Quel est l’historique du géant français [Total Eren] qui veut exporter de l’ammoniac depuis la Patagonie ? (Polar Comunicaciones, Chili, 10/05/2025)

Quel est l’historique du géant français [Total Eren] qui veut exporter de l’ammoniac depuis la Patagonie ? (Polar Comunicaciones, Chili, 10/05/2025)

​Une filiale de la multinationale TotalEnergies vient de soumettre une étude d’impact environnemental au SEA Magallanes, afin d’évaluer le plus grand projet énergétique d’Amérique du Sud et le troisième plus grand du monde. Quel a été son comportement d’entreprise au cours d’un siècle d’existence ? En accédant uniquement à des informations publiques, nous avons découvert des antécédents qui méritent d’être connus de toute la communauté.

un guanaco en patagonie
Guanacos à Pali Aike (Photo Luna Pérez)

Source : https://www.radiopolar.com/cual-historial-gigante-frances-exportar-amoniaco-patagonia / Traduit de l’espagnol par l’association Karukinka

Total Eren est une entreprise française spécialisée dans les énergies renouvelables. Depuis 2021, elle porte le projet H2 Magallanes, un projet de production et d’exportation d’hydrogène et d’ammoniac à grande échelle, qu’elle souhaite implanter à l’estancia Cañadón Grande, à 3,5 km du parc national Pali Aike, dans la région de Magallanes, au Chili.

Cette société est une filiale de TotalEnergies, multinationale au riche passé de dénonciations pour pratiques extractives dans des territoires vulnérables, alliances avec des dictatures, greenwashing d’entreprise, influence disproportionnée sur les politiques publiques et désastres socio-environnementaux. Ces antécédents, associés à l’ampleur de son mégaprojet, obligent à porter un regard critique et rigoureux sur ses intentions en Patagonie.

La société mère [TotalEnergies]

TotalEnergies est un groupe mondial du secteur pétrochimique et énergétique, qui produit et commercialise du pétrole, des biocarburants, du gaz naturel, des gaz verts, des énergies renouvelables et de l’électricité. Elle a été créée en 1924 sous le nom de Compagnie française des pétroles, s’attribuant la mission de « garantir l’indépendance énergétique de la France ».

Connue tout au long de son histoire comme la compagnie pétrolière Total, elle a décidé en mai 2021 de changer de nom pour « la production et la fourniture d’énergies de plus en plus abordables, fiables et propres ». C’est ainsi qu’elle a intégré des entreprises dédiées aux énergies renouvelables, comme Total Eren, acquise à 100 % en 2023.

En un siècle d’histoire, la multinationale a fait l’objet de graves accusations.

1. Conflits avec les populations autochtones et les communautés

En Afrique, l’oléoduc East African Crude Oil Pipeline (EACOP), qui traverse l’Ouganda et la Tanzanie, a été remis en question par des organisations telles que Human Rights Watch. Sur la base de plus de 90 entretiens avec des familles déplacées, un rapport a documenté les impacts dévastateurs sur les moyens de subsistance des familles, en raison du processus d’acquisition des terres.

Total a acquis une participation significative dans l’entreprise Suncor en 1997, pour exploiter des sables bitumineux sur des territoires ancestraux au Canada, jusqu’à ce qu’en octobre 2023, elle vende ses opérations à la même entreprise. Une enquête publiée dans Science a révélé que la pollution atmosphérique de ces sables bitumineux dépasse les émissions déclarées par l’industrie sur les sites étudiés, de 1 900 % à plus de 6 300 %. Pendant des décennies, les communautés autochtones de la région se sont plaintes de l’impact sur la santé de l’air toxique causé par ces opérations.

En Birmanie, au début des années 1990, Total s’est associée à la compagnie pétrolière Unocal et au régime militaire birman pour construire le gazoduc de Yadana. Le régime a créé un corridor de gazoducs hautement militarisé, dans lequel il a violemment réprimé la dissidence, forcé la population locale à construire l’infrastructure du gazoduc et à fournir du carburant à l’armée, obligé des villages entiers à se relocaliser, et commis des actes de torture, des viols et des exécutions sommaires. La plainte déposée par des villageois birmans a obligé Unocal à un accord en 2005, marquant la première fois qu’une plainte pour droits humains contre une multinationale aboutissait.

2. Désastres industriels et gestion des risques

En 1999, le naufrage du navire Erika – affrété par Total – a provoqué une marée noire dévastatrice pour la vie marine, terrestre et l’économie locale, sur plus de 400 kilomètres de côtes en France. En 2001, dans son usine chimique AZF à Toulouse, 300 tonnes de nitrate d’ammonium ont explosé, causant 31 morts, plus de 2 500 blessés, un cratère de près de 30 mètres de profondeur et 200 de diamètre, et une ville marquée par la tragédie. En 2012, une fuite de gaz incontrôlée sur la plateforme Elgin, en mer du Nord, a libéré 300 000 tonnes de méthane dans l’atmosphère, générant une crise environnementale et de sécurité dont les effets persistent aujourd’hui.

3. Sanctions judiciaires pour corruption

En 2013, la Securities and Exchange Commission (SEC) et le Département de la Justice des États-Unis ont infligé une amende à Total pour avoir soudoyé des fonctionnaires iraniens entre 1995 et 2004, afin d’obtenir des contrats d’exploitation d’un gisement de gaz naturel dans le golfe Persique. En 2018, un tribunal de Paris l’a sanctionnée pour la même affaire.

En 2023, le Tribunal de Strasbourg l’a condamnée pour avoir enfreint le programme « Pétrole contre nourriture », créé en 1996 pour l’achat de nourriture, de médicaments et de produits à des fins humanitaires pour la population irakienne, qui subissait les sanctions imposées par l’ONU après l’invasion militaire du Koweït. Une enquête menée par l’ancien président de la Réserve fédérale américaine, Paul Volcker, a détecté des détournements de fonds pour conclure des contrats secrets avec le gouvernement de Saddam Hussein.

