La découverte d’un monde perdu vieux de 30 millions d’années sous la glace de l’Antarctique : une véritable capsule temporelle révélée (Ouest France 13 juin 2025)

Un monde perdu découvert sous la glace de l’Antarctique : des chercheurs internationaux ont annoncé la découverte d’un monde perdu, potentiellement vieux de plus de 30 millions d’années, situé à plus d’un kilomètre sous la glace de l’Antarctique. Ce paysage ancien aurait pu regorger de rivières, de forêts, et peut-être même d’animaux sauvages.

Un article écrit par Cyril Renault ; source : https://sain-et-naturel.ouest-france.fr/monde-perdu-sous-la-glace-de-lantarctique.html

L’Antarctique n’a pas toujours été un désert glacé. Selon les scientifiques, il abritait autrefois un écosystème luxuriant. « Cette découverte est comme l’ouverture d’une capsule temporelle », a déclaré le professeur Stewart Jamieson, géologue à l’Université de Durham en Angleterre et co-auteur de l’étude, publiée dans la revue Nature Communications.

Des recherches débutées en 2017

Les travaux sur le terrain ont commencé en 2017, lorsque l’équipe a foré le fond marin afin d’extraire des sédiments provenant d’un écosystème enfoui sous la glace.

« La terre sous la calotte glaciaire de l’Antarctique oriental est moins connue que la surface de Mars », a souligné le professeur Jamieson.

C’est en analysant ces sédiments que les scientifiques ont mis au jour un ancien paysage situé à plus d’un kilomètre de profondeur.

Un paysage vaste et préservé

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Le paysage découvert se situe dans la région de Wilkesland, dans l’Antarctique de l’Est, et s’étend sur plus de 30 000 km², soit environ deux fois la taille de la Bretagne.

Des traces de pollen de palmiers anciens ont été retrouvées, suggérant que la zone pouvait avoir un climat tropical avant sa glaciation.

Grâce à des outils de pointe, notamment le radar à pénétration de sol, les chercheurs ont identifié des blocs de terrain surélevé mesurant entre 120 et 170 kilomètres de long et jusqu’à 85 kilomètres de large. Ces blocs sont séparés par des vallées pouvant atteindre 40 kilomètres de largeur et près de 1 200 mètres de profondeur.

Un paysage sculpté par les rivières

L’analyse indique que cette formation géologique n’a probablement pas été érodée par la glace, mais façonnée par des rivières. Le paysage aurait donc été formé avant l’apparition de la calotte glaciaire antarctique, il y a environ 34 millions d’années.

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Un schéma représentant l’ancien paysage fluvial préservé sous la calotte glaciaire de l’Antarctique oriental. Image crédits nature Communications

Les chercheurs poursuivent leurs études sur cette zone afin de mieux comprendre l’évolution du climat, des écosystèmes anciens et de la calotte glaciaire.

Cette découverte pourrait apporter des informations précieuses sur les effets du changement climatique à long terme.

La fragmentation de Gondwana et la naissance d’un relief unique

Lorsque le supercontinent Gondwana a commencé à se disloquer, le mouvement des masses terrestres a engendré de profondes fissures et formé les crêtes imposantes identifiées sous la glace de l’Antarctique. Ce processus tectonique ancien a façonné un paysage complexe qui est resté figé pendant des dizaines de millions d’années.

À cette époque reculée, la région abritait probablement des rivières sinueuses et des forêts denses dans un climat tempéré, voire tropical. Cette hypothèse est étayée par la découverte de pollen de palmier ancien à proximité du site, selon The Economic Times.

Par ailleurs, les sédiments extraits contenaient des micro-organismes marins, évoquant un environnement caractérisé par des mers chaudes et une biodiversité importante.

Un paysage qui évoque la Patagonie… ou les tropiques

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« Il est difficile de dire exactement à quoi ressemblait ce paysage ancien, mais selon la période que l’on considère, le climat aurait pu ressembler à celui de la Patagonie moderne, ou même à quelque chose de tropical », a expliqué le professeur Stewart Jamieson.

En d’autres termes, l’Antarctique verdoyant n’est pas uniquement un phénomène hypothétique ou contemporain. Il fut bel et bien une réalité géologique dans un lointain passé.

Un gel brutal qui a figé l’écosystème

Lorsque le climat mondial s’est refroidi, une calotte glaciaire s’est formée, recouvrant progressivement le continent antarctique. Ce processus a interrompu l’érosion active et a gelé le paysage sous-glaciaire, un peu comme un mammouth piégé dans la glace.

