Le cap Horn (Cabo de Hornos en espagnol, Kaap Hoorn en néerlandais, Loköshpi en langue yagan) représente bien plus qu’un simple point géographique. Situé à 55°58′ de latitude sud et 67°16′ de longitude ouest, ce promontoire rocheux de 425 mètres d’altitude constitue le point le plus austral de l’archipel de la Terre de Feu et marque symboliquement la rencontre des océans Atlantique et Pacifique. À 965 kilomètres du continent antarctique et à seulement 138 kilomètres d’Ushuaia, le cap Horn se dresse comme l’ultime sentinelle de l’Amérique avant l’immensité des mers australes.
Plan de l’article
Localisation géographique précise du cap Horn
Position dans l’archipel fuégien
Le cap Horn est situé sur l’île Horn (Isla Hornos), l’île la plus méridionale de l’archipel L’Hermite, lui-même faisant partie du vaste complexe insulaire de la Terre de Feu. Cette île de dimensions modestes (environ 6 km sur 2 km) appartient administrativement à la commune de Cabo de Hornos, dans la province de l’Antarctique chilien, région de Magallanes et de l’Antarctique chilien.
Contrairement à une idée répandue, le cap Horn n’est pas le point le plus austral de l’Amérique du Sud – ce titre revient aux îles Diego Ramírez, situées à 105 kilomètres à l’ouest-sud-ouest du cap Horn. Cependant, il demeure le plus méridional des grands caps historiques de navigation et le point de repère nautique le plus symbolique de l’hémisphère sud.
Coordonnées et distances stratégiques
Les coordonnées exactes du cap Horn – 55°58’28 » de latitude sud et 67°16’10 » de longitude ouest – le placent dans une position géographique unique. Cette localisation en fait un point de convergence naturel entre les principaux océans de l’hémisphère sud :
Distance à Ushuaia (Argentine) : 138 kilomètres au nord-nord-ouest
Distance à Puerto Williams (Chili) : 56 kilomètres au nord
Distance au continent antarctique : 965 kilomètres au sud
Distance au pôle Sud géographique : 2 535 kilomètres
Carte géographique montrant le cap Horn à l’extrémité sud de l’Amérique du Sud, les eaux adjacentes comprenant le passage de Drake, ainsi que les îles voisines situées dans les océans Pacifique, Atlantique et Austral (Source : Wikipedia)
Formation géologique et géomorphologie
Contexte géologique régional
La région du cap Horn s’inscrit dans l’histoire géologique complexe de la Terre de Feu, marquée par l’orogenèse andine et les glaciations quaternaires. L’archipel résulte de l’effondrement et de la fragmentation de l’extrémité australe de la cordillère des Andes, processus accentué par l’érosion glaciaire et l’élévation du niveau marin post-glaciaire.
Les formations géologiques de l’île Horn appartiennent principalement aux séries sédimentaires et volcaniques du Crétacé supérieur, témoins de l’intense activité tectonique qui a accompagné la fermeture du bassin marginal de Rocas Verdes et le début de la compression andine. Cette histoire géologique explique la topographie accidentée de la région, caractérisée par des reliefs modérés mais des côtes extrêmement découpées.
Morphologie côtière
Le cap Horn se présente aux navigateurs sous la forme d’une falaise de 425 mètres d’altitude plongeant directement dans l’océan. Cette configuration géomorphologique particulière résulte de l’action combinée de l’érosion marine, des cycles glaciaires-interglaciaires quaternaires et de la tectonique active de la région.
La faille de Magellan-Fagnano, système de décrochement sénestre actif qui traverse la Terre de Feu d’est en ouest, influence indirectement la géomorphologie de la région du cap Horn. Cette faille, avec une vitesse de déplacement d’environ 6,4 mm/an, témoigne de la dynamique tectonique continue qui façonne cette partie du monde.
Le cap Horn marque la limite nord du passage de Drake, détroit de 809 kilomètres de largeur séparant l’Amérique du Sud de la péninsule Antarctique. Ce passage constitue la plus courte distance entre l’Antarctique et les autres terres du monde, avec seulement 135 kilomètres entre le cap Horn et l’île Snow au nord de la péninsule Antarctique.
Carte du courant circumpolaire antarctique et des fronts de densité de l’eau de mer autour de l’Antarctique indiquant la profondeur de l’océan et les principaux fronts près de l’océan Austral et des continents environnants (source : Wikipedia)
Courant circumpolaire antarctique
Le passage de Drake constitue le point de constriction maximale du courant circumpolaire antarctique, le plus puissant courant océanique de la planète. Ce courant, qui transporte en moyenne 150 millions de mètres cubes par seconde (soit environ 100 fois le débit de tous les fleuves du monde réunis), atteint son intensité maximale au niveau du cap Horn.
Cette particularité océanographique explique en grande partie les conditions météorologiques extrêmes qui règnent dans la région. Le courant circumpolaire, non entravé par des masses terrestres, génère un système de vents d’ouest permanents d’une violence exceptionnelle, connus sous les noms évocateurs de « Quarantièmes rugissants » et « Cinquantièmes hurlants ».
Climat subpolaire océanique
Le cap Horn bénéficie d’un climat subpolaire océanique caractérisé par des températures relativement stables mais fraîches toute l’année. Les températures moyennes oscillent autour de 5°C, avec des précipitations importantes atteignant 2 000 mm par an et 278 jours de pluie annuels.
Les vents constituent l’élément climatique dominant, avec des vitesses moyennes de 30 km/h et des rafales régulièrement supérieures à 100 km/h. Ces conditions extrêmes résultent de la position du cap dans la zone des « Cinquantièmes hurlants », où les dépressions atmosphériques se succèdent sans être freinées par des obstacles continentaux.
Depuis 2005, le cap Horn fait partie de la Réserve de biosphère Cabo de Hornos, reconnue par l’UNESCO dans le cadre du Programme sur l’Homme et la Biosphère (MAB). Cette réserve couvre une superficie totale de 4 884 273 hectares, incluant une aire centrale de 1 347 417 hectares constituée des parcs nationaux Alberto de Agostini et Cabo de Hornos.
Le sud-ouest de l’île Horn lors du passage du cap Horn en voilier (Réserve de Biosphère du cap Horn, Patagonie, Chili, lors d’une expédition de l’association Karukinka, 2025)
Parc national Cabo de Hornos
Le Parc national Cabo de Hornos, créé le 26 avril 1945, s’étend sur 63 093 hectares et englobe les archipels des îles Wollaston et L’Hermite. Ce parc constitue l’aire protégée la plus australe de la planète et abrite des écosystèmes uniques adaptés aux conditions subantarctiques.
Biodiversité exceptionnelle
La région du cap Horn héberge l’écosystème forestier le plus méridional au monde et abrite 5% des espèces mondiales de bryophytes (mousses et hépatiques). La flore se caractérise par des forêts subpolaires de Magellan composées principalement de lengas et de coigües, ainsi qu’une grande variété de mousses, lichens et fougères adaptées aux conditions climatiques rigoureuses.
