Disparition de l’écrivain chilien Luis Sepulveda à l’âge de 70 ans
Par Le Figaro avec AFP
Publié le 16/04/2020 à 11:22, mis à jour le 16/04/2020 à 12:40
L’auteur du Vieux qui lisait des romans d’amour est décédé en Espagne de suites du Covid-19
L’écrivain chilien Luis Sepúlveda, né le 4 octobre 1949 à Ovalle, est décédé en Espagne du covid-19, ont annoncé ses éditeurs. «L’écrivain Luis Sepulveda est mort à Oviedo. L’équipe de Tusquets Editores regrette profondément sa perte», a écrit le groupe éditorial espagnol dans un communiqué.
L’auteur de 70 ans avait ressenti les premiers symptômes le 25 février alors qu’il revenait d’un déplacement au Portugal et rentrait aux Asturies où il habitait avec son épouse. «Le personnel soignant a tout fait pour lui sauver la vie mais il n’a pas surmonté la maladie. Mes plus sincères condoléances à sa femme et à sa famille», a assuré sur Twitter le président de la région des Asturies, Adrian Barbon.
L’auteur avait milité très jeune dans les jeunesses communistes puis dans une branche du Parti socialiste. Ce qui lui avait valu d’être arrêté en 1973 par le régime du général Augusto Pinochet. Emprisonné pendant deux ans et demi, il avait finalement vu sa peine commuée en exil et avait quitté en 1977 le Chili où il n’est jamais revenu s’installer. Retrouvant sa première femme, la poétesse Carmen Yañez, torturée sous la dictature chilienne, l’écrivain s’établit en 1996 à Gijón, dans les Asturies.
Son premier roman, Le Vieux qui lisait des romans d’amour, publié en 1992 et traduit en trente-cinq langues et adapté au grand écran en 2001, lui avait apporté une renommée internationale. Un autre de ses grands succès fut Histoire d’une mouette et du chat qui lui apprit à voler (1996), à destination des «jeunes de 8 à 88 ans» qui a donné lieu à un film d’animation.
Son œuvre, fortement marquée par l’engagement politique et écologiste ainsi que par la répression des dictatures des années 1970, mêle le goût du voyage et son intérêt pour les peuples premiers. Luis Sepúlveda, qui a aussi eu une activité, toutefois marginale, de scénariste et de réalisateur, est également l’auteur du Neveu d’Amérique (Patagonia express, 1996), des Roses d’Atacama (Historias marginales, 2001) ou de La fin de l’histoire (El fin de la historia, 2016).
Je ne suis pas un optimiste à 100 %, je suis optimiste à 50 %… Ou 70 %! Je pense que le futur sera meilleur que le présent
Luis Sepulveda
Écrivain qui avait foi en l’homme, Luis Sepulveda se montrait aussi optimiste que possible malgré les épreuves qu’il avait traversé dans la vie. «Si nous n’avons pas une perspective du futur, la vie n’a aucun sens, expliquait-il au Figaro en 2009. Quand on comprend le passé, on peut mieux comprendre le présent. Quand on comprend le présent, on peut avoir une vision du futur. Je ne suis pas un optimiste à 100 %, je suis optimiste à 50 %… Ou 70 %! Je pense que le futur sera meilleur que le présent…» Promoteur d’un vivre ensemble militant, attentif aux causes environnementales, il savait bien que «la vie est dure», pour beaucoup, partout. Mais ses engagements suivaient une ligne de conduite claire. «Tout ce que nous faisons pour transformer cette réalité se fait, paradoxalement, d’un point de vue optimiste. Même si cela se termine par une défaite, et, en général, cela se termine souvent par une défaite! Comme le dit un ami mexicain: De défaite en défaite, nous irons jusqu’à la victoire finale.»
1949 Naissance à Ovalle (Chili). À quinze ans, adhère aux Jeunesses communistes.
1973 Emprisonné à la suite du coup d’État du général Pinochet.
1982-1996 Vit à Hambourg. Grand reporter dans la presse allemande et correspondant pour Greenpeace.
1989 Le vieux qui lisait des romans d’amour. Traduit chez Métailié en 1992. Le Monde du bout du monde.
Par Stéphanie Le Bars Publié le 23 janvier 2020 à 07h15, modifié le 23 janvier 2020 à 08h05
Les faits: De novembre à mi-janvier, les 4 500 habitants d’Utqiagvik, en Alaska, ne voient jamais le jour se lever. Le photographe californien Mark Mahaney s’est plongé dans l’ambiance lunaire de cette nuit sans fin.
