Il s’agit d’une initiative présentée par la conseillère municipale Cintia Susñar, à la demande du groupe de femmes selknam « Khol Hol Naa ». Elle sera débattue en commission à partir de la semaine prochaine et vise à reconnaître « les femmes qui ont lutté et qui continuent de lutter pour les droits des peuples autochtones ».
Khol Hol Naa propose de nommer des rues de Río Grande avec des noms de femmes autochtones selknam (Critica Sur, 3/11/2020) 8
À travers un projet d’ordonnance, la conseillère municipale Cintia Susñar propose que l’on donne à un groupe de rues de Río Grande des noms de femmes autochtones selknam, répondant ainsi à une demande de l’Agrupación « Khol Hol Naa ».
Parmi les arguments de sa proposition, Susñar affirme que « l’identité d’une ville se construit en valorisant ses origines », c’est pourquoi « dans le but de renforcer la culture de la ville, nous devons reconnaître, nommer et faire connaître les origines de notre culture, avec ses femmes qui ont été un pilier fondamental pour toute organisation de la société ».
En ce sens, l’élue considère que « nous devons encourager ce type d’actions afin que tous les représentants de notre ville reçoivent l’hommage et la reconnaissance qu’ils méritent », soulignant que « les premières femmes ont été des pionnières sur notre terre, et c’est ainsi que nous devons leur accorder la reconnaissance qu’elles méritent, afin de mettre en valeur leur travail, leur dévouement et leurs milliers de traces si fécondes dans notre quotidien ».
Par ailleurs, Susñar a mis en avant l’Agrupación « Khol Hol Naa », assurant qu’elle « travaille sans relâche pour que ses valeurs et principes soient transmis de génération en génération », ajoutant que « dans les temps que nous vivons, il est plus qu’important de donner la place qui revient aux femmes qui, par leurs efforts, ont forgé notre histoire ».
Six artères, actuellement sans nom, seront incluses dans le projet :
Dans la note adressée à Susñar, les membres de l’Agrupación « Khol Hol Naa » (qui signifie « le retour des femmes » en langue selknam) ont indiqué que l’objectif est de « consolider le genre féminin et, surtout, nos racines », assurant que l’on cherche ainsi à rendre hommage « à toutes nos sœurs qui ont lutté et qui luttent encore pour les droits des peuples autochtones ».
« C’est pourquoi l’idée a toujours été de préserver et de sauvegarder la culture selknam, qui a été exclue pendant des années. Nous voulons faire valoir respectueusement notre histoire et celle de chacune de celles qui ont subi les pires atrocités et mauvais traitements », ont-elles indiqué.
Enfin, depuis l’entité, elles ont souligné que « compte tenu du contexte actuel de la ville, alors que nous célébrons notre centenaire, nous souhaitions demander cordialement de donner le nom de nos femmes autochtones à des rues, des places, des placettes, des ronds-points ou tout autre espace public ».
« Dans le contexte actuel, la femme a gagné une place méritée, réalisant d’importants progrès pour notre société, mais nous ne pouvons pas oublier nos sœurs qui ont lutté pour notre terre, où elles ont subi les pires actes de violence, d’abus et où elles ont été totalement vulnérables face à l’invasion », ont-elles affirmé.
Qui sont les femmes selknam proposées pour cet hommage ?
Virginia Choquintel, du peuple selk’nam (Rio Grande Terre de Feu)
Virginia Ángela Choquintel Napoleón
est née le 20 juillet 1942 à la Mission salésienne de Río Grande, où elle a été pensionnaire, a effectué ses études primaires et a vécu une grande partie de sa vie. Elle a été témoin de la fin des peuples autochtones de la Terre de Feu, qui, à cette époque, ne comptaient plus que quelques survivants du génocide selknam, du métissage et des maladies importées par les Blancs.
