[Cap au Sud #7] Traversée de l’Atlantique 1/2 : du Cap Vert à l’archipel de Sao Pedro et Sao Paulo (Brésil)

[Cap au Sud #7] Traversée de l’Atlantique 1/2 : du Cap Vert à l’archipel de Sao Pedro et Sao Paulo (Brésil)

Nous avons quitté la baie de Tantum, sur l’île Brava (Cap Vert) le mardi 19 novembre à midi. Le waypoint est mis sur le traceur et nous annonce la couleur : 1858mn de Salvador de Bahia, en route directe et sans contourner la bosse de Natal. En réalité il faut prévoir 2000mn. Il fait beau et chaud : depuis notre arrivée au Cap Vert nous vivons en short et t-shirt, et il en sera de même jusqu’à l’autre bout de l’Atlantique. Les prévisions nous poussent à faire route au Sud/Sud-Ouest pour éviter la grande zone sans vent s’étendant depuis le sud de l’île volcanique Fogo. Nous hissons GV et artimon et déroulons le yankee. Milagro roule et nous nous trainons un peu à 4,5 noeuds. Nous décidons quelques heures plus tard de sortir le spinnaker, passant cette fois à une vitesse moyenne de 8 noeuds.

Spinnaker Milagro Karukinka
Manoeuvre de spinnaker – Voilier Milagro (Karukinka)

En fin de journée nous prenons la météo sur le site de l’Organisation Météorologique Mondiale pour la zone nous concernant : CAPE VERDE de la Metarea II. Est/Nord-Est 3/4, parfois 5 près des îles et mer peu agitée. Les milles défilent, nous faisant passer de la zone du Cap Vert à la zone SIERRA LEONE, les conditions restent les mêmes, nous croisons rarement de gros navires au loin, comme le tanker Abdias Nascimentos, et le calme n’est troublé que par le générateur qu’il nous faut parfois mettre en route pour recharger les batteries.

Le surlendemain du départ, nouvelle avarie : la poulie de la drisse du spinnaker se rompt et fait un grand plongeon. il nous faut agir vite pour affaler, le risque étant que la drisse s’use rapidement et se coupe à la sortie de tête de mât. Autrement dit, faute de réa pour la guider, le spi tire la drisse vers le bas et elle rague dans la fente du mât. Nous affalons donc la voile et déroulons le yankee. Faute de l’appui du spi par petit temps (8-10 noeuds de vent) et avec la houle sur le travers nous nous traînons et Milagro roule. Ce n’est que le lendemain matin que la situation s’améliore, avec plus de vent (12-20 noeuds). Les prévisions météo ne changent pas pour la zone SIERRA LEONE, hormis de gros orages au sud de la zone mais qui ne nous concernent pas. En début d’après-midi la houle ayant diminué, Etienne grimpe au mât pour remplacer la poulie de spi et nous rapporte ensuite ce qu’il reste de la poulie précédente : le support en inox du réa… A 17h nous voilà de nouveau spi en tête, à 7 noeuds et la vie à bord redevient très confortable.

Hamac sous spi Milagro Karukinka
En hamac sous spi, avec le linge qui sèche – Voilier Milagro (Karukinka)

Depuis notre départ la température du bateau est rapidement montée à 29 degrés (et plus…) à bord… Autant dire que cuisiner se révèle une idée aussi peu motivante que de préparer une fondue sous 35 degrés! Adieu gâteaux, pain maison, pâte à tarte… bref : tout ce qui nécessite un four. L’objectif principal est de ne pas réchauffer le bateau plus qu’il ne l’est déjà. A défaut de pouvoir cuire longuement des aliments au four, nous nous lançons dans des essais de cuisine « locale ». Parmis ceux-ci des foufous à base de farine de manioc (pour le façonnage il nous manque encore quelques transat pour que ce soit maîtrisé), accompagnés de choux rouge cuit à la noix de coco avec une sauce crémeuse au citron vert parfumée à la noix de muscade. Nous improvisons !

Foufous manioc Milagro Karukinka
Façonnage des foufous par François et Juliane – Voilier Milagro (Karukinka)

À notre grand désarroi, les fruits et légumes que nous avions acheté au marché de Praia se sont révélés d’une piètre capacité de conservation. Ils ont très vite pourri et pour en jeter le moins possible, nous avons cuisiné ce que nous avons pu. Nous avons tout de même dû faire quelques entorses au bannissement du four et des cuissons longues pour écouler l’équivalent de deux régimes de bananes ! François s’est retrouvé à passer un saladier de pâte à pancakes bananes, soit une petite activité hammam d’une heure de bon matin! Et Lauriane s’est chargée de faire un fondant banane-chocolat version famille nombreuse qui aura duré une journée. Nous avons transpiré mais nous nous sommes régalés ! Toupie et Parebat souffrent eux aussi de la chaleur et ont de fait le droit à plusieurs trempages par jour.

Malgré un frigo conséquent, nous avons du faire très attention à cuisiner la juste quantité afin qu’il n’y ait pas restes. La chaleur fait très vite passer les denrées. Aucun risque pour le scorbut, les cales de Milagro étant richement fournies en conserves de légumes, fruits et pâté Hénaff. Seules les quelques provisions fraîches supplémentaires de Brava résisteront, avec un premier prix difficile à décerner entre le chou frisé, les carottes et les betteraves.

La vie à bord est rythmée par les quarts : 3h chacun avec 2h en commun, l’heure seul.e est au milieu du quart. Damien et Lauriane continuent quant à eux leur alternance toutes les trois heures. La journée, il y a souvent quelqu’un qui est sur le pont en plus, à lire ou contempler l’horizon. La nuit, cette heure seul.e est un cadeau. Joie de la partager parfois avec Damien ou Lauriane. Durant ces périodes il nous faut rester éveillés puisque nous assurons la sécurité du bord pendant que les équipiers se reposent, vaquent à de multiples occupations, profitent de l’ombre et révisent le matelotage de base.

