Podcast So Good Stories (Vivant.e.s) Lauriane Lemasson, exploratrice et Dominique Bourg, philosophe – S01E01

Retrouvez des rencontres intimes et mises en vie par la passionnée Anaïs Therond, dans cette série vibrante de podcasts à l’initiative de Agir pour le vivant et So Good et soutenue par Pernod Ricard France, dans le cadre de son programme « Ensemble et engagés ».

Des personnalités enthousiastes nous confient leur précieux rapport au vivant, des récits pour s’émerveiller, porter attention, s’inspirer et s’engager pour et avec le vivant et comprendre les liens qui nous unissent au reste du vivant.

Une création inédite et collective avec la complicité de Stéphanie Ampart et le montage de Mathieu Blanc Francard.

https://www.sogoodstories.com/episode/vivant-e-s-01-avec-lauriane-lemasson-exploratrice-et-dominique-bourg-philosophe/

Festival Agir pour le vivant 2021 : « l’habiter colonial aujourd’hui », table ronde organisée par Séverine Kodjo-Grandvaux, avec Achille Mbembe, Parfait Akana et Lauriane Lemasson (25/08/2021)

« L’habiter colonial aujourd’hui »

(Arles, Chapelle du Méjan, le 25/08/2021 de 10h30 à 12h00)

 

Achille Mbembe, Philosophe, politologue et historien, professeur à l’université du Witwatersrand de Johannesburg.

Lauriane Lemasson, Chercheuse en ethnomusicologie, acoustique et géographie à Sorbonne Université et fondatrice de l’association Karukinka.

Parfait Akana, Sociologue, anthropologue et éditeur.

Table ronde animée par Séverine Kodjo-Grandvaux, Philosophe et journaliste.

Colonisation, extraction et captation illimitée des richesses de la Terre, exploitation des forces vitales humaines, le système capitaliste s’est développé sur un rapport instrumental et de domination du tout-vivant. Culture de masse, consumérisme, diktat de l’urgence, crises (écologique, humanitaire, économique, sanitaire…), burn out, repli identitaire, restriction des libertés, surveillance généralisée, fragilisation des démocraties deviennent les maîtres maux de nos sociétés. 

Comment sortir de cette relation mortifère au vivant et vibrer au monde ? Comment, à l’ère du présentisme, du tout-urgent, réinvestir le temps long de la création de soi, de la fabrication d’imaginaires émancipateurs et de la mise en résonance afin d’esquisser des manières d’habiter le monde et l’univers qui permettent de recouvrer des temporalités intimes enfouies, de vibrer aux différents rythmes du monde, de renouer avec soi et son élan vital ? D’éprouver le vivant et de frissonner de nouveau avec le monde ?

Festival Agir pour le Vivant : « Histoires du vivant », organisé par Pierre Ducrozet et Julieta Canepa (24/08/2021 de 21h30 à 23h)

« Histoires du vivant » (La Croisière, Arles, 24/08/2021) : en collaboration avec Pierre Ducrozet, écrivain, et Julieta Canepá, directrice artistique et auteure.

En racontant des histoires, on sculpte le monde. Cette soirée sera composée de récits, d’instants décisifs, de moments fondateurs, que les invités nous raconteront tour à tour. Venus de domaines variés, ils entretiennent avec le monde vivant une relation singulière. Un jour cette relation a basculé, a été bousculée, il y a eu rencontre, friction, épiphanie ou nouvel accord, une des mille relations qui peuvent se tisser entre un individu et le monde.

Ce soir-là, comme au coin d’un feu, l’enchaînement des histoires formera un entrelacs singulier, une constellation des différentes manières d’habiter le monde, grâce à la narration sensible et à l’imaginaire, que la musique jouée en direct viendra nourrir et relancer.