Forêt primaire dans la baie Tekenika (Réserve de Biosphère du cap Horn, expédition Karukinka, 2018)
La faune marine présente une richesse exceptionnelle, avec la présence de baleines à bosse, dauphins australs, otaries à fourrure, éléphants de mer du sud. L’avifaune comprend notamment les albatros à sourcils noirs, pétrels géants, manchots de Magellan, cormorans royaux et condors des Andes.
Baleines observées lors d’une expédition en voilier dans les canaux de Patagonie (Chili) en automne 2018 (c) Karukinka
Histoire maritime et découverte européenne
La découverte de 1616
Le cap Horn fut découvert le 29 janvier 1616 par l’expédition hollandaise menée par Willem Schouten et Jacob Le Maire. Ces navigateurs cherchaient une route alternative au détroit de Magellan pour contourner le monopole de la Compagnie néerlandaise des Indes orientales.
Le cap reçut son nom en l’honneur de la ville de Hoorn aux Pays-Bas, port d’attache de l’expédition. Cette découverte bouleversa les équilibres maritimes mondiaux en ouvrant une nouvelle route océanique entre l’Atlantique et le Pacifique, plus large que le détroit de Magellan mais infiniment plus dangereuse.
Une route commerciale historique
Pendant près de trois siècles, le cap Horn constitua un passage crucial des routes commerciales mondiales. Les grands voiliers transportaient les marchandises entre l’Europe, l’Amérique et l’Asie, notamment le guano, le nitrate, les céréales, la laine et l’or en provenance d’Australie.
Cette époque des « cap-horniers » se termina avec l’ouverture du canal de Panama en 1914. Le dernier voilier commercial à passer le cap Horn fut le Pamir en 1949, marquant la fin d’une époque légendaire de la navigation à voile.
L’une des nombreuses cartes établies lors de la Mission Française du Cap Horn (1882-1883) dirigée par le Commandant Martial
Contexte culturel et peuples autochtones
Le peuple originel
Avant l’arrivée des Européens et la colonisation entre 1860 et 1920, la région du cap Horn était uniquement habitée par le peuple yagan (ou yámana), nomades marins qui naviguaient dans leurs canoës d’écorce entre les îles et canaux de l’archipel. Ces peuples chasseurs-cueilleurs avaient développé une culture maritime remarquablement adaptée aux conditions extrêmes de cette région.
Les Yagan appelaient le cap Horn « Loköshpi », terme qui s’inscrit dans leur riche toponymie maritime. Selon les travaux de l’association Karukinka, plus de 3 000 toponymes en langues yagan, haush et selk’nam ont été recensés dans la région s’étendant du détroit de Magellan au cap Horn, témoignant d’une connaissance précise et sensible de ce territoire par ses premiers habitants.
Mémoire et transmission
L’association Karukinka, fondée en 2014 par Lauriane Lemasson, mène depuis plus de dix ans un travail de documentation et de préservation de la mémoire des peuples autochtones de la région. Leurs expéditions dans les canaux de Patagonie, de la Terre de Feu au cap Horn, contribuent à la collecte d’archives sonores et à la cartographie des toponymes autochtones.
Ce travail de mémoire prend une dimension particulière quand on sait que ces peuples ont été victimes d’un génocide au tournant du XXe siècle, leur population passant de plus de 10 000 personnes à moins de 500 dans les années 1920.
Enjeux contemporains et perspectives
Tourisme et conservation
Aujourd’hui, le cap Horn attire un tourisme d’expédition croissant, avec des croisières partant principalement d’Ushuaia ou de Punta Arenas. Cette fréquentation, bien que limitée par les conditions météorologiques extrêmes, pose des défis de conservation pour un écosystème particulièrement fragile.
La base militaire chilienne présente sur l’île Horn, comprenant une caserne, une chapelle et un phare, constitue les seules installations permanentes. Le gardien du phare et sa famille représentent les uniques résidents permanents de cette terre isolée.
Le phare du cap Horn avec le promontoire du cap en arrière plan lors du passage du cap Horn en voilier en avril 2025 (Expédition Karukinka, voilier Milagro)
Recherche scientifique
La région du cap Horn continue d’attirer l’attention scientifique, notamment dans le cadre d’études sur le changement climatique et l’évolution des écosystèmes subantarctiques. Les recherches menées par l’association Karukinka et ses partenaires contribuent à la compréhension de ces environnements extrêmes et de leur évolution.
Conclusion
Le cap Horn occupe une position géographique exceptionnelle qui en fait bien plus qu’un simple point sur la carte. Situé à l’extrémité de l’île Horn dans l’archipel L’Hermite, par 55°58′ de latitude sud et 67°16′ de longitude ouest, il constitue le point de convergence symbolique entre les océans Atlantique et Pacifique, entre l’Amérique et l’Antarctique.
Cette localisation particulière explique les conditions océanographiques et climatiques extrêmes qui ont forgé sa réputation légendaire. Point de constriction du courant circumpolaire antarctique, théâtre des « Cinquantièmes hurlants », le cap Horn demeure l’un des passages maritimes les plus redoutés de la planète.
Mais au-delà de sa géographie physique, le cap Horn s’inscrit dans une histoire humaine riche et complexe. Territoire ancestral des peuples yagan qui l’appelaient Loköshpi, découvert par les Européens en 1616, route commerciale majeure pendant trois siècles, il est aujourd’hui protégé comme réserve de biosphère UNESCO.
Cette multiplicité des dimensions – géographique, historique, écologique et culturelle – fait du cap Horn un lieu unique au monde, synthèse parfaite entre l’extrême et l’universel, entre l’isolement géographique et la connexion océanique mondiale. Comprendre où se trouve le cap Horn, c’est ainsi saisir la complexité d’un point géographique devenu symbole, sentinelle australe de notre planète face aux immensités antarctiques.
Rigalleau V. et al. « 790,000 years of millennial-scale Cape Horn Current variability ». Nature Communications 16, 3105 (2025). https://doi.org/10.1038/s41467-025-58458-2
Costa C.H. et al. « Paleoseismic observations of the Magallanes-Fagnano fault ». Revista de la Asociación Geológica Argentina 61-4 (2006). https://pubs.er.usgs.gov/publication/70010375
11 janvier 2025 : Belle journée, douce, ensoleillée… les Quarantièmes Rugissants sont cléments avec nous ! Personne sur l’eau, personne sur terre, nous longeons sous voiles une côte désertique et sèche, dépourvue de végétation, hormis quelques arbustes et de grandes étendues de touffes d’herbes jaunies balayées par le vent.
