Le 18 mai 2014, l’écrivain français Jean Raspail a officiellement placé les projets de Karukinka sous le haut-patronage du Consulat Général de Patagonie. Toute notre équipe est très heureuse de partager cette nouvelle avec vous.
Explorateur, journaliste, écrivain… C’est un homme fasciné par le Grand Sud qui nous fait l’honneur de soutenir nos projets.
De 1951 à 1952, alors âgé de 26 ans, Jean Raspail rallia la Terre de Feu à l’Alaska en voiture et rédigea un premier récit d’aventure en 1952. Une cinquantaine d’années plus tard, il retourna sur les traces de son périple, en terre fuégienne, à la recherche des souvenirs de sa jeunesse et du passé perdu de la Patagonie des années 50. En résulte alors un témoignage fascinant et riche de références historiques sur ce bout du monde balayé par les vents (Adios Tierra del Fuego, 2001).
Parmi ses oeuvres, nous ne pouvons trop vous conseiller la lecture de Qui se souvient des hommes… (Editions Robert Laffont, Paris, 1986 – Prix Chateaubriand, Charles-Oulmont, Gutenberg et Livre Inter), Moi, Antoine de Tounens, roi de Patagonie (Editions Albin Michel, Paris, 1981 – Grand prix du roman de l’Académie française) et Adios Tierra del Fuego (Albin Michel, Paris, 2001 – Prix Jean Giono).
Nous remercions chaleureusement Monsieur Jean Raspail, Monsieur Tulli et le Consulat Général de Patagonie pour l’attention portée à notre association. Comme demandé, nous les tiendrons régulièrement informés de l’avancement de nos projets.
La quatrième réalisation de l’Argentin Lisandro Alonso, a pour décor la Terre de Feu
Par Isabelle Regnier Publié le 04 août 2009 à 15h10, modifié le 23 juillet 2010 à 11h40
En 1960, Michelangelo Antonioni (1912-2007) créait la stupéfaction avec L’Avventura en faisant disparaître son personnage principal, Claudia (Monica Vitti), à la moitié du film. Près d’un demi-siècle plus tard, comme si le cinéma avait tellement muté, sous tant de formes différentes, qu’il en avait oublié ce geste, il y a encore (à nouveau ?) de l’audace à l’accomplir. Dans Liverpool, quatrième long métrage de l’Argentin Lisandro Alonso, l’évaporation après cinquante minutes d’un personnage qui avait pratiquement occupé chacun des plans du film produit ainsi un chancellement salutaire de la perception, un questionnement stimulant sur ce que peut le cinéma.
Il ne s’agit pas de placer ce film sur le même plan que le chef-d’oeuvre d’Antonioni, mais plutôt de relever l’ambition qui anime son auteur. Porté par une foi ascétique dans les puissances primitives de son art, Lisandro Alonso, 34 ans, qui s’est fait connaître en 2001 avec le très aride La Libertad, continue de creuser, sans concession, la même veine minérale. Par le soin qu’il apporte au cadre, au son (ce qui fut son premier métier sur les plateaux de cinéma), il insuffle à ses décors une vitalité crépitante, en anime jusqu’à l’élément le plus trivial. Les personnages s’y meuvent comme les composantes d’un tout qui les dépasse, chaque mouvement de leur corps, chaque expression de leur visage se chargeant sous son regard d’une formidable puissance fictionnelle.
Aussi ne faut-il pas longtemps pour qu’un suspense se crée autour de Farrel (Juan Fernandez), loup de mer solitaire prématurément vieilli par les embruns et l’alcool blanc. De l’arrière-plan flouté où il apparaît dans un bar, caché par deux adolescents plantés devant un écran, il gagne peu à peu le centre du cadre. Quelques longs plans fixes auront montré entre-temps, dans une économie narrative remarquable, l’intérieur du cargo sur lequel Farrel travaille, l’atmosphère à bord, autant que l’état de solitude et d’alcoolisme avancé qui caractérise le personnage.
Le premier vrai dialogue intervient alors, qui résume à peu près toute l’intrigue : Farrel dit au capitaine son souhait de descendre à terre à la prochaine escale – non pas Liverpool, comme on pourrait s’y attendre, mais Ushuaïa, en Terre de Feu. Sa mère vit dans la région, il ne l’a pas vue depuis vingt ans et voudrait vérifier si elle est toujours vivante.