Avec la participation de : 

Marielle Macé, historienne de la littérature et essayiste

Estelle Zhong Mengual, historienne de l’art, rattachée à Sciences Po Paris et aux Beaux-Arts de Paris

Lauriane Lemasson, chercheuse en ethnomusicologie, acoustique et géographie à Sorbonne Université et fondatrice de l’association Karukinka

Olivier Remaud, philosophe

Laetitia Dosch, comédienne et auteure de théâtre

Céline Curiol, écrivaine

Accompagnement en musique par Fayçal Salhi.

Ce que Jean Malaurie a apporté aux sciences sociales (Lauriane Lemasson, France Culture, 27 mai 2021)

https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/affaire-en-cours/ce-que-jean-malaurie-a-apporte-aux-sciences-sociales-8773873

Suite à la parution du Cahier de l’Herne consacré à Jean Malaurie, l’ethnomusicologue Lauriane Lemasson revient au micro de Marie Sorbier sur les apports multiples du géographe et écrivain à la musicologie.

Avec

  • Lauriane Lemasson Ethnomusicologue

Les Cahiers de L’Herne consacrent leur dernière édition, parue le 19 mai, au géographe et écrivain Jean Malaurie qui, à 98 ans, continue d’inspirer des chercheurs dans de nombreuses disciplines. L’ethnomusicologue Lauriane Lemasson revient au micro de Marie Sorbier sur l’influence de Jean Malaurie sur ses recherches en musicologie.

Lauriane Lemasson rencontre pour la première fois Jean Malaurie à l’été 2013, lors de sa première expédition en Terre de Feu, en Argentine. Elle transmet une copie de sa soutenance de master au géographe qu’elle cite à plusieurs reprises dans ce travail, désirant échanger avec lui. Jean Malaurie, intéressé par cette recherche sur le paysage sonore de la Terre de Feu argentine, la contactera quelques semaines plus tard. S’ensuit une collaboration sur plusieurs projets.

En quoi les travaux de Jean Malaurie sont-ils inspirants pour les jeunes chercheurs d’aujourd’hui ? Selon Lauriane Lemasson, c’est avant tout le parcours du géographe et écrivain qui fait de son travail un apport si singulier aux sciences sociales.

C’est pionnier dans les sciences humaines, puisqu’il montre que les multiples facettes d’un terrain ne peuvent être étudiées qu’en faisant appel à plusieurs disciplines.                
Lauriane Lemasson 

Les travaux et le parcours de Jean Malaurie sont fondamentalement pluridisciplinaires. Après une formation de géographe physicien, son cheminement intellectuel l’amène rapidement à repousser les limites de la discipline en y apportant une dimension ethnographique. Dès sa première mission en solitaire à Thulé, au Groenland, en 1950, il conçoit des cartes topographiques, collectant des données liées à la géomorphologie du territoire tout en recensant un groupe de 300 Inuits. Cela lui permet d’établir la première généalogie, sur quatre générations, de ces communications. Un travail qui le mène également à faire la rencontre du chamane Uutaaq, dont l’influence sera cruciale pour l’évolution de la pensée du chercheur et son engagement contre les effets protéiformes de la colonisation. Plus tard, Jean Malaurie et ses compagnons Inuits découvrent une base secrète de l’armée américaine. Il prend alors position, non pas en tant que résistant de la Seconde Guerre mondiale comme il l’avait été dès 1943, mais en défenseur des peuples Inuit face à la toute-puissance américaine. 

Cet engagement-là est inspirant et a donné naissance à son premier livre, en 1955, Les Derniers rois de Thulé, mais aussi à la collection Terre humaine, qu’il dirige depuis 1955. Cette collection est à l’image de son créateur : engagée en faveur des minorités, pluridisciplinaire, elle met l’accent sur la richesse de la pluralité culturelle et sur les méfaits de la mondialisation. C’est la possibilité d’un autre regard sur le monde, autre que celui des Occidentaux.              
Lauriane Lemasson

Depuis 2011, Lauriane Lemasson concentre ses recherches sur l’extrême sud de l’Amérique latine, au sud du détroit de Magellan. En préparant sa première expédition sur le terrain en 2013, le constat est pour elle sans appel : tous les ouvrages qu’elle consulte alertent sur la disparition des peuples autochtones de la région. 