Damien, skipper du voilier MilagroSébastien à la veillela côte désertique de la Patagonie Argentine
Après avoir veillé jusqu’à 2h du matin pour contourner la péninsule Valdès, je n’entends pas notre arrivée au mouillage le matin devant Puerto Madryn. Une perturbation orageuse arrivant du nord doit virer violemment sud à la tombée de la nuit. Les prévisions annoncent des rafales supérieures à 60 nœuds ce qui rend des plus logiques la décision de trouver un abri. Le mouillage face à la ville est tranquille dans la matinée, tout le monde en profite pour se reposer et je rattrape le retard des notes de mon carnet de voyage.
Le sillage de Milagro en Atlantique Sud
Puerto Madryn est la ville principale de la province du Chubut. Avec ses immeubles en verre et sa musique à fond le long de la plage, elle contraste complètement avec la pampa aride et plate à perte de vue derrière elle. Elle apparaît comme une parenthèse urbanisée dans un territoire immense, vouée au commerce des minerais et, en saison, au tourisme.
A 14h, les conditions changent : des rafales continues et brûlantes font monter la température de l’air à 40 degrés, c’est suffocant ! Nous n’avions jamais senti un air aussi chaud, comparable à la sensation que donne l’ouverture de la porte d’un four. Le vent et la houle augmentent. Peu à peu les conditions deviennent tellement mauvaises dans la seule zone de mouillage autorisée par la Préfecture Navale Argentine que nous devons alors insister lourdement pour obtenir de mouiller de l’autre côté du quai des autorités. La houle dépasse 1m50, avec une fréquence très courte, lorsque nous sommes autorisés à bouger. Lever le mouillage ne se fait pas sans peine (ni généreux rinçage des équipiers en charge de cette manoeuvre). Une fois l’ancre jetée de l’autre côté, ce n’est pas byzance mais en comparaison c’est du pur bonheur. A bord, malgré l’épaisse isolation du voilier, la chaleur est rude. Tout l’équipage, Toupie et Parbat inclus, tente de se rafraîchir au mieux.
Notre mascotte Toupie recherche elle aussi la fraîcheur dans le carré…
La bascule de vent du nord au sud arrive à la tombée de la nuit. L’anxiété est palpable car la mise à jour météo évoque toujours l’arrivée de violentes rafales. Tout sur le pont a été rangé et solidement amarré. Vers 21h30 une espèce d’onde de choc apparaît sur la baie, chargée de poussière, et traverse entre les immeubles avant d’atteindre la baie et de percuter Milagro. De grosses rafales de 55-60 nœuds aplatissent la houle de nord et fait chuter la température de l’air d’une bonne quinzaine de degrés ! Vers minuit le calme est bien revenu, permettant une bonne nuit de repos.
Nous reprenons notre route au lever du jour, par un bon vent de 15/20 nœuds et accompagnés d’une quinzaine de dauphins de Comerson, petits dauphins noir et blanc d’environ 1,50m qui virevoltent et jouent autour de Milagro.
Dauphin de Commerson jouant à l’étrave du voilierDauphin de Commersonl’horizon dans le Golfo Nuevo, au sud de la Péninsule Valdés
L’après-midi des groupes de ces petits dauphins nous rendent régulièrement visite et le quart de nuit, sous un ciel sans nuage, est alors synonyme de soirée d’astronomie : observation des étoiles, de la Voie Lactée, comptage des étoiles filantes… le tout sous le haut patronage de la Croix du Sud qui nous montre le cap à suivre.
Le lendemain nous naviguons sur une mer d’huile, la limite entre le ciel et la mer s’estompe. Nous sommes contraints d’utiliser le moteur pour continuer à avancer. Nous sommes seuls, nous ne croisons personne, l’océan est un désert dans cette région du monde. La terre que nous apercevons au loin semble elle aussi oubliée des hommes, jusqu’à notre arrivée dans la soirée devant la petite ville de Camarones. Un premier manchot de Magellan nous fait l’honneur d’une visite.
Camarones est une petite ville de 1300 habitants de la province de Chubut, située à 44,45 degrés de latitude Sud. Elle a été fondée en 1900, pour l’exportation de fruits et de matières premières dont la laine (très réputée).
Les décos de Noël toujours en place à CamaronesL’équipage heureux de fouler la terre ferme en PatagonieCoucher de soleil sur le port de Camarones
Nous passons la soirée dans le seul restaurant ouvert, « Alma Patagonia ». Il ne paie pas de mine à l’extérieur mais l’intérieur est très agréable et chaleureux. Et nous avons très bien mangé ! Une bonne adresse pour ceux qui passeraient par cette petite ville, sorte de porte d’entrée vers le grand sud de la Patagonie.
Devanture du restaurant Alma Patagonica (Camarones, Chubut, Patagonie argentine)Dîner à Camarones (Alma Patagonica)
Au moment de régler en espèces, nous réalisons une fois de plus les effets de l’inflation en Argentine : en 2013 nous échangions 1 euro contre 6 pesos argentins; en 2025 c’est 1 euro pour… 1280 pesos. La fabrication de nouveaux billets n’ayant pas suivi, nous nous retrouvons avec de grosses liasses de billets de 100, 200, 500 ou 1000 pesos pour régler notre repas et ne pouvons nous empêcher d’avoir une pensée pour les Argentins n’ayant pas de compte bancaire pour placer leurs économies dans une autre devise. L’ambiance tous ensemble étant ce qu’elle est, le retour à bord en zodiac se fait à 2h du matin…!
[Cap au Sud #11] de Buenos Aires (Argentine) à Puerto Williams (Chili) Deuxième partie 32
Nous passons la journée suivante à Camarones. Philippe et Patrick doivent débarquer pour reprendre l’avion et rentrer en Suisse. Nous en profitons pour nous ravitailler en produits frais, notamment dans une petite épicerie où le temps s’est arrêté : elle a plus d’un siècle, conservée dans son jus, et les gérantss seraient chez nous en retraite depuis longtemps…C’est suranné et ça ne manque pas de charme.
Philippe et Patrick reprennent la route vers la SuissePetites courses à l’épicerie historique de CamaronesIntérieur de la Casa Rabal, fondée en 1901
Retour à bord en début d’après-midi pour un atelier cuisine pendant que de bonnes rafales de vent dont la région a les secrets secouent Milagro et marbre l’océan de volutes blanchâtres. D’où l’importance d’avoir un bon mouillage dans la région…
Lessive et repos à bord avant de reprendre le largeDamien aux fourneaux : préparation de repas pour les prochains jours en haute merLe voilier Milagro au mouillage à Camarones (Chubut, Patagonie argentine)
Jeudi 16 Janvier 2025 : accompagnés par quelques dauphins, nous quittons Camarones avec du bon vent régulier, et un grand ciel bleu. Direction Rio Grande (560mn en route directe).
