Jean Malaurie, monument de la recherche scientifique en Arctique et membre d’honneur de notre association, est décédé hier

Jean Malaurie, monument de la recherche scientifique en Arctique et membre d’honneur de notre association, est décédé hier

C’est avec beaucoup de tristesse que j’ai appris hier le décès de Jean Malaurie, de celui qui a soutenu mes premiers pas de chercheuse et avec qui j’ai eu l’honneur de travailler pendant sept ans, sur différents projets.

***

Monsieur Malaurie,

Vous aviez tant à transmettre et vous avez tant fait en 101 ans d’existence qu’il paraît invraisemblable que cela puisse avoir une fin.

Je me souviendrais toujours de votre esprit brillant, de votre exigence et de votre énergie qui me semblait intarissable quand il était question de défendre les opprimés, de s’indigner et de combattre l’injustice sous toutes ses formes. Le colonialisme et ses multiples expressions en tête de liste.

Je pourrais m’étendre sur votre parcours sans pareil, sur les innombrables projets, missions et distinctions qui ont jalonné votre vie, mais ce que je garderais surtout c’est le souvenir de votre générosité, de tout ce que vous m’avez appris de la vie grâce à la vôtre et de l’Homme au-delà des théories, de votre humour, et enfin de tous ces moments simples de la vie de tous les jours, hors du temps de la recherche et ses exigences, en compagnie de votre épouse à Dieppe, en tête à tête à Paris dans votre cuisine ou dans le petit studio où vous stockiez non sans mal des décennies d’archives.

S’il ne fallait retenir qu’un seul de vos innombrables conseils, transmis droit dans les yeux un jour où le doute cherchait à me faire vaciller, ce serait celui-ci, résumant finalement assez bien votre chemin parmi nous : « Face à l’injustice, n’abandonnez jamais ! ».

Il s’impose désormais avec encore plus de force qu’hier, pour continuer le chemin que vous nous avez ouvert sans compromis toute votre vie, avec dignité, détermination et courage.

A l’heure où les premiers rayons du soleil réapparaissent au-delà du cercle arctique, il est enfin venu pour vous l’heure de retrouver votre épouse, Uutaaq et tous ceux qui vous ont précédé pour ce voyage au-delà de l’horizon.

Bon sillage vers les retrouvailles Monsieur Malaurie, mes remerciements infinis vous accompagnent.

Lauriane

***

Et pour l’écouter parler de son parcours, je vous recommande cette émission « Visages » enregistrée en 2916 en compagnie de Thierry Lyonnet (RCF Radio) : https://youtu.be/7InErN0A1nE?feature=shared

Milagro, le navire de Karukinka, est en escale à Nantes, ponton Belem au premier trimestre 2024

Milagro, le navire de Karukinka, est en escale à Nantes, ponton Belem au premier trimestre 2024

Après convoyage depuis la Grande Motte en décembre/janvier, le voilier Milagro et son équipage sont arrivés à Nantes, ponton Belem, pour une escale mêlant préparation technique et rencontres avec le public jusqu’à fin mars 2024.

Sont au programme :

  • une exposition mêlant sons et photographies;
  • des conférences et rencontres dédiées à la Patagonie et au Finnmark
  • L’installation d’un nouveau chauffage, la réfection de quelques hublots, la révision du matériel de sécurité et quelques optimisations des manœuvres, en vue d’un départ fin mars vers l’Ecosse (Hébrides, Orcades et Shetlands) et la Norvège (Troms et Finnmark).

Informations pratiques : https://karukinka-exploration.com

Au plaisir de vous rencontrer à bord (+33 6 72 83 03 94, contact@karukinka.eu) !

Milagro Nantes Belem 012024
Milagro, le navire de Karukinka, est en escale à Nantes, ponton Belem au premier trimestre 2024 2

[PARTENARIAT] UZÈS Le Parlement des liens, au croisement des enquêtes et des idées (Objectif Gard)

image 1
Ce samedi matin, lors de la table ronde sur le thème « quand les savoirs entrent en résistance », à Uzès- Photo : Thierry Allard

La deuxième édition du Parlement des liens s’est tenue vendredi et samedi à Uzès. En deux temps, le vendredi étant réservé à la restitution des enquêtes en cours sur le territoire, et le samedi à des temps d’échanges avec des intellectuels de renom.