Elle gardait très peu de souvenirs de son enfance. Elle se rappelait que son père, Natalio Choquintel, qui vivait dans une maison de la Mission salésienne, l’emmenait tous les après-midis faire du cheval. De sa mère, Magdalena Saenes, elle ne se souvenait de rien, car celle-ci avait succombé aux maladies apportées par les Occidentaux alors que Virginia n’avait que 4 ans. Virginia est décédée le 2 juin 1999 à Río Grande, à l’âge de 56 ans
Enriqueta Gastelumendi
« La India Varela » (1913-2004) est née un jour d’hiver, fille d’une mère selknam et d’un père basque espagnol. Elle a été femme, mère, grand-mère et, par-dessus tout, une femme qui nous a légué son art, ses œuvres ou, comme elle disait, « ses petits travaux » qui semblaient avoir une vie propre, cette vie transmise de l’identité fuégienne, incarnée dans le lenga, se transformant d’un arbre tombé en sang de la terre devenu art, sculptant différentes œuvres, par exemple : le Christ ona parmi tant d’autres créations. Enriqueta est décédée le 29 août 2004.
Enriqueta Gastelumendi, femme autochtone et témoin de la culture selk’nam
Elvira Oray
Elle est née à Río Grande le 4 août 1934, fille d’Adela Parra (selknam) et de Ramón Oray, appartenant à la lignée de Lola Kiepja. À l’âge de 6 ans, elle fut amenée, avec le groupe de femmes de la famille, à vivre à la Mission salésienne, où elles furent ensuite séparées. Elvira a subi toutes sortes de violences, étant vulnérable du fait d’être « orpheline » et autochtone. À sa majorité, elle s’est mariée avec Sabino Salamanca et ils ont eu six enfants. Elle a travaillé à l’abattoir CAP et au Centre sportif municipal. Elle est décédée le 7 juillet 1987 à Río Grande
Femmes selk’nam en haut de gauche à droite : Kiepja, Cecilia Oray dans les bras de Carmen Venegas; Anita Oray dans les bras d’Adela Parra et ? / En bas : Elvira Oray, Ejej et Leonor Oray. Photo prise à la fin du génocide selk’nam dans les années 1920 à la Mission Salésienne Rio Grande
Rosario Imperial
Selknam, propriétaire de la première pension de Río Grande, où séjournaient des gens de la campagne et des « paisanos » selknam. C’était un lieu où ils se réunissaient pour parler leur langue. Elle est décédée en 1970.
Rosario Imperial, femme selk nam ayant vécu à Rio Grande (Terre de feu argentine)
Herminia Vera Hilioyen
Herminia Vera Hilioyen, selknam, fille de Matilde Hilioyen (selknam) et d’Antonio Vera, est née le 27 octobre 1922 à l’estancia Viamonte, où elle a passé son enfance. Par la suite, elle a été envoyée à Punta Arenas pour commencer l’école primaire, puis elle est revenue à la Mission salésienne où on lui a dispensé l’enseignement de l’époque. Elle s’est mariée à 21 ans et a eu 10 enfants. Herminia a toujours gardé à l’esprit qu’elle avait traversé des périodes de discrimination, ce qui a conduit à ce que ses origines soient cachées. Elle était reconnue pour sa chaleur humaine et sa gentillesse envers toute personne qui dialoguait avec elle. Herminia est décédée le 5 juillet 2014
Herminia Vera Hilioyen
Covadonga
Femme du peuple selknam, également connue sous le surnom de « chonga ». Elle a été arrachée à son habitat à l’âge de 10 ans pour être mise en servitude, se faisant aimer pour sa sympathie et sa gentillesse. Elle a appris à lire et à écrire, parlait allemand et espagnol. On la voyait très à l’aise et joyeuse avant sa mort soudaine (tuberculose) en 1899. Sa mort a toujours été entourée de doutes, car il a été découvert qu’elle transmettait des informations à un jeune cacique tehuelche.