« Climbing Through », vous n’en avez jamais entendu parler ? Il s’agit d’un récit publié sur le blog de la marque Arc’teryx, où la guide de montagne et thérapeute Julia Niles revient sur une expédition singulière qu’elle a vécu dans la vallée de Cochamó, au Chili. Plus qu’un simple retour à l’escalade, cette aventure marque pour elle une forme de renaissance. Avec ses mots, elle nous raconte comment l’escalade, longtemps mise entre parenthèses, est redevenue un point d’ancrage dans sa vie. Une histoire intime, avec en toile de fond une grimpe qui aide à retrouver son équilibre.
Retrouver la falaise après des années d’éloignement
Lorsque Julia accepte l’invitation de la grimpeuse pro Émilie Pellerin à la rejoindre pour une expédition en Patagonie, elle ne s’est pas préparée à l’impact que ce retour en falaise allait avoir sur elle. Ancienne grimpeuse très expérimentée, Julia avait depuis longtemps troqué les grandes voies pour une vie bien remplie : celle d’une mère célibataire et d’une femme pleinement investie dans sa vie professionnelle. Une vie à cent à l’heure où l’escalade était devenue un lointain souvenir, un passé qu’elle pensait avoir rangé dans un coin de sa tête. Mais Cochamó, avec ses parois de granite imposantes, ses marches d’approches sauvages et son ambiance brute, aura réveillé en elle quelque chose de profond.
L’escalade m’avait déjà sauvée par le passé ; elle pouvait peut-être me sauver à nouveau. | Julia Niles
Une aventure portée par la solidarité féminine
Ce qui marque Julia au cours de cette expédition, c’est la composition inédite de l’équipe : un groupe presque entièrement féminin, une première dans son parcours. Cette configuration génère une dynamique singulière, loin des modèles parfois dominés par la recherche de performance ou la rivalité. L’ambiance qui s’installe est faite de bienveillance, d’écoute et de respect. Chacune peut exprimer ses doutes, ses émotions, ou sa fatigue sans crainte d’être jugée. Une atmosphère rare, où la vulnérabilité devient une force partagée.
C’était une mission hors du commun. Pour la première fois, parmi tous les tournages, séances photo et expéditions auxquels j’avais participé, nous étions plus de femmes que d’hommes. | Julia Niles
Pour Julia, cette cohésion entre femmes joue un rôle central dans sa redécouverte de l’escalade. Elle y retrouve une pratique attentive aux ressentis et aux besoins de chacune. Ce climat de confiance transforme l’expédition en une expérience marquante, où le lien humain compte autant que la grimpe en elle même.
La montagne comme outil thérapeutique
En tant que psychothérapeute, Julia fait rapidement le lien entre les émotions traversées en paroi et les mécanismes psychologiques mis en oeuvre dans un parcours de reconstruction personnelle.
Là-haut sur la paroi, j’étais plongée dans mes pensées. Tandis que mes yeux absorbaient le paysage magnifique, j’examinais ma vie en démêlant mes problèmes. Je me suis aperçue que j’avais profondément besoin de ça. | Julia Niles
À Cochamó, chaque mouvement, chaque prise, chaque décision engage des ressources mentales importantes — confiance, résilience, gestion de la peur, capacité à accepter l’imprévu. Dans son récit, elle nous rappelle également que la grimpe exige une grande concentration: paradoxalement, loin de s’ajouter à la charge mentale, elle offre au contraire un soulagement, une bouffée d’air frais face à la pression constante du quotidien.
Ralentir pour mieux ressentir
Une autre dimension du récit de Julia tient à la lenteur imposée par l’environnement de Cochamó. Ici, pas de chrono, pas de course à la cotation. L’approche se fait à pied, parfois sur plusieurs jours. Les longues fissures de granite se méritent, les bivouacs en paroi demandent de la patience, beaucoup de patience. Ce rythme ralenti tranche net avec l’agitation du quotidien, et met en avant une pratique de l’escalade plus épurée, presque proche de la méditation.
Je me suis immergée dans le rythme qu’inspire la nature. Au soir, descendant en rappel dans le ciel pourpre, je me suis fondue dans le paysage, comblée, en paix, n’ayant plus besoin de rien d’autre. | Julia Niles
Dans ce retour à l’essentiel, Julia redécouvre le plaisir simple de grimper pour elle-même, sans attente de performance. Une grimpe qui apaise, qui recentre, qui donne du sens. Dans un monde où tout va vite, l’escalade devient pour elle un espace rare où le temps reprend sa juste place.
Une histoire personnelle sans exploit ni paillettes
Climbing Through n’est ni un récit d’exploit, ni un palmarès de performances. C’est une histoire humaine et sincère, ancrée dans la réalité d’une femme qui cherche à concilier passion, travail, maternité et équilibre personnel. C’est également un beau témoignage sur le rôle que peut jouer l’escalade dans les parcours de vie, y compris les plus intimes.
En revenant à l’escalade, Julia Niles nous démontre que la grimpe ne se limite pas à l’effort physique : elle ouvre un espace intérieur, fait de remises en question, d’instants de joie et de reconquête de soi.
Un camp de base flottant polyvalent en Patagonie insulaire
Milagro est un voilier d’expédition acquis par l’association Karukinka en 2023 grâce au soutien de ses membres. C’est un ketch Bruce Roberts de 20 mètres en acier qui joue un rôle fondamental dans la réalisation de nos activités associatives. Ce navire, construit en Suède et ayant déjà effectué deux tours du monde, est un véritable « camp de base flottant » permettant d’accueillir diverses initiatives qu’elles soient artistiques, scientifiques ou sportives. #voilier patagonie
Avec ses caractéristiques techniques adaptées (longueur de 20m, maître-bau de 5m25, tirant d’eau de 2m30, motorisation Cummins 180CV, voilure 180m² au près et 295m² au portant), le Milagro offre une plateforme robuste et adaptée pour nos expéditions en régions polaires et subpolaires, domaines d’activité privilégiés de Karukinka.
Le voilier Milagro au pied d’un glacier de la Cordillère Darwin, Tierra del Fuego, canaux de Patagonie, Chili (Photographie: Diego Quiroga, du voilier Pic La Lune, Ushuaia)
Un navire support pour la logistique de nos expéditions scientifiques, sportives et artistiques
Une infrastructure adaptée aux recherches de terrain
Le Milagro constitue un support logistique essentiel pour les expéditions scientifiques et artistiques menées par Karukinka. Entièrement équipé et isolé, ce navire permet d’accueillir jusqu’à 12 personnes (10 personnes pour les projets de plus d’une semaine) grâce à ses cinq cabines (quatre doubles et une quadruple). Cette capacité d’accueil importante facilite la constitution d’équipes pluridisciplinaires, conformément à l’approche de notre association qui réunit des compétences sportives, artistiques et scientifiques.