Comment donner vie à la nuit, illustrer un monde en sursis ? Il y a un an, débarquant pour une douzaine de jours à Utqiagvik (Alaska), la ville la plus au nord des Etats-Unis, le photographe américain Mark Mahaney s’est plié à l’exercice. Venu de Californie, il a plongé dans la nuit sans fin de ce coin du cercle arctique, où, de novembre à mi-janvier, le soleil ne se lève pas. Un lieu infini où, lorsque l’œil cherche l’horizon, il ne voit rien qu’une immensité blanche et plate.
Ce défi à la lumière aurait pu suffire à l’objectif. Mais l’expérience photographique s’est doublée d’un intérêt politique pour « cet épicentre du changement climatique », comme le résume Mark Mahaney. « A cet endroit, même si le sol est recouvert de neige, que le phénomène n’est pas immédiatement apparent, la terre se réchauffe deux fois plus vite qu’ailleurs. La couche de glace, de plus en plus fine, ne protège plus la côte des tempêtes. La ville s’enfonce. » Parti avec l’intention de documenter la vie de ses 4 500 habitants, le photographe en est revenu avec une série d’images fantomatiques, témoignages glacés d’un monde figé, extraterrestre, rassemblées dans un ouvrage, Polar Night (Trespasser).
L’emprise de la glace
« Cet endroit raconte une histoire de survie, d’endurance. » Traverser la nuit polaire, résister au froid et, paradoxalement, survivre au réchauffement climatique. « Quand, durant soixante-cinq jours, la journée n’a ni commencement ni fin, cela laisse une impression bizarre, psychologiquement et physiologiquement. Cette période d’énergie sombre, la “solastalgie”, est propice à la dépression, au suicide, à la consommation de drogues et d’alcool. »
L’emprise de la glace, le poids de la neige, la semi-obscurité troublée par la lumière orangée des réverbères, le froid intense (jusqu’à – 30 °C) dévoilent un univers claquemuré, sans végétation ni humain. « Il n’y a personne dans les rues et je ne voulais pas forcer les portes », explique Mark Mahaney, réticent à jouer « l’homme blanc » exploitant un supposé folklore des Iñupiat, le peuple d’origine de la plupart des habitants. Ces derniers se refusent de toute façon à parler de l’érosion de leur terre et de leur culture. « Ils tirent leurs revenus, plutôt confortables, de l’exploitation pétrolière, qui elle-même contribue au réchauffement climatique… », rappelle le photographe.
Le travail de Mark Mahaney s’attache ici à montrer un « paysage post-apocalyptique, plus proche de la Lune que de la Terre, vide de toute forme de vie ».
Son travail en extérieur s’attache donc à montrer un « paysage post-apocalyptique, plus proche de la Lune que de la Terre, vide de toute forme de vie ». On imagine le crissement de pas isolés sur la neige, la gifle du vent. Des voitures abandonnées, portières ouvertes, semblent prises dans un étau de neige, des maisons paraissent inhabitées avant que l’on n’aperçoive une lueur derrière des vitres glacées ou une fumée sortant de la cheminée. « L’esthétique n’est pas une priorité dans ces contrées et on trouve toutes sortes de vieux objets s’empilant dans les cours et les jardins », autant de formes figées dans le froid.
Le photographe a trouvé des signes de vie dans cet étrange vide. Un graffiti sur un mur. La gueule béante de chiens de traîneaux, impatients de reprendre leur course. Le photographe y signe au passage un hommage à la tradition de ces équipages iconiques, dont l’utilisation est elle aussi en voie de disparition, et fait un clin d’œil à l’expression locale « three dogs night » (« une nuit à trois chiens »), qui mesure la froideur de la nuit. « Plus il fait froid, plus il faut de chiens autour de toi pour survivre. » A l’issue de son séjour, Mark Mahaney a capté les rayons de la première aube revenue, teintant cet unique cliché d’un rose bleuté réconfortant. Car, lorsque le soleil se relève enfin, « le temps peut de nouveau exister ».
Polar Night, de Mark Mahaney, Trespasser, 52 pages, 36 euros. trespasser.pub
À Bayonne en 2017, la fondation Tumac est l’invitée d’honneur du festival Haizebegi. En Colombie, elle œuvre à la socialisation des enfants en utilisant la musique et la facture instrumentale, la danse et la couture, comme armes face aux guérillas.