« Il y a des idées qui amincissent le monde et d’autres qui l’épaississent » : la citation du philosophe américain William James, choisie par l’éditeur de la maison Les Liens qui libèrent Henri Trubert, à l’initiative du Parlement des liens avec l’agence Comuna en partenariat avec entre autres la Région, le Département et la CCPU, pour ouvrir cette deuxième édition, sonnait comme un manifeste. Car sur deux jours, « le but de ce Parlement des liens, c’est de l’épaissir », annonce-t-il. L’épaissir en prenant en compte « les interdépendances » dans la manière d’aborder les problématiques et les remèdes à y apporter.

Alors le Parlement des liens a entrepris, il y a désormais plus d’un an, un vaste travail d’enquêtes sur le territoire du Pays d’Uzès, sur la perma-économie, la pleine santé, l’eau ou encore le portrait sonore du territoire et de ses habitants. Cette dernière, moins attendue, est menée par l’ethnomusicologue Lauriane Lemasson et le musicien Antonin Tri-Hoang, a pour but de « réaliser un portrait sonore de l’Uzège », résume la première citée. De captations sonores en entretiens avec les élus et associations du territoire, il en ressort le bruit des cours d’eau, les sons de la nature en général, des cigales aux chouettes, les coups de fusil de chasse, les moteurs des tracteurs, un « parler local » en lent déclin, mais aussi et surtout les clochers, emblèmes des villages ruraux.

image 2
L’ethnomusicologue Lauriane Lemasson, vendredi au parlement des liens, à Uzès • Photo : Thierry Allard

Et tout ça « soulève beaucoup plus de questions que le son en lui-même, il y a tout ce qui se trouve derrière : le changement climatique, l’identité des territoires, la perte de certains sons, aussi pour prendre conscience de ce qu’on perd, et de ce qu’on pourrait sauver », développe Lauriane Lemasson. Le travail continue, et s’est provisoirement achevé ce samedi soir par une restitution des premiers travaux sonores.

Parmi les autres thèmes abordés, l’eau et les bassins versants. L’enjeu : « Comprendre d’où vient et où part l’eau du robinet », résume l’équipe du collectif Hydromondes, qui conduit cette enquête. Les questions du tourisme, des piscines privées, de l’irrigation des cultures ou encore du transfert de la compétence eau et assainissement à la Communauté de communes à l’horizon 2026 sont revenus dans les divers échanges. « L’année prochaine, nous voulons approfondir ce qu’on a compris cette année, la garrigue et sa complexité », avance François Guerroué d’Hydromondes. Et une nouvelle Fête des lavoirs devrait se tenir en juin, pour poursuivre la restitution et le partage du travail mené.

image
Le collectif Hydromondes, vendredi au Parlement des liens, à Uzès • Photo : Thierry Allard

Les savoirs en résistance

Ce samedi, place au Forum, co-organisé par le journal Libération. Un forum ouvert par une table ronde sur le thème « Quand les savoirs entrent en résistance », car « il y a une scission de plus en plus forte entre les institutions et les savoirs », estime Henri Trubert. Pour en débattre, trois philosophes, Isabelle Stengers, Dominique Bourg et Vinciane Despret, et un historien, Johann Chapoutot.

Une discussion où il a été question de désobéissance civile, bridée par « un délaissement de la démocratie participative extrêmement dangereux » de la part des militants écologistes, selon Dominique Bourg, spécialiste du domaine. Une invitation à l’engagement, notamment des scientifiques, invités à sortir de leur réserve. « Déjà, choisir sa spécialité est une prise de position », pose Johann Chapoutot, spécialiste de l’histoire du nazisme et de l’Allemagne.

Des prises de position de plus en plus indispensables pour l’historien, face à un pouvoir « d’idéologues, de forcenés, de fossiles aux présupposés d’avant-hier. » Le point défendu est que le politique et le droit ont un temps de retard considérable sur l’état des savoirs notamment sur la question climatique. Or, « il y a une difficulté chez beaucoup de scientifiques à penser la mise en politique des sciences », estime Isabelle Stengers. Pas forcément à politiser les sciences, mais « à considérer que les activités scientifiques ont des comptes à rendre au collectif », précise-t-elle.

image 1
Ce samedi matin, lors de la table ronde sur le thème « quand les savoirs entrent en résistance », à Uzès • Photo : Thierry Allard