L’autonomie considérable du navire (1500L de gasoil, 1000L d’eau + dessalinisateur, groupe électrogène, panneaux solaires…) lui permet d’atteindre des zones reculées et d’y séjourner suffisamment longtemps pour mener à bien nos travaux. Le navire est également équipé pour les télécommunications en zone A4 et d’un accès à internet, garantissant la sécurité et la connectivité même dans les régions les plus isolées comme les canaux de Patagonie (Terre de Feu, Cordillère Darwin, cap Horn, Antarctique…).
Exploration d’un fjord de la Cordillère Darwin (Terre de Feu) où vèle l’un des nombreux glaciers de Patagonie (voilier Milagro, canaux de Patagonie, Chili, mars 2025)
Un outil pour les projets ambitieux
Grâce au Milagro, Karukinka a pu élargir considérablement ses actions et mettre en place des expéditions et résidences de recherches scientifiques et artistiques en toute indépendance. Le navire est mené par un équipage professionnel bénévole composé de deux à trois personnes diplômées du Brevet d’État Voile et de la Marine Marchande française.
L’acquisition de ce voilier a notamment permis la réalisation de l’expédition Cap Nord – Cap Horn (2023-2025), un projet majeur soutenu par le programme « Mondes Nouveaux » du Ministère de la Culture. Cette expédition, qui relie à la voile le cap Nord en Norvège au cap Horn en Patagonie, s’est conclut par une arrivée en Terre de Feu le 24 janvier 2025, après un voyage de plus de 15 000 milles nautiques et par le passage du cap Horn à la voile en mars et avril 2025.
Milagro au mouillage dans une des nombreuses baies de la Réserve de Biosphère du Cap Horn (2025)
Financement des activités de l’association
Une section voile pour l’autofinancement
Depuis 2023, Karukinka dispose d’une section voile affiliée à la Fédération Française de Voile. L’association propose des stages de voile réservés à ses membres, ce qui permet de financer ses actions en faveur des peuples autochtones et de garantir la réalisation de projets ambitieux.
Compte tenu du budget nécessaire à la maintenance et à l’utilisation d’un voilier de 20 mètres, et de l’ampleur des projets à long terme de l’association (digitalisation de documents/archives, création de bases de données en ligne, financement de séjours en Europe pour des membres des communautés autochtones), Karukinka définit chaque année en Assemblée Générale la cotisation nécessaire pour participer aux différentes activités de navigation et ainsi pérenniser ses actions.
Navigation dans les canaux de Patagonie avec nos membres originaires d’Ecosse et Belgique : Norena, David, Morag et Morgan (Canal Beagle, Chili, février 2025)
Un soutien pour la recherche indépendante
Consciente des difficultés rencontrées par les laboratoires et chercheurs pour obtenir des financements en milieux polaires et subpolaires, Karukinka met tout en œuvre pour soutenir des projets scientifiques, artistiques, sportifs et humanistes. Le voilier Milagro joue ainsi un rôle crucial dans cette stratégie d’autofinancement et de soutien à la recherche indépendante.
Pêche artisanale dans les canaux de Patagonie avec José Germán Gonzalez Calderón (patron de pêche et artisan yagan, membre d’honneur de Karukinka et parrain du navire)
L’association propose également ses services pour la réalisation de missions de terrain à bord du Milagro pour des laboratoires, instituts et groupes de chercheurs et/ou artistes. Cette approche permet de mutualiser les ressources et de rendre accessibles des terrains d’étude difficiles d’accès.
Un outil de liberté pour les projets futurs
L’acquisition du Milagro a considérablement élargi les horizons de notre association. Grâce à ce navire nous avons désormais toute la liberté de poursuivre nos actions et recherches au sud du détroit de Magellan, pour commencer de 2025 à 2030 !
Le voilier permet à l’association de mener des projets pluridisciplinaires dans des régions difficiles d’accès, comme les canaux de Patagonie, l’Antarctique, la Géorgie du Sud… Il facilite également la poursuite des travaux avec les peuples autochtones selk’nam, haush et yagan du sud de la Patagonie, qui constituent l’un des axes principaux de travail de l’association.
Arrivée du voilier Milagro dans le canal Beagle, Patagonie, après 15 000mn (photographie de José Germán González Calderón, à côte de Puerto Williams, île Navarino, région du Cap Horn, Chili, 2025)
Le voilier Milagro représente bien plus qu’un simple moyen de transport et n’est pas une fin sinon un moyen. Il constitue un véritable outil stratégique qui permet à l’association de réaliser pleinement sa mission d’exploration, de recherche scientifique et de création artistique en régions polaires et subpolaires.
Grâce à ce navire, Karukinka peut mener des projets ambitieux, autofinancer ses activités, soutenir la recherche indépendante et poursuivre son travail avec les peuples autochtones. Le Milagro incarne ainsi la philosophie de l’association : indépendance, bienveillance et engagement au service de la connaissance et de la préservation des cultures et des environnements des régions extrêmes de notre planète.
Départ du voilier Milagro au port de pêche de Puerto Williams avec un équipage international (Argentine, Chili et France) Aude, Lauriane, Sébastien, Clément, Alejandro, Shenü, Damien, Mirtha (marraine du navire), Alicia, Maria et Vaïna, filmé par José, le parrain de Milagro (janvier 2025)
Récit d’Aude, équipière de Saint Nazaire à Ushuaia !
-Stage hauturier du Brésil à l’Argentine-
Salvador, sûrement l’escale la plus en musique que nous ayons eu! L’arrivée de la transat était là! De Saint Nazaire à Salvador, quelques milles ont été parcourus et deux continents ont été reliés durant ce stage de voile hauturier.
Arrivée à SalvadorArrivée à Salvador 2
L’escale ne doit durer malheureusement que 2 jours. Contrairement au Cap Vert, les douanes sont rapides et l’escale à Fernando de Noronha aura permis de préparer le dossier. Nous étions attendus et les formalités ont été éclair! Bémol : les douanes sont fermées le week-end et nous obligent, après une arrivée le jeudi dans l’après midi, à formaliser la sortie du territoire le vendredi soir à minuit. Nous étions autorisés à rester sur le bateau après mais pas le droit de sortir de la marina.
Marina de SalvadorLes navires à passagers à côté de la marina
La marina de Salvador jouxte un terminal de bateau proposant des balades à la journée et donnant lieu à des scènes assez improbables au son (puissant) de chaque bateau. Peu après le lever du jour commence la musique à fort volume, nous obligeant à fermer les panneaux de pont et hublots au moment où nous pouvions apprécier un peu de fraîcheur (relative…) avant l’arrivée d’une chaleur étouffante dès 9h du matin. Nous apprenons quelques jours plus tard qu’une loi a été votée pour interdire l’usage d’enceintes particulières dans le domaine public tant le brouhaha était intense sur les plages et autres lieux de détente partagés! À vous qui venez de traverser l’Atlantique au son de la mer et du vent dans les voiles, à vous de vous adapter à tout ce bruit et cette chaleur! Inutile de vous dire que ça a parfois été compliqué et que c’était quelque peu fatiguant… De loin l’escale la moins reposante de notre périple !