La sixième édition du festival Haizebegi, consacré aux « mondes de la musique » et aux sciences sociales, s’ouvre aujourd’hui à Bayonne. Pour son directeur, l’anthropologue Denis Laborde, l’étude des œuvres et des façons de faire de la musique offre un éclairage crucial sur les rapports sociaux.
Vous avez créé en 2014 à Bayonne un centre de recherche sur les musiques du monde (ARI) et le festival Haizebegi, qui mélange musique et recherche. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce festival? Denis Laborde1 :En langue basque, « haize begi » signifie « regard du vent ». La musique, comme le vent, ignore les frontières et porte témoignage. Elle dit quelque chose de celles et ceux qui la font, et elle constitue une magnifique porte d’entrée sur tous les univers de culture. Cefestival, que nous avons créé avec mes doctorants de l’EHESS, est unique en son genre. Il conjugue les sciences sociales (conférences, débats, colloques, publications) et la musique (concerts, films, expositions, danse).
Pour cette sixième édition, qui se déroulera jusqu’au 20 octobre, nous accueillons des musiciens syriens, cubains, argentins, kanaks, et des créateurs basques qui seront à l’honneur avecRain of Music, un invraisemblable opéra pour robots, à la pointe des nouvelles technologies et composé dans le cadre d’unprojet scientifique international2. Nous accueillons aussi des Selk’nam et des Yagán de l’extrême sud de la Patagonie, grâce à l’ethnomusicologue Lauriane Lemasson qui leur consacre sa thèse. Ils viennent d’Ushuaïa, de Puerto Williams et du Cap Horn ; leurs ancêtres ont été exhibés dans des « zoos humains » lors de l’Exposition universelle de Paris en 1889, ou encore vendus aux enchères à Punta Arenas en 1895.
Pour évoquer cette mémoire douloureuse, nous organisons le 12 octobre une cérémonie de résilience : Lars Christian Koch, qui dirige le Phonogramm-Archiv de Berlin, leur remettra solennellement des copies des enregistrements sonores qui furent réalisés entre 1907 et 1923, par des missions ethnographiques allemandes en Terre de Feu. C’est une manière très symbolique de leur rendre la voix de leurs ancêtres.
Des Selk’nam ont été exhibés durant l’Exposition universelle de Paris en 1889.
Le festival, tel que nous le concevons, ne considère pas du tout la musique comme un instrument de divertissement : c’est un outil d’intelligibilité des sociétés humaines, qui fait de l’art de l’écoute une attitude de connaissance qui s’étend bien au-delà de la musique. C’est pourquoi un festival organisé par des chercheurs n’est pas la même chose qu’un festival organisé par des opérateurs culturels, ne serait-ce que parce que nous y associons un « programme » de 332 pages en forme de revue scientifique.
En quoi l’anthropologie de la musique consiste-t-elle ? D. L. : C’est une manière spécifique de saisir les « faits de musique ». Tout est parti d’une curiosité, d’une libido sciendi, et d’un désir de sauvetage, à quoi s’est ajouté un outil providentiel : l’écriture musicale sur portée de cinq lignes. Pendant plusieurs siècles, les transcriptions musicales permettent de « sauver » les musiques des autres ; les recueils et les chansonniers en portent témoignage.
Un festival organisé par des chercheurs n’est pas la même chose qu’un festival organisé par des opérateurs culturels.
Mais lorsque Thomas Edison invente son phonographe à cylindre, ce sont les sons que l’on conserve, et ce dès 1889. Que faire alors de ces rouleaux de cire ? On leur dédie de grandes phonothèques : à Vienne, Berlin ou encore Paris, avec les Archives de la paroles, créées par Ferdinand Brunot et Émile Pathé en
Les études sur les musiques de tradition orale se développent donc dans les musées. C’est une manière de préserver ce que l’on nommerait aujourd’hui un « patrimoine de l’humanité ». Puis les ethnomusicologues se posent des questions passionnantes : comment les répertoires s’inventent-ils, se stabilisent-ils, se diffusent-ils, s’influencent-ils ? Comment les transcrire, quelles sont leurs propriétés ? Comment peuvent-ils résonner en nous, susciter des pensées, des émotions, des états d’âme ? Comment mettent-ils les corps en mouvement dans la danse ou dans la transe ? Au-delà, nous pouvons analyser la façon dont des personnes se réunissent, font de la musique ensemble ; découvrir les significations culturelles qui leur sont attachées et la vie sociale de ceux qui fabriquent ces musiques.
