Suite à l’adoption d’une loi visant à simplifier la restitution des restes humains conservés dans les collections des musées français, l’association Karukinka et ses membres se réjouissent de cette avancée qui, ils l’espèrent, accélèrera la restitution des restes humains Selk’nam, Haush et Yagan présents dans la collection d’anthropologie physique du Musée de l’Homme (Paris).
Une demande de contact avait été maintes fois répétée avant et pendant la venue en France, dans le cadre du festival Haizebegi 2019, de Victor Vargas Filgueira (porte-parole de la communauté yagan d’Ushuaia, Argentine), Mirtha Salamanca (membre du Conseil Participatif Indigène d’Argentine pour le peuple selk’nam) et José German Gonzalez Calderon (ex-président de la communauté yagan de la Bahia Mejillones, Chili). Le directeur des collections avait refusé de les recevoir en octobre 2019, tout en indiquant que ces collections serait analysées dans les prochains mois.
A ce jour, soit plus de 4 ans après, toujours aucune suite n’a été donnée à cette prise de contact.
Pour aller plus loin, nous vous recommandons la lecture de cet article paru dans le journal Le Monde hier (intégré à la suite dans cet article) et, pour poursuivre la réflexion, la lecture par exemple de :
un article de Laurent Berger (Chercheur affilié au Laboratoire d’Anthropologie Sociale, chargé de la recherche au musée du quai Branly et Visiting Fellow à la London School of Economics and Political Science.) intitulé « Des restes humains trop humains ? » et publié le 26 septembre 2008 par « La Vie des Idées » (https://laviedesidees.fr/Des-restes-humains-trop-humains.html)
un article de Gracia Lwanzo Kasongo (doctorante à l’Université catholique de Louvain, membre de l’Institut de sciences politiques Louvain-Europe, juriste et politiste) intitulé « « Nous ne voulons pas de ces fantômes. » Quand la restitution des restes humains fait débat » et publié le 31 mars 2023 par « Afrique XXI » (https://afriquexxi.info/Nous-ne-voulons-pas-de-ces-fantomes-Quand-la-restitution-des-restes-humains)
Le Parlement français adopte une loi sur la restitution de restes humains à des Etats étrangers
Le texte doit faciliter le retour de corps ou de morceaux de corps collectés dans des conditions indignes en dérogeant à la règle d’inaliénabilité des collections publiques françaises.
Par Laurence Caramel Publié le 18 décembre 2023 à 20h23, modifié le 18 décembre 2023 à 21h40
Les trois crânes provenant de l’ancien royaume Sakalave de Madagascar comme les dépouilles d’aborigènes d’Australie aujourd’hui conservés au Musée de l’homme, à Paris, pourront bientôt rejoindre leurs terres d’origine. Avec le vote des sénateurs, lundi 18 décembre, le Parlement a définitivement adopté la proposition de loi sur la restitution à des Etats étrangers des restes humains appartenant aux collections publiques françaises.
« C’est un moment important pour nos relations avec des peuples qui attendent depuis longtemps de pouvoir donner une sépulture digne à leurs ancêtres », se réjouit la sénatrice centriste Catherine Morin-Desailly, à l’origine de la loi avec deux autres élus de la chambre haute, Pierre Ouzoulias (Parti communiste) et Max Brisson (Les Républicains). C’est aussi un « moment d’émotion » pour l’ancienne conseillère à la culture de Rouen, dont la ville a été la première à délibérer en 2006 sur la restitution à la Nouvelle-Zélande d’une tête maorie présente dans les collections locales.
C’est le refus de l’Etat de laisser le musée normand se départir de cette pièce qui a été le point de départ de ce patient travail ayant abouti au texte voté lundi. Son adoption est une étape supplémentaire dans la mise en œuvre du projet plus vaste visant à faciliter la rétrocession de pièces de collection acquises par les musées français dans des conditions désormais jugées inacceptables : trophées de guerre, pillages, vols, profanations de sépultures…
Il s’agit aussi à cette occasion d’engager une réflexion et un travail de mémoire. En juillet, une première loi concernant la restitution des biens culturels spoliés à des juifs dans le contexte des persécutions antisémites de 1933 à 1945 a déjà été votée. En 2024, le dernier projet de loi du gouvernement portant sur les œuvres acquises pendant la colonisation devrait être présenté au Parlement.
Accélération des traitements des requêtes
Grâce à la loi adoptée lundi, il ne sera plus nécessaire, comme cela était le cas jusqu’à présent, d’obtenir l’autorisation du Parlement avec le vote d’une loi ad hoc pour chaque dossier de restitution de corps ou de morceaux de corps. Une dérogation générale au principe d’inaliénabilité des collections publiques est introduite dans le code du patrimoine qui permettra à l’Etat et aux collectivités territoriales concernées d’agir par simple décret en Conseil d’Etat. Le traitement des requêtes devrait s’en trouver accéléré.