4. Actions en justice avec de nouveaux outils juridiques

Un groupe d’organisations a poursuivi Total devant les tribunaux pour ne pas avoir élaboré et mis en œuvre son plan de vigilance environnementale et de droits humains, exigé en France par une loi de 2017 visant à lutter contre la négligence des entreprises. Cela concerne un mégaprojet pétrolier qu’elle souhaite installer dans un parc naturel protégé en Ouganda, pour forer plus de 400 puits, extraire près de 200 000 barils de pétrole par jour et construire un oléoduc de 1 445 km.

En 2024, une plainte pénale inédite a été déposée contre elle, l’accusant d’avoir contribué à l’aggravation de catastrophes naturelles en toute connaissance de cause, de saper la transition énergétique et de s’enrichir au détriment du changement climatique.

Aujourd’hui en Patagonie [Parc éolien, électrolyse, dessalinisateur, terminal maritime…]

La compagnie pétrolière française arrive au sud du continent avec un nouveau nom, et des niveaux d’intervention pour la phase 1 de son projet qui sont inimaginables, non seulement pour tout le continent, mais aussi pour la majorité du monde, puisqu’il s’agit du troisième plus grand projet d’hydrogène de la planète. Sur une surface foncière disponible de 72 000 ha, elle prévoit d’installer :

  • un parc éolien de 5 GW avec 616 éoliennes de 8 MW,
  • sept centres d’électrolyse totalisant 3,85 GW pour la production d’hydrogène,
  • une usine de dessalement permanente d’une capacité de 1 300 litres par seconde,
  • une usine d’ammoniac qui produira jusqu’à 10 800 tonnes par jour,
  • un terminal maritime pour l’importation d’équipements et l’exportation d’ammoniac,
  • une centrale à gaz et des ouvrages auxiliaires.

Tout cela serait situé à côté de l’un des patrimoines touristiques, archéologiques, géologiques et naturels les plus importants de la steppe australe : le parc national Pali Aike, caractérisé par la forte présence de vestiges des premières occupations humaines, des paysages lunaires, des cônes volcaniques, des cratères, des grottes et des champs de lave, où vit une grande variété de faune et de flore, dont de nombreuses espèces menacées.

Connaissons-nous les véritables implications sur le territoire et nos modes de vie qu’aura l’arrivée de ce géant français, dont les ambitions sont d’atteindre une capacité de production annuelle de 1,9 million de tonnes d’ammoniac, pour approvisionner énergétiquement les pays développés ? Que ce soit pour ce projet ou d’autres en cours d’évaluation ou à l’étude, nous ne le savons pas. Nous n’avons pas non plus de clarté sur la façon dont leur fonctionnement simultané nous affectera, une question que nous avons soulevée en août 2023, par le biais d’une lettre envoyée au gouvernement régional et à d’autres autorités locales, au milieu du processus de promotion de cette méga-industrie en Patagonie.

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Cette base chinoise en Patagonie qui inquiète l’Argentine (Courrier International / La Nación, 21 avril 2024)

L’observatoire spatial chinois Espace lointain, installé sur un terrain cédé par le pays sud-américain en 2012, est désormais fortement soupçonné d’abriter des activités militaires. Le nouveau gouvernement argentin de Javier Milei et les États-Unis réclament un contrôle plus strict, comme l’explique cet éditorial de “La Nación”.

Quelques jours avant le dixième anniversaire de l’accord de coopération entre l’Argentine et la République populaire de Chine – accord qui prévoyait l’installation dans la province de Neuquén d’une base controversée, sous le contrôle de l’armée chinoise –, Buenos Aires a annoncé qu’il inspecterait les lieux pour garantir que les activités qui s’y déroulent soient conformes au traité.

Cette annonce a coïncidé avec la visite en Argentine de Laura Richardson, à la tête du commandement sud de l’armée américaine. Elle a eu lieu peu après que l’ambassadeur américain, Marc Stanley, a lui-même signalé une présence militaire chinoise dans cette région du nord-ouest de la Patagonie :

“Je m’étonne que l’Argentine laisse les forces armées chinoises opérer en secret dans le Neuquén.”

“Si je comprends bien, ce sont des soldats de l’armée chinoise qui manœuvrent ce télescope, a-t-il ajouté. Je ne sais pas ce qu’ils font, je crois que les Argentins ne le savent pas non plus, ils devraient savoir pourquoi ces hommes sont déployés dans cette région.

L’origine de la station chinoise Espace lointain, installée à Bajada del Agrio, une localité située à 250 kilomètres de la capitale provinciale, remonte à juillet 2012. L’Agence chinoise de lancement et de contrôle des satellites (CLTC) a signé un accord avec la Commission nationale des activités spatiales (Conae), l’organisme argentin compétent en la matière. But de l’opération : créer les conditions d’aménagement dans le Neuquén d’installations d’acquisition de données, ainsi que d’une antenne pour l’exploration de l’espace.

Un terrain cédé pour cinquante ans

En 2014, les gouvernements argentin et chinois, avec à leur tête respectivement Cristina Kirchner et Xi Jinping, signaient un accord de coopération visant à mettre en œuvre des mesures fiscales, douanières, migratoires et consulaires, dans le prolongement de l’accord de 2012. À ce moment-là, la construction de la base chinoise avait déjà commencé.

La suite (réservée aux abonnés) via ce lien : https://www.courrierinternational.com/article/analyse-cette-base-chinoise-en-patagonie-qui-inquiete-l-argentine