Matelotage Milagro Karukinka
Matelotage dans le cockpit – Voilier Milagro (Karukinka)

Régulièrement se fait entendre un : « dauphins !! » et tout le monde sort à la hâte, enfile un gilet de sauvetage et s’avance à la proue du navire pour les voir jouer à l’étrave. C’est toujours magique de les voir glisser, se croiser, plonger après avoir frôlé le bateau et parfois sauter hors de l’eau en se laissant retomber sur le côté. Nous avons aussi quelques visites de poissons volants qui malheureusement pour certains s’échouent sur le pont. Nous admirons régulièrement leurs dextérité en vol pour échapper aux prédateurs. Des fous de bassan viennent également nourrir leur curiosité en jouant dans les voiles et nous accompagnent durant tout le trajet. L’un d’eux nous gratifiera d’ailleurs d’un bel autographe sur la grand voile! Pas très grave en général mais, à 4m de haut, impossible à nettoyer! 

Depuis St Nazaire jusqu’à l’équateur, ce sont 44 degrés de latitude qui ont été franchis. Si au début le décompte ne semble pas important, à l’approche de LA ligne nous nous réjouissons de cette avancée vers ce passage symbolique. Un changement majeur a eu lieu pendant ce trajet, nous sommes passé du Nord au Sud. Dans un premier temps, nous avons passé l’équateur météorologique plus au nord que l’équateur géographique. C’est, pour simplifier les choses, la zone de changement des vents avec, entre les deux zones nord et sud une zone appelée le pot au noir et connue pour son absence de vent et pour jouer avec la patience des voileux qui le traverse. Pour notre part, nous aurons du vent tout du long grâce à un routage bien mené par Damien !

Au petit matin, Lauriane est venue réveiller les derniers endormis : la ligne sera franchie dans quelques minutes! Le temps d’enfiler une tenue adéquate et nous voilà tous sur le pont pour regarder le GPS afficher 00’00.000. C’est court, c’est éphémère et c’est joyeux. Ça y est nous sommes dans l’hémisphère sud! Dans la mer, pas de ligne pour indiquer le passage mais notre skipper voulait tout de même marquer le coup. Donc nous voilà à 7h30 tous en maillot de bain sur le pont, Toupie et Parebat aussi (sans maillot de bain…). Le baptême consiste alors à remplir chacun son tour un seau d’eau et à se le verser sur la tête. Entre la température de l’eau et celle de l’air, nous ne nous sommes pas fait prier pour passer à l’action! Toupie et Parebat ont aussi eu le droit à la douche, avec le contenant adapté à leurs tailles !

Passage Equateur Karukinka Milagro VHF
Passage de l’équateur ! Voilier Milagro (Karukinka)
Seau deau Equateur Milagro Karukinka
Baptême de l’equateur – Voilier Milagro (Karukinka)
Passage Equateur Karukinka Milagro Toupie
Toupie a franchi l’equateur ! Voilier Milagro (Karukinka)
Parebat Passage Equateur Milagro Karukinka
Et Parebat aussi ! Voilier Milagro (Karukinka)

S’en est suivi un petit dej de fête et le soir nous avons débouché le champagne de Papy Bernard, offert spécialement pour le passage de la ligne, avec un apéro délicieux, le tout au milieu de l’Atlantique, la joie simple d’un moment rien qu’à nous.

Apero equateur Milagro Karukinka
Champagne et apéro dînatoire pour fêter le passage de l’equateur – Voilier Milagro (Karukinka)

Au départ de Brava, nous avons eu l’espoir de croiser les Vendée globistes, ce sera peine perdue à quelques heures près pour le Roi Jean Le Cam. Milagro était à la hauteur de Charal mais les coureurs sont passés bien plus à l’ouest de nous et les deux passant à l’Est du Cap Vert sont partis sans prendre le temps de nous attendre ! 

Pour notre part, et pour passer au plus vite ce mauvais épisode du résumé de notre transat, abordons tout de suite le sujet du spinnaker, pour bien vite passer à autre chose. C’était pendant une belle nuit de novembre, après les réparations à Praia, nous étions heureux d’avancer grâce à cette belle voile blanche et bleue, à plus de 8 noeuds de moyenne. Les milles s’enchaînaient et le confort à bord était parfait (i e pas de roulis). Tout allait bien jusqu’à l’arrivée de cet affreux nuage que l’équipière de quart n’a pas vu arriver, à l’abri sous le bimini. Tout est allée très vite. D’un coup le vent a changé de sens, 180°. Le spi a commencé à se deventer puisque les changements brusques sur un navire de 45 tonnes mettent du temps à changer sa direction. Damien et Lauriane ont sauté de leurs couchettes pour intervenir et, à la vue de ce nuage très menaçant, le premier de la sorte depuis le départ, affaler au plus vite. Les premières gouttes de pluie arrivant, Lauriane interpelle tout le monde pour qu’un équipier se charge de fermer tous les hublots et panneaux de pont, et que les autres viennent au plus vite sur le pont pour aider à affaler le spi, la chaussette bloquant, il fallait une personne à la barre, une à l’écoute et deux à la proue pour tirer sur le va-et-vient de la chaussette. Le renfort tardant, impossible à deux de tirer sur cette fichue chaussette qui reste bloquer en tête de mât et de gérer en même temps l’écoute, une dizaine de mètres séparant les deux postes. La force du grain augmente et tous les efforts pour débloquer la chaussette restent vains. D’un coup le spi s’éventre au moment où le renfort arrive sur le pont, une partie de la voile tombe à l’eau, et l’autre partie part s’emmêler dans les haubans, la faute à un vent changeant continuellement de direction sous une violente pluie. Nous récupérons l’intégralité du spi à bord et l’amarrons sur le pont, contre le filet des filières. Tout le monde va bien, l’essentiel est là. Malgré cela, l’ambiance est pesante. Faute de pouvoir dérouler le yankee, nous mettons en marche le moteur et attendons le lever du jour pour retirer les morceaux restés coincés en haut du mât. Au petit matin, nous sommes tous encore sous le poids de ce qui ressemble à un mauvais rêve. Nous rangeons le coeur lourd cette voile dans son sac, quasi convaincus qu’elle est irréparable et qu’il faudra lui inventer une nouvelle histoire pour qu’elle serve à autre chose qu’à nous faire glisser au portant. Fermons le sujet, nous le réouvrirons une fois l’avenir de cette voile décidé.