Au complet à Salvador de Bahia !
À peine arrivée, nous faisons la connaissance de Henri qui nous attend sur le ponton. Il est français et a immigré au nord de Montréal depuis quelques années. Il embarque avec nous pour l’Argentine tandis que Juliane et Étienne préparent leurs bagages pour continuer leur voyage à terre au Brésil.
Nous partons explorer le quartier historique sur les hauteurs de la ville. Un rapide tour dans le quartier entre la marina et le téléphérique nous aura bien vite sensibilisé à la pauvreté qui touche le pays. Nous pensions monter avec nos petites jambes mais cette idée nous est bien vite déconseillée par trois locaux. Arrivés dans le quartier historique, nous comprenons rapidement l’enjeu sécuritaire. Militaires et policiers sont postés à chaque coin de rue. La place de la cathédrale est l’occasion d’admirer les décos de Noël sponsorisés par Coca Cola. C’est omniprésent! Nous en sommes tous surpris mais c’est à l’image des restaurants où il est plus facile de trouver du soda en 2l que de l’eau! Le centre historique est riche de l’histoire de la colonisation.
Toupie, Etienne et les décos de NoëlDans les rues de Salvador de BahiaDans les rues de Salvador de BahiaDans les rues de Salvador de BahiaDans les rues de Salvador de BahiaDans les rues de Salvador de Bahia
Le lendemain, une équipe part faire les courses. Henri étant un ancien cuisinier, il y va avec Lauriane. C’était une très bonne idée : il nous régalera de bons petits plats pendant cette descente du Brésil qui s’avèrera coriace. Damien et François restent pour les vidanges et autres bricolages du bord. Quant à Étienne, Juliane et moi, nous partons explorer la ville.
Toupie toujours au coeur de l’action
Nous pensions aller au musée national voir des œuvres d’arts, ce sera finalement un musée de l’infirmière nationale, Ana Néri. C’est leur Virginia à eux à une époque à peu près similaire à la nôtre. Puis nous allons au musée de la monnaie, à une expo photo puis à la cathédrale. Le struc y fait son effet. Ancienne possession des jésuites, ceux-ci ont laissé une trace de leur passage dans le splendide plafond. C’est aujourd’hui une église du diocèse. Le soir, après une séance d’ostéopathie improvisée en pleine rue (!), nous fêtons au restaurant l’arrivée de Henri et le départ d’Etienne et Juliane qui partiront le lendemain dans l’après midi.
Le départ de Juliane et Etienne
Le dimanche sonne l’heure du départ. Pendant que l’équipage s’affaire à préparer le bateau, je file à la messe qui a lieu à 500m. C’est jour de fête car ce sont les 170 ans de la consécration de la paroisse à l’Immaculée Conception. Étonnant d’’avoir’écouter le texte de l’Annonciation à quelques jours de Noël. Puis c’est partie pour une descente du Brésil à 5! Depuis Saint Nazaire Milagro n’a jamais eu un équipage aussi réduit.
Départ de SalvadorDépart de Salvador 2
Pour cette navigation il faut passer le cap Frio et après ça descend… en fait pas tant que ça!
Escale à Vitoria, deuxième plus grand port de minerais du monde
La traversée est assez longue. Nous devons faire deux escales pour des raisons de vent trop violent. La question du vent sera essentielle dans cette descente tout sauf évidente. Après le confort des alizés, c’est un peu brutal. Après le passage du cap Frio, nous essuyons une dépression au large de Rio Grande do Sul, apparue d’un coup et sans lieu de replis pendant plus de 350mn! La côte est une bande de sable avec des ports soit trop petits pour Milagro, soit barrés par un banc de sable rendant l’approche trop dangereuse dans les conditions qui étaient les nôtres. Il faut donc serrer les fesses, ranger l’intégralité du bateau pour que rien ne risque de chuter et nous blesser et préparer quelques repas d’avance! Finalement, nous ne subirons pas grand chose au regard de ce qui est annoncé. Lauriane fera du routage très précis pour nous éviter la rencontre de deux grosses cellules orageuses et altèrnera les quarts avec Damien pour ne pas nous exposer à du gros temps (4-6m de houle, 40-45 noeuds).
L’activité orageuse dans la nuit du 19 au 20 décembre, où nous nous trouvons…
Nous abîmerons dans cette bataille pendant la nuit le gros coffre à gaz arraché par une vague plus grosse que les autres venue casser sur le bâbord, et perdrons la boîte de matériel de pêche qui était amarrée dessus (des bribes seront miraculeusement retrouvées sur le pont). Le gaz sera raccordé le lendemain dans la matinée avec, chose notable, l’installation d’un nouveau raccord olive de 8mm dehors dans 4m de creux… Dans la matinée, le bateau est remis en ordre et la météo s’est un peu arrangée. Le vent se calme et nous reprenons tous le rythme des quarts et la vie à bord. À cette perte temporaire du gaz, ajoutons la déchirure de la grand voile au niveau des prises de ris 2 et 3 et le groupe électrogène qui fait des siennes et refuse de produire la tension voulue (ce qui veut aussi et surtout dire que nous devons tenir jusqu’à l’arrivée sur l’eau restante dans le bateau faute de déssalinisateur sans générateur… Nous avons de la marge mais tout de même) !
un visiteur du Rio de la PlataRemontée du fleuve vers la capitale Argentine[Cap au Sud #9] de Salvador de Bahia (Brésil) à Buenos Aires (Argentine) 68
La remontée du Rio de la Plata a un goût particulier: l’idée de savoir que la terre est au bout et que l’arrivée est proche est plaisante. Surtout que la remonté se fait sur une eau chargée de limon. Nous arrivons au Yacht Club Argentin le 24 décembre à 21h30 après une manœuvre de port épique et fêtons Noël autour un punch pastèque improvisé et de quelques mets préparés dans la journée.
Réveillon de Noël à Buenos Aires, à bord de Milagro !
Nous passons la journée du 25 à faire une grasse matinée bien méritée puis les papiers… pas une mince affaire : les trois autorités ne sont pas raccord sur la procédure et l’emplacement des douanes… Après maintes tergiversations, nous finissons par être dirigés au bon endroit et être en règle pour notre entrée en Argentine. Le nouvel équipage est partiellement arrivé à Buenos Aires et à 19h pile nous fuyons du navire pour éviter un combat perdu d’avance avec des centaines et des centaines de moustiques arrivant tout droit des marais situés juste à côté du Yacht Club Argentin. Un enfer. Le coût de la vie est élevé et les salaires n’ont pas suivi. Le pays fait fasse à une augmentation de la pauvreté avec plus de 57% de la population argentine sous le seuil de pauvreté. Nous voyons partout des personnes fouiller les poubelles, des artistes de rue de 80 ans tentant de gagner quelques pièces en plus, des parents venant demander de la nourriture pour leurs enfants… triste situation pour un pays pourtant si riche !