Ce qui se passe ensuite est de l’ordre du prodige. Braquée sur le visage de Farrel, accoudé de nuit à la rambarde du bateau, tirant sur une cigarette alors que scintillent sous ses yeux les lumières de la petite ville portuaire, la caméra enregistre les mouvements de ses traits comme les variations d’un paysage sous l’effet du vent. Un éclat dans ses yeux, l’esquisse d’un sourire, le mouvement d’un sourcil… Une émotion passe, forte, qui lie pour de bon le personnage au spectateur. Sans que rien soit dévoilé de son mystère, sa dimension s’est étoffée d’un coup. Il devient héros romantique avec une histoire, une blessure, un projet dont on ne sait rien des tenants et des aboutissants mais dont l’intensité affective fait vibrer l’écran. Accroché à ce drôle de type mutique, on s’attend à en savoir un peu plus. Sur sa mère, sur lui, sur les raisons de leur séparation… Rien de tel n’adviendra pourtant.
Dans sa note d’intention, le cinéaste décrit sa méthode de travail comme visant avant tout à « laisser les choses apparaître ». Et il ne fait rien d’autre. Fraîchement débarqué dans cette ville fantomatique, Farrel y distille sa présence au fil de la trajectoire qu’il improvise en tétant régulièrement le goulot de sa bouteille.
Il passe, sans échanger un mot avec qui que ce soit, d’un coin de rue informe à un restaurant, d’un bar à putes à un local désaffecté où il s’endort, révélant au fur et à mesure, de manière presque palpable, quelque chose de l’esprit des lieux. Au matin, par une température visiblement bien inférieure à 0.0C, il embarque à l’arrière d’un semi-remorque, son corps continuant d’interagir, tout au long du trajet, avec le paysage.
Le marin arrivera finalement au hameau familial, un trou paumé dans un océan de neige, miné par une pauvreté désolante. Le temps de découvrir une mère agonisante, une soeur dont il ignorait l’existence, de rôder quelques heures comme une bête indésirable, il repart, laissant le film se poursuivre sans lui, tenu par les seules traces de son passage.
Ce n’est qu’à la lumière de celles-ci que le titre du film auquel on ne pensait plus livre sa signification : inscrit sur un porte-clés, ce mot, « Liverpool », surgit dans le dernier plan du film comme un gisement de rêves et de possibles, à la fois dérisoire et infini.
Film argentin de Lisandro Alonso. Avec Juan Fernandez, Giselle Irrazabal, Nieves Cabrera. (1 h 24.)
L’écrivain chilien José Donoso est mort à Santiago du Chili, samedi 7 décembre, victime d’un cancer, à l’âge de soixante-douze ans.
Par RAMON CHAO Publié le 10 décembre 1996 à 00h00, modifié le 14 mars 2022 à 11h31
Le personnage principal et narrateur de l’un des romans de José Donoso, Julio Méndez, est lui-même un romancier qui s’étonne de n’être pas aussi célèbre que Julio Cortazar, Mario Vargas Llosa, Gabriel Garcia Marquez ou Carlos Fuentes. C’est une question que Donoso se posait peut-être et que nous nous posons douloureusement aujourd’hui.
Il est vrai que Donoso ne correspondait en rien à l’image que l’on a en Europe de ce que doit être un écrivain d’Amérique latine : baroque, sentant bon la violence et la magie, sur fond de mythologies indiennes. Il était discret, réservé, il rejetait le romantisme révolutionnaire et, après avoir condamné le régime du général Pinochet, il fut le premier exilé de stature internationale à retourner vivre dans son pays. Son œuvre est singulière à tous les points de vue. Sans délaisser l’engagement social, il nous décrit un monde étrange, déroutant, souvent insaisissable, à la limite du conte de fées.
Il était né en 1924, dans le quartier bourgeois de Santiago. Son père était médecin, professeur d’université et lecteur de Proust. Sa mère appartenait à la famille propriétaire du plus grand quotidien du Chili. Après ses études, ses parents l’envoient apprendre la littérature anglaise à Princeton, aux Etats-Unis, où il se passionne pour Henry James, Faulkner et Joyce. Revenu à Santiago, il s’enfuit pour devenir berger en Patagonie.
Il sait qu’il veut être écrivain et se fixe l’âge de trente ans pour se prouver à lui-même qu’il en a la capacité. Il s’installe à la campagne, où il vit en anachorète et en émerge quelques jours avant son trentième anniversaire avec un recueil de nouvelles, Veraneo y otros cuentos, qui connaît un succès d’estime. C’est son premier roman, Le Couronnement (Calmann-Lévy), qui le place parmi les grands de la génération dite du « boom ». Il y expose le thème du jardin délabré (souvenir de celui de ses parents, métaphore de l’ébranlement d’un ordre social périmé), qui réapparaîtra avec des variations multiples dans tous ses romans.