À défaut de concurrence avec les navires de course ou les cargos, Damien s’est remit dans la peau d’un régatier à la première occasion venue, au milieu de nulle part. Après des jours sans autre navire à l’horizon que de rares porte containers et tankers au loin, nous voyons en fin de journée apparaître un voilier à la poupe de Milagro. Son cap nous faisait redouter l’innacceptable : il veut nous passer au vent ! Diantre ce ne sont pas des manières ! Branle bas de combat sur Milagro, tous dans le cockpit, toutes voiles dehors et réglages aux petits oignons pendant près d’une heure pour obliger ce concurrent à terriblement lofer (serrer le vent), jusqu’à ce qu’il se résigne à abattre pour nous passer sous le vent. Non mais ! Le navire en question, un voilier tout neuf sorti des Sables d’Olonnes (France) et mené par un équipage argentin, ne joue pas dans la même catégorie (52 pieds et beaucoup plus léger) mais notre Milagro n’a pas démérité, à 9 noeuds, Après notre petite victoire, nous avons essayé de les joindre à la VHF mais, vexés, personne ne nous a répondu!

Regate atlantique Milagro Karukinka
Concurrent d’une régate improvisée en plein Atlantique Sud – Voilier Mialgro (Karukinka)

La nuit suivante nous approchons des îlots (pour ne pas dire rochers) de Saint Pierre et Saint Paul. Situés à environ 500mn de Natal (côte brésilienne), ils se composent de plusieurs îlots et récifs. Le plus grand d’entre eux, Belmonte, ne dépasse pas les 5500m². Découverts le 20 avril 1511 par le portugais Garcia de Noronha, ces îlots ont aussi été visités quelques siècles plus tard par Charles Darwin, lors de son voyage sur le HMS Beagle. Depuis 1988 ils sont rattachés à l’état du Pernambouc et, dix ans plus tard est inaugurée la Estação Científica do Arquipélago de São Pedro e São Paulo, un bâtiment de 40m² occupé par 4 chercheurs/militaires qui se relaient tous les 15 jours. D’un point de vue biologique, la végétation y est rare et plusieurs colonies d’oiseaux y habitent, dont des fous bruns et des noddis (bruns et noirs). Ces derniers seront à partir de là nos compagnons de route nocturnes, jusqu’à Salvador ! Amateurs des oiseaux de Hitchcock, les voici : https://karukinka.eu/wp-content/uploads/2024/12/Noddis-bruns_Milagro_karukinka_122024.wav

Après étude des cartes et données hydrographiques disponibles, nous laissons franchement tomber l’idée de s’en approcher de nuit et encore plus pour mouiller. Pour vous faire une idée de la morphologie des lieux, voici les cartes du service hydrographique brésilien que nous avons pu consulter :

Archipelago Sao Pedro Sao Paulo hidrografia brazil
Carte marine issue du Service Hydrographique brésilien
Archipelago Sao Pedro Sao Paulo hidrografia brazil 1 1000
Carte marine issue du Service Hydrographique brésilien, plus détaillée

La suite d’ici quelques jours ;-)

[Cap au Sud #6] Escale au Cap Vert

[Cap au Sud #6] Escale au Cap Vert

Mi-novembre, nous voici au mouillage dans la baie de Praia, la capitale de l’archipel du Cap Vert, pays indépendant depuis 1971. La descente vers le sud est déjà bien entamée puisque nous sommes désormais à la latitude de Dakar (Sénégal). 

L’arrivée s’est faite de nuit en longeant les îles de part et d’autre sans les voir. Nous pensions croiser des pêcheurs ou apercevoir des phares mais rien, seuls de rares halos lumineux au loin nous donnaient l’indication de présences humaines et pas un nuage pour annoncer les îles. Nous en avons conclu que ces îles étaient préservées de la pollution lumineuse et peu habitées. Cette arrivée, aux lueurs de la ville endormie et dans le plus grand calme, s’est faite sans même réveiller les équipers calés dans leurs couchettes. Avant d’aller se reposer, nous jetons un oeil au grand drapeau du Cap Vert qui surplombe une falaise située face au navire. Quelques chiens se répondent dans le lointain, rappelant à Toupie qu’elle n’est maintenant plus seule à des milles à la ronde !

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[Cap au Sud #6] Escale au Cap Vert 39

Pendant la première journée, l’équipage reste à bord, après une grasse matinée bien méritée et en attendant les formalités d’entrée dans le pays accomplies. En début d’après-midi, sous une chaleur écrasante malgré le vent, un nouvel équipier nous rejoint : François. C’est la deuxième fois qu’il vient faire un stage à bord puisqu’il était de l’équipe Pornichet-Dublin en avril dernier. Cette fois avec des températures toutes autres, il est ravi de retrouver sa cabine tribord et l’équipage du Milagro ! Nous fêtons ça en improvisant des mojitos avec un rhum des Canaries.

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[Cap au Sud #6] Escale au Cap Vert 40
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[Cap au Sud #6] Escale au Cap Vert 41

Puis il faut commencer à remettre en ordre le navire : gros ménage, lessives et avitaillement en nourriture. Damien et Lauriane se chargent des formalités administratives. Elles sont multiples puisqu’il faut se présenter à la police maritime, puis à l’immigration. Les bureaux n’étant pas toujours ouverts et aucun horaire indiqué, l’attente se fait parfois longue ! En rentrant de ces démarches, Lauriane nous trouve un improbable « taxi privé » qui simplifiera grandement nos déplacements : Djonni ! Entre musique à fond et conduite parfois en mode rallye dans les rues de Praia, il y a de l’ambiance !

Nous passons quelques jours à Praia pour se reposer et s’acclimater à la chaleur. Le spinnaker qui avait quelques égratignures suite à sa baignade imprévue est réparé (couture + scotch à voile) afin d’être à nouveau utilisé lors de la transatlantique. Deux équipiers rentrent en France avant qu’Etienne ne nous rejoigne depuis Bilbao.

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[Cap au Sud #6] Escale au Cap Vert 42

Juliane, la montagnarde du bord, grimpe à plusieurs reprises en haut du mât pour vérifier la poulie et la sortie de mât avant de passer une nouvelle drisse toute neuve en dyneema (encore merci Toni!). Ce qui s’avère simple présenté en quelques mots a quand même été plus pénible que prévu. Le mât de Milagro fait 21m et, la drisse précédente ayant cassé, le restant était retombé dans le mât sans pouvoir servir de guide à la nouvelle. D’où l’idée de faire descendre un petit bout avec un plomb à son extrémité. Sauf qu’à deux reprises le plomb bloque au niveau des barres de flèches et impossible de le remonter ou descendre. Après quelques essais la petite caméra du bord ne nous donne pas non plus de réponse au « pourquoi ça bloque » et finalement, après une petite sieste, Damien tente un énième passage et cette fois ça fonctionne : la nouvelle drisse est en place et pile dans les temps pour prendre l’annexe direction le petit bistrot de la plage afin de boire une Strela Kriola bien fraîche.