« L’histoire géologique de l’Antarctique enregistre d’importantes fluctuations », a déclaré Jamieson. « Mais des changements aussi brusques ont laissé peu de temps à la glace pour modifier significativement le paysage sous-jacent. »

Même lors de périodes de réchauffement climatique, comme au cours du Pliocène moyen il y a environ 3 millions d’années, la glace n’a jamais complètement reculé au point de révéler cette ancienne topographie.

Elle est donc restée préservée, intacte sous la glace depuis des dizaines de millions d’années.

Mieux comprendre le passé pour prédire l’avenir

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L’équipe scientifique espère que l’étude de ce paysage enfoui et de son évolution sous l’effet des glaciations successives permettra d’améliorer les modèles actuels sur la fonte des glaces.

« Ce type de découverte nous aide à comprendre comment le climat et la géographie sont étroitement liés, et à quoi nous pouvons nous attendre dans un monde où les températures augmentent », a conclu Jamieson.

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Des signes d’espoir alors que les éléphants de mer se rétablissent de la grippe aviaire dans un fjord reculé du Chili (Mongabay, 04/06/2025)

Des signes d’espoir alors que les éléphants de mer se rétablissent de la grippe aviaire dans un fjord reculé du Chili (Mongabay, 04/06/2025)

Une épidémie de grippe aviaire en 2023 a frappé une colonie d’éléphants de mer du sud dans la région de la Terre de Feu au Chili, entraînant une baisse de 50 % de sa population.

  • Mais au cours de la saison de reproduction 2024-2025, la population de la colonie s’est rétablie, avec 33 petits nés.
  • Une alliance entre la branche chilienne de la Wildlife Conservation Society et le département régional de l’environnement surveille cette colonie depuis des années, bravant l’isolement et les conditions météorologiques extrêmes à la pointe sud des Amériques.
  • Les experts avancent que le site, la baie Jackson, pourrait servir de refuge naturel contre la grippe aviaire grâce à son isolement géographique en tant que fjord.

Source: https://news.mongabay.com/2025/06/signs-of-hope-as-elephant-seals-rebound-from-avian-flu-in-remote-chilean-fjord/ traduit de l’anglais par l’association Karukinka

D’année en année, une colonie d’éléphants de mer arrive dans la baie Jackson, sur les rives de la Terre de Feu à l’extrême sud du Chili, pour muer et se reproduire. Cependant, en 2023, une épidémie de grippe aviaire a dévasté la région, et la population de la colonie a chuté de moitié.

En 2020, lorsque la grippe aviaire a causé des pertes dévastatrices dans les colonies d’oiseaux marins en Europe et en Afrique australe, les experts pensaient initialement que la propagation du virus aux mammifères se limiterait aux carnivores terrestres. Cependant, lors de l’épidémie de 2021 et 2022, le virus a touché des phoques et des baleines en Europe et en Amérique du Nord. En 2023, lorsque le virus est arrivé sur la côte sud-américaine, l’agent pathogène a montré qu’il pouvait causer une mortalité massive chez les mammifères marins. L’éléphant de mer du sud (Mirounga leonina) a été l’une des espèces les plus touchées.

Mais une bonne nouvelle est arrivée en avril 2025, lorsque des chercheurs ont constaté que la population d’éléphants de mer dans la baie Jackson avait doublé pour atteindre 200 individus, dont 33 petits.

« C’est une excellente nouvelle pour la conservation de l’espèce, car Jackson [Bay], du fait qu’elle se trouve dans les eaux intérieures des fjords et des canaux, peut agir comme une barrière protectrice contre les pandémies », déclare Cristóbal Arredondo, vétérinaire et coordinateur du programme terrestre pour la Wildlife Conservation Society (WCS) du Chili. Depuis 2008, WCS Chili surveille cette colonie aux côtés du département de l’environnement de la région de Magallanes, qui englobe la Terre de Feu.

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Éléphants de mer dans la baie Jackson. Image avec l’aimable autorisation de Francisco Brañas.

Un refuge contre le virus

La baie Jackson abrite « la plus grande colonie d’éléphants de mer du Chili », selon Javiera Constanzo, vétérinaire et responsable de l’approche One Health pour WCS Chili. La baie est située entre deux aires protégées : la zone marine et côtière protégée à usages multiples Seno Almirantazgo (ou Admiralty Sound), administrée par le ministère de l’Environnement, et le parc naturel Karukinka, une initiative privée de conservation gérée par WCS Chili.