Covadonga, une des figures du génocide selknam ayant disparu à Punta Arenas (Chili)
Au cours de ses 21 années d’existence, l’enregistrement auprès de la Direction nationale des musées n’avait pas commencé. L’actuelle Direction Municipale a mené les démarches pertinentes afin de mettre en valeur cet espace culturel et historique emblématique de Río Grande.
La municipalité de Río Grande célèbre que, depuis le 22 juillet dernier, le musée municipal « Virginia Choquintel » fait partie du registre national des musées argentins.
Il convient de rappeler que le 1er juin dernier, le Musée municipal a célébré ses 21 ans d’histoire. Cette propriété, qui a été offerte par l’Association Rurale de Terre de Feu au milieu des années 80, grâce à l’initiative de voisins qui ont entrepris le « Centre Documentaire Historique », est aujourd’hui en cours de rénovation et d’actualisation.
Bien que l’institution existe depuis 21 ans, son enregistrement auprès de la Direction nationale des musées n’avait jamais commencé auparavant. C’est pourquoi, depuis le début de cette année, l’actuelle Direction Municipale a entamé les démarches pertinentes pour que ledit espace adhère au Registre des Musées Argentins.
À cet égard, le sous-secrétaire à la Culture, Carlos Gómez, a indiqué qu’« il est de la plus haute importance pour le maire Martín Pérez et pour cette administration de réévaluer le patrimoine culturel que possède la ville, en tenant compte du fait qu’elle est en route vers le centenaire ». » et a ajouté que « les principaux objectifs de la décision adoptée étaient précisément de valoriser le patrimoine local conservé dans le Musée et de redonner du sens à cet espace culturel et historique de Río Grande ».
Le Registre des Musées Argentins (RMA) vise à rendre visible la communauté muséale sur tout le territoire national, en contribuant à la construction d’espaces d’échange entre les institutions et en travaillant en collaboration avec la Direction Nationale des Musées, les autorités patrimoniales et autres musées du pays.
Dans ce sens, le sous-secrétaire a souligné que « l’appartenance au RMA nous donne la possibilité, à travers sa plateforme en ligne, d’être consultés par les professionnels d’autres musées, ainsi que par ceux qui souhaitent nous rendre visite et nous connaître ».
« Cette initiative, fondamentale pour ouvrir un écran sur le monde, recrée la possibilité de faire connaître nos collections, les activités culturelles développées à partir du Musée municipal ‘Virginia Choquintel’, ainsi que les programmes éducatifs et tous les services offerts tout au long de l’année », a-t-il noté.
De même, Gómez a souligné qu’« un autre avantage de l’intégration du RMA est que nous ferons également partie du Registre des musées ibéro-américains -RMI- de l’Observatoire ibéro-américain des musées ».
Enfin, le responsable a exprimé que « du Sous-secrétariat à la Culture de la Municipalité nous aspirons à générer différentes actions avec la mission fondamentale d’intégrer, d’interagir en permanence avec d’autres institutions de la zone et d’offrir à nos visiteurs un échantillon d’excellence ».
Communauté indigène selk'nam Rafaela Ishton, à propos de l'autoreconnaissance et du respect (Enlace24.com, 21 juillet 2020) 11
Compte tenu des griefs et des mensonges que certains médias sont prêts à propager sans vérifier ni se soucier d’enquêter, la communauté Selk’nam Rafaela Ishton est obligée d’informer que notre président Rubén Maldonado a reconnu à temps que, lorsqu’ils se formaient en tant que communauté, il croyait que sa grand-mère Alkan était Haush mais plus tard, en enquêtant sur la version de Don Segundo Arteaga, ils ont confirmé qu’elle était Selk’nam avec des documents fiables.
Comme le rappelait Maldonado dans une note publiée par La Prensa Austral il y a plusieurs années : « Mon arrière-grand-mère était Cristina Alkan, née dans la région du lac Kami (Fagnano) en 1873 et décédée à l’âge de 70 ans ; ma grand-mère était Matilde Illioyen, née en 1904 à Bahía Thetis ; Elle est décédée en 1923, à l’âge de 26 ans. Matilde avait épousé le Chilien Manuel Antonio Vera Mayorga, originaire d’Osorno qui, dès l’âge de 14 ans, avait été élevé par des prêtres de Río Grande et de l’union duquel Alejandro, Nolberto et Herminia, ma mère, étaient nés, la dernière en 1922 dans le Haruwen de Saipot. Les documents d’Herminia Vera corroborent son origine Selk’nam.