Préparation des robots pour le spectacle Rain of Music, un opéra pour robots créé par les artistes et les informaticiens de l’Université du Pays basque, du Scrime et de l’ESTIA.
La musique a-t-elle une dimension universelle ou des significations diverses selon les cultures et les peuples ? D. L.:La musique a ceci en commun avec le langage qu’elle est une capacité de l’espèce humaine. Tous les êtres humains peuvent parler et faire de la musique. Il n’empêche que l’humanité parle des langues très différentes et joue des musiques distinctes. Les capacités humaines sont « phylogénétiquement déterminées et culturellement déterminantes », nous dit Dan Sperber3. C’est cela, l’universalisme de la musique. Mon chien Mugi essaie de parler, de chanter même. Je sens bien qu’il progresse, mais ça ne vient pas. J’ai dû renoncer : il lui manque une détermination phylogénétique.
Donc pour répondre à votre question : oui, la musique a une dimension universelle en ce sens que c’est une capacité commune à l’espèce humaine. Pour autant, être universaliste ne signifie pas que l’on cherche à construire une théorie générale de la musique qui vaudrait de tout temps et en tous lieux. Chaque occasion de musique est unique et nous l’étudions en tant que telle. Ensuite, nous mettons en série tous les cas étudiés, et nous voyons si nous pouvons généraliser, ou pas. Mais le souci de généralisation n’intervient qu’après les analysesin situ, sinon le regard est biaisé.
(…) Les personnes en déshérence peuvent être des porteuses de traditions qu’elles mettent en partage.
Pourriez-vous donner une illustration concrète, d’une étude que vous mèneriez actuellement par exemple ? D. L. : Depuis 2015, je m’intéresse aux pratiques musicales des personnes qui se trouvent en situation de migration forcée. Il y a désormais un fort afflux de migrants au Pays basque. Ils traversent la péninsule Ibérique et se retrouvent à Bayonne, où l’Institut des sciences humaines et sociales du CNRS vient d’installer notre institut ARI(pour Anthropological Research Institute on Music)4.
Cet afflux est remarquablement géré par la ville et par les bénévoles regroupés en associations. Il faut que cela se sache : le centre Pausa a accueilli 10 000 migrants en moins d’un an dans une dynamique extrêmement positive. Dans le cadre de l’institut, nous développons un programme pour comprendre ce qui se joue lorsque des migrants font de la musique dans ces lieux de répit.
Festival Haizebegi 2017, Ritos de la Tunda
À l’automne 2015 par exemple, le village de Baïgorry a accueilli pendant trois mois cinquante migrants venus de Calais : à la fin de l’hiver, ces migrants veulent remercier ce village qu’ils s’apprêtent à quitter. Ils demandent des instruments, on leur apporte un violon, une flûte, des percussions… Et cette « fête interculturelle » du 31 janvier va devenir pour les habitants un moment de sidération : chacun découvre que ces personnes en déshérence peuvent être des porteuses de traditions qu’elles mettent en partage. Cela change radicalement le regard que l’on porte sur elles. C’est à cela que nous nous intéressons, avec l’appui del’Institut Convergences Migrations dont nous sommes partie intégrante.
Mais nous voulons aller plus loin. Si l’expression musicale transforme les représentations que nous nous faisons des migrants, pourquoi les chercheurs ne travailleraient-ils pas avec les institutions culturelles pour faire de la musique l’instrument d’une dignité retrouvée, voire un outil d’intégration ? C’est tout l’enjeu de l’extension aux pratiques artistiques du Programme national d’aide à l’accueil en urgence des scientifiques en exil (Pause) du Collège de France, auquel nous sommes associés. L’expertise acquise à Bayonne montre que cet enjeu est tout à fait considérable.
Une large partie de vos travaux portent aussi sur la création musicale et l’improvisation… D. L. :Cela me passionne ! On associe les musiques traditionnelles à la répétition à l’identique de schémas dont « la tradition » interdirait de sortir. Or, c’est tout le contraire ! L’histoire des traditions musicales est faite de moments de stabilisation des répertoires, puis de gestes déviants produits par des musiciens inventifs. La plupart de ces gestes passent inaperçus, d’autres créent des polémiques, d’autres enfin sont implémentés et modifient durablement les manières de faire. C’est de cette manière qu’une tradition reste elle-même, en changeant au fil du temps. Le cas de l’improvisation est un cas extrême. On a tendance à penser que tout se passe spontanément, qu’il suffit de laisser libre cours à son inspiration. Or, on ne s’improvise pas improvisateur…
Dans La Mémoire et l’Instant5, j’ai montré que ces poètes basques qu’on appelle bertsulari (faiseurs de vers) rencontrent peu de succès lorsqu’ils s’enferment dans leur paysage mental. Les meilleurs improvisateurs et les meilleures improvisatrices – car les femmes sont aujourd’hui les championnes – sont celles ou ceux qui entrent en communication avec le public. Ils intègrent ses réactions dans leurs improvisations et chaque spectateur a le sentiment d’en devenir un coauteur.
