Lauriane Lemasson est photographe, ethno-musicologue et chercheuse rattachée à la Sorbonne. Depuis une expédition scientifique réalisée en 2013 pour étudier les paysages sonores et les peuples ancestraux de la Grande Île de Terre de Feu, elle est animée par une quête : faire reconnaitre l’existence des peuples du détroit d’Hatitelem (les Yagan, les Haush et les Selknam), dont les représentants ont été exterminés par les colons européens, ou assimilés de force à la culture hispanique d’Argentine et du Chili. Il est urgent de faire reconnaitre la vérité sur ces peuples, de faire connaitre leur négation par l’histoire officielle, et la spoliation de leurs terres – Elle joue un rôle de passeur, d’accompagnateur de ces peuples; et utilise l’art comme moyen de sensibiliser, comme porte d’entrée pour faire naitre de l’empathie. Elle garde un espoir de changement avec la nouvelle génération, et le revouveau indigène à l’œuvre
Chiliens et argentins ont prolongé la réclamation de protection du Beagle contre les élevages de saumons (InfoTDF, 5/7/2022, "Chilenos y argentinos extendieron el reclamo de protección del Beagle contra las salmoneras") 2
Samedi dernier 2 juillet au matin, chiliens et argentins, navigateurs, kayakistes, activistes, référents d’organisations sociales et membres des communautés Yagán et Kawesqar se sont réunis au centre de la ville d’Ushuaia pour célébrer l’anniversaire de la sanction de la Loi 1.355, laquele régulant l’élevage de saumons en Terre de Feu et Atlantique Sud, interdisant le développement de cette industrie en mer et positionnant le pays comme le premier à prendre une décision de telle ampleur pour la protection de l’environnement et incorporant à la création des politiques publiques la participation citoyenne et la vision des peuples autochtones sur le soin à porter à la nature.
Durant cette journée ont participé le Club Nautique AFASyN et des embarcations de la communauté nautique de Terre de Feu, le programme marin « Sin Azul No Hay Verde » (sans bleu il n’y a pas de vert), Canal Fun, Patagonia, le chef Lino Adillon, Greenpeace Andin, la Société Civile pour l’Action Climatique de Magallanes, des représentants des Communautés Yagáns de Ushuaia et de Navarino et des représentants de la Communauté Kawesqar.
David Alday, représentant de la communauté Yagán de Navarino, afirma “Dans cette partie de la planète nous avons démontré que les limites n’existent pas pour maintenir et prendre soin de notre environnement et de ce qui y habite. La connexion avec notre cosmovision est tellement essentielle que nous ne doutons pas pour nous activer et agir, pour protéger ce qui est notre vie, nos écosystèmes, chargés d’un regard patrimonial ancestral unique au monde. Pour cela notre travail doit être à la hauteur dans des zones de protection comme l’extrême austral, aussi bien au Chili qu’en Argentine. En célébrant cette année de la loi qui interdit l’élevage de saumon du côté argentin, cela signale que le travail réalisé n’a pas été vain, que les convictions et l’effort social est puissant et véridique, avec de solides arguments qui amènent à manifester le bon sens qui nous communqiue la protection de nos espaces et environnements débordants de vie et de nature vierge. »
Lors d’un événement sans précédent en mai 2021, argentins et chiliens réunirent le Canal Beagle, déroulant une banderole pour demander la sanction de la loi qui régule l’élevage de saumons en Argentine et renforcer la réclamation commune de protéger le Canal et les écosystèmes marins du bout du monde. Cette année, pour célébrer cette décision et continuer de réunir les efforts pour la protection de chaque côté du Canal, la communauté s’est à nouveau réunie. Maintenant que l’industrie serait en train de se réactiver à Puerto Williams, et, d’un autre côté, soutenir la cause des frères chiliens qui sollicitent que le gouvernement freine l’avancée de la salmoniculture.
«C’est très émouvant de revivre l’énorme triomphe atteint en Terre de Feu où grâce aux organisations, la communauté locale et les législateurs, il a été réussi unanimement de protéger le Canal de Beagle, icône de la province. C’est un véritable exemple de comment faire les choses correctement, avec un débat ouvert et participatif, et en comprenant qu’en protégeant l’environnement nous protégeant aussi la société dans son ensemble. Le Canal de Beagle doit être protégé de manière intégrale et c’est pour cela qu’ajourd’hui, à un an de cette loi historique, nous exigeons du gouvernement chilien qu’il rejette toutes les concessions en cours à Puerto Williams, l’information technique est déjà disponible pour poser les fondements de cette décision. Il faut suivre l’exemple du côté argentin qui peut célébrer ses bonnes décision » déclaré Estefanía González, Coordinatrice du programme Océans de Greenpeace Andin.