Je me suis retrouvée à devoir prendre position quant à la pseudo-disparition, vue depuis l’Europe, des peuples autochtones de Terre de Feu et des îles voisines. Tout laissait croire qu’il n’y avait plus personne, tous les récits les concernant étaient écrits au passé. Aucune remise en question de l’état actuel des lieux. Sauf que si on se rend sur place et qu’on enlève certains filtres abjects de l’anthropologie, c’est une toute autre situation que l’on rencontre.              
Lauriane Lemasson

Ces peuples sont aujourd’hui en partie regroupés sous l’égide de communautés qui leur permettent de défendre leurs droits, explique Lauriane Lemasson. Un enjeu majeur de leur lutte est de pouvoir récupérer les corps des leurs, éparpillés et morcelés dans plusieurs musées internationaux, dont le Musée de l’Homme à Paris. Depuis plusieurs années, la chercheuse travaille avec des membres de ces communautés afin de créer des ponts entre eux et l’Europe, pour participer à la reconstruction de ce que les génocides subis par leurs ancêtres ont détruit. 

Lauriane Lemasson travaille avec les survivants des génocides qui ont eu lieu en Argentine et au Chili, en explorant des lieux privatisés depuis la colonisation à la fin du 19ème siècle. Sur place, elle collecte des informations sur les anciens campements autochtones, ce qui lui permet de reconstituer des cartes dans la langue de ces peuples  Selk’nam, Haush et Yagan. En utilisant l’apport de l’acoustique, la chercheuse peut aller au-delà de l’archéologie traditionnelle : en s’intéressant à la dimension sonore des lieux, elle peut caractériser des sites rituels et redonner à des lieux désertés aujourd’hui leur dimension culturelle. Cette démarche correspond à sa recherche spécialisée sur les paysages sonores. 

J’essaie de m’immerger le plus possible pour écouter comme ceux qui m’ont précédée dans ces lieux. La tâche est immense, mais grâce à plusieurs expéditions immersives en solitaire de plusieurs mois, l’oreille s’affine et on arrive à percevoir, petit à petit, des éléments du paysage. La morphologie acoustique d’un lieu peut être très singulière et corroborer les besoins d’un rituel.            
Lauriane Lemasson

D’une première étude acoustique d’un site qui a été étudié par le Centre austral d’investigation scientifique d’Ushuaia, Lauriane Lemasson a pu tirer un modèle acoustique transposable à d’autres lieux. En répétant les mêmes expériences dans ces autres lieux, elle découvre qu’on peut retrouver des caractéristiques permettant de démontrer qu’un lieu correspond aux besoins d’un rituel. 

Dans le texte qu’elle signe dans le Cahier de l’Herne consacré à Jean Malaurie, la chercheuse suggère qu’elle compte poursuivre ses travaux autour du cercle arctique. Un projet qui vient s’ajouter à une liste dense : Lauriane Lemasson travaille actuellement à la création du fond sonore Jean Malaurie, sous l’égide de l’Université de Versailles, tout en préparant avec son conjoint un voilier avec lequel elle souhaite voguer vers le Groenland, sur les traces de Jean Malaurie, pour faire des études acoustiques de sites que le géographe lui a mentionnés.  

Haizebegi 2019 : Journal du CNRS « La musique ouvre sur tous les univers de la culture » (10/10/2019, par Fabien Trécourt)

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À Bayonne en 2017, la fondation Tumac est l’invitée d’honneur du festival Haizebegi. En Colombie, elle œuvre à la socialisation des enfants en utilisant la musique et la facture instrumentale, la danse et la couture, comme armes face aux guérillas.
La sixième édition du festival Haizebegi, consacré aux « mondes de la musique » et aux sciences sociales, s’ouvre aujourd’hui à Bayonne. Pour son directeur, l’anthropologue Denis Laborde, l’étude des œuvres et des façons de faire de la musique offre un éclairage crucial sur les rapports sociaux.

