Luis Sepulveda : Dernières nouvelles du Sud
Publié le 11/04/2012 à 13:40, mis à jour le 11/04/2012 à 18:33
Chronique d’un voyage avec le photographe Daniel Mordzinski.
Nous sommes partis un jour vers le sud du monde pour voir ce qu’on allait y trouver.» Force est de constater, 3 500 kilomètres plus tard, que l’écrivain chilien Luis Sepulveda et le photographe argentin Daniel Mordzinski ont au moins trouvé leur bonheur. En 1996, les deux amis décident d’entreprendre une virée au sud du 42e parallèle, sans bagage superflu, mais avec une devise patagonne vissée en tête: «Se hâter est le plus sûr moyen de ne pas arriver.» Plus tortues que lièvres, l’auteur du Vieux qui lisait des romans d’amouret son «socio», son associé, comme il l’appelle, se sont arrêtés au gré des rencontres imprévues tout au long de cette route infinie, sous un ciel où «les nuages sont à portée de main».
Au commencement, il y avait l’idée d’un livre qui les changerait des éternels reportages qu’ils faisaient ensemble pour le compte de revues diverses. D’où cette philosophie de partir sans idée précise, à l’inverse du reporter qui va chercher ce qu’on lui demande. À l’arrivée, il y a Dernières nouvelles du Sud, le roman d’une région disparue et d’une époque révolue, «un recueil de nouvelles posthumes», conclut Sepulveda, qui l’a finalement écrit quinze ans après avoir voyagé. Le temps a donné de la valeur aux souvenirs. L’Argentine a bien changé depuis quinze ans, jusqu’en Patagonie, paraît-il. La plupart des personnes croisées par les deux hommes étaient âgées et ne sont plus aujourd’hui. Reste leur présence dans ces textes.
Panache et mordant
Luis Sepulveda, conteur embusqué derrière le voyageur, restitue, pour chacun, toute une vie en Patagonie, au fil de chapitres qui se lisent comme des nouvelles. Ses portraits disent la singularité de cette terre, colonisée depuis des lustres, mais étonnamment fière. Les auteurs ont su en saisir le sel. Le lecteur croise dans ce recueil l’homme qui se dit être l’arrière-arrière-petit-fils de Davy Crockett ; la délicate Dona Delia Rivera de Cossio, presque centenaire, dans son jardin couvert de roses, là où souffle un vent à décorner les bœufs ; l’équipe de mécanos désœuvrés de la ligne du Patagonia Express, réquisitionnée pour les besoins du tourisme au mépris des autochtones ; ou encore un luthier récupérant le bois rare laissé sur le chantier abandonné du vieil express pour fabriquer les violons que lui commande l’Orchestre symphonique de Berlin.
Sepulveda raconte leur histoire avec le panache qui leur est dû. Il sait aussi se faire mordant envers les gêneurs, les profiteurs et les milliardaires qui rachètent des centaines d’hectares sur cette immense terre sauvage. Les photographies de Mordzinski viennent ponctuer ses propos. Ce livre valait bien quinze années d’attente.
«Dernières nouvelles du Sud» de Luis Sepulveda et Daniel Mordzinski, traduit de l’espagnol (Chili) par Bertille Hausberg, Métailié, 190 p., 20 €.