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[Cap au Sud #6] Escale au Cap Vert 43

Comme chaque soir nous débarquons les pieds dans l’eau (et parfois plus avec la houle) et sommes accueillis par le petit groupe d’hommes et leur meute de chiens qui vivent sur cette plage et veillent, contre petite rémunération, sur notre annexe. Le jour précédent l’arrivée d’Etienne nous aurons la chance de dîner avec une tourterelle blottie au calme dans les mains de Lauriane (elle et les oiseaux…) et au son de la musique cap-verdienne, dont vous pourrez écouter un petit extrait ici (pour les mélomanes exigeants, c’est une prise de son avec le téléphone…).

Le lendemain nous partons au marché municipal, celui situé sur le Plateau et qui regorge de personnes, de bruits, de produits inconnus et de parfums. Les fruits et légumes sont exposés mais aucun prix n’est affiché ! Notre chauffeur de taxi privé ne nous ayant pas suivi et notre portugais étant plus que rudimentaire, le prix payé après calcul du change nous paraît totalement prohibitif, à nous l’étiquette de touristes ! Nous repartons les sacs remplis de produits locaux : maracuja, farine de manioc, fleurs d’hibiscus séchées (pour le bissap), graines de baobab, pommes-cannelle… Au retour, Djonni, notre chauffeur de taxi, viendra à bord et sera refait de pouvoir faire un réel Instagram depuis le pont du navire : la jeunesse ici a les mêmes préoccupations que sur le vieux continent! Comme à chaque aller-retour nous nettoyons méticuleusement tout pour éviter qu’un passager clandestin potentiellement envahissant ne prenne place : le cafard. Ils sont nombreux, à la nuit tombée, à se faufiler un peu partout autour de nous, d’où notre grande crainte d’en embarquer malencontreusement un à bord.

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[Cap au Sud #6] Escale au Cap Vert 50

Un dernier grand coup de ménage est fait pour nettoyer l’intégralité du bateau pendant que les formalités de sortie du territoire sont faites et nous levons l’ancre en direction du sud de l’île Santiago pour passer la nuit. Le lendemain matin, après baignade évidemment (l’eau est à 28 degrés…), nous partons en direction de l’île Brava (4000 habitants) pour un dernier stop avant le Brésil et en laissant dans notre sillage l’île volcanique Fogo.

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[Cap au Sud #6] Escale au Cap Vert 51
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[Cap au Sud #6] Escale au Cap Vert 52

Cette petite île est réputée pour être l’une des plus belles du Cap Vert et nous confirmons bien que la baie de Tantum est somptueuse avec ses barques colorées et le village de pêcheurs qui la surplombent. Après pêche d’une magnifique carangue par Etienne, nous nous mettons en route. L’arrivée dans le village se mérite, avec une descente de l’annexe à la nage (impossible de débarquer l’annexe avec la houle) et une montée sèche sous un soleil de plomb. De là nous nous rendons dans le centre du village et demandons comment rejoindre Nova Sintra, la « ville » principale, pour visiter et tenter de trouver quelques produits frais encore, ceux du marché pourrissant déjà les uns après les autres… En l’espace d’un quart d’heure nous nous retrouvons comme des sardines en boîte dans le minibus scolaire, entourés d’enfants étrangement silencieux : notre présence les rend muets ce qui fait bien rire le chauffeur. Nous voyons défiler les kilomètres sur des routes escarpées et pavées. Plus nous gagnons en altitude plus la végétation devient luxuriante, avec des manguiers, papayers, ipomées, yuccas, ficus et grands hibiscus. Nous arrivons à destination une demi-heure plus tard et découvrons LA boisson cap-verdienne : l’Actimalt. Bien frais sur le chemin du retour, c’est un régal ! Puis ce sera retour sur la plage chargés comme des mules et un chargement de l’annexe assez épique, tous en maillots et aidés par les pêcheurs pour passer un à un les sacs de nourriture. Après une bonne nuit nous levons l’ancre accompagnés par les voeux de bon voyage des pêcheurs que nous croisons au sortir de la baie et avec l’envie de revenir au Cap Vert plus longuement car entre les paysages et l’accueil des habitants, cette étape est vraiment à ne pas manquer.

Rdv d’ici quelques jours depuis l’autre hémisphère : sous le soleil du Brésil à Salvador de Bahia!

[#7 – Cap au Nord 2024] De Loch Melfort à l’île Mull, via le Firth of Lorn

[#7 – Cap au Nord 2024] De Loch Melfort à l’île Mull, via le Firth of Lorn

C’est après une superbe escale faite de rencontres aussi belles que les paysages environnant que nous quittons Loch Melfort pour nous diriger vers le sud de l’île Mull. Pour ce faire, plusieurs options existent et nous retenons celle du Cuan Sound, un chenal (assez) étroit séparant l’île Seil de ses voisines du sud, Luing et Torsa. Les conditions étant trop calmes pour avancer uniquement à la voile et arriver à temps pour le bon moment de marée, c’est avec un appui moteur que nous nous engageons dans le chenal. Les “eddies” (tourbillons) indiqués sur la carte sont bien là, accompagnés de veines de courant assez anarchiques au passage par le nord d’An Cléiteadh. L’équipage du petit ferry de Cuan, reliant Seil et Luing, nous salue et, passées quelques ruines en sortie de chenal où paissent ovins et bovins, nous entrons dans le Firth of Lorn intérieur (Ann Linne Latharnach en gaélique), hissons les voiles et éteignons le moteur pour traverser cette baie au portant et toutes voiles dehors, sous un grand ciel bleu sans nuages.