Absolument personne ne peut refuser à une personne le droit à la reconnaissance en tant que peuple autochtone. Mais il est indispensable que le peuple le reconnaisse comme membre pour pouvoir le rejoindre et jouir des droits qui lui appartiennent en tant que tels.
Tous les membres de la communauté Rafaela Ishton ont enquêté sur leurs racines, leurs liens familiaux, leurs souvenirs et leurs histoires de leurs ancêtres et ont même fourni des documents pour confirmer leur ascendance après s’être reconnus et avoir décidé de rejoindre notre peuple.
En ce sens, nous avons tous dû recourir aux registres des Salésiens, car, à l’époque où s’est produit le génocide de notre peuple, il n’y avait ni registres d’état civil ni cimetières publics, et l’Église se chargeait de les enregistrer à travers des livres. et les actes de naissance et de décès, ainsi que les baptêmes et les mariages.
Le cas de Rubén Maldonado est à l’opposé de celui de notre bien-aimée Enriqueta Gastelumendi de Varela, qui, lors de la formation de la communauté Rafaela Ishton, s’est reconnue comme Selk’nam, même s’il a été prouvé que ses racines étaient Haush, non seulement à cause de la revue historique de son passé, mais surtout parce que cela est confirmé par sa foi baptismale.
Cependant, son comportement impeccable avec le reste des anciens qui ont commencé la lutte pour récupérer les terres et son esprit d’unité et de camaraderie ont été décisifs pour qu’elle soit considérée comme une de plus parmi nous.
Nous pensions que cela était clair jusqu’à ce que ses arrière-petites-filles Antonela et Daniela Guevara commencent à insister pour être les autorités de la communauté, alors qu’il est clair que les indigènes Haush ne sont ni légalement ni éthiquement en mesure de diriger une communauté selk’nam de nom.
À plusieurs reprises, elles ont été informées de cette situation et malgré cela, en usant de leur comportement irrespectueux habituel et en faisant appel à la bassesse et au mensonge, elles ont réussi à intégrer le Conseil Participatif Indigène avec notre sœur Mirta Salamanca, mandat qui a expiré à la fin de l’année dernière, année d’une triste tendance aux plaintes concernant les attaques, les menaces, les incendies et les négociations engagées au nom de notre communauté. Tout cela dans le dos de tout le monde, comme « le timbre de bétail » récemment découvert au nom de la communauté, pour lequel le gouvernement provincial doit enquêter sur son utilité.
Afin de dissiper tout soupçon, nous réitérons que ces mêmes personnes, qui ont pris vendredi la délégation gouvernementale en utilisant le nom de notre peuple, ont été expulsées en janvier de cette année, non pas pour leur statut de Haush, mais pour leur mauvaise conduite, leur manque de respect pour les personnes âgées et pour avoir menacé et intimidé les frères de la communauté et pour avoir effectué des démarches, traité avec les autorités et obtenu des avantages en utilisant le nom de notre communauté et en s’arrogeant un pouvoir qu’ils n’ont pas.
De même, en cas de doute, nous réaffirmons que la Communauté Rafaela Ishton a son propre statut juridique, dispose d’un conseil d’administration renouvelé en 2016 et d’un Conseil des Anciens composé de personnes qui ont rendu possible la communauté Selk’nam, son existence aujourd’hui, formée, reconnue et régularisée en vertu de la loi blanche en tant que telle. Elle n’a donc besoin d’aucun CPI pour la gouverner.
