la chasse utilise une version antérieure des catégories de l’UICN).
Écologie :
Fréquemment observée au Parc Omora, elle est considérée comme ayant des populations clairsemées au Chili. C’est l’espèce de chouette avec la plus haute priorité de conservation au Chili.
L’Epervier du Chili (Accipiter chilensis, Peuquito)
L’épervier du Chili est un autre rapace forestier qui niche dans les forêts du Parc Omora et présente un intérêt conservatoire au niveau national.
Statut de conservation :
Classée comme Espèce Rare au Chili (SAG 2009).
Écologie :
Fréquemment observée au Parc Omora. Les forêts anciennes protégées de la RBCH fournissent un habitat critique pour cette espèce menacée.
Espèces de haute altitude à distribution restreinte
Mélanodère à sourcils jaunes ou Diamant jaune (Melanodera xanthogramma) :
Habitat spécialisé dans les zones andines hautes au-dessus de la limite forestière sur les sommets du mont Róbalo et de la chaîne des Dientes de Navarino. Distribution géographique restreinte et exigences d’habitat spécialisées. Distribué vers le nord le long des hautes Andes.
Bécassine ou Attagis de Magellan (Attagis malouinus) :
Habitat spécialisé identique au Diamant jaune, dans les zones andines hautes au-dessus de la limite forestière. Classée comme Espèce Rare selon la législation chilienne (SAG 2012). Les corps d’eau douce comme le lac Róbalo fournissent également l’habitat de reproduction pour le Brassemer de Patagonie ou Canard-vapeur volant (Tachyeres patachonicus).
Dynamiques saisonnières et migrations
Espèces résidentes et migratrices
L’assemblage d’oiseaux forestiers de la RBCH comprend à la fois des espèces résidentes permanentes et des espèces migratrices, avec des variations temporelles dans leur distribution géographique au sein de la réserve.
Espèces résidentes (présentes hiver et été) :
21 des 26 espèces forestières et de montagne sont résidentes à l’année dans la RBCH, incluant :
- Pic de Magellan (Campephilus magellanicus, carpintero)
- Chevêchette australe (Glaucidium nana, chuncho)
- Mérulaxe des Andes ou Tapaculo de Magellan (Scytalopus magellanicus, churrín)
- Picotelle à gorge blanche (Pygarrhichas albogularis, Comesebo grande)
- Cinclodes brun et à ventre sombre (Cinclodes fuscus, C. patagonicus, churrete acanelado)
- Synallaxe rayadito ou rayadito épineux (Aphrastura spinicauda, rayadito)
- Taurillon mésange huppé (Anairetes parulus, cachudito)
- Pépoaza œil-de-feu (Xolmis pyrope, diucón)
- Tyran ou Pitajo de Patagonie (Colorhamphus parvirostris, viudita)
- Troglodyte familier (Troglodytes aedon, chercán)
- Merle austral (Turdus falklandii, zorzal)
- Chardonneret à tête noire (Spinus barbata ou Sporagra barbata, jilguero)
- Carouge austral (Curaeus curaeus, tordo)
- Phrygile de Patagonie (Phrygilus patagonicus, cometocino patagónico)
- Perruche australe (Enicognathus ferrugineus, cachaña)
- Caracara chimango (Milvago chimango, tiuque)
- Chouette masquée (Strix rufipes, concón)
- Dormilon bistré (Muscisaxicola maclovianus, dormilona tontita)
- Mélanodère à sourcils jaunes (Melanodera xanthogramma, yal cordillerano)
Espèces migratrices (détectées uniquement lors du monitoring estival) :
5 espèces sont migratrices dans la RBCH:
- Colibri du Chili (Sephanoides sephaniodes, picaflor chico) : présent dans la zone jusqu’à la fin de l’automne (mai). Présent dans 58% des sites de forêts de coigüe, 46% des forêts mixtes et 14% des forêts coigüe-ñirre-toundra.
- Élénie à crête blanche (Elaenia albiceps, Fío-fío) : espèce migratrice majeure présente dans 100% des sites en été. Migre chaque automne depuis le Cap Horn vers les forêts amazoniennes, parcourant des milliers de kilomètres.
- Hirondelle bleue et blanche (Pygochelidon cyanoleuca, golondrina de dorso negro) : présente dans 42% des sites de forêts de coigüe et 8% des forêts mixtes.