Les salmonicultures menacent la biodiversité, la santé des habitants et le développement économique. En 2019, le village chilien Puerto Williams, en face de la ville d’Ushuaia, fût pionnier à protéger le Beagle et expulsant les élevages de saumons de sa région.
A la différence du Chili où cette industrie a occupé de nombreux territoires, la province fuéguienne est l’unique lieu du pays où l’industrie du saumon pourrait s’installer. Avec l’approbation de la Loi l’année dernière, la Terre de Feu est devenu le premier lieu du monde à interdire l’industrie avant qu’elle ne s’installe, se convertissant ainsi en exemple de la protection d’un modèle économique et productif durable, qui respecte les traditions culturelles et les pratiques artisanales qui génèrent de véritables emplois et revenus issus du tourisme et de la commercialisation de produits locaux. Cette décision a eu un impact mondial, car de nombreuses communautés côtières du monde qui souffrent des impacts de l’industrie demandent également que les cages soient retirées de la mer.
« La division entre le Chili et l’Argentine est loin d’être une réalité, elle est évidente dans les territoires allant de l’Amérique du Nord à la Patagonie. Les régions ont une dynamique qui dépasse les limites politiques. La nature et la culture sont étroitement liées et le thème des fermes de saumon du canal Beagle a été un moment fort. Ces dernières années, la situation est devenue plus que claire grâce aux actions menées ensemble ; Nous ne voulons pas d’industries destructrices, nous voulons travailler de plus en plus unis pour un avenir durable, lié à la dynamique de la nature, à travers la revalorisation de la culture des peuples autochtones, des activités comme le tourisme naturel et tout ce qu’offre la région. En 2021, cette union a permis au gouvernement argentin de comprendre ce que les élevages de saumons signifient pour son peuple, aujourd’hui l’État chilien doit le comprendre », a déclaré David Lopez Katz, membre du programme marin Sin Azul No Hay Verde.
Aujourd’hui, les communautés chiliennes demandent que les élevages de saumons quittent les zones protégées et les lieux où vivent les communautés autochtones qui voient leur mode de vie et leur développement affectés. Ils exigent également que toute expansion de l’industrie soit stoppée en rejetant de nouveaux projets et en arrêtant l’augmentation des niveaux de production. Qu’ils se retirent progressivement des zones fragiles comme les fjords et les canaux et enfin que le gouvernement sanctionne les entreprises et les centres qui ont provoqué ou subissent des catastrophes environnementales par la perte de concessions.
Depuis qu’ils ont commencé à exiger un canal Beagle exempt d’élevages de saumons, les Chiliens ont réussi à obtenir que la Cour d’appel de Punta Arenas arrête le démarrage des travaux de production de l’entreprise salmonicole Nova Austral dans le canal Beagle, situé dans la région de Magallanes. Ils ont également retiré les cages déjà installées et prêtes à être produites et ont réussi à faire expirer les concessions aquacoles accordées jusque-là. En outre, ils ont stoppé l’expansion de l’industrie dans la région de Magallanes à travers différentes actions en justice. Dans le cas de Puerto Williams, la revendication est de pouvoir avancer avec l’Espace Marin Côtier pour les Peuples Autochtones (ECMPO) de la communauté Yagán, qui constitue une manière efficace et concrète de protéger cette zone de différentes menaces comme l’élevage du saumon.
Le Chili est en alerte depuis 2018 en raison de la menace constante des concessions encore administrativement actives dans le Beagle. Quatre ont été expulsées, mais huit restent, détenues par l’action de la communauté indigène à travers la présentation d’une demande ECMPO, qui permet de solliciter l’administration et paralyse en même temps tout projet existant.
Cette histoire ne s’arrête pas avec la sanction de la loi 1 355. La vision collective et globale de notre place dans le monde et de la nécessité de la protéger s’est renforcée face à sa menace imminente. La mer est une et la communauté argentine et chilienne restera unie dans la poursuite de sa conservation. La Terre de Feu a pris une décision pionnière qui est aujourd’hui célébrée par ceux qui la vivent et par le reste du monde qui veut suivre son chemin.
Création d’un Parc naturel protégeant les glaciers près de Santiago, au Chili / Le Journal horaire / 17 sec. / le 7 mars 2022 (AFP – Marcelo Segura / Chilean Presidency)
Le président du Chili, Sebastian Piñera, a annoncé samedi la création d’un parc national de 75’000 hectares dans la zone montagneuse de Santiago afin de protéger 368 glaciers touchés par le réchauffement climatique, et qui représentent un important réservoir d’eau.