Ce fut le cas il y a une vingtaine d’années avec les OGM. « Là, il y a eu une mise en politique des sciences », affirme la philosophe, qui regrette que cet épisode n’ait pas eu de véritables suites : « On n’a pas tiré les leçons des OGM, mais on a empêché que cette mise en politique se reproduise. »

« Ne vous étonnez pas qu’on soit tous devenus cons »

Aussi du fait des scientifiques eux-mêmes. La philosophe Vinciane Despret, qui a travaillé sur les scientifiques, dénonce « une mise à distance » de l’opinion publique de certaines sciences, comme les sciences humaines. Un constat nourri par certains dispositifs utilisés dans les protocoles, « qui mettent les gens en position d’être bêtes, dans une grande impuissance. » Le manque de moyens des chercheurs revient aussi, avec des universités « où on privilégie le quantitatif sur le qualitatif, on alimente une surchauffe dans le champ scientifique qui nous rend stupides », lance Johann Chapoutot.

Dominique Bourg dénonce pour sa part une « hyper-spécialisation », qui serait issue d’une « organisation néolibérale du savoir. » Cette spécialisation à outrance donnerait donc des prismes forts : « Ne vous étonnez pas qu’on soit tous devenus cons, et que face au danger il n’y ait rien », tonne le philosophe. Se rajoute « un glissement majeur dans les universités françaises, d’une logique structurelle à une logique de projets », affirme Johann Chapoutot.

Parfois, ce sont les méthodes employées qui sont en cause. Sur la question climatique, « le GIEC s’est adressé aux États et pas aux populations, et c’est une catastrophe », estime Dominique Bourg. Un ratage qui ouvre la porte à l’opinion « sur un objet scientifique et pas un objet d’opinion », poursuit-il. Les derniers sondages dans de nombreux pays démontrent « qu’une partie non-négligeable de la population refuse d’entendre » et se réfugie dans le déni, diagnostique Dominique Bourg.

En même temps, « on sort d’une période de lessivage intense des cerveaux, affirme Isabelle Stengers. On sort d’un moment où on nous a demandé d’être bêtes et croyants. » La solution, pour Vinciane Despret, serait de « réapprendre à raconter des histoires contre les grands récits, nous sommes découragés car nous n’imaginons plus la victoire possible. » 

Thierry Allard

https://www.objectifgard.com/gard/bagnols-uzes/uzes-le-parlement-des-liens-au-croisement-des-enquetes-et-des-idees-116185.php

« Pas de justice environnementale sans justice sociale » (Bleu Tomate, 26/08/2023)

Arles accueille du 21 au 27 août, la 4e édition du festival Agir pour le Vivant. Projections, conférences, ateliers, balades ou cafés citoyens : autant d’occasions de faire émerger une société du vivant. « Nous serons un peuple quand ? » Tel était le thème de la conférence qu’a suivi Bleu Tomate.

Quels sont les liens entre le climat et le racisme, le colonialisme ou la pauvreté ? Pour Fatima Ouassak, politologue et militante écologiste, « il existe en France un processus de désancrage des populations assignées à certains territoires, qui subissent spoliation et dévastation. On leur répète que cette terre n’est pas la leur, et ils ne sont pas considérés légitimes à discuter des projets qui les concernent ».

Déficit de démocratie ici…

La militante de citer en exemple l’installation de data centers ou de nouvelles autoroutes.  Egratignant au passage certains artistes ou militants écologistes prompts à soutenir les luttes lointaines mais peu engagés pour les quartiers et leurs habitants racisés.

affiche Agir pour le Vivant 2023
"Pas de justice environnementale sans justice sociale" (Bleu Tomate, 26/08/2023) 10

Une parole non reconnue et non entendue également sous d’autres cieux. Lauriane Lemasson est ethnomusicologue. Elle travaille depuis des années avec les peuples de la Terre de Feu. Survivants d’un génocide qui les a vus disparaitre à 95%, ils ont été classés à l’époque entre les animaux et les humains, donc « sous-humanisés ». Les colons se sont accaparé leurs territoires, voués aux estancias d’élevage.

… Et ailleurs

Et même si le droit international reconnait aujourd’hui le droit des peuples sur leurs territoires, ils ont beaucoup de mal à monter des dossiers pour prouver leur antériorité sur ces espaces qui leur sont aujourd’hui interdits.