- Hirondelle du Chili (Tachycineta meyeni, golondrina chilena) : présente dans 100% des sites de forêts de coigüe et mixtes, et 94% des sites de forêts coigüe-ñirre-toundra.
- Bruant chingolo ou à col roux (Zonotrichia capensis, chincol) : bien que présent dans 100% des sites, cette espèce présente un statut migratoire dans la RBCH.
Variations saisonnières d’abondance
Les recherches ornithologiques à long terme menées au Parc Omora et dans toute la RBCH ont révélé des patterns saisonniers marqués dans l’abondance et la biomasse aviaire. La biomasse totale d’oiseaux augmente significativement du printemps à l’automne (de 935 à 1379 g/ha) puis diminue drastiquement en hiver (244 g/ha).
Les guildes trophiques montrent des variations saisonnières contrastées :
- Herbivores : augmentation du printemps à l’été (531 à 567 g/ha) puis diminution de l’automne à l’hiver (275 à 46 g/ha).
- Carnivores et insectivores : pas de différences significatives entre les saisons.
Ces variations reflètent les mouvements migratoires, les changements de disponibilité des ressources alimentaires (fruits, graines, nectar) et potentiellement les déplacements altitudinaux des espèces en réponse aux conditions climatiques.
Fidélité au site de nidification
L’une des questions centrales du programme de recherche ornithologique à long terme du Parc Omora concerne la fidélité au site des oiseaux migrateurs : les oiseaux migrateurs retournent-ils aux mêmes sites dans les forêts de la Réserve de Biosphère du Cap Horn ?
La forme en “entonnoir” des forêts tempérées d’Amérique du Sud, se rétrécissant vers le sud, pourrait promouvoir une plus grande fidélité au site chez les oiseaux migrateurs arrivant dans la région comparativement à ceux migrant vers les vastes forêts boréales de Scandinavie, Russie et Amérique du Nord. Les données de recapture d’oiseaux bagués sur 15 ans au Parc Omora permettent d’adresser cette question, avec des implications pour la compréhension des stratégies migratoires dans l’hémisphère sud.
Guildes trophiques et interactions écologiques
Composition des guildes trophiques
L’analyse des guildes trophiques dans les forêts sub-antarctiques révèle des patterns distincts de ceux observés dans les forêts boréales de l’hémisphère nord:
Insectivores (13 espèces) :
Guilde trophique dominante dans les forêts de Nothofagus, incluant :
- Pic de Magellan
- Synallaxe rayadito
- Picotelle à gorge blanche
- Cinclodes (2 espèces)
- Taurillon mésange huppé
- Tyrans et moucherolles (3 espèces)
- Hirondelles (2 espèces)
- Troglodyte familier
- Tapaculo de Magellan
La biomasse des insectivores est significativement plus élevée dans les forêts mixtes que dans les forêts sempervirentes mixtes, et plus élevée dans les zones à canopée fermée que dans les zones ouvertes.
Granivores (3 espèces) :
- Chardonneret à tête noire
- Diamant jaune
- Moineau domestique (exotique)
Carnivores (2 espèces) :
- Chevêchette australe
- Epervier du Chili
La biomasse des carnivores est plus élevée dans les zones à canopée ouverte que fermée.
Omnivores :
Plusieurs espèces présentent un régime alimentaire plastique et omnivore, plus diversifié que celui décrit pour les populations congénères vivant à des latitudes plus basses. Cette plasticité alimentaire élevée est une caractéristique remarquable de l’avifaune australe.
Nectarivores/Herbivores :
- Colibri du Chili (nectarivore strict)
- Sporophile à gorge noire (granivore-nectarivore)
- Perruche australe (herbivore)
La biomasse des herbivores est significativement plus élevée dans les forêts mixtes sempervirentes que dans les forêts mixtes, et plus élevée dans les zones à canopée fermée que dans les zones ouvertes.