Haizebegi 2017
Vous étiez musicien avant de basculer dans la recherche. Comment avez-vous bifurqué ?
D. L. :J’ai fait mes études au Conservatoire national supérieur de musique de Paris. J’ai donc grandi dans ce monde très concurrentiel de la musique savante occidentale, un monde dans lequel on est déjà trop vieux à 14 ans ! Mon dernier engagement comme chef d’orchestre fut la direction desCrystal Psalmsd’Alvin Curran à Radio France pour New Albion Records, une firme de San Francisco. Puis ce fut l’anthropologie. Je me suis alors départi de ces jugements de valeurs que j’avais intégrés à mesure de ces années, et le monde est devenu plus vaste.
Haizebegi 2015
Depuis, je cherche à investir dans la recherche scientifique les capacités créatives développées dans la pratique artistique. Dans ma pratique de l’anthropologie, je m’inspire de Bach qui envisageait la composition musicale par l’action. Bach n’était pas un théoricien en ce sens qu’il n’a jamais écrit de traité de fugue. Mais il a composéL’Art de la Fugue… auquel tous les traités se réfèrent comme à un chef-d’œuvre de l’esprit humain. C’est dans cette approche active que s’inscrit le festival Haizebegi.
Je suis de ceux qui cherchent à réinventer le métier de chercheur en sciences sociales. Je ne travaille donc pas à construire une théorie universelle de la musique, mais je fais de mon engagement dans le monde unexemplum. Alors non, je ne joue plus de piano, je ne compose plus, ni ne fabrique de musique. Mais c’est parce que nous sommes en situation d’urgence. L’anthropologie exige un engagement total. Ça vous prend la vie. ♦
1.Ethnologue, directeur de recherche au CNRS et directeur d’études à l’EHESS, Denis Laborde est spécialiste d’anthropologie de la musique.
2.Ce projet fait collaborer les artistes de l’Université du Pays basque (Bilbao), les informaticiens du Scrime (LaBRI, unité CNRS/Université de Bordeaux, Bordeaux INP) et de Estia-Recherche à Bidart.
3.D. Sperber,Le Symbolisme en général, Paris, Hermann, 1974.
4.Basque Anthropological Research Institute on Music, Emotion and Human Societies. Équipe du Centre Georg Simmel (unité CNRS/EHESS).
5.La Mémoire et l’Instant. Les improvisations chantées du bertsulari basque, Donostia, Elkar, 2005, 349 p.
Publié le 05/04/2019 à 09:57, mis à jour le 05/04/2019 à 09:57
FIGAROVOX/TRIBUNE – À l’occasion des 150 ans de Vingt mille lieues sous les mers et de la réédition du Comte de Chanteleine, le sénateur du Finistère Michel Canévet rend hommage à l’écrivain et à son oeuvre «remède de cheval contre les pessimismes.
Michel Canévet est sénateur du Finistère, il a préfacé la réédition d’un des premiers romans de Jules Verne, Le Comte de Chanteleine, (Paris, Magellan & Compagnie, 2018).
Jules Verne fait partie de ces noms de la culture française qui règnent dans chaque recoin de nos vies quotidiennes sans même qu’on y prenne garde. Des rues portent son nom, des musées exposent et célèbrent son œuvre, des écoles se placent sous ses auspices. Mais encore: des bourses, des navires, des centres de loisirs, un vaisseau spatial, une université picarde, une soufflerie nantaise et jusqu’à une course de running, qui se tient chaque année à Amiens, honorent le souvenir de l’écrivain français le plus traduit au monde. Est-ce un hasard si Emmanuel et Brigitte Macron ont choisi de s’entretenir avec Donald Trump et son épouse, lors de leur première rencontre, dans un restaurant parisien de la Tour Eiffel, baptisé en hommage à l’auteur du Vingt mille lieues sous les mers dont nous fêtons le cent-cinquantième anniversaire?