Cruan Sound Karukinka

Le Firth of Lorn(e) est une baie située dans la continuité de la faille Great Glen (celle du canal Calédonien). Ce lieu est classée, compte tenu de la diversité des paysages et des espèces qui le peuplent, en tant qu’aire protégée depuis 2014. Comme le montrent les cartes bathymétriques du Firth of Lorn, le relief des fonds est semblables à celui de la surface : des falaises, des replats et des pics. Tout ceci participe à créer des conditions très diverses où se rencontrent des espèces atteignant respectivement leurs limites de migration nord ou sud. La morphologie des fonds et son ouverture vers l’Atlantique font qu’il vaut mieux s’y présenter par beau temps pour éviter les vagues statiques et les tourbillons. Les effets de la marée y sont forts, avec d’importants courants issus de la Great Race. En notre faveur lors de la traversée, ce courant nous accompagne vers le Loch Spelve.

Nous entrons sous voile en soirée, le long de falaises verdoyantes et nous révélant les premiers témoignages d’un volcanisme actif il y a plus de 40 millions d’années : des colonnes de basalte (issues de la lave) à l’est et au sud du loch et un mélange de granophyre (contenant du quartz) et de grès incrusté d’olivine (roche sédimentaire sableuse) à l’ouest et au nord.

Basalt Karukinka
[#7 – Cap au Nord 2024] De Loch Melfort à l’île Mull, via le Firth of Lorn 78

Nous laissons de chaque côté des fermes marines et jetons l’ancre au fond du loch ouest, au son des cris des huîtriers pies en vol et des bêlements des moutons. Le calme y est total et pas un remous ne rompt la quiétude nocturne.

Le lendemain nous partons à pieds pour le Loch Uisg, un grand lac situé dans l’axe de la faille Great Glen et entouré par Loch Spelve au nord-est et Loch Buie au sud-ouest. Tout le long du chemin nous nous émerveillons des rhododendrons qui, contrairement à chez nous où ils sont de taille arbustive, composent de véritable bois denses et richement colorés. L’église Kinlochspelve surplombe la rive est et s’ouvre devant nous l’horizon d’un plan d’eau sur lequel chacun imagine quel sport il pourrait y pratiquer : planche à voile, kayak, wingfoil, kite, dériveur… les idées ne manquent pas et le petit ponton voisin d’un lodge nous confirme que nous ne sommes vraiment pas les premiers à y penser !

Nous continuons notre marche vers Loch Buie afin de visiter le château Moy du clan des MacLaine de Lochbuie. Construit en 1450 par Hector Reaganach Maclean, ce château de trois étages et directement alimenté en eau douce au rez de chaussée, a été reconnu par le roi d’Ecosse en 1494. Il a été érigé à deux pas de la rive afin de permettre aux navires d’y accéder aisément. Un arc de pierres toujours visible servait de piège à poissons et plusieurs gros blocs facilitent le débarquement depuis de petites embarcations. Il fût le théâtre d’affrontements comme lors de la révolte jacobite de 1689. Ce château a dû être restauré à l’issue de cette période et a aussi été modifié au fil des siècles pour en améliorer le confort (ex: installation d’une cheminée au XVIe sicèle). Ce n’est qu’en 1790 que le clan des MacLaine de Lochbuie le quitta au profit d’un habitat voisin plus confortable, une fois des temps plus paisibles revenus : la maison Moy. Durant plusieurs décennies l’utilisation du Moy Castle s’est retrouvée réduite à celle de son donjon en tant que prison.

Le loch est tellement beau que nous nous décidons à y revenir avec Milagro et profitez d’une nouvelle excursion le lendemain vers les mégalithes. Au retour à Loch Spelve nous ne sommes plus seuls au mouillage et rencontrons le sympathique équipage voisin, un trio d’écossais impressionnés par la taille et la ligne de notre Milagro. Nous les invitons à bord pour le café du lendemain matin, avant de lever l’ancre vers Loch Buie.

Loch Spelve Karukinka3

La navigation se fait au travers (4-5 beaufort) sous le vent de l’île Mull. Nous nous approchons du Moy Castle et savourons une vue splendide sur le plus haut sommet du loch : Ben Buie (717m). Nous jetons l’ancre dans une échancrure du loch et débarquons pour aller voir ces fameuses mégalithes. Il fait si beau que des baigneurs profitent de la plage voisine et nous, nous ne tardons pas à quitter les coupe-vent et préférer les t-shirts. La ballade vers les mégalithes nous mène à la rencontre d’une réunion entre cervidés et ovins. Nous suivons les pierres blanches nous indiquant le chemin jusqu’au cercle de mégalithes. Avant l’arrivée, un autre site est repéré par Lauriane, à quelques centaines de mètres, semblable à certaines tombes de type tumuli visibles au sein du site mégalithique de Saint Just en Bretagne (composées de plusieurs chambres et d’un couloir d’entrée). La vue du cercle de mégalithes fascine : que signifie t’il ? L’absence de consensus scientifique sur le sujet permet à chacun d’y projeter son imaginaire et d’y voir un site rituel, un monument lié à l’alignement des astres ou encore un lieu de rassemblement pour faire la fête !

Après un dîner au mouillage le ciel se charge et un peu de roulis apparaît pour nous bercer. Nous nous préparons pour la navigation suivante vers Iona, l’île sacrée.

D’ici peu nous publierons une petite vidéo résumant nos escales à Loch Spelve et Loch Buie et intégrant des images du cercle de mégalithes.

[#6 – Cap au nord 2024] Escale à Loch Melfort

[#6 – Cap au nord 2024] Escale à Loch Melfort

C’est en fin de journée que nous arrivons tranquillement à la voile à l’extrémité Est du Loch Melfort, jetant l’ancre dans un fond vaseux bien collant (pour la chaîne et le pont aussi d’ailleurs…). A peine arrivés, Damien reçoit un appel d’un de ses amis et ancien élève, Christian, en route depuis Leeds pour nous rejoindre à bord pour la soirée ! Passionné par l’Ecosse, il est une source intarissable d’idées de lieux à visiter, tous plus reculés, intéressants et sauvages les uns que les autres. Les cartes papier et celles de la tablette se sont progressivement retrouvées garnies de petits points supplémentaires et d’annotations. S’ajoute à cela une petite liste de livres à consulter… De quoi répondre à nos envies d’explorer et d’apprendre pour des semaines voire des mois… !

