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Ce samedi matin, lors de la table ronde sur le thème « quand les savoirs entrent en résistance », à Uzès- Photo : Thierry Allard

La deuxième édition du Parlement des liens s’est tenue vendredi et samedi à Uzès. En deux temps, le vendredi étant réservé à la restitution des enquêtes en cours sur le territoire, et le samedi à des temps d’échanges avec des intellectuels de renom.

« Il y a des idées qui amincissent le monde et d’autres qui l’épaississent » : la citation du philosophe américain William James, choisie par l’éditeur de la maison Les Liens qui libèrent Henri Trubert, à l’initiative du Parlement des liens avec l’agence Comuna en partenariat avec entre autres la Région, le Département et la CCPU, pour ouvrir cette deuxième édition, sonnait comme un manifeste. Car sur deux jours, « le but de ce Parlement des liens, c’est de l’épaissir », annonce-t-il. L’épaissir en prenant en compte « les interdépendances » dans la manière d’aborder les problématiques et les remèdes à y apporter.

Alors le Parlement des liens a entrepris, il y a désormais plus d’un an, un vaste travail d’enquêtes sur le territoire du Pays d’Uzès, sur la perma-économie, la pleine santé, l’eau ou encore le portrait sonore du territoire et de ses habitants. Cette dernière, moins attendue, est menée par l’ethnomusicologue Lauriane Lemasson et le musicien Antonin Tri-Hoang, a pour but de « réaliser un portrait sonore de l’Uzège », résume la première citée. De captations sonores en entretiens avec les élus et associations du territoire, il en ressort le bruit des cours d’eau, les sons de la nature en général, des cigales aux chouettes, les coups de fusil de chasse, les moteurs des tracteurs, un « parler local » en lent déclin, mais aussi et surtout les clochers, emblèmes des villages ruraux.

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L’ethnomusicologue Lauriane Lemasson, vendredi au parlement des liens, à Uzès • Photo : Thierry Allard

Et tout ça « soulève beaucoup plus de questions que le son en lui-même, il y a tout ce qui se trouve derrière : le changement climatique, l’identité des territoires, la perte de certains sons, aussi pour prendre conscience de ce qu’on perd, et de ce qu’on pourrait sauver », développe Lauriane Lemasson. Le travail continue, et s’est provisoirement achevé ce samedi soir par une restitution des premiers travaux sonores.

Parmi les autres thèmes abordés, l’eau et les bassins versants. L’enjeu : « Comprendre d’où vient et où part l’eau du robinet », résume l’équipe du collectif Hydromondes, qui conduit cette enquête. Les questions du tourisme, des piscines privées, de l’irrigation des cultures ou encore du transfert de la compétence eau et assainissement à la Communauté de communes à l’horizon 2026 sont revenus dans les divers échanges. « L’année prochaine, nous voulons approfondir ce qu’on a compris cette année, la garrigue et sa complexité », avance François Guerroué d’Hydromondes. Et une nouvelle Fête des lavoirs devrait se tenir en juin, pour poursuivre la restitution et le partage du travail mené.

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Le collectif Hydromondes, vendredi au Parlement des liens, à Uzès • Photo : Thierry Allard

Les savoirs en résistance

Ce samedi, place au Forum, co-organisé par le journal Libération. Un forum ouvert par une table ronde sur le thème « Quand les savoirs entrent en résistance », car « il y a une scission de plus en plus forte entre les institutions et les savoirs », estime Henri Trubert. Pour en débattre, trois philosophes, Isabelle Stengers, Dominique Bourg et Vinciane Despret, et un historien, Johann Chapoutot.

Une discussion où il a été question de désobéissance civile, bridée par « un délaissement de la démocratie participative extrêmement dangereux » de la part des militants écologistes, selon Dominique Bourg, spécialiste du domaine. Une invitation à l’engagement, notamment des scientifiques, invités à sortir de leur réserve. « Déjà, choisir sa spécialité est une prise de position », pose Johann Chapoutot, spécialiste de l’histoire du nazisme et de l’Allemagne.

Des prises de position de plus en plus indispensables pour l’historien, face à un pouvoir « d’idéologues, de forcenés, de fossiles aux présupposés d’avant-hier. » Le point défendu est que le politique et le droit ont un temps de retard considérable sur l’état des savoirs notamment sur la question climatique. Or, « il y a une difficulté chez beaucoup de scientifiques à penser la mise en politique des sciences », estime Isabelle Stengers. Pas forcément à politiser les sciences, mais « à considérer que les activités scientifiques ont des comptes à rendre au collectif », précise-t-elle.

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Ce samedi matin, lors de la table ronde sur le thème « quand les savoirs entrent en résistance », à Uzès • Photo : Thierry Allard

Ce fut le cas il y a une vingtaine d’années avec les OGM. « Là, il y a eu une mise en politique des sciences », affirme la philosophe, qui regrette que cet épisode n’ait pas eu de véritables suites : « On n’a pas tiré les leçons des OGM, mais on a empêché que cette mise en politique se reproduise. »

« Ne vous étonnez pas qu’on soit tous devenus cons »

Aussi du fait des scientifiques eux-mêmes. La philosophe Vinciane Despret, qui a travaillé sur les scientifiques, dénonce « une mise à distance » de l’opinion publique de certaines sciences, comme les sciences humaines. Un constat nourri par certains dispositifs utilisés dans les protocoles, « qui mettent les gens en position d’être bêtes, dans une grande impuissance. » Le manque de moyens des chercheurs revient aussi, avec des universités « où on privilégie le quantitatif sur le qualitatif, on alimente une surchauffe dans le champ scientifique qui nous rend stupides », lance Johann Chapoutot.

Dominique Bourg dénonce pour sa part une « hyper-spécialisation », qui serait issue d’une « organisation néolibérale du savoir. » Cette spécialisation à outrance donnerait donc des prismes forts : « Ne vous étonnez pas qu’on soit tous devenus cons, et que face au danger il n’y ait rien », tonne le philosophe. Se rajoute « un glissement majeur dans les universités françaises, d’une logique structurelle à une logique de projets », affirme Johann Chapoutot.

Parfois, ce sont les méthodes employées qui sont en cause. Sur la question climatique, « le GIEC s’est adressé aux États et pas aux populations, et c’est une catastrophe », estime Dominique Bourg. Un ratage qui ouvre la porte à l’opinion « sur un objet scientifique et pas un objet d’opinion », poursuit-il. Les derniers sondages dans de nombreux pays démontrent « qu’une partie non-négligeable de la population refuse d’entendre » et se réfugie dans le déni, diagnostique Dominique Bourg.

En même temps, « on sort d’une période de lessivage intense des cerveaux, affirme Isabelle Stengers. On sort d’un moment où on nous a demandé d’être bêtes et croyants. » La solution, pour Vinciane Despret, serait de « réapprendre à raconter des histoires contre les grands récits, nous sommes découragés car nous n’imaginons plus la victoire possible. » 

Thierry Allard

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