Jules Verne est d’abord l’un de nos grands romanciers d’aventure et d’anticipation. Mais c’est aussi, à ce que nous en dit sa renommée mondiale, un magnifique exemple d’une France qui s’exporte culturellement et dont la créativité, l’audace et l’esprit d’invention sont des marques de fabrique. Peu d’auteurs auront su incarner à ce point les tentations de l’ouverture et de l’enracinement, de l’exploration du monde et de l’attachement aux origines, dans une fresque hétéroclite où se côtoient les paysages lunaires, les immensités sous-marines, les déserts de Patagonie, les nuits lugubres des Carpates, mais aussi les rivages du Finistère et les rues de Paris au XXe siècle. Face aux velléités du repli comme solution à tous nos maux, Jules Verne nous offre une vision du monde où la curiosité, la soif d’apprendre et l’espérance viennent défaire les certitudes en enseignant l’altérité. C’est une leçon utile en période de gros temps lorsque chacun voit en l’autre une menace.
Que vive le plus longtemps possible la mémoire de Jules Verne pour inspirer tous ceux qui doutent encore que l’imaginaire soit un ferment d’action et d’émancipation.
Bien sûr, Jules Verne n’échappe pas à son temps. On trouve chez lui les marques d’une IIIe République fière de son empire colonial. Mais si certaines des croyances de l’époque ont bel et bien changé, on n’ôtera pas à l’œuvre de Jules Verne sa vertu cardinale: la conviction intime que l’homme est capable de surpasser ses failles et de franchir toutes les frontières du monde. En 1905, la nécrologie du Figaro, qui avait accueilli plusieurs de ses nouvelles dans son supplément illustré, le désignait très justement comme le «plus inventif peut-être de nos romanciers» avant d’y voir le «patriarche de l’imagination française». Plus d’un siècle plus tard, on ne l’honore pas moins. Au moment où se tient, à Nantes, une belle exposition sur les héroïnes de Jules Verne et que Le Monde lance une collection dédiée aux Voyages extraordinaires, je ne peux souhaiter qu’une chose: que vive le plus longtemps possible la mémoire de Jules Verne pour inspirer tous ceux qui doutent encore que l’imaginaire soit un ferment d’action et d’émancipation. Jules Verne est un remède de cheval contre les pessimismes.
Son dernier « geste » de rébellion: mourir la veille de Noël, à 91 ans. Anarcho-pacifiste, socialiste libertaire, Osvaldo Bayer laisse un vide incommensurable. Journaliste, historien, défenseur des droits humains, il s’est investi dans la lutte pour les droits des peuples originaires à récupérer ses terres.
Auteur d’un ouvrage fondamental pour la culture politique argentine: La Patagonia rebelde * (La Patagonie rebelle) et la biographie de « Severino Di Giovanni, l’idéaliste de la violence » (1970), Osvaldo Bayer a dénoncé l’exploitation et la mort des travailleurs ruraux en Patagonie et a montré comment les familles de l’oligarchie et les secteurs dominants les opprimaient . Il a toujours élevé sa voix avec courage et fut porteur d’une éthique qui en font de lui le dernier grand anarchiste argentin du XXe siècle. Les menaces, la persécution et la censure de la Triple A en 1975 l’ont forcé à s’exiler en Allemagne, d’où il a dénoncé le terrorisme d’État pendant la dernière dictature civico-militaire (1976-1983).
« J’ai décidé de ne pas avoir pitié des impitoyables. Mon manque de pitié envers les assassins, envers les bourreaux agissant depuis le pouvoir, se réduit à les démasquer, les laissant nus devant l’histoire et la société en revendiquant d’une certaine manière ceux d’en bas, qui à toutes les époques sont sortis dans la rue pour crier, pour protester et qui ont été massacrés, traités comme des criminels, torturés, volés, jetés dans une fosse commune « . (El camino al paraíso, Planeta, 2016)
Pendant plus de dix ans, il a enquêté sur l’histoire des 1500 travailleurs ruraux de Santa Cruz, tués entre 1920 et 1921. Il a eu la chance de retrouver de nombreux survivants parmi les soldats, les officiers et les propriétaires fonciers. La Patagonie rebelle rassemble les quatre volumes de Los vengadores de la Patagonia trágica (Les vengeurs de la Patagonie tragique) les trois premiers publiés en Argentine entre 1972 et 1974, et le quatrième volume publié en Allemagne en 1978.