Je reviens sur le bateau après deux jours de vadrouille en ville et découvre que les réparations ont déjà bien avancé sur la grand-voile et que le générateur est de nouveau opérationnel après changement des condensateurs. Tout est fait entre membres avec Damien, Clément, Lauriane, Sébastien, Jacques, Patrick et Philippe. Pour la suite de notre périple nous aurons d’ailleurs de supers enceintes SONOSAX pour écouter de la musique et ce qui se passe dans l’eau, installées dans le carré (et non sans mal) par Jacques, Lauriane et Clément.
Milagro au Yacht Club ArgentinoDémarches administratives à la préfecture navale de Buenos Airesinstallation des enceintes de JacquesRéparation de la grand-voileintallation d’un nouveau support d’antenne Révision des chariots de GVArrivée de Sébastien (secrétaire de l’asso) et de Jacques (président)
Je profite que nous soyons à terre pour aller à la messe à la cathédrale. Qu’il est surprenant de voir le drapeau de l’Etat argentin dans le cœur de l’église et l’armée qui veille sur le mausolée de San Martin. Il faut voir le lien entre l’Eglise et l’Etat: pas très clair et très sain cette histoire ! Après cette opération, je pars chercher du pain. La ville a plusieurs boulangeries que nous les testons au fur et à mesure. Bonne pioche pour le pain, un peu moins pour les desserts! Après 2,5 mois en mer, il faut avouer qu’une bonne baguette manque un peu… S’en suivent deux autres journées de réparations, préparations et rangement du bateau. Clément et Sébastien sont arrivés de France avec plein de matériel qu’il faut ajouter à tout ce qui était déjà à bord!
Le départ se fait proche, et au bout de 5-6 jours le large commence déjà à manquer un peu.
Parmi les belles rencontres de cette escale est à distinguer celle avec Carlos Salamanca, frère de Mirtha (membre d’honneur de notre association) et qui suit nos activités depuis 2019, lorsque sa soeur est venue nous rendre visite en France pour consulter les archives de sa famille. Entre café et alfajores, nous avions déjà les pensées tout au sud de l’Argentine et milles projets à réaliser. La suite d’ici peu avec notre projet des Voix des Grands-Mères.
Comme nous le mentionnions dans notre précédent extrait du journal de bord se trouvent au large de la côte brésilienne des îles. Les rochers Sao Pedro et Sao Paulo étant suffisamment exposés et succinctement hydrographiés, nous avons laissé tomber l’idée d’y faire un stop et continué notre route vers le continent.
Nous passons une journée de plus au près, avec panneaux de pont et hublots fermés (pour éviter de répéter certains incidents sur les couchettes supérieures des cabines avant…) et la chaleur à bord est intense. Lorsque le soleil se couche, la silhouette caractéristique de l’archipel de Fernando de Noronha se dévoile à l’horizon. Damien et Lauriane décident de contourner l’archipel par le nord. Un peu avant minuit, tout le monde est encore sur le pont, l’idée étant de s’approcher brièvement de la baie principale avant de reprendre notre route. La présence de Lauriane et Damien à cette heure surprend, ceux-ci étant normalement en alternance toutes les trois heures. Les voiles sont affalées et la veille est constante pour éviter les navires de plongée présents sur la zone.
Une équipière, ne comprenant pas l’agitation sur le pont, finit par interroger Lauriane sur le but de la manœuvre. Elle lui répond qu’ils s’approchent simplement pour visiter la baie. De nuit l’intérêt paraît bien moindre et Damien n’aime pas mouiller dans l’obscurité dans des endroits qu’il ne connait pas. Au bout d’un moment, Lauriane s’avance pourtant avec le bout de mouillage et sa clé à molette, signe que nous allons finalement jeter l’ancre. La manoeuvre de mouillage terminée, Damien et Lauriane nous annoncent que surprise : nous faisons escale dans cette grande réserve naturelle placée sous l’égide de l’UNESCO depuis 2001, en plein Atlantique Sud. Ils nous apprennent que cet archipel se situe sur une immense base volcanique et qu’il s’agit d’un paradis pour les dauphins à long bec, tortues, frégates, paille-en-queues, pétrels et autres espèces protégées. Quelques minutes après, Étienne est réveillé par le tintement de verres et de bouteilles qui s’entrechoquent dans le carré pour fêter notre entrée au Brésil et cette escale surprise (et improvisée!), promesse d’une bonne nuit réparatrice et de visites.
Au petit matin, nous voilà en annexe escortés par les dauphins jouant à l’étrave et sautant hors de l’eau avant de retomber avec fracas en tournoyant. Nous nous rendons tous au bureau du port, avec Toupie, pour réaliser les démarches d’entrée sur le territoire brésilien. Contrairement au Cap Vert où il nous fallait la journée pour trois démarches, tout est fait dans un seul bureau et en 5 minutes grâce à Marcus ! Devant le bureau nous rencontrons l’équipage argentin que nous avions tenu en respect en plein océan Atlantique et qui ne nous avait pas répondu à la VHF. Lauriane et Damien se présentent à eux en tant qu’équipage du Milagro. Passé les regards soupçonneux et grâce à l’accent argentin de Lauriane le dialogue se détend pour devenir très sympathique. Eux aussi avaient pris leur concurrent en photo ! Nous échangeons les contacts car il y a de fortes chances de se recroiser puisqu’eux aussi font route vers le sud avec leur navire tout neuf, vers Punta del Este (Uruguay).
Baie San Antonio, archipel Fernando de Noronha (Karukinka, 2024)Plage de la baie San Antonio, archipel Fernando de Noronha (Karukinka, 2024)
Une partie de l’équipage part faire une petite marche proche de la baie. En passant de l’autre côté de l’île, le paysage est plus sauvage et plus venteux. La côte est découpée et le ressac y est puissant, faisant un excellent terrain de jeu pour les requins auxquels plusieurs équipes de plongée rendent visite. Une chapelle surplombe une colline jouxtant une base militaire. L’intérêt stratégique de l’île ne date pas d’hier. Découverte au XVIème siècle lors de l’expédition portugaise de Cabral (qui comprenait également la découverte du Brésil par les Occidentaux). Tout autour de nous des arbres et plein de fleurs, dont celles du frangipanier !