Interactions plantes-oiseaux
Les forêts sub-antarctiques présentent des interactions mutualistes plantes-oiseaux remarquables :
Pollinisation :
Le notro (Embothrium coccineum) produit des fleurs tubulaires rouges riches en nectar en fin de printemps (novembre-décembre). Ces fleurs sont visitées par :
- Colibri du Chili (pollinisateur légitime)
- Perruche australe (voleur de nectar)
- Sporophile à gorge noire (voleur de nectar)
- Élénie à crête blanche (visiteur occasionnel)
Le coicopihue (Philesia magellanica) est l’espèce-clé pour maintenir les populations de Colibri du Chili, ses fleurs produisant un nectar abondant et de haute qualité énergétique.
Frugivorie et Dispersion de Graines :
Le canelo (Drimys winteri) produit des fruits charnus consommés par :
- Merle austral (Turdus falcklandii)
- Élénie à crête blanche (avant migration)
- Autres espèces omnivores
Les formations arbustives anthropiques et naturelles produisent des baies consommées par l’avifaune :
- Berberis buxifolia et B. ilicifolia (fruits disponibles printemps-été, novembre-février)
- Gaultheria mucronata et Empetrum rubrum (fruits disponibles septembre-mars, avec certains fruits disponibles toute l’année)
- Ribes magellanicum (fruits printemps-été)
Absence remarquable de parasites
Une caractéristique unique des populations d’oiseaux vivant au sud de la Terre de Feu est la notable absence de parasites. Cette particularité distingue radicalement l’avifaune sub-antarctique de celle des forêts tempérées et boréales de l’hémisphère nord, où les parasites jouent un rôle écologique important. L’isolement géographique et les conditions climatiques particulières de la RBCH pourraient expliquer cette absence.
Menaces et enjeux de conservation
Espèces invasives
Les espèces exotiques invasives représentent la menace la plus sérieuse pour la conservation de l’avifaune de la RBCH.
Vison d’Amérique (Neovison vison) :
Le vison américain constitue la menace la plus dévastatrice pour les populations d’oiseaux habitant les forêts et autres écosystèmes terrestres de la RBCH. Il aurait été détecté pour la première fois sur l’île Navarino en novembre 2001 par l’équipe de recherche du Parc Omora, qui a immédiatement alerté les autorités gouvernementales.
Impact sur l’avifaune :
- Le Tapaculo de Magellan (Scytalopus magellanicus), petit oiseau qui habite le sous-bois des forêts et zones arbustives, a disparu du Parc Omora et des zones voisines de l’île Navarino dès 2002.
- Espèces nichant au sol ou très près du sol particulièrement vulnérables : Canard-vapeur aptère (Tachyeres pteneres) et Ouette de Magellan (Chloephaga hybrida), dont les populations ont décliné au cours de la dernière décennie.
- Le vison s’est également dispersé dans les habitats andins hauts et les zones humides, où il prédacte les oiseaux particulièrement vulnérables dans ces habitats ouverts.
L’île Navarino et la plupart des îles de la RBCH ont évolué sans mammifères carnivores terrestres. Pour cette raison, de nombreuses espèces d’oiseaux nichent au sol ou très près, et sont aujourd’hui particulièrement vulnérables aux prédateurs exotiques introduits comme le vison américain, les chiens sauvages et les chats.
Castor Canadien (Castor canadensis) :
Introduit depuis les années 1950, le castor occupe aujourd’hui presque tous les bassins versants disponibles sur l’île Navarino, modifiant drastiquement l’hydrologie et la structure forestière adjacente. Les zones déboisées et les étangs de castors visibles dans les photographies aériennes reflètent les effets dévastateurs de cette espèce, affectant indirectement l’habitat des oiseaux forestiers et créant une fragmentation de l’habitat qui affecte négativement les populations de Pic de Magellan.
Changement climatique
Le changement climatique affecte avec une grande intensité les régions polaires et subpolaires, incluant l’écorégion sub-antarctique magellanique. Le réseau LTSER-Chile fournit une plateforme idéale pour investiguer et monitorer les changements latitudinaux dans la distribution des espèces d’oiseaux et les patterns de migration.
Le gradient altitudinal protégé par le Parc Omora, avec des variations marquées de microclimat et de température depuis le canal de Beagle jusqu’aux Dientes de Navarino (1000 m), offre un cadre idéal pour étudier les impacts du changement climatique sur les oiseaux à multiples échelles géographiques.
Le programme de recherche ornithologique à long terme du Parc Omora fournit une opportunité unique d’investiguer les impacts potentiels du changement climatique sur les oiseaux, depuis l’échelle locale jusqu’aux comparaisons interhémisphériques.