Toutes ces infractions très graves sont documentées et nous avons déposé toutes les plaintes nécessaires auprès des autorités compétentes, et nous continuerons à le faire jusqu’à ce que nous puissions garantir que ces personnes reçoivent la punition qu’elles méritent pour avoir sali notre nom et celui de nos aînés qui ont obtenu tous les avantages dont bénéficie aujourd’hui notre peuple.
Enfin, nous faisons savoir à l’ensemble de la communauté et à la presse que le respect de nos aînés de la communauté selk’nam est supérieur à tout mandat. Celui qui entend quelqu’un dire du mal de ses frères et surtout de ses aînés, par ses paroles, saura qu’il n’est pas des nôtres.
Il s’agit de Don Bernardino Pantoja, un homme très apprécié de la communauté de Selk’nam. Son départ physique a eu lieu ce vendredi, et sur les réseaux sociaux, on se souvient avec appréciation de lui comme d’un personnage très aimé.
Par Redaction Infofueguina vendredi 26 juin 2020 · 21:22. Traduit de l’espagnol par l’association Karukinka
La communauté Fuégienne et Selk’nam a exprimé ses regrets et ses adieux après le départ physique de Bernardino Pantoja Imperial, ce vendredi 26 juin.
En plus d’être un ancien habitant (« antiguo poblador »), Don Bernardino était membre de la communauté autochtone Rafaela Ishton Selk’nam de Río Grande et du club sportif et culturel Général San Martín.
« Aujourd’hui est un jour très touchant pour toute notre communauté Selk’nam, le grand-père Bernardino Pantoja Imperial nous quitte pour rejoindre le grand Kashpek », ont-ils exprimé sur les réseaux sociaux après avoir appris la nouvelle.
« Aujourd’hui, un ancien résident et grand athlète, Bernardino Pantoja Imperial R.I.P., surnommé le « Roi du Dribble », nous a quitté physiquement. Ceux qui se souviennent de lui dans sa jeunesse le considèrent comme un grand athlète, dans le football, dans la boxe. Nous l’accompagnons avec tous ceux qui ajoutent leur silence à son silence… », ont-ils ajouté.
« Je n’ai pas de mots pour remercier tant d’amour, de gentillesse, d’hospitalité, ses enseignements et les conversations relatives à notre peuple et à ses ancêtres », ont-ils exprimé.
À l’extrême sud du continent sud-américain se trouve la Terre de feu, une terre composée d’îles réparties entre l’Argentine et le Chili longtemps baptisée « bout du monde ». En 2013, l’ethnomusicologue Lauriane Lemasson part en autonomie complète pour enregistrer les sonorités des paysages. Dans cette quête entêtante, la jeune chercheuse espère trouver les traces d’occupations des peuples amérindiens qui vivaient là il y a près de 12 000 ans.
Ethno-acousticienne, Lauriane Lemasson se passionne pour les relations que tissent les peuples avec leur environnement sonore. Un métier qui la pousse à défier, micro en main, les rudes étendues de Patagonie. Avec un objectif : mieux comprendre les dynamiques de peuplement et les sources d’inspiration culturelles des Amérindiens qui occupaient ces confins avant d’être décimés.
Un pays de silence et d’espaces infinis. Dans cette pampa de la Patagonie argentine qui s’étale comme si elle ne devait jamais s’arrêter, les hommes sont rares et peu bavards. Inutile de demander sa route. Car, à part quelques moutons hirsutes qui semblent eux-mêmes se demander ce qu’ils fichent là, il n’y a plus âme pour répondre en ces lieux.
De toutes les façons, en deçà des 53° Sud, une fois passé le remuant détroit de Magellan, il n’existe guère qu’une seule vraie route terrestre sur ce gigantesque archipel qu’est la Terre de Feu : la Ruta n° 3, ruban couleur réglisse serpentant du nord au sud pour relier le bourg de Rio Grande au port d’Ushuaia. Pour le reste, cet antipode parmi les moins peuplés du cône sud-américain se résume à de vastes steppes tavelées de lacs sombres, des montagnes imprenables et des forêts jetées aux marges de l’océan.