La jeune chercheuse donne l’exemple d’un gigantesque projet de fabrication d’hydrogène et d’ammoniac (dit vert, car à partir de l’énergie éolienne). Aucune concertation avec les représentants des peuples autochtones, mis devant le fait accompli.

La responsabilité du colonialisme

« Le colonialisme rime avec la destruction de la planète » explique Arturo Escobar. Le célèbre anthropologue, chercheur-activiste voit quatre moments dans son histoire. La découverte de l’Amérique du XVe au XVIIe siècle, avec la destruction non seulement des peuples eux-mêmes, mais aussi de leur culture et de leurs connaissances.

justice sociale et environnementale en débat à Arles

Une assistance fournie a suivi les interventions avec intérêt ici à la Chapelle du Méjan ©JB

Puis au XVIIIe, s’impose une vision scientifique qui sépare l’humain de la nature et les blancs européens des autres humains auxquels on ne reconnait justement pas de conscience.

Avec le XIXe siècle vient le capitalisme, économique mais aussi comme un concept de vie. Il voit l’humain individualiste, agressif et compétitif. Au XXe enfin, la pensée libérale arrive au bout de son cycle. Elle affiche « un cosmos patriarcal, séparatiste et dominateur sur l’autre », explique le scientifique.

Alors, quand fait-on peuple ?

Fort de ces constats, quelles solutions ? Chacun des intervenants a apporté sa pierre à la réflexion, devant un public nombreux, dans une chapelle du Méjan surchauffée par la canicule extérieure.

Fatima Ouassak l’exprime comme un cri : « On a besoin d’autonomie, de liberté, laissez-nous respirer ! On est chez nous, on veut transmettre notre langue, notre culture, notre religion, c’est notre droit ».

Dans ces territoires où la classe ouvrière et les personnes racisées ont si peu accès au débat démocratique et renoncent souvent au bulletin de vote, « on doit avoir des partis, des syndicats, des collectifs », poursuit la militante écologiste engagée à Bagnolet. Et se saisir du pouvoir politique, car « les AMAP, le tri et les jardins partagés on fait déjà, mais cela ne suffit pas ».

Agir pour le Vivant à Arles août 2023

Le thème du festival en 2023 : « Climat et inégalités sociales »

La 2e conquête du désert

En Patagonie et bientôt en Finlande avec les Samis, Lauriane Lemasson agit, sac à dos. Elle documente les territoires pour aider les communautés à faire valoir leurs droits. Ici, elle trouve les traces d’un lieu rituel, là une montagne connue pour être repère entre deux migrations saisonnières. L’ethnomusicologue étudie les rapports entre les sons, les habitants et les territoires.

Sentir-penser pour penser-agir

Pour Arturo Escobar, il faut changer de paradigme et penser différemment. Il met pour cela en avant le concept de « sentir-penser », (créé par le sociologue colombien Orlando Fals-Borda). « Il revient à chacun de nous à présent d’apprendre à sentir-penser avec les territoires, les cultures et les connaissances des peuples ». Manière pour l’anthropologue, de se connecter avec les flux de l’univers.

Sa réponse à la pensée libérale est de travailler à plusieurs mondes.    « Un non à la globalisation, et plusieurs oui ». Oui aux luttes ancrées, enracinées dans les territoires, aux alternatives locales et radicales, aux actions des collectifs en réseaux. En citant la lutte contre l’extractivisme, Arturo Escobar rappelle que la technologie numérique est particulièrement gourmande de minerais extraits dans le Sud global.

Cap Nord – Cap Horn : une première étape exposée à Arles

Dans le cadre de la 3e édition du festival « Agir pour le Vivant », l’expédition cap Nord – cap Horn sera mise à l’honneur, avec un vernissage de l’exposition sonore et photographique prévue le 22 août à 16h30 à la chapelle du Méjan.

La première étape de cette expédition a été réalisée grâce au soutien du programme Mondes Nouveaux (Ministère de la Culture) et cette exposition présentera, sous forme de rétrospective, les travaux menés au nord de la Norvège et au sud de la Patagonie, sous l’égide de l’association Karukinka.

Lauriane, Damien et Toupie seront présents à Arles pour présenter ces travaux, avec une participation de Lauriane lors du débat « Nous serons un peuple quand? » le jeudi 24 août à la chapelle du Méjan et en compagnie d’Arturo Escobar et de Fatima Ouassak.

Au plaisir de vous rencontrer lors de cette manifestation!