Combattant infatigable, il a parcouru les villes du pays pour accompagner les procès contre les génocidaires du passé, qu’il s’agisse du génocide contre les Indiens ou contre les militants politiques des années 70. Il n’a jamais baissé les bras même dans les pires conditions politiques en utilisant la parole comme arme principale de combat. À Buenos Aires, dans la ville de Rauch il organisa en 1963 un referendum citoyen pour changer le nom du colonel prussien par celui d’ »Arbolito », le nom de l’indien ranquel qui l’avait tué. Il a été arrêté par ordre du général Juan Enrique Rauch, ministre de l’Intérieur de la dictature, arrière-petit-fils de Federico Rauch. Il a été emprisonné pendant 62 jours.
Depuis 2004, Bayer a réclamé le transfert du monument du général Julio Argentino Roca, situé au centre ville de Buenos Aires. Le général et futur président dirigea la « Conquête du désert » entre 1879 et 1881 afin d’obtenir la domination totale sur les régions du sud de la Pampa et sur la Patagonie orientale, jusqu’alors sous domination de la nation Mapuche. Des dizaines de milliers d’indiens furent tués ou transformés en esclaves. Bayer avait l’intention de dresser à la place un monument à la Femme originaire, projet partagé par l’Université populaire des Mères de la Place de Mai.
J’ai rencontré pour la première fois Osvaldo Bayer en 2010 à l’occasion de la Foire du livre de Francfort. En février de 2011, j’ai partagé avec lui un dîner chez la directrice de la Maison Argentine de la Cité U à Paris en compagnie d’amis argentins. Pendant le repas, Osvaldo n’arrêtait pas de raconter d’anecdotes savoureuses : sa rencontre en 1960 avec le Che à Cuba , avec l’écrivain Julio Cortázar à Paris, son admiration pour Marlène Dietrich, l’histoire des cinq prostituées de la maison close « La Catalana » à Puerto San Julián**, qui ont refusé d’avoir des relations sexuelles avec les soldats qui ont tiré sur les ouvriers lors de la grève des travailleurs ruraux à Santa Cruz, affirmant qu’elles n’allaient pas coucher avec des meurtriers. ». Nous avons mangé du couscous avec du vin algérien pour fêter « le printemps arabe »… Une soirée inoubliable qui a durée tard dans la nuit. Malgré le long trajet qui l’avait amené ce matin d’Allemagne et les trois heures de conférence, Osvaldo, avec ces 84 ans, n’a pas arrêté de nous subjuguer par son énergie débordante.
Dans une note du journal Página 12, Silvina Friera écrit : « Osvaldo savait qu’il fallait s’investir avec le corps et la parole dans de nouvelles-vieilles batailles. S’il avait précédemment dénoncé l’exploitation et la mort de travailleurs ruraux en Patagonie et accompagné les Mères de la Place de Mai, il n’a pas hésité ces dernières années à protester face aux attaques du gouvernement contre les droits de l’homme et sociaux. « Le gouvernement de (Mauricio) Macri est comme un retour au Moyen Âge », a déclaré l’écrivain lors de la dernière interview de ce journal, en août 2016. Ne pas savoir qu’il y a eu 30 000 disparus, ce qui est l’un des faits fondamentaux de la politique des droits de l’homme du pays, c’est une ignorance qui ne peut être pardonnée, ne peut être excusée (…) Les 30 000 disparus seront toujours la plus grande honte de l’Argentine. «
A la question : Quel est l’idéal d’un gouvernement anarchiste? Comment vous l’imaginez?
-Le gouvernement par assemblée, tout le peuple doit intervenir. Je pouvais voir à quel point les assemblées étaient positives (lors de la crise de 2001-2002). Avec quelle sagesse intervenaient les gens à l’assemblée du quartier de Belgrano; même les vieilles dames qui n’avaient jamais parlé de toute leur vie se sont exprimées. C’était un spectacle magnifique d’écouter les voisins qui n’avaient jamais parlé de leur vie et qui avaient dit ce qu’ils pensaient. Quelle belle période que fut la démocratie de quartier. »
Les réseaux demandent une rue pour Osvaldo Bayer
La mort d’Osvaldo Bayer a provoqué un émoi chez ceux qui connaissaient et admiraient l’auteur de La Patagonia rebelde. 24 heures après sa mort, les réseaux ont commencé à façonner un hommage: que la rue Ramón L. Falcón porte le nom de l’écrivain et journaliste. Ainsi, le nom d’un répresseur serait changé en celui d’un défenseur des droits humains. Pour donner une impulsion à la campagne lancée sur les réseaux sociaux, la député Myriam Bregman du PTS-FIT a présenté ce 26 décembre un projet de loi qui doit être débattu à l’Assemblée législative de la ville de Buenos Aires.