Depuis le début des années 2000, seulement quatre demandes ont en effet pu être instruites : celle portée en 2002 de l’Afrique du Sud concernant Saartjie Baartman, une femme Koïsan réduite en esclavage et exhibée en Europe sous le nom de Vénus hottentote. La même année, l’Uruguay a récupéré la dépouille d’un Indien Charrua, Vaimaca Peru, achetée par la France en 1832.
Dignité humaine
En 2012, vingt têtes maories ont été restituées à la Nouvelle-Zélande, puis, en 2020, vingt-quatre crânes ont été rendus à l’Algérie dans le cadre d’une convention de dépôt d’une durée de cinq ans. Une situation qui devra être régularisée avec la nouvelle loi.
Plusieurs conditions sont fixées pour juger de la recevabilité d’une requête : elle doit être déposée par un Etat étranger et à des fins exclusivement funéraires. Les « restes » doivent être ceux de personnes mortes après l’an 1500 et les « conditions de leur collecte porter atteintes à la dignité humaine ou leur conservation contrevenir au respect de la culture et des traditions du groupe dont ils sont originaires », précise la loi. En cas de doute sur l’identification des restes réclamés, un comité scientifique composé à parité d’experts français et du pays demandeur sera chargé d’éclairer la décision du ministère de la culture, à qui reviendra in fine la décision.
« Apaiser les mémoires douloureuses »
La ministre de la culture, Rima Abdul-Malak, s’est félicitée d’une loi équilibrée « entre la garantie du principe d’inaliénabilité et la gestion éthique des collections publiques. (…) Le respect de la dignité humaine anime cette loi. La France regarde son histoire en face. Elle entend les demandes des autres peuples et souhaite ouvrir avec eux de nouveaux échanges culturels en ayant contribué à apaiser les mémoires douloureuses ».
La ministre s’est également engagée à lancer dès le début de l’année 2024 une mission parlementaire sur la restitution des restes humains provenant des territoires d’outre-mer. « Ils ne pouvaient avoir leur place dans la présente loi mais nous en faisons notre priorité », a-t-elle promis, en se fixant un an pour apporter une solution.
Lundi, des représentants des Indiens Kalina de Guyane assistaient au débat au Sénat. Ils réclament le retour des corps de huit de leurs ancêtres morts en 1892 après avoir été exhibés dans des zoos humains à Paris et répertoriés dans les collections du Museum national d’histoire naturelle, à Paris. Celui-ci possède environ 24 000 « restes humains ». Environ 7 % sont originaires d’Afrique et 5 % des outre-mer. Une centaine seulement a été identifiée avec précision par les scientifiques, ce qui résume un autre enjeu de la loi : pour parvenir à sa véritable mise en œuvre, il faudra doter les musées de moyens pour faire l’inventaire fouillé de leurs collections.
Suite au One Planet – Polar Summit, l’Institut polaire français est heureux de pouvoir partager le rapport des opérateurs polaires qui a été remis aux Ministères de différents pays.
Les annonces du président de la République qui ont suivi ce sommet ont été à la hauteur des enjeux polaires : 1 milliard d’euros dédiés au polaire. Une belle dynamique pour toutes les communautés polaires !
La deuxième édition du Parlement des liens s’est tenue vendredi et samedi à Uzès. En deux temps, le vendredi étant réservé à la restitution des enquêtes en cours sur le territoire, et le samedi à des temps d’échanges avec des intellectuels de renom.
« Il y a des idées qui amincissent le monde et d’autres qui l’épaississent » : la citation du philosophe américain William James, choisie par l’éditeur de la maison Les Liens qui libèrent Henri Trubert, à l’initiative du Parlement des liens avec l’agence Comuna en partenariat avec entre autres la Région, le Département et la CCPU, pour ouvrir cette deuxième édition, sonnait comme un manifeste. Car sur deux jours, « le but de ce Parlement des liens, c’est de l’épaissir », annonce-t-il. L’épaissir en prenant en compte « les interdépendances » dans la manière d’aborder les problématiques et les remèdes à y apporter.
Alors le Parlement des liens a entrepris, il y a désormais plus d’un an, un vaste travail d’enquêtes sur le territoire du Pays d’Uzès, sur la perma-économie, la pleine santé, l’eau ou encore le portrait sonore du territoire et de ses habitants. Cette dernière, moins attendue, est menée par l’ethnomusicologue Lauriane Lemasson et le musicien Antonin Tri-Hoang, a pour but de « réaliser un portrait sonore de l’Uzège », résume la première citée. De captations sonores en entretiens avec les élus et associations du territoire, il en ressort le bruit des cours d’eau, les sons de la nature en général, des cigales aux chouettes, les coups de fusil de chasse, les moteurs des tracteurs, un « parler local » en lent déclin, mais aussi et surtout les clochers, emblèmes des villages ruraux.