Développement du tourisme
La région du Cap Horn est actuellement soumise à des pressions croissantes liées au changement climatique global, à l’arrivée d’espèces de mammifères exotiques invasifs, et aux opportunités et menaces du tourisme de nature croissant.
Des recensements d’oiseaux ont été conduits dès le début du programme de recherche ornithologique à long terme dans des zones visitées par les touristes, écoliers et autres visiteurs, comparés à des recensements simultanés dans des sites voisins non visités, afin d’évaluer l’impact du tourisme sur l’avifaune.
Perturbations anthropiques historiques
Les forêts de l’île Navarino ont été soumises à des perturbations anthropiques incluant brûlage forestier, coupe de bois et élevage de bétail. Ces perturbations ont créé une mosaïque d’habitats incluant :
- Formations parkifiées anthropiques avec grands arbres de N. betuloides et N. pumilio parmi des troncs brûlés, grumes, chicots, jeunes arbres en régénération et arbustes abondants
- Zones ouvertes couvertes de végétation basse
- Sites récemment brûlés dominés par Chiliotrichium diffusum
- Zones perturbées naturellement ou anthropiquement dominées par les fourrés de Embothrium coccineum
- Zones de différentes tailles couvertes de forêts anciennes continues
Cette hétérogénéité d’habitats influence la distribution et l’abondance des espèces aviaires, certaines comme le Taurillon mésange huppé étant liées aux formations arbustives dans les zones à canopée ouverte.
Importance globale de la RBCH pour l’ornithologie
Zone refuge de biodiversité
Au début du 21ème siècle, l’écorégion sub-antarctique magellanique a été identifiée comme l’une des 24 zones de nature sauvage (wilderness areas) restantes sur la planète. Cette reconnaissance est basée sur trois critères :
- Conservation de plus de 70% de la couverture végétale originale
- Superficie >10 000 km² sans connectivité terrestre avec développement industriel et urbain
- Une des plus faibles densités de population humaine aux latitudes tempérées (0,14 habitants/km²)
L’écorégion sub-antarctique magellanique fait partie du biome des forêts tempérées d’Amérique du Sud, qui s’étend sur 26 degrés de latitude (30-56°S) et couvre une superficie d’environ 15,6 millions d’hectares. Cela représente la plus vaste étendue de forêts tempérées restante dans l’hémisphère sud, plus de deux fois la superficie combinée des forêts tempérées de Nouvelle-Zélande (5,9 millions d’hectares) et de Tasmanie.
Combler un vide global dans la recherche écologique
L’ornithologie des forêts sub-antarctiques magellaniques a été peu étudiée comparativement à l’ornithologie des forêts tempérées et boréales de l’hémisphère nord. Les réseaux internationaux de monitoring et recherche écologique à long terme ont conspicuément omis cette région.
En 2010, le réseau international ILTER (International Network of Long-Term Ecological Research) incluait 543 sites dans 44 pays, mais 509 de ces sites (93,7%) étaient localisés dans l’hémisphère nord. 69% des sites ILTER étaient situés à des latitudes >40°N. Moins de 10% (n=34) des sites du réseau ILTER avaient été établis dans les latitudes tropicales entre 20°N et 20°S, où se trouve la majorité de la diversité des oiseaux et autres groupes d’organismes. Dans l’hémisphère sud dans son ensemble, il n’y avait que 34 sites (6,3%), et jusqu’en 2010 il y avait une absence complète de sites ILTER aux latitudes tempérées et sub-antarctiques de l’hémisphère sud.
Le programme de recherche ornithologique à long terme du Parc Omora vise à contribuer à combler ce vide géographique dans les études à long terme de l’hémisphère sud. Le Parc Omora a été l’un des sites fondateurs du réseau chilien LTSER (Long-Term Socio-Ecological Research), créé en 2008 et intégré au réseau ILTER en 2011.
Programme de capture au filet le plus long de l’hémisphère sud
Le programme de capture au filet japonais et de baguage d’oiseaux forestiers conduit de manière ininterrompue depuis janvier 2000 au Parc Omora représente le programme de baguage le plus long pour les oiseaux des forêts tempérées et subpolaires de l’hémisphère sud. Sur 15 ans, plus de 10 000 oiseaux forestiers ont été capturés et bagués, fournissant une base de données sans précédent pour les études de morphométrie et de dynamique des populations des espèces les plus abondantes dans les forêts sub-antarctiques.