Tout à pied
Et pour ne rien arranger, partout, des arbustes tarabiscotés, à demi-couchés, torturés par les bourrasques, des broussailles indémêlables, des lignes de barbelés rouillés et d’interminables barrières qui semblent se liguer pour fermer l’accès aux immenses estancias privées quadrillant encore la majeure partie de ce territoire. Voilà pour le décor : un vide aussi sidérant qu’hostile. Et pas de comité d’accueil.
C’est pourtant dans cette contrée compliquée que Lauriane Lemasson, 30 ans, a choisi de se perdre, seule, des mois durant, uniquement à pied et en dehors de la grande route balisée. Cette jeune bretonne au caractère bien trempé a enjambé les obstacles et les interdits histoire d’aller « là où personne ne va plus », à l’exception des gauchos. Bref un vagabondage en bonne et due forme. Et en autonomie complète, harnachée d’un sac à dos de 25 kilos dans lequel Lauriane a fait entrer son réchaud à essence, des provisions lui permettant de tenir sans ravitaillement entre sept et dix-neuf jours selon la durée des déplacements, sa toile de tente, son duvet, son fidèle appareil photo Leica, ses carnets de notes, mais surtout une kyrielle de micros et d’instruments d’enregistrement.
Une boussole et une carte
Oubliant régulièrement de se chercher un abri pour le soir – « de toutes les façons, bien souvent, il n’y en avait pas », se souvient-elle – notre marcheuse infatigable n’avait même pas de GPS lors de sa première échappée, juste une boussole et une bonne vieille carte au 750 000e. Objectif de ses sorties à la dure ? « Capter les sons des paysages patagons », répond-elle très sérieusement. Drôle de quête, étrange programme.
Car ici, à part les rafales qui sifflent parfois à vous en rendre sourd, mutisme et contemplation sont de mise. « Très vite, on s’aperçoit que cet espace est habité par mille petits bruits qui esquissent bel et bien ces paysages sonores que je traque », reconnaît Lauriane. De timides cris d’oiseaux, le grincement plaintif des arbres dans la tempête, le grognement des lions de mer, le craquement lointain des glaciers… Le moindre écho devient pour notre exploratrice une manière de compagnie.
Violence des éléments
« Lors de mon premier voyage à travers la Grande Ile de Terre de Feu, se souvient- elle, sur un total de trois mois et demi de pérégrination, je n’ai croisé, en dehors des zones urbaines, que trois personnes : deux estancieros, des employés des élevages qui n’en revenaient pas de voir une Française se balader seule dans les parages, et un vieil Argentin, un retraité avec qui je suis devenue amie. Aujourd’hui décédé, ce dernier vivait isolé et m’a accueillie chez lui sans hésitation un jour de très mauvais temps… »
Pluie, neige, tempête, grand soleil, chaleur harassante ou frimas remontant de l’Antarctique… Cette région a toujours affronté la violence des éléments et ses sortilèges. Avant sa découverte par l’Occident, lors de l’expédition de Magellan en 1512, sur les portulans médiévaux, on résumait d’ailleurs le coin en quelques indications incertaines : « brouillards », « fin du monde », « anti-terre ». Mais il en faut plus pour dérouter notre baroudeuse. Car Lauriane n’est pas qu’une aventurière. Et encore moins un genre de Don Quichotte au féminin, courant derrière d’impossibles moulins.
Doctorante à la Sorbonne, elle mène ses explorations sonores dans le cadre d’une très sérieuse thèse pluridisciplinaire en ethnomusicologie et acoustique. Un travail de recherche inédit qu’elle a entamé à partir de 2011 et qui s’appuie sur une intuition de départ qu’elle vérifie au fil de ses incursions en Terre de Feu : « Mes explorations entre Rio Grande et Ushuaia, dans la réserve provinciale Corazón de la Isla, près du lac Fagnano, ou encore sur le canal de Beagle et à travers la réserve de biosphère du cap Horn reposent sur une conviction. Les sons des lieux peuvent encore nous apprendre des choses sur les peuples amérindiens qui les ont occupés jadis. A condition d’écouter attentivement ce qu’ils ont à nous dire », détaille-t-elle. De même que chaque recoin de la planète possède son odeur particulière, ses couleurs et ses températures, une ambiance tient aussi à l’acoustique.