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Le lendemain matin, à l’arrivée au petit ponton de l’hôtel de Kilmelfort avant de faire route avec Christian vers Oban pour un avitaillement en produits frais, une deuxième belle surprise nous attend : la rencontre avec Vicky et Margaret, toutes deux occupées sur leur magnifique petit voilier. Nous pensions prendre le bus pour revenir d’Oban, c’est finalement Vicky qui passera nous chercher directement au supermarché ! Lors de ce trajet sinueux entre lochs et collines, nous l’invitons, ainsi que Margaret, à venir visiter notre “huge sailboat”, qui appartient à l’association Karukinka. S’ensuivent les questions sur le pourquoi du comment de l’association, du navire, des recherches de Lauriane et de notre venue en Ecosse… et elle nous apprend qu’elle est chercheuse en histoire médiévale à l’université de Glasgow.

C’est après le déjeuner du lendemain qu’elle vient nous faire un magnifique cadeau : plusieurs heures de cours d’histoire médiévale écossaise dans le carré de Milagro ! Carte à l’appui, références historiques, informations sur l’histoire cachée de lieux et de dynamiques de peuplement,… nous n’en perdons pas une miette. “Ici l’histoire a été faite par les navigateurs, à la voile” . Cette remarque pleine de bon sens compte tenu de la morphologie des lieux nous rappelle qu’effectivement, les échanges d’idées, les influences culturelles, les batailles, les invasions de toutes parts, les processus de colonisation, les vagues de réformes religieuses, les évolutions technologiques,… ont existé grâce à la voile (et à la rame…).

Notre parcours, de la Bretagne à la Norvège via l’Irlande et l’Ecosse n’est autre que celui d’un axe d’échanges majeur depuis des milliers d’années. Présence celte puis romaine, premières missions chrétiennes (VIe siècle), guerres tribales entre les Picts et d’autres groupes, invasions vikings, fonctionnement clanique très ancré dans la culture écossaise… Chaque île, des Hébrides aux Shetlands, porte en elle des histoires chargées de vent et d’embruns que l’érosion efface progressivement à notre vue mais que des archives précieusement gardées au fil des siècles sauvent de l’oubli. C’est un véritable travail de fourmi que Vicky Gunn et nombre de chercheurs en histoire écossaise réalisent pour comprendre le territoire à différentes époques. Ils donnent du sens à ce qui nous entoure, des mégalithes aux ruines de châteaux, nous invitant à nous documenter toujours plus.

La bibliothèque de Milagro s’est donc à nouveau étoffée de quelques ouvrages supplémentaires, sans parler de ceux que Vicky prévoit de nous recommander d’avoir à bord, et c’est sous peu qu’un dictionnaire gaélique-anglais embarquera pour nous aider à comprendre ce que signifient les noms des lieux où nous naviguons. Un rdv est pris : à notre prochain passage à Loch Melfort, c’est sûr nous irons rendre visite à Vicky et Margaret !

Avant de reprendre notre route vers le nord, le week-end passé, est venu le temps des retrouvailles pour Damien : le retour à Kames Fish Farm. C’est anxieux qu’il est venu se présenter à l’accueil de la ferme : après 20 ans sans nouvelles, les gérants de cette entreprise familiale seraient-ils encore là ? La ferme aurait-elle été rachetée par des sociétés norvégiennes, comme de nombreux élevages de poissons écossais ? Damien se présente et c’est alors qu’un homme d’une trentaine d’années lui sert la main : Andrew, celui avec qui Damien s’était occupé des lapins, joué aux jeux vidéo avec son frère Charles et lui,.. quand il était tout petit ! Dans la foulée Andrew appelle son père, Stuart, l’entrepreneur à l’origine de cette ferme et avec qui travaillait Damien. Quelques minutes plus tard, il arrive et nous fait visiter l’écloserie, le bureau de contrôle à distance de la sécurité des cages dispersées dans les îles, la distribution de nourriture en cliquant derrière un écran, la sélection des spécimens plus aptes à s’adapter au changement climatique… Toujours en quête d’amélioration, il nous apprend aussi qu’il a dû faire face à une catastrophe sanitaire s’étant abattue sur sa ferme il y a plusieurs années (une fièvre aphteuse venue de Norvège), l’obligeant à abattre l’ensemble de ses saumons plutôt que de tomber dans les excès largement documentés des dérives des élevages. Kames n’élève donc plus de saumons comme il y a 20 ans, mais des truites, et en nombre qui donne le tournis : quand Damien y travaillait, la ferme commercialisait entre 200 et 300 tonnes de saumons par an, et aujourd’hui c’est plus de 3000 tonnes de truites exportées jusqu’aux USA.

Nous sommes ensuite repartis à bord de Milagro, non sans curiosité pour le mystérieux voisin chilien évoqué lors de nos échanges avec les locaux.

Certains partent d’Europe vers l’Argentine ou le Chili, en Patagonie ou ailleurs, pour refaire leur vie, et d’autres font le chemin dans l’autre sens, comme le milliardaire chilien fondateur du FFP (Fondation Pour le Progrès). Connu au Royaume-Uni pour avoir acheté un lodge (Kilchoan) à plusieurs millions de livres, ce membre de la secte des Légionnaires du Christ a fait sa renommée locale en organisant la reforestation des collines avoisinantes et en faisant construire une chapelle inspirée de celle d’Iona, sur les rives de Loch Melfort. Pour cela il a fait appel à des artisans locaux et soigné son image, une image très éloignée de celle qui est la sienne à plusieurs milliers de kilomètres de là : ancien militaire dans les années 70, il multiplia les déclarations en faveur de Pinochet (“son énorme gratitude”), n’hésitant pas à affirmer que pour lui, les droits sociaux n’existeraient pas. Ses propos au Chili, aux antipodes de l’image renvoyée ici, auront largement suffit pour que nous nous abstenions de faire l’escale suggérée dans la baie faisant face à sa chapelle. Nos amis chiliens, qui subissent les effets dramatiques du libéralisme extrême mené depuis des décennies dans leur pays, sont nombreux à souffrir des décisions et idées développées par cet homme et ses partisans.

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Ce ne sont pas ses activités locales et cette chapelle qui nous feront oublier les ombres et la violence du pinochetisme.

Laissons cette chapelle dans notre sillage, avec un nouveau chapitre qui s’ouvre dans l’étrave de Milagro : cap sur Mull !