Ce programme a généré des données fondamentales pour adresser des questions essentielles sur la composition, la structure, les dynamiques, les histoires de vie et les interactions écologiques de l’avifaune australe, incluant la longévité, les taux de survie, les patterns démographiques, les migrations, la fidélité au site, la morphométrie, le régime alimentaire et les rôles écologiques et sociaux des oiseaux.
Proximité avec l’Antarctique
Le Parc Omora et l’île Navarino constituent le site LTSER-Chile le plus proche de l’Antarctique, séparé par seulement 950 km de l’île King George où se trouve la base scientifique chilienne Julio Escudero. Le Parc Omora a établi une collaboration formelle avec l’Institut Antarctique Chilien qui administre cette base. L’île Navarino et l’île King George sont des localisations stratégiques et complémentaires pour monitorer les impacts du changement climatique global sur le biote.
Perspectives et priorités de recherche
Le programme de recherche ornithologique à long terme du Parc Omora est entré dans sa deuxième décennie en 2011 sous la direction de Jaime Jiménez, qui a initié de nouvelles approches dans quatre domaines principaux:
- Recherche fondamentale : Introduction de nouveaux sujets comme l’histoire naturelle et l’écologie de l’espèce-clé Pic de Magellan, et technologies innovantes pour déchiffrer les routes migratoires d’espèces comme l’Élénie à crête blanche qui connectent le Cap Horn à l’Amazonie.
- Recherche appliquée en conservation : Focus sur l’impact du vison et autres mammifères exotiques arrivés récemment sur l’île Navarino sur les populations d’oiseaux.
- Éducation et formation à l’observation ornithologique : Focus sur l’intégration des sciences ornithologiques et de l’éthique environnementale dans la conservation bioculturelle.
- Nouveaux thèmes et activités pour le tourisme d’intérêt spécial : Incorporation de techniques de télémétrie pour l’appréciation des complexités du comportement individuel et social des oiseaux qui ont habité les îles du Cap Horn depuis les débuts de l’évolution des mammifères.
Les priorités de recherche futures incluent des études comparatives ornithologiques à travers les sites du réseau LTSER-Chile dans le biome des forêts tempérées sud-américaines, des collaborations et études comparatives à long terme avec des sites autour du monde via le réseau ILTER, et des études interhémisphériques comparant l’avifaune des forêts sub-antarctiques et sub-arctiques pour générer de nouvelles perspectives sur les impacts du changement climatique global sur la biologie et la dynamique des populations d’oiseaux des forêts subpolaires.
Les oiseaux des forêts et montagnes de la Réserve de Biosphère du Cap Horn représentent un assemblage unique au monde, adapté aux conditions environnementales exceptionnelles de l’extrémité australe du continent américain. La protection offerte par la désignation UNESCO en 2005 et les recherches menées par le Parc Omora, l’Universidad de Magallanes et l’Université du Nord du Texas depuis 2000 ont généré une compréhension scientifique sans précédent de cette avifaune sub-antarctique.
Les 26 espèces principales d’oiseaux forestiers et de montagne documentées, dont plusieurs d’intérêt conservatoire majeur comme le Pic de Magellan, constituent les vertébrés terrestres dominants de ces écosystèmes. Leur conservation face aux menaces croissantes du changement climatique, des espèces invasives et du développement touristique représente un enjeu de portée globale pour la biodiversité subpolaire de l’hémisphère sud.
Bibliographie principale :
Les sources utilisées pour ce dossier proviennent exclusivement des travaux de recherche de :
- UNESCO (documents de création et rapports sur la Réserve de Biosphère du Cap Horn)
- Université du Nord du Texas (University of North Texas) via le programme de conservation bioculturelle sub-antarctique
- Parque Etnobotánico Omora (programme de recherche ornithologique à long terme)
- Recherches chiliennes (Universidad de Magallanes, Instituto de Ecología y Biodiversidad, Anales del Instituto de la Patagonia)
- Recherches argentines (CONICET, études sur Terre de Feu)
Bibliographie complète disponible sur demande.
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