Anachorète
En 1963, il retourne aux Etats-Unis pour la sortie de la traduction anglaise. Ce sera le début d’un exil volontaire de dix-huit ans. A l’université de l’Iowa, il enseigne l’anglais aux Américains, parmi lesquels John Irving. Il a déjà publié Ce dimanche-là (Calmann-Lévy), Le Lieu sans limite (Calmann-Lévy) et prépare L’Obscène Oiseau de la nuit (Editions du Seuil), qu’il ne parvient pas à terminer car l’ambiance n’est pas propice pour écrire en castillan. Il parcourt l’Espagne et, en 1970, le termine, nous donnant ainsi l’un des plus beaux romans de ces décennies. Après L’Obscène Oiseau de la nuit,…
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Les corps de cinq d’entre eux, exhibés dans des zoos européens à la fin du XIXe siècle, viennent d’être rendus à leur terre, en Patagonie.
DE PUERTO ÉDEN (CHILI), Robert Mur pour la Vanguardia-Barcelone (Courrier International)
Ici, il n’y a pas de rues, juste une longue passerelle de bois face aux habitations précaires de l’une des localités les plus reculées du Chili. A une journée de bateau de Puerto Natales, Puerto Edén est situé sur l’île Wellington, au milieu des canaux patagoniens. Sa population n’atteint pas 300 habitants, parmi lesquels les onze derniers représentants d’un peuple en voie d’extinction, les Kawésqars.
Cette ethnie oubliée est sortie pendant quelques heures de son ostracisme : le 12 janvier, les squelettes de cinq de ses membres ont été rapatriés en avion depuis la Suisse vers Santiago, où ils ont été reçus en grande pompe [lors d’une cérémonie présidée par la présidente du Chili, Michelle Bachelet] avant d’être acheminés vers leurs terres ancestrales.
En 1881, onze Indiens Kawésqars étaient capturés comme des animaux par une expédition allemande et emmenés en Europe pour être exhibés au Jardin d’acclimatation de Paris et au zoo de Berlin. Après une tournée en Allemagne, ils ont fini leurs jours à Zurich, où ils n’ont pu survivre longtemps.
En 2007, des chercheurs travaillant sur ces “zoos humains” – qui firent florès en Europe au XIXe siècle – ont retrouvé la trace de cinq de ces Indiens à l’université de Zurich. Après de nombreuses démarches, leurs dépouilles ont été autorisées à regagner leur terre d’origine. Grethe, Lise, Piskouna, Henry et Capitan (des noms donnés par leurs ravisseurs) ont été emmenés en avion de Santiago à Punta Arenas. Dans la capitale de la Patagonie, la veillée funèbre a duré jusqu’au lendemain, puis les dépouilles ont été transportées à bord d’un bâtiment de la marine vers l’île Karukinka, dans le détroit de Magellan. Là, les membres de la communauté kawésqar, dans le cadre d’un rite réservé, sans témoins non indiens, les ont déposés au fond de cavernes, dans leurs paniers de joncs, comme le veut la tradition.
Angel Acuña, professeur d’anthropologie sociale à l’université de Grenade, étudie le peuple kawésqar sur le terrain. Il n’est pas optimiste quant à leur avenir. “Il n’y a pas plus de dix personnes qui peuvent se faire comprendre en kawésqar, explique-t-il. Et, hormis un couple qui la parle en privé, personne ne pratique cette langue au quotidien. […] Dans les institutions chiliennes, je n’ai vu aucune initiative vraiment efficace pour faire renaître la culture kawésqar. On ne peut même plus parler de préservation, car la culture de ce peuple autochtone a disparu il y a des années.”
Jusqu’à l’arrivée de l’exterminateur blanc, les Kawésqars naviguaient dans les fjords glacés de Patagonie. Ils y ramassaient des fruits de mer et capturaient des phoques dont ils tiraient leurs vêtements et leur combustible. Aujourd’hui, la peau de phoque sert à recouvrir artisanalement les petits canoës que des vieillards, les derniers Kawésqar, vendent comme souvenirs pour 2 000 pesos [moins de 3 euros], dans des échoppes installées sur la passerelle, aux touristes en croisière qui font escale une fois par semaine à Puerto Edén.