«Chacun a pu en faire l’expérience, souligne la scientifique. Selon que vous soyez devant une montagne, dans une forêt, dans un désert ou au centre d’un théâtre antique, le paysage sonore influence la façon dont on occupe et perçoit un lieu. C’est cela que j’essaie de comprendre en y ajoutant le filtre de l’histoire, de la géographie et de l’anthropologie.» Partant de là, analyser la dimension acoustique d’un site archéologique, d’un ancien campement amérindien ou encore d’un sanctuaire dans lequel se déroulaient jadis des rituels chamaniques permet de mieux en expliquer le passé, voire de reconstituer une partie de l’environnement et de la culture de ceux qui y vécurent.
Micro en main, oreilles à l’affût
L’universitaire a parcouru plus de 2 000 kilomètres à pied. Avec pour simple Graal le souhait de réentendre la rumeur des premiers peuples fuégiens, ces autochtones patagons qui sont aujourd’hui de parfaits inconnus pour le grand public. «La plupart des livres et des articles à leur sujet affirment que ces Amérindiens arrivés en Terre de Feu il y a plus de 10 000 ans ont disparu depuis belle lurette, s’insurge Lauriane. Or, dès mon premier voyage, j’ai compris que la réalité était tout autre : des descendants de ces peuples indigènes exterminés par les colons européens ou assimilés de force à la culture hispanique sont encore bien vivants, que cela soit en Argentine ou au Chili. Pas plus que leur culture et leurs langues, menacées certes de disparition imminente à force d’être bafouées, n’ont été effacées des mémoires.»
A partir de ce constat, la quête de la jeune chercheuse prit un tour plus urgent encore. Soutenue dans ses recherches par l’ethnologue et explorateur arctique Jean Malaurie, figure mythique de l’aventure en terre extrême, Lauriane multiplia les prises de sons et les tests acoustiques. Elle débusqua, sur ce territoire désormais vidé de ses premiers occupants, des campements oubliés, ainsi que 2 500 emplacements de huttes. Elle reconstitua même les anciens toponymes, en langue amérindienne, de ces lieux qui n’avaient plus pour noms que ceux que leur avaient donnés les Espagnols. Tout ce travail de fourmi permet aujourd’hui à Lauriane d’avancer que dans ces sociétés ancestrales, entièrement tournées vers la nature, les chants chamaniques et les rites s’inspiraient principalement des sons émis par les animaux, les arbres, les vagues, les vents…
A la rencontre des Yagans
L’ethno-acousticienne est aussi partie à la rencontre des derniers locuteurs des langues yagan, haush ou selknam, en Argentine et au Chili. De quoi redonner vie à ce que racontaient au début du siècle dernier les rares anthropologues à s’être intéressés à ces indigènes. Tel le missionnaire Martin Gusinde qui, dans les années 1920, oublia vite sa mission évangélisatrice pour s’immerger avec passion dans le quotidien des tribus. En 2018, lors d’un nouveau voyage, c’est précisément vers les Yagans étudiés par Gusinde que Lauriane décida d’orienter ses recherches. Cap cette fois sur le canal de Beagle (Onashaga en langue yagan). A l’inverse des chasseurs-cueilleurs que furent les Selknams et les Haushs, les Yagans, eux, vivaient sur l’eau. Des nomades des canaux, se déplaçant sur de longues pirogues et se nourrissant surtout de la récolte de coquillages, lesquels étaient, selon les récits anciens, extraits des profondeurs glaciales par des femmes plongeuses quasi nues… Changement d’ambiance. L’expédition se déroule cette fois dans une Terre de Feu maritime, remuante et plus venteuse encore que les fois précédentes. L’Atlantique et le Pacifique s’y rencontrent frontalement, ce qui produit souvent des conditions météo dantesques.