“Nous parvenons à protéger 368 glaciers”, a déclaré le chef de l’Etat, lors de l’annonce de la création du parc. “Dans les glaciers, il y a 32 fois plus d’eau que dans le lac de barrage d’El Yeso”, qui alimente Santiago, a souligné Sebastian Piñera.
Une vue aérienne du Parc national des Glaciers, Cajon de Maipo, dans la région métropolitaine de Santiago. Chili, le 5 mars 2022. [AFP – Marcelo Segura/Chilean Presidency]
Le Parc national des glaciers, situé à soixante kilomètres de Santiago, dans la cordillère des Andes, protégera environ 46% de la superficie glacée de la région de la capitale et contiendra 56% de l’eau emmagasinée dans les glaciers de la région où vivent plus de sept des dix-huit millions de Chiliennes et Chiliens.
“Au Chili, la catégorie de parc national représente le plus haut degré de protection en surface terrestre, ce qui implique que sous ce label de protection, les glaciers ne seront pas altérés ni touchés”, a ajouté un communiqué officiel.
Lutter contre la destruction de la nature
Le parc “est une mesure fondamentale prise par notre pays pour lutter contre la destruction de notre nature, la fonte des glaciers et, d’une certaine manière, pour lutter également contre la sécheresse qui nous frappe depuis treize ans”, a déclaré Sebastian Piñera.
Le Chili est l’un des dix pays possédant la plus grande masse glaciaire au monde, avec notamment le Canada, les Etats-Unis, la Chine et la Russie.
Les glaciers de Patagonie reculent plus vite que partout ailleurs
La fonte des glaciers est un phénomène naturel que le changement climatique accélère de manière “significative”, explique Jorge O’Kuinghttons, chef de l’Unité régionale de glaciologie à la Direction générale des eaux du Chili.
“Les glaciers sont un indicateur par excellence du changement climatique”, selon Alexis Segovia, un autre chercheur de cette unité. Il rappelle que le phénomène constaté dans la région d’Aysen, à 1700 kilomètres au sud de Santiago, est visible dans la quasi-totalité des 26’000 glaciers du Chili: seuls deux ont augmenté de surface.
Des données confirmées par l’Agence spatiale européenne, selon laquelle les glaciers de la Patagonie, à la fois au Chili et en Argentine, reculent plus vite que n’importe où ailleurs dans le monde.
Alexis Segovia souligne aussi qu’il s’agit d’un cercle vicieux car les surfaces glacées “renvoient une grande quantité des radiations qui arrivent sur la Terre”. Si cette surface continue à se réduire, la planète “va se réchauffer plus vite”.
Une fissure barre le glacier San Rafael et un iceberg haut comme un immeuble de dix étages s’effondre dans le lac. Dans l’extrême sud du Chili, les glaciers sont un «indicateur par excellence» des effets du réchauffement climatique, rappellent les scientifiques.
Une centaine d’icebergs flottent à la surface du lac San Rafael, situé dans la région d’Aysen, à 1700 km au sud de Santiago. Il y a 150 ans, le glacier du même nom couvrait deux tiers du lac. Il a désormais reculé de 11 km à l’intérieur de la vallée et n’est plus visible sur le lac. Au total 39 glaciers composent le Campo de Hielo Norte (Champ de glace nord de Patagonie), qui forme avec le Campo de Hielo Sur (Champ de glace sud) la troisième plus grande masse de glace du monde après l’Antarctique et le Groenland, selon les scientifiques chiliens.
«Inondation par débordement de lac glaciaire»
La fonte des glaciers est un phénomène naturel que le changement climatique accélère de manière «significative», rappelle à l’AFP Jorge O’Kuinghttons, chef de l’Unité régionale de glaciologie à la Direction générale des eaux (DGA). «Les glaciers sont un indicateur par excellence du changement climatique», souligne Alexis Segovia, 42 ans, un autre chercheur de cette unité. Il rappelle que le phénomène constaté dans la région d’Aysen est visible dans la quasi-totalité des 26.000 glaciers du Chili : seuls deux ont augmenté de surface.
Des données confirmées par l’Agence spatiale européenne, selon laquelle les glaciers de la Patagonie, à la fois au Chili et en Argentine, reculent plus vite que n’importe où ailleurs dans le monde. Alexis Segovia souligne aussi qu’il s’agit d’un cercle vicieux car les surfaces glacées «renvoient une grande quantité des radiations qui arrivent sur la Terre». Si cette surface continue à se réduire, la planète «va se réchauffer plus vite».
Autre signe, l’inondation de zones qui auparavant n’étaient pas touchées par le phénomène. «La chute d’icebergs génère une immense inondation appelée »inondation par débordement de lac glaciaire »», explique Jorge O’Kuinghttons. «Des secteurs sont inondés qui ne l’étaient pas auparavant», l’eau grossissant les fleuves de la région et pouvant affecter les zones urbaines et infrastructures situées plus en aval.