Et tout ça « soulève beaucoup plus de questions que le son en lui-même, il y a tout ce qui se trouve derrière : le changement climatique, l’identité des territoires, la perte de certains sons, aussi pour prendre conscience de ce qu’on perd, et de ce qu’on pourrait sauver », développe Lauriane Lemasson. Le travail continue, et s’est provisoirement achevé ce samedi soir par une restitution des premiers travaux sonores.
Parmi les autres thèmes abordés, l’eau et les bassins versants. L’enjeu : « Comprendre d’où vient et où part l’eau du robinet », résume l’équipe du collectif Hydromondes, qui conduit cette enquête. Les questions du tourisme, des piscines privées, de l’irrigation des cultures ou encore du transfert de la compétence eau et assainissement à la Communauté de communes à l’horizon 2026 sont revenus dans les divers échanges. « L’année prochaine, nous voulons approfondir ce qu’on a compris cette année, la garrigue et sa complexité », avance François Guerroué d’Hydromondes. Et une nouvelle Fête des lavoirs devrait se tenir en juin, pour poursuivre la restitution et le partage du travail mené.
Les savoirs en résistance
Ce samedi, place au Forum, co-organisé par le journal Libération. Un forum ouvert par une table ronde sur le thème « Quand les savoirs entrent en résistance », car « il y a une scission de plus en plus forte entre les institutions et les savoirs », estime Henri Trubert. Pour en débattre, trois philosophes, Isabelle Stengers, Dominique Bourg et Vinciane Despret, et un historien, Johann Chapoutot.
Une discussion où il a été question de désobéissance civile, bridée par « un délaissement de la démocratie participative extrêmement dangereux » de la part des militants écologistes, selon Dominique Bourg, spécialiste du domaine. Une invitation à l’engagement, notamment des scientifiques, invités à sortir de leur réserve. « Déjà, choisir sa spécialité est une prise de position », pose Johann Chapoutot, spécialiste de l’histoire du nazisme et de l’Allemagne.
Des prises de position de plus en plus indispensables pour l’historien, face à un pouvoir « d’idéologues, de forcenés, de fossiles aux présupposés d’avant-hier. » Le point défendu est que le politique et le droit ont un temps de retard considérable sur l’état des savoirs notamment sur la question climatique. Or, « il y a une difficulté chez beaucoup de scientifiques à penser la mise en politique des sciences », estime Isabelle Stengers. Pas forcément à politiser les sciences, mais « à considérer que les activités scientifiques ont des comptes à rendre au collectif », précise-t-elle.
Ce fut le cas il y a une vingtaine d’années avec les OGM. « Là, il y a eu une mise en politique des sciences », affirme la philosophe, qui regrette que cet épisode n’ait pas eu de véritables suites : « On n’a pas tiré les leçons des OGM, mais on a empêché que cette mise en politique se reproduise. »
« Ne vous étonnez pas qu’on soit tous devenus cons »
Aussi du fait des scientifiques eux-mêmes. La philosophe Vinciane Despret, qui a travaillé sur les scientifiques, dénonce « une mise à distance » de l’opinion publique de certaines sciences, comme les sciences humaines. Un constat nourri par certains dispositifs utilisés dans les protocoles, « qui mettent les gens en position d’être bêtes, dans une grande impuissance. » Le manque de moyens des chercheurs revient aussi, avec des universités « où on privilégie le quantitatif sur le qualitatif, on alimente une surchauffe dans le champ scientifique qui nous rend stupides », lance Johann Chapoutot.
Dominique Bourg dénonce pour sa part une « hyper-spécialisation », qui serait issue d’une « organisation néolibérale du savoir. » Cette spécialisation à outrance donnerait donc des prismes forts : « Ne vous étonnez pas qu’on soit tous devenus cons, et que face au danger il n’y ait rien », tonne le philosophe. Se rajoute « un glissement majeur dans les universités françaises, d’une logique structurelle à une logique de projets », affirme Johann Chapoutot.
Parfois, ce sont les méthodes employées qui sont en cause. Sur la question climatique, « le GIEC s’est adressé aux États et pas aux populations, et c’est une catastrophe », estime Dominique Bourg. Un ratage qui ouvre la porte à l’opinion « sur un objet scientifique et pas un objet d’opinion », poursuit-il. Les derniers sondages dans de nombreux pays démontrent « qu’une partie non-négligeable de la population refuse d’entendre » et se réfugie dans le déni, diagnostique Dominique Bourg.