Un peu plus au sud du canal de Beagle se trouve le point de passage du cap Horn, réputé pour être la «patrie officielle du mal de mer»… Et puis, il y a ces fameuses caletas, des fjords aux côtes spongieuses et aux arbres couverts de longs cheveux de lichens, des replis creusés il y a des millénaires par les glaciers. Ces labyrinthes sinuent en allant vers l’ouest, après Ushuaia, puis le long de la façade pacifique de la Patagonie chilienne et jusqu’à l’archipel de Chiloé. «La navigation est le seul moyen si l’on veut accoster sur les îlots et les criques qui essaiment un peu partout, rappelle Lauriane. Mon idée première était de déambuler en canoë à la manière des Yagans, mais techniquement l’expédition était trop complexe et très risquée.» Elle s’embarque donc comme équipière sur un voilier avec une famille française, pour une croisière de trois mois. Approvisionnement et appareillage à Ushuaia, puis traversée des eaux frontalières hautement surveillées par l’armada chilienne pour une première escale dans le port le plus austral du monde : Puerto Williams, sur l’île chilienne de Navarino, un haut lieu de la culture yagan. De là, cap à l’ouest pour zigzaguer à travers les deux bras du Beagle et explorer les rives à pied afin d’y recenser les campements.
Pour ce périple, l’acousticienne a amélioré ces outils d’investigation sonore. Des micros capables d’enregistrer dans toutes les directions, des enregistreurs derniers cris, des protocoles millimétrés et… une simple boîte en bois ! Acheté dans une quincaillerie d’Ushuaia, l’objet est au format d’un carton de chaussures. En tapant sur son couvercle, comme sur un tambour, il produit un bruit sec et fort, lequel résonnera dans le vide. De quoi tester l’écho d’un lieu et analyser la circulation du son dans un site donné. Inspiré du protocole élaboré en 1967 par François Canac (un scientifique français ayant travaillé notamment sur l’acoustique des amphithéâtres romains), ce genre de test avec une boîte permet de mieux comprendre les sites occupés jadis par les premiers habitants.
Une découverte cruciale
Après avoir quitté le bateau, Lauriane est de retour dans les steppes pour deux mois encore de recherche solitaire. Puis, en avril dernier, lors de sa dernière expédition, c’est au centre de la Grande Ile de Terre de Feu qu’elle fait sa découverte la plus importante. Direction le site Ewan I, autrefois utilisé par les Selknams pour le rituel initiatique des jeunes adultes dit du Hain. Etudié par le laboratoire d’anthropologie et d’archéologie du Cadic (Centre austral d’investigations scientifiques d’Ushuaia), le lieu abrite une hutte cérémonielle toujours sur pied et datée de 1905. «Là, raconte Lauriane, j’ai pu procéder à des tests acoustiques pour comprendre l’emplacement de cette hutte. Situé en lisière d’une ancienne clairière, Ewan I fonctionne en effet comme un amphithéâtre où les sons (chants, paroles, cris) sont absorbés, conduits ou déviés par le relief. Il est probable que ces effets ne relevaient pas d’un hasard mais étaient considérés dans le choix du lieu du rituel pour en assurer le bon déroulement.» De quoi éclairer d’un jour nouveau la thèse universitaire de l’acousticienne. «On pourra demain expliquer d’autres lieux sacrés en analysant la façon dont ils résonnent», s’enthousiasme t-elle en pensant déjà à son prochain voyage. Il sera pour bientôt, et peut-être à bord de son propre petit voilier. «Je rêve de traverser l’Atlantique», souffle notre Bretonne. Avant de mettre, à nouveau, le cap au sud. Vers ce pays fuégien qui a encore tant de nuances sonores à lui murmurer.
➤ Plus d’infos sur le site internet de l’association Karukinka