Sur un autre lac de la région, le lac General Carrera, deuxième lac d’Amérique du Sud, que se partagent le Chili et l’Argentine, Santos Catalan, qui gagne sa vie en élevant vaches et moutons, navigue quotidiennement à bord d’une barque sur les eaux d’un fjord dominé par le glacier Cordon Contreras. Il gagne ainsi un complément d’argent grâce au transport des touristes. Le sexagénaire est le témoin des changements qui s’opèrent : «Il y a quinze ou vingt ans, il a commencé à neiger très peu et cela fond de plus en plus car la chaleur est très forte», dit-il, à la barre du bateau. À tout moment, «un effondrement de glace peut se produire et tout balayer», prévient le marin, qui vit ce changement en première ligne.
Publié le 29 décembre 2021 à 8h25· Mis à jour le 29 décembre 2021 à 22h25
Santiago du Chili (AFP) – Dans l’extrême sud du Chili, une expédition scientifique tente de mesurer l’impact mondial du changement climatique dans les eaux préservées de ce « bout du monde » et appelle à des « décisions concrètes » pour la sauvegarde des océans.
Retardée d’un an en raison de la pandémie, l’expédition à bord du navire océanographique de la marine chilienne « Cabo de Hornos » a sillonné neuf jours fin décembre les eaux du détroit de Magellan et du canal de Beagle, entre Chili et Patagonie argentine.
Cette région de l’Etat de Magallanes présente un intérêt particulier en raison de la faible acidité et de la moindre teneur en sel et en calcium des eaux qui la baignent, par comparaison aux autres mers et océans du globe, en particulier dans les zones les moins profondes.
L’étude de ces eaux est donc essentielle car, avec la fonte de nombreux glaciers de Patagonie qui déversent de grandes quantités d’eau douce dans les océans Atlantique et Pacifique, elle préfigure les conditions qui devraient apparaître dans d’autres systèmes marins au cours des prochaines décennies.
« Nous ne savons pas comment les organismes, et en particulier les micro-organismes » présents dans l’eau « vont réagir » à mesure qu’augmente la température moyenne sur la Terre, admet le responsable scientifique de la mission, José Luis Iriarte.
L’expédition a ainsi fait 14 étapes pour prélever des échantillons d’eau à différentes profondeurs et jusqu’à 200 mètres.
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Des prélèvements de sol profond, parfois à plus de 300 mètres, ont également été effectués, de même que des collectes d’algues et de mollusques.
« Nous sommes la voix de ce que la nature ne peut pas dire », estime Wilson Castillo, un étudiant en biochimie de 24 ans, l’un des 19 scientifiques à bord. « En tant que scientifiques, nous avons beaucoup à apporter, surtout dans un scénario de changement climatique », estime-t-il.
La mission scientifique a accordé une attention particulière aux « marées rouges », ces proliférations d’algues toxiques qui tuent les poissons et cétacés et génèrent des toxines vénéneuses pour les mollusques.
Elles ont été enregistrées pour la première fois à Magallanes il y a un demi-siècle et ont depuis été responsables de la mort de 23 personnes et de l’empoisonnement de plus de 200 autres.
– « Dépassés » –
L’approche de baleines était également au centre de la mission. Scrutant des heures durant l’horizon, le biologiste marin Rodrigo Hucke recherchait leur présence pour lancer un petit bateau à moteur à leur rencontre.
Son but : tenter de prélever des excréments des cétacés pour étudier d’éventuels changements dans leur régime alimentaire. Mais cette tâche difficile s’est avérée infructueuse.
Avant de retourner dans leurs laboratoires, les scientifiques insistent sur la nécessité d’actions politiques pour faire face à l’urgence climatique.
« Les plans régionaux d’atténuation et d’adaptation au changement climatique sont dépassés par rapport à ce qui se passe dans l’environnement », alerte José Luis Iriarte.
Pour Rodrigo Hucke, l’un des principaux problèmes est historiquement le manque d’ambition pour la sauvegarde des océans, qui couvrent 70% de la surface de la planète.
Il espère que la prochaine conférence des Nations unies sur le changement climatique, la COP27 en Egypte, marquera un véritable changement de cap dans ce domaine.
« Il faut que tout cela change en 2022 et que des décisions concrètes soient prises pour avancer vers de profondes politiques de changement dans la façon dont nous, les humains, faisons les choses », a déclaré M. Hucke.
Scrutant les eaux limpides, il s’inquiète que cette région reculée du Chili ne devienne « l’un des derniers bastions de la biodiversité sur Terre ».