PS: l’Ecosse nous plaît tellement que nous avons fait le choix de revoir notre programme pour y rester plus longtemps et simplifier la venue de ceux qui veulent nous rejoindre, sans galérer avec la logistique. Vous verrez donc (ici) que nous proposons à partir de samedi prochain 5 séjours d’une semaine simplifiés : départ et arrivée Oban ! Depuis Glasgow (vols directs depuis Paris, Nantes, Bordeaux, Lyon…) il faut compter 3h de train direct ou de bus dans les Highlands (un voyage dans le voyage !) pour nous rejoindre au port de Oban. Pour ceux qui voudraient éviter l’avion, cette destination est aussi accessible en train depuis la France (comptez 12h depuis Paris).

Bref, si vous avez besoin d’aide pour vous organiser, nous ne sommes pas une agence de voyage mais nous sommes là pour vous aider et serons ravis de vous accueillir pour partager ces lieux où , comme le montre notre dernière petite vidéo aux Treshnish Isles : il n’y a pas foule !

[#5 Cap au nord – 2024] de Jura à Loch Melfort, via le Corryvreckan

[#5 Cap au nord – 2024] de Jura à Loch Melfort, via le Corryvreckan

A l’abri dans un loch de la côte ouest de Jura, nous avons laissé passer le mauvais temps et profité de l’escale pour randonner à terre, lire et se reposer.

La végétation globalement ocre à la sortie de l’hiver est actuellement en pleine mutation printanière et se met progressivement au vert. Les fougères se déroulent petit à petit et des champs entiers de fleurs bleues ornent, sous forme de patchs, l’horizon. Les oies bernaches et les sternes font aussi halte avec nous dans ce loch, et participent au paysage sonore des cris de faisans, des allers et venues des cervidés, des cormorans, des loutres, et du chant du coucou.

Doté de deux bothies (refuges non gardés), ce loch est aussi un paradis pour les randonneurs partant avec tente et sac à dos, du port de Craighouse, le seul village de l’île desservi par le ferry. Parmi les idées rando pour la prochaine fois, nous garderons celle des trois Paps, les trois sommets principaux de l’île que sont le Beinn an Òir (la montagne de l’or en gaélique, 785 m), le Beinn Shiantaidh (la montagne sacrée en gaélique, 755 m) et le Beinn a’ Chaolais (la montagne du détroit en gaélique, 734 m). Pour la prononciation… débrouillez-vous 😉

Après cette escale, nous avons repris notre chemin vers le nord. L’objectif initial était d’aller jeter l’ancre dans un loch du sud de l’île de Mull mais le vent ayant choisi une orientation différente de celle prévue, nous avons finalement décidé de changer de cap et de nous rapprocher d’un lieu mythique et pas seulement pour les marins : le Corryvreckan.

En fin d’après-midi, toujours sous voile (vent NE 6 Beaufort et mer agitée) et après avoir revérifié trois fois les horaires de marées et consulté à peu près toutes les informations à notre portée (!), nous avons timidement pointé le nez sur le détroit et continué, malgré les courants croisés, les petits tourbillons et autres remous, vers l’unique mouillage du nord de Jura : le Bagh Gleann nam Muc (la baie des cochons). Les conditions par beau temps et à l’étale laissent à chacun le loisir d’imaginer le même trajet par mauvais temps… La nuit au mouillage a été des plus paisibles, après un magnifique coucher de soleil et bien à l’abri du vent.

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La mauvaise réputation de ce détroit d’un mille nautique de long environ s’explique par plusieurs facteurs :

  • la morphologie des fonds : imaginez un grand canyon sous l’eau et mettez-y une colonne (de type fin d’ascension de la Dibona pour les montagnards qui nous lisent) faisant brusquement passer la profondeur d’entre 50 et plus de 220m à… 29m. C’est à cet endroit que se créent alors les “eddies” ou tourbillons, faisant du gouffre de Corryvreckan le 3e plus important maelstrom du monde.
  • les effets de marées : ajoutez à cette morphologie particulière les courants de marées forts à cet endroit puisque directement ouvert sur l’océan Atlantique. Le courant peut atteindre plus de 8 nœuds donc si vous calculez mal votre coup, en plus de ne pas aller là où vous aviez prévu, vous risquez même de vous retrouver plus loin que votre point de départ.
  • Les effets du vent : si aux effets de marées s’ajoute un vent soufflant dans une direction contraire au courant, là c’est encore mieux car en plus de ne pas avancer (au mieux) ou de reculer (le plus probable), vous avez des vagues stationnaires pouvant dépasser les 9 mètres et là… bravo, vous avez gagné votre venue sur Milagro pour nous raconter tout ça en détails !
  • et enfin les évocations du lieu dans la culture populaire et la littérature, qui elles aussi ne promettent vraiment rien de bon en cas de mauvais calcul. Quelques exemples : le grondement du gouffre s’entendrait à plus de 10kms dans les pires moments; pour les lecteurs de Jules Verne un petit coup d’œil dans Rayon vert vous fera voyager à cet endroit le temps d’un chapitre ; maintes fois au cours de l’histoire les locaux auraient favorisé la venue de navires ennemis à cet endroit pour les faire disparaître ; et aussi l’expérience vécue par George Orwell lors d’une navigation là, peu de temps avant de terminer son chef d’œuvre 1984 à quelques encablures du détroit : Barnhill sur la côte est de Jura.

Bref, vous l’aurez compris, nous avons un peu étudié la question avant de nous lancer et c’est encore plus timidement que la veille que nous avons levé l’ancre de bon matin pour nous engager dans sa traversée d’ouest en est. Les conditions étaient bonnes et comme prévu les tourbillons principaux actifs sur la rive nord du détroit. Nous étions au supposé bon moment de la marée et pourtant, les courants traversants décidaient parfois de la direction de Milagro et ses 45 tonnes. Loin des dangers et loin d’utiliser la pleine puissance du moteur pour lutter systématiquement contre, c’était assez fascinant de sentir ces effets (et aussi assez stressant pour le barreur). Les guillemots emportés par le courant semblaient heureux de voyager sans effort, plongeant le bec de temps en temps pour attraper la nourriture qui passe. De chaque côté le paysage révélait des conditions âpres : de la roche pelée marbrée de lichens et herbes, et aucun bosquet d’arbres. Ce n’est qu’à la sortie qu’apparût sur notre bâbord une petite maison perchée sur l’île de Scarba. Décision est prise de revenir pour expérimenter le mauvais temps, protégés à l’intérieur.