En même temps, « on sort d’une période de lessivage intense des cerveaux, affirme Isabelle Stengers. On sort d’un moment où on nous a demandé d’être bêtes et croyants. » La solution, pour Vinciane Despret, serait de « réapprendre à raconter des histoires contre les grands récits, nous sommes découragés car nous n’imaginons plus la victoire possible. »
Une expérience poétique et scientifique à Uzès, dans le Gard : des passionnés viennent de réaliser un « portrait sonore » du Pays d’Uzès. Sons de la nature, témoignages : une réflexion sur l’histoire de nos villages et de nos territoires.
C’est une expérience étonnante à vivre ou plutôt à écouter. Un portrait sonore du pays d’Uzès présenté ce week-end dans le cadre de la deuxième édition du « Parlement des liens« , qui a pour « ambition de participer à une réflexion sur les enjeux à affronter en partant du territoire du Pays d’Uzès et de la Région Occitanie pour mettre en œuvre des idées et des pratiques qui répondent aux immenses défis de notre temps ».
Lauriane Lemasson une ethnomusicologue et Antonin Tri Hoang, musicien-compositeur ont compilé des centaines d’heures de sons de la nature, mais aussi de témoignages d’élus et d’habitants des villages de l’Uzège. Une performance qu’ils vont présenter au public au centre culturel de l’Ombrière à Uzès ce samedi soir. Au delà de la carte postale sonore, une véritable réflexion sur la vie des villages, leur histoire, leur présent, mais aussi leur avenir.
Les auteurs ont notamment demandé aux élus quels étaient les bruits qui, selon eux, caractérisaient le mieux leur commune.
Henri Trubert est l’organisateur du « parlement des liens » : « Ce qui est intéressant, c’est que beaucoup des sons que les personnes aiment sont en train de disparaître,. les cours d’écoles, les oiseaux, les coqs, les clochers. Or ils racontent notre propre histoire, nos émotions, notre façon de vivre ».
Entre la mélodie des cloches et le hululement des oiseaux, une ethnomusicologue et un compositeur ont sillonné le Pays d’Uzès pour en dresser une carte d’identité sonore.
par Anne-Laure Pineau, publié le 29 septembre 2023 à 1h54
Lauriane Lemasson ne connaissait pas Uzès et sa région, et ne savait pas à quoi s’attendre en débarquant au printemps 2022 avec ses micros et ses carnets de notes. D’ordinaire, l’ethnomusicologue et audio-naturaliste originaire de Loire-Atlantique travaille à l’autre bout du monde. Elle mène des recherches sur les liens qui se tissent entre l’homme et les sons de la nature et a fondé l’association Karukinka signifiant «la dernière terre des hommes»en langue selk’nam, un peuple indien de l’extrême sud du continent américain.
Il y a un monde entre Uzès et la Patagonie, mais depuis plus d’un an, accompagnée du musicien compositeur parisien Antonin-Tri Hoang, elle enquête dans les vallées et la garrigue de l’Uzège pour dresser un portrait sonore du territoire sur chaque saison. Armés de leurs micros bisoniques (pour faire des enregistrements 3D), les deux partenaires enregistrent les derniers mots d’occitan dans les villages, le bruit du tour du céramiste, les ceps que l’on coupe au sécateur, les fusils des chasseurs et les hululements du petit duc.
«Cour de récréation»
Le Parlement des liens leur a donné carte blanche pour dessiner une carte d’identité sonore. «On a sillonné les routes à partir des cartes IGN et ce qu’on pouvait y repérer d’intéressant : des lavoirs, d’anciens fours utilisés pour cuire les poteries… On a essayé d’être les plus ouverts et exhaustifs possible. Antonin a travaillé sur une partie liée à la musique en retrouvant une mélodie perdue puis retrouvée, la “fadaise d’Uzès”, une chanson des maçons uzétiens. On a également fait une grande enquête sur les clochers de 34 communes… Des clochers perçus soit comme du patrimoine soit comme une nuisance sonore.»
Les deux compères ont aussi condensé des récits d’habitants du territoire. «J’ai enfilé ma panoplie d’ethnologue, souligne Lauriane Lemasson. Les maires de plusieurs petites communes par exemple, quand je leur demandais quel était le son qu’ils préféraient, me répondaient que c’était le celui de la cour de récréation de leur école… Car cela signifiait que le village continuerait à vivre longtemps. C’était synonyme d’avenir.»
Le travail des deux musiciens fera l’objet d’un fascicule d’une cinquantaine de pages (publié par Les liens qui libèrent) qui sera mis à disposition lors du forum, les morceaux créés lors de cette expérience seront accessibles sur Internet.