Vous avez créé en 2014 à Bayonne un centre de recherche sur les musiques du monde (ARI) et le festival Haizebegi, qui mélange musique et recherche. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce festival ?
Denis Laborde1 : En langue basque, « haize begi » signifie « regard du vent ». La musique, comme le vent, ignore les frontières et porte témoignage. Elle dit quelque chose de celles et ceux qui la font, et elle constitue une magnifique porte d’entrée sur tous les univers de culture. Ce festival, que nous avons créé avec mes doctorants de l’EHESS, est unique en son genre. Il conjugue les sciences sociales (conférences, débats, colloques, publications) et la musique (concerts, films, expositions, danse).

Pour cette sixième édition, qui se déroulera jusqu’au 20 octobre, nous accueillons des musiciens syriens, cubains, argentins, kanaks, et des créateurs basques qui seront à l’honneur avec Rain of Music, un invraisemblable opéra pour robots, à la pointe des nouvelles technologies et composé dans le cadre d’un projet scientifique international2. Nous accueillons aussi des Selk’nam et des Yagán de l’extrême sud de la Patagonie, grâce à l’ethnomusicologue Lauriane Lemasson qui leur consacre sa thèse. Ils viennent d’Ushuaïa, de Puerto Williams et du Cap Horn ; leurs ancêtres ont été exhibés dans des « zoos humains » lors de l’Exposition universelle de Paris en 1889, ou encore vendus aux enchères à Punta Arenas en 1895.

Pour évoquer cette mémoire douloureuse, nous organisons le 12 octobre une cérémonie de résilience : Lars Christian Koch, qui dirige le Phonogramm-Archiv de Berlin, leur remettra solennellement des copies des enregistrements sonores qui furent réalisés entre 1907 et 1923, par des missions ethnographiques allemandes en Terre de Feu. C’est une manière très symbolique de leur rendre la voix de leurs ancêtres.

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Des Selk’nam ont été exhibés durant l’Exposition universelle de Paris en 1889.

Le festival, tel que nous le concevons, ne considère pas du tout la musique comme un instrument de divertissement : c’est un outil d’intelligibilité des sociétés humaines, qui fait de l’art de l’écoute une attitude de connaissance qui s’étend bien au-delà de la musique. C’est pourquoi un festival organisé par des chercheurs n’est pas la même chose qu’un festival organisé par des opérateurs culturels, ne serait-ce que parce que nous y associons un « programme » de 332 pages en forme de revue scientifique. 

En quoi l’anthropologie de la musique consiste-t-elle ?
D. L. : C’est une manière spécifique de saisir les « faits de musique ». Tout est parti d’une curiosité, d’une libido sciendi, et d’un désir de sauvetage, à quoi s’est ajouté un outil providentiel : l’écriture musicale sur portée de cinq lignes. Pendant plusieurs siècles, les transcriptions musicales permettent de « sauver » les musiques des autres ; les recueils et les chansonniers en portent témoignage. 

Un festival organisé par des chercheurs n’est pas la même chose qu’un festival organisé par des opérateurs culturels.

Mais lorsque Thomas Edison invente son phonographe à cylindre, ce sont les sons que l’on conserve, et ce dès 1889. Que faire alors de ces rouleaux de cire ? On leur dédie de grandes phonothèques : à Vienne, Berlin ou encore Paris, avec les Archives de la paroles, créées par Ferdinand Brunot et Émile Pathé en 

Les études sur les musiques de tradition orale se développent donc dans les musées. C’est une manière de préserver ce que l’on nommerait aujourd’hui un « patrimoine de l’humanité ». Puis les ethnomusicologues se posent des questions passionnantes : comment les répertoires s’inventent-ils, se stabilisent-ils, se diffusent-ils, s’influencent-ils ? Comment les transcrire, quelles sont leurs propriétés ? Comment peuvent-ils résonner en nous, susciter des pensées, des émotions, des états d’âme ? Comment mettent-ils les corps en mouvement dans la danse ou dans la transe ? Au-delà, nous pouvons analyser la façon dont des personnes se réunissent, font de la musique ensemble ; découvrir les significations culturelles qui leur sont attachées et la vie sociale de ceux qui fabriquent ces musiques.