Fleurs de frangipanier, archipel Fernando de Noronha (Karukinka 2024)Ficus de l’archipel Fernando de Noronha (Karukinka 2024)
Située entre l’Afrique et l’Amérique du Sud, cet archipel sera pour la première fois décrit par Amerigo Vespucci. Il passera aux mains de plusieurs pays dont le Portugal, les Pays-Bas,… et la France ! Les français l’ont occupé de 1705 à 1737, l’intégrant au domaine colonial français, et rebaptisée île Delphine. Au niveau architectural, c’est surtout la présence portugaise, de 1737 à 1938, qui s’affiche avec par exemple pour l’illustrer l’église Saint Michel dont l’acoustique est assez géniale selon Lauriane. L’île principale de cet archipel appartenant à l’état du Pernambouc (aussi le nom d’une essence de bois très recherchée qui se trouve sur l’île) comporte également la route nationale la plus petite du Brésil (moins de 10km!) et il lui faut produire son eau douce grâce à un grand déssalinisateur.
Habitation de l’archipel Fernando de Noronha (Karukinka 2024)Habitation de l’archipel Fernando de Noronha (Karukinka 2024)Eglise Saint Michel / San Miguel, archipel Fernando de Noronha (Karukinka 2024)Eglise Saint Michel/Sao Miguel, archipel Fernando de Noronha (Karukinka 2024)
Le lendemain, réveil tôt pour partir! Mais en fait, il y a plein de choses à faire avant: vidange du générateur, refaire le plein d’eau avec le déssalinisateur, un coup de ménage…. et comme la journée d’hier nous donnait déjà envie de rester plus, l’équipage décide de rester encore une journée. En fin de matinée, les dauphins se sont approchés du bateau et Lauriane, qui est acousticienne, a à bord une panoplie de matériels pour écouter les sons. L’hydrophone est de sortie et nous voici partis pour une heure à regarder les dauphins tout en les écoutant communiquer sous l’eau. Une riche expérience!
Dauphins à long bec dans la baie San Anotnio, archipel Fernando de Noronha (Karukinka 2024)
Nous retournons à terre pour déjeuner et partons ensuite vers l’ouest de l’île pour rejoindre une série de plages. La houle s’étant levée, les vagues sont conséquentes. Parfois nous voyons les deux bômes de Milagro disparaître derrière la crête. Une partie de l’équipage part se baigner dans les vagues, et même Toupie aura droit à ses petites sensations lorsque la profondeur dépassera la hauteur des pattes, soit une petite vingtaine de centimètres! Passée la baignade, ce sera le tour d’une série de lancés-ramenés avec une balle improvisée : une noix de coco ! Elle aussi revit grâce à la fraîcheur et savoure de se rouler trempée et bruyamment dans le sable…
Plage da Conceiçao, archipel Fernando de Noronha (Karukinka 2024)Toupie et sa noix de coco, plage da Conceiçao, archipel Fernando de Noronha (Karukinka 2024)Instant contemplatif sur la plage da Conceiçao, archipel Fernando de Noronha (Karukinka 2024)
Nous poussons ensuite jusqu’à la plage suivante pour le coucher de soleil : l’endroit est magnifique ! Un bar assez sélect, dans lequel nous dénotons clairement avec nos tenues short/t-shirt, permet de profiter de la vue sur le piton rocheux que nous avions vu au loin lors de l’approche de l’île. Autour de nous défilent des jeunes femmes aux tenues parfois franchement surprenantes : complet filet de pêche sur maillot de bain.
Plage do Meio, archipel Fernando de Noronha (Karukinka 2024)L’équipage féminin de Milagro, plage do Meio, archipel Fernando de Noronha (Karukinka 2024)
Nous repartons à la nuit tombée dans le quartier de l’église Saint Michel pour un dernier resto, savourant le plaisir de choisir son plat et de se faire servir sans avoir à cuisiner ! Le retour se fait en annexe sous un ciel étoilé, guidés par le feu de mouillage de Milagro qui, contrairement à ses voisins plus petits et légers, roule bien peu.
Coucher de soleil sur la baie San Antonio, archipel Fernando de Noronha (Karukinka 2024)Pause au resto, archipel Fernando de Noronha (Karukinka 2024)
Pour les derniers jours après l’escale, les équipiers (hormis Damien et Lauriane) font des quarts de deux heures seuls, profitant ainsi de 6h de sommeil en continu au lieu de 5! Niveau météo, nous sommes bien dans les alizés qui défilent tranquillement d’est en ouest. Dans un près débridé (aussi dit « océanique »), nous naviguons tranquillement, avec une moyenne basse de 160 milles nautiques par jour.
Nous rencontrons régulièrement des nuages annonciateurs de pluie. De jour, c’est super car passées les premières minutes où il faut s’assurer qu’un vent trop important pour la voilure n’accompagne pas les précipitations, nous profitons de la pluie pour prendre une douche en maillots sur le pont ! De nuit l’anticipation se fait plus difficile et l’expérience de la casse du spinnaker nous stresse toujours un peu, nous faisant parfois réduire inutilement la voilure au cas où le temps du grain.
Arc-en-ciel entre Fernando de Noronha et SalvadorEtienne à la barre le temps d’un grain, à quelques centaines de milles nautiques de Salvador de Bahia (Karukinka 2024)Un grain sur bâbord.. (Karukinka 2024)
Les journées sont de temps en temps agrémentées de cours de voile lors desquels Damien nous divulgue quelques secrets de navigateur expérimenté : point météo, réglages des voiles, explication de la formation de la houle et du vent, usage du pilote, cartographie…
La dernière nuit sera aussi celle d’une rencontre avec une quarantaine de passagers clandestins arrivés de la terre et perchés aux quatre coins du pont : les noddis bruns ! Amateurs des Oiseaux de Hitchcock, vous auriez adoré ! Ils se poussent, se piquent du bec pour obtenir la place du voisin toujours meilleure que la leur et discutent d’on ne sait quoi pendant toute la nuit, faisant penser à une communication entre batraciens. La crainte d’une nouvelle peinture de pont à l’issue de la nuit sera vite balayée car ces oiseaux sont d’une propreté vraiment surprenante !
À l’approche de Noël, un calendrier de l’avent est créé pour le bateau. Nous qui sommes habitués à de froids hivers, difficile de se dire que Noël est si proche. Juliane et Aude ne manquent pas d’idées, complétées par celles du capitaine ! De la crèche en pâte à sel, à l’invention de légende en passant par appeler une journée entière Lauriane et Damien Mère et Père Noël, le mois de décembre a bien démarré!
Atelier crèche en pâte à sel dans le carré du voilier Milagro (Karukinka 2024)
La transatlantique touche à sa fin, la terre se dévoile à l’horizon et nous retrouvons peu à peu la civilisation : l’étendue urbaine de Salvador de Bahía, les immeubles, le bruit fait de la cacophonie de musiques à fond et une chaleur étouffante. Henri nous attend sur le quai, c’est parti pour trois jours intenses pour préparer Milagro pour la descente vers l’Argentine : maintenance, avitaillement, gros ménage et découverte, sur le temps restant, des proches environs et des décorations de Noël de Salvador de Bahia.
Toupie et Etienne avec les guirlandes de Noël de Salvador de Bahia, Brésil (Karukinka 2024)