Quelques images de ce passage réalisé sous le soleil et des lumières changeantes :

Après un arrêt au port de Craobh Haven, c’est vers Loch Melfort que nous avons fait cap, pour les retrouvailles de Damien avec la ferme aquacole Kames Fish Farm.

[#4 Cap au nord – 2024] Ecosse : Islay et Jura

[#4 Cap au nord – 2024] Ecosse : Islay et Jura

Après avoir débarqué près de la jetée de Bruidladdich, nous sommes partis visiter le village de Port Charlotte en empruntant le chemin côtier et profitant ainsi des couleurs du couchant sur le Loch Indaal, de la vue sur le phare surplombant le Rubh’ An Duin (un peu de gaélique : Rubha : promontoire; Dun : fort, monticule) et la Kilchoman Parish Church.

Au retour à Bruidladdich, nous avons jeté un oeil aux horaires d’ouverture de la distillerie du même nom et productrice des whiskys Port Charlotte, Bruidladdich et Octomore. Cette distillerie est l’une des neuf distilleries présentes sur l’île d’Islay et nous nous décidons à la visiter demain en début d’après-midi (Le matin aussi c’était ouvert mais l’idée de déguster du whisky de bon matin réunissait peu d’amateurs…).

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[#4 Cap au nord - 2024] Ecosse : Islay et Jura 159

Après une matinée tranquille à bord, sans houle ni vent, c’est sous un grand ciel bleu que nous quittons le bord pour la fameuse visite de la distillerie Bruidladdich. Nous nous rendons à l’accueil, faisant aussi office de point de vente, et apprenons alors que la visite guidée avait uniquement lieu le matin à 10h30. Notre interlocutrice nous propose de revenir le lendemain, sauf que le lendemain, nous avons prévu de repartir en direction de la côte nord d’Islay… Visiblement très déçus, elle nous prend en sympathie en apprenant que nous sommes venus ici en voilier, ce grand voilier tout seul dans cet immense loch, et se propose de nous faire visiter la distillerie sur le champ, demandant à sa collègue de garder au comptoir la mascotte du bord, la Toupie, le temps de cette visite.

Elle nous apprend que cette distillerie a été fondée en 1881 et que bon nombre des équipements servant à la fabrication de leurs whiskys est toujours utilisé aujourd’hui. Elle nous décrit les différentes étapes de la fabrication et machines utilisées, l’origine du malt (et les partenariats avec des producteurs locaux), nous fait sentir l’évolution de la fermentation dans plusieurs fûts de dizaines de milliers de litres chacun… Le procédé est complexe et la passion pour son métier nous font véritablement plonger dans un nouvel univers. La grande salle de distillation s’apparenterait presque à un musée, avec des objets dignes d’une plongée dans l’univers de Jules Verne. Nous sommes complètement bluffés par le contraste entre les procédés mécaniques et artisanaux que nous voyons et les volumes produits : plus de 3 millions de litres whisky par an ! (et 1 million de litre de Gin « Botanist » passant tous dans la « Ugly Betty »). Et seulement deux personnes manient tout cela sur le bout des doigts pour donner à chaque whisky son identité (plus ou moins tourbée), maintenir la tradition et créer avec audace, comme l’illustre leur Octomore, le whisky le plus tourbé au monde (et préféré de Lauriane!).

A l’issue de cette visite, nous retrouvons la Toupie au comptoir accompagnée de ses nouveaux admirateurs, et entamons l’étape de la dégustation. Le choix est fait de goûter ce qui se démarque le plus de l’ordinaire : les quatre Octomore (14.1, 14.2, 14.3 et 14.4). Finalement tous très différents, chacun trouvera celui qui lui plaît, tantôt vanillé, tantôt rappelant le cuir et l’odeur de fumée.

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[#4 Cap au nord - 2024] Ecosse : Islay et Jura 178

Après une dernière ballade vers le fond du loch, nous retournons à bord, préparer le dîner et la navigation du lendemain.

La nuit suivante est un peu agitée par une petite houle arrivant du sud, avant le vent de la même direction prévu à la mi-journée. Nous faisons un point météo et nous préparons à lever l’ancre. Les prévisions sont bonnes, vent de sud à sud-est 4 à 6 et une mer peu agitée à agitée dans notre zone (MALIN). Nous partons en fin de matinée afin de profiter des conditions de marée favorables pour passer l’îlot An Coire ayant en arrière plan l’île Orsay surplombée par le phare de Rhinns of Islay et les villages de Port Wemyss et Portnahaven. Nous avançons à 5 noeuds, avec trinquette et artimon. Nous contournons la zone de courant et tourbillons afin d’éviter de rester trop longtemps dans une mer croisée. Il pleut et le vent se lève peu à peu, nous offrant cette « bonne » visibilité par moment…

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[#4 Cap au nord - 2024] Ecosse : Islay et Jura 179

Après avoir passé la pointe nous empannons pour remonter l’ouest de l’île, dans des conditions plus confortables et un ciel qui se dégage par moment, nous permettant entre autre d’observer la plage de sable blanc de Machir bay.

En fin d’après-midi nous passons entre Colonsay au nord et Ardnave Point, Nave Island et les Balach Rocks au sud, sous artimon, trinquette et yankee, par mer calme et à 7 nœuds avec 20 nœuds de vent : que du bonheur ! Les falaises du nord d’Islay se couvrent et se découvrent, laissant apparaître des arcs en ciel puis, progressivement, le phare de Rubha a’Mhail. Ce dernier marque l’entrée nord du Sound of Islay, séparant cette île de sa voisine encore plus sauvage : Jura.

Nous gardons le cap à l’est, et, à l’approche du chenal d’entrée, enroulons et affalons les voiles pour atteindre un petit coin de paradis dont l’approche s’avère exigeante, avec plusieurs alignements (rochers peints en blanc) à respecter pour se frayer un passage (étroit) entre les nombreux écueils et récifs.

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[#4 Cap au nord - 2024] Ecosse : Islay et Jura 184

C’est dans un environnement illustrant la notion de sauvage et d’immensité que nous jetons l’ancre, protégés du mauvais temps prévu le lendemain, et qui nous donne l’occasion de laisser la navigation de côté pour partir randonner, visiter deux bocies (refuges) et réaliser le premier vol inaugural du drone de l’asso dont voici le résultat :

La suite ce week-end avec au programme la remontée de Jura, la traversée du Corryvreckan et le retour, vingt ans plus tard, de Damien à Loch Melfort !