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Préparation des robots pour le spectacle Rain of Music, un opéra pour robots créé par les artistes et les informaticiens de l’Université du Pays basque, du Scrime et de l’ESTIA.

La musique a-t-elle une dimension universelle ou des significations diverses selon les cultures et les peuples ?
D. L. : La musique a ceci en commun avec le langage qu’elle est une capacité de l’espèce humaine. Tous les êtres humains peuvent parler et faire de la musique. Il n’empêche que l’humanité parle des langues très différentes et joue des musiques distinctes. Les capacités humaines sont « phylogénétiquement déterminées et culturellement déterminantes », nous dit Dan Sperber3. C’est cela, l’universalisme de la musique. Mon chien Mugi essaie de parler, de chanter même. Je sens bien qu’il progresse, mais ça ne vient pas. J’ai dû renoncer : il lui manque une détermination phylogénétique.

Donc pour répondre à votre question : oui, la musique a une dimension universelle en ce sens que c’est une capacité commune à l’espèce humaine. Pour autant, être universaliste ne signifie pas que l’on cherche à construire une théorie générale de la musique qui vaudrait de tout temps et en tous lieux. Chaque occasion de musique est unique et nous l’étudions en tant que telle. Ensuite, nous mettons en série tous les cas étudiés, et nous voyons si nous pouvons généraliser, ou pas. Mais le souci de généralisation n’intervient qu’après les analyses in situ, sinon le regard est biaisé.

(…) Les personnes en déshérence peuvent être des porteuses de traditions qu’elles mettent en partage.

Pourriez-vous donner une illustration concrète, d’une étude que vous mèneriez actuellement par exemple ? 
D. L. : Depuis 2015, je m’intéresse aux pratiques musicales des personnes qui se trouvent en situation de migration forcée. Il y a désormais un fort afflux de migrants au Pays basque. Ils traversent la péninsule Ibérique et se retrouvent à Bayonne, où l’Institut des sciences humaines et sociales du CNRS vient d’installer notre institut ARI (pour Anthropological Research Institute on Music)4.

Cet afflux est remarquablement géré par la ville et par les bénévoles regroupés en associations. Il faut que cela se sache : le centre Pausa a accueilli 10 000 migrants en moins d’un an dans une dynamique extrêmement positive. Dans le cadre de l’institut, nous développons un programme pour comprendre ce qui se joue lorsque des migrants font de la musique dans ces lieux de répit.

Festival Haizebegi 2017, Ritos de la Tunda

À l’automne 2015 par exemple, le village de Baïgorry a accueilli pendant trois mois cinquante migrants venus de Calais : à la fin de l’hiver, ces migrants veulent remercier ce village qu’ils s’apprêtent à quitter. Ils demandent des instruments, on leur apporte un violon, une flûte, des percussions… Et cette « fête interculturelle » du 31 janvier va devenir pour les habitants un moment de sidération : chacun découvre que ces personnes en déshérence peuvent être des porteuses de traditions qu’elles mettent en partage. Cela change radicalement le regard que l’on porte sur elles. C’est à cela que nous nous intéressons, avec l’appui de l’Institut Convergences Migrations dont nous sommes partie intégrante.

Mais nous voulons aller plus loin. Si l’expression musicale transforme les représentations que nous nous faisons des migrants, pourquoi les chercheurs ne travailleraient-ils pas avec les institutions culturelles pour faire de la musique l’instrument d’une dignité retrouvée, voire un outil d’intégration ? C’est tout l’enjeu de l’extension aux pratiques artistiques du Programme national d’aide à l’accueil en urgence des scientifiques en exil (Pause) du Collège de France, auquel nous sommes associés. L’expertise acquise à Bayonne montre que cet enjeu est tout à fait considérable.

