
De nouvelles évidences arquéologiques permettent de comprendre la présence espagnole en Patagonie (DICYT, 02/09/2022, « Nuevas evidencias arqueológicas permiten entender la presencia española en la Patagonia »)
Les vestiges archéologiques de l’une des enclaves défensives et productives établies par la Couronne espagnole entre 1779 et 1810 sur la péninsule de Valdés révèlent un établissement précaire, témoin de la présence espagnole en Patagonie.

CONICET/DICYT Dans le cadre des réformes bourboniennes, le roi Charles III décide de protéger et de renforcer sa présence dans les territoires indigènes d’Amérique. Ce projet de colonisation comprenait l’établissement de quatre enclaves sur la côte atlantique de la Patagonie. Une équipe de recherche archéologique multidisciplinaire du CONICET étudie les vestiges des colonies de Fuerte San José et Puesto de la Fuente, érigées entre 1779 et 1810 sur la péninsule de Valdés (province de Chubut), afin de comprendre leurs modes de vie, la complexité des relations interethniques entre les colons et les populations indigènes, et les stratégies de survie dans des contextes de pénurie et d’hostilité. « Ce qui reste dans les entrepôts est extrêmement abîmé (farine devenue terreau, sacs infestés de vers). Cet entrepôt est fortement infesté de rats, car il a été construit en premier, et ils dévorent toute la farine et les légumineuses », peut-on lire dans l’un des documents recueillis par les enquêteurs.
Les archéologues Silvana Buscaglia, de l’Institut multidisciplinaire d’histoire et de sciences humaines (IMHICIHU, CONICET), et Marcia Bianchi Villelli, de l’Institut de recherche sur la diversité et les processus de changement (IIDyPCa, UNRN-CONICET), travaillent depuis plus de vingt ans sur l’étude de la colonisation espagnole de la côte patagonienne. Depuis 2014, ils ont ajouté à leur équipe Solana García Guraieb, de l’Institut national d’anthropologie et de pensée latino-américaine (INAPL), et Augusto Tessone, de l’Institut de géochronologie et de géologie isotopique (INGEIS, CONICET-UBA). Au fil des ans, les membres de l’équipe ont publié de nombreux ouvrages sur la colonisation du Fort San José.
« Le Fort San José présente des caractéristiques particulières qui le distinguent des autres enclaves établies dans la région. C’était un établissement précaire, annexe du Fort Nuestra Señora del Carmen. Peu après, face au besoin d’eau douce, fut créé le Puesto de la Fuente, un établissement productif complémentaire situé près de la Salina Grande, à environ 30 kilomètres du fort. Les deux établissements étaient habités par une petite population militaire qui se relayait chaque année ; ils durèrent trente et un ans, jusqu’à ce qu’en 1810, des tensions avec les populations indigènes provoquent une attaque qui se solda par la mort de la moitié de ses occupants », explique Buscaglia.
Selon l’équipe de recherche, il existe une documentation abondante concernant le caractère et les intentions de la Couronne espagnole lorsqu’elle s’est établie dans certains sites qu’elle considérait comme stratégiques.
« Les colonies furent conçues comme des enclaves frontalières car elles avaient une fonction explicitement défensive. Elles visaient à renforcer la présence espagnole contre l’avancée anglaise dans la région, à fournir un abri dans les ports naturels et à soutenir l’exploitation des ressources marines et salines disponibles dans la région. Puisque la Couronne centralisait l’approvisionnement des populations et que leur seul lien avec le Río de la Plata était maritime, elles servaient également à intégrer les ports au système d’échange colonial », explique Bianchi Villelli.
Pour comprendre certaines des caractéristiques des personnes qui vivaient au fort, Solana García Guraieb et Augusto Tessone ont utilisé la bioarchéologie, qui leur permet de comprendre le profil biologique des populations du Fort San José.
« Nous avons pu recueillir de nombreuses informations grâce à des études ostéologiques et biochimiques. Nous avons découvert un cimetière et avons pu comparer des documents sur le profil biologique des habitants, hommes et adultes, ainsi que sur leur état de santé précaire. L’occupation était marquée par des maladies comme le scorbut. L’analyse des isotopes stables a révélé des caractéristiques alimentaires et indiqué une diversité d’origines parmi ses habitants, incluant peut-être des régions des Caraïbes », explique García Guraieb.
En ce qui concerne les relations interethniques, les chercheurs soulignent leur nature complexe et variable ainsi que le dynamisme et la reconfiguration constante des liens interculturels à travers l’espace et le temps. « Ainsi, dans le cas du Fort San José, nous observons que, d’un point de vue discursif, les références à la péninsule Valdés révèlent une lacune importante jusqu’en 1787, du moins dans le corpus documentaire recueilli aux Archives nationales. Durant les dernières années de l’occupation du Fort, les documents décrivent les populations indigènes comme majoritairement hostiles, et leurs contacts avec les habitants du Fort sont associés à des agressions physiques, des décès et des vols », explique Buscaglia.
Le Fort, qui ne l’était pas
Lors de leurs premières visites sur le site, les chercheurs ont consulté des cartes et diverses sources d’information et ont détecté des divergences entre elles. Par exemple, devant l’île aux Oiseaux (isthme Florentino Ameghino dans la péninsule de Valdés), se trouve aujourd’hui une réplique de ce qui aurait été la chapelle du Fort San José, construite pour le tourisme et pour commémorer l’exploit colonisateur. Cependant, au fur et à mesure que l’enquête progressait, il s’est avéré que cette construction était en réalité inspirée de la chapelle coloniale de la Citadelle de Montevideo (Uruguay). En raison d’une confusion dans les archives entre la batterie de Montevideo et le fort de Patagonie, tous deux portant le même nom, les cartes du Río de la Plata ont été attribuées à tort à la péninsule de Valdés. « Nous étions sur le terrain, examinant les plans et constatant une divergence significative avec le récit. Les installations réelles de San José étaient construites avec des matériaux précaires. C’était un fort fait de branches et de peaux, avec des abris, des vivres et une pénurie d’eau potable », décrit Bianchi Villelli.
C’est l’un des nombreux exemples de ce type de contraste entre les récits historiques traditionnels et les preuves historiques et archéologiques : « La perspective de l’archéologie historique, qui intègre, d’une part, l’examen critique de l’information documentaire et, d’autre part, une approche interdisciplinaire de l’étude de différentes lignes d’analyse archéologique et bioarchéologique, nous permet de réévaluer les discours traditionnels sur un processus complexe et multidimensionnel comme le colonialisme en Patagonie », souligne Buscaglia.
Source : https://www.dicyt.com/noticias/nuevas-evidencias-arqueologicas-permiten-entender-la-presencia-espanola-en-la-patagonia traduit de l’espagnol par l’association Karukinka