Le vieux frondeur nous laisse le meilleur héritage possible: la rébellion en quête de plus de liberté, plus de démocratie et plus d’égalité. Un clin d’œil pour la France des gilets jaunes.
* La Patagonia rebelde est un film réalisé par Héctor Olivera en 1974 et interprété par Héctor Alterio, Luis Brandoni, Federico Luppi et Pepe Soriano. Il a été écrit par Olivera, Fernando Ayala et Osvaldo Bayer, d’après le livre de Bayer intitulé « Les vengeurs de la Patagonie tragique ». Le 13 juin 1974 le président Juan Domingo Perón signe le décret d’approbation pour que le film puisse être projeté. Après la mort du président, il a été interdit le 12 octobre de la même année par le gouvernement d’Isabel Perón. Jorge Cepernic, gouverneur péroniste de Santa Cruz, a été emprisonné pendant six ans par la dernière dictature civico-militaire de l’Argentine, pour avoir, entre autres, permis que le film soit tourné dans cette province. La plupart des acteurs et des cinéastes ont dû partir en exil. En Argentine, il n’a pu être montré à nouveau qu’en 1984, avec le retour de la démocratie. Le film a remporté l’Ours d’argent au Festival international du film de Berlin en 1974.
**Depuis 2011, l’histoire des putes de San Julián a été jouée au Théâtre Cervantes, mis en scène par Ricardo Mosquera. En plus de collaborer en tant que scénariste, Bayer, qui avait déjà joué en tant qu’éleveur anglais dans la version cinématographique de La Patagonia Rebelde, a fait ses débuts en tant qu’acteur de théâtre et participa à la pièce en racontant lui-même sa tâche de chercheur dans cette histoire.
Dans « Faux calme », l’écrivaine argentine Maria Sonia Cristoff retourne dans la région de son enfance, que l’oubli menace, et en rapporte d’intenses témoignages.
Par Ariane Singer (Collaboratrice du « Monde des livres ») Publié le 13 septembre 2018 à 07h30, modifié le 13 septembre 2018 à 09h24
Faux calme. Voyage dans les villes fantômes de Patagonie (Falsa Calma. Un recorrido por los pueblos fantasma de la Patagonia), de Maria Sonia Cristoff, traduit de l’espagnol (Argentine) par Anne Plantagenet, Le Sous-sol, 240 p., 21,50 €.
Maria Sonia Cristoff n’a pris conscience de l’isolement de la Patagonie – l’une des régions les moins densément peuplées au monde – qu’à l’adolescence, lorsque l’appel de la civilisation et la promesse d’un accès plus aisé aux livres l’ont décidée à s’installer à Buenos Aires. Vingt ans après avoir quitté sa province natale, l’écrivaine argentine, née en 1966 à Trelew, y est retournée pour saisir ce trait « éminemment patagonique » qu’est l’isolement. Le débusquer « dans ses aspects les plus extrêmes ». C’est nourrie de récits de voyage qu’elle a cherché à pénétrer l’esprit de cette contrée reculée. A mille lieues des clichés dépeignant la Patagonie comme une terre d’évasion exotique, elle a choisi à dessein cinq villages « fantômes » – plus exactement quatre villages et une petite ville –, cinq expressions d’une solitude plus ou moins assumée, plus ou moins sclérosante, qui lui ont parfois donné l’impression d’être dans un « décor de science-fiction ». Ce sentiment d’étrangeté infuse, parfois jusqu’au vertige, chacun des dix chapitres de Faux calme : un livre dense, dont l’écriture, aride et intense, ainsi que la proximité brute entre la narratrice et ses sujets d’observation rappellent certains textes de Joan Didion sur l’Amérique rurale des années 1960 et 1970.
L’auteure y évoque ainsi la légende, bien ancrée dans la population d’El Cuy, du Maruchito : un jeune garçon tué par son contremaître pour avoir joué de la guitare, et devenu un faiseur de miracles après sa mort. Malheur à qui omet de s’arrêter devant son sanctuaire et d’y déposer une offrande. La narratrice en fera l’expérience lorsque…