Une large partie de vos travaux portent aussi sur la création musicale et l’improvisation…
D. L. : Cela me passionne ! On associe les musiques traditionnelles à la répétition à l’identique de schémas dont « la tradition » interdirait de sortir. Or, c’est tout le contraire ! L’histoire des traditions musicales est faite de moments de stabilisation des répertoires, puis de gestes déviants produits par des musiciens inventifs. La plupart de ces gestes passent inaperçus, d’autres créent des polémiques, d’autres enfin sont implémentés et modifient durablement les manières de faire. C’est de cette manière qu’une tradition reste elle-même, en changeant au fil du temps. Le cas de l’improvisation est un cas extrême. On a tendance à penser que tout se passe spontanément, qu’il suffit de laisser libre cours à son inspiration. Or, on ne s’improvise pas improvisateur…

Dans La Mémoire et l’Instant5j’ai montré que ces poètes basques qu’on appelle bertsulari (faiseurs de vers) rencontrent peu de succès lorsqu’ils s’enferment dans leur paysage mental. Les meilleurs improvisateurs et les meilleures improvisatrices – car les femmes sont aujourd’hui les championnes – sont celles ou ceux qui entrent en communication avec le public. Ils intègrent ses réactions dans leurs improvisations et chaque spectateur a le sentiment d’en devenir un coauteur. 

Haizebegi 2017

Vous étiez musicien avant de basculer dans la recherche. Comment avez-vous bifurqué ?

D. L. : J’ai fait mes études au Conservatoire national supérieur de musique de Paris. J’ai donc grandi dans ce monde très concurrentiel de la musique savante occidentale, un monde dans lequel on est déjà trop vieux à 14 ans ! Mon dernier engagement comme chef d’orchestre fut la direction des Crystal Psalms d’Alvin Curran à Radio France pour New Albion Records, une firme de San Francisco. Puis ce fut l’anthropologie. Je me suis alors départi de ces jugements de valeurs que j’avais intégrés à mesure de ces années, et le monde est devenu plus vaste. 

Haizebegi 2015

 

Depuis, je cherche à investir dans la recherche scientifique les capacités créatives développées dans la pratique artistique. Dans ma pratique de l’anthropologie, je m’inspire de Bach qui envisageait la composition musicale par l’action. Bach n’était pas un théoricien en ce sens qu’il n’a jamais écrit de traité de fugue. Mais il a composé L’Art de la Fugue… auquel tous les traités se réfèrent comme à un chef-d’œuvre de l’esprit humain. C’est dans cette approche active que s’inscrit le festival Haizebegi.

Je suis de ceux qui cherchent à réinventer le métier de chercheur en sciences sociales. Je ne travaille donc pas à construire une théorie universelle de la musique, mais je fais de mon engagement dans le monde un exemplum. Alors non, je ne joue plus de piano, je ne compose plus, ni ne fabrique de musique. Mais c’est parce que nous sommes en situation d’urgence. L’anthropologie exige un engagement total. Ça vous prend la vie. 

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Festival Haizebegi, les mondes de la musique, du 10 au 20 octobre 2019 à Bayonne. Consulter le programme.
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À écouter : https://lejournal.cnrs.fr/audios/les-chants-des-peuples

Notes

  • 1.Ethnologue, directeur de recherche au CNRS et directeur d’études à l’EHESS, Denis Laborde est spécialiste d’anthropologie de la musique.
  • 2.Ce projet fait collaborer les artistes de l’Université du Pays basque (Bilbao), les informaticiens du Scrime (LaBRI, unité CNRS/Université de Bordeaux, Bordeaux INP) et de Estia-Recherche à Bidart.
  • 3.D. Sperber, Le Symbolisme en général, Paris, Hermann, 1974.
  • 4.Basque Anthropological Research Institute on Music, Emotion and Human Societies. Équipe du Centre Georg Simmel (unité CNRS/EHESS).
  • 5.La Mémoire et l’Instant. Les improvisations chantées du bertsulari basque, Donostia, Elkar, 2005, 349 p.

 

https://lejournal.cnrs.fr/articles/la-musique-ouvre-sur-tous-les-univers-de-culture