Le parc naturel Karukinka est un vaste refuge naturel qui s’étend sur environ 300 000 hectares (741 000 acres) de divers écosystèmes. Admiralty Sound, qui entoure les côtes de Karukinka, reçoit de l’eau douce de plusieurs glaciers de la cordillère Darwin, une chaîne de montagnes couverte de glace. Comme Admiralty Sound est un grand fjord — une vallée profonde et étroite d’origine glaciaire remplie d’eau de mer — son mélange d’eau douce et d’eau salée le rend très productif. Et en tant que zone protégée par le gouvernement, Admiralty Sound est vital pour la population d’éléphants de mer, explique Constanzo, en interdisant les activités qui pourraient affecter l’espèce.

Surtout, l’isolement de la baie Jackson pourrait en faire un refuge pour la colonie d’éléphants de mer. Cette hypothèse est encore à l’étude, mais « ce que l’on observe est très positif pour la conservation de l’espèce », affirme Constanzo.

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Au cours de la saison la plus récente, 33 petits sont nés. Image avec l’aimable autorisation de la WCS

Surveillance réussie après la grippe aviaire de 2023

Les données des émetteurs satellites montrent que certains éléphants de mer de la baie Jackson restent sur place tandis que d’autres migrent depuis d’autres endroits, venant de l’océan Pacifique ou voyageant dans l’Atlantique jusqu’à la péninsule Valdés, au centre de la Patagonie argentine.

En 2023, lors de l’épidémie de grippe aviaire hautement pathogène, il y a eu une mortalité massive d’éléphants de mer en Argentine : selon une étude publiée dans Nature Communications, environ 17 000 animaux sont morts.

À la baie Jackson, les chercheurs n’ont enregistré qu’environ 100 individus dans la colonie cette année-là, soit moins de la moitié du nombre enregistré les années précédentes.

« Nous espérions vivement qu’au cours de la saison suivante, les effectifs de la colonie se rétabliraient », déclare Arredondo. Et c’est ce qui s’est produit. La saison 2024-2025 a dissipé tout doute : 200 éléphants de mer ont été observés dans la baie Jackson en décembre, le mois où la population de la colonie atteint normalement son maximum. Les chercheurs ont également enregistré la naissance de plus de 30 petits éléphants de mer, soit le même nombre qu’en 2023.

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Des chercheurs de WCS Chili et du département régional de l’environnement de Magallanes dans la baie Jackson. Image avec l’aimable autorisation de Francisco Brañas

La colonie de la baie Jackson a « maintenant retrouvé ses effectifs après la grippe aviaire », selon Constanzo.

Les experts attribuent le rétablissement rapide de la colonie d’éléphants de mer de la baie Jackson à plusieurs facteurs. D’une part, sa localisation dans les eaux intérieures des fjords et des canaux, loin des autres colonies touchées, a pu servir de barrière naturelle contre la grippe aviaire, réduisant le risque de contagion.

Les chercheurs suggèrent que les éléphants de mer ayant contracté le virus de la grippe aviaire hautement pathogène n’ont probablement pas réussi à revenir à la baie Jackson, mourant probablement avant d’atteindre leur destination.

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Environ 200 éléphants de mer ont été vus dans la baie Jackson en décembre 2024. Image avec l’aimable autorisation de la WCS

Surveillance dans une zone extrême

Les vents dans la baie Jackson peuvent atteindre jusqu’à 120 kilomètres par heure, ce qui représente un défi important pour les chercheurs lors du débarquement. Cela n’a cependant pas empêché la biologiste marine Marina Maritza Sepúlveda de se rendre dans la baie Jackson en 2023 avec une équipe de scientifiques chiliens et britanniques. Ils ont équipé plusieurs éléphants de mer de la baie Jackson d’émetteurs satellites, dans le cadre d’un projet en cours soutenu par WCS Chili.

Sepúlveda explique que les émetteurs aident les scientifiques à suivre la colonie alors qu’elle voyage le long du courant du Cap Horn, l’un des courants « les moins étudiés et connus du Chili », et qui est « extrêmement important à comprendre ».

WCS Chili s’est également joint à l’équipe pour surveiller la colonie d’éléphants de mer. Étant donné le coût logistique élevé pour atteindre la zone, chaque occasion de collecter des données est exploitée.

« La présence des animaux sur place nous permet de maximiser les chances de recueillir des données scientifiques précieuses », explique Sepúlveda. Par exemple, des vétérinaires comme Arredondo et Constanzo prélèvent des écouvillons nasaux et anaux pour étudier le microbiome des éléphants de mer, y compris leur charge bactérienne et virale.

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La baie Jackson est située dans une zone où la vitesse du vent peut dépasser les 120 km/h. Image avec l’aimable autorisation de la WCS.

Les chercheurs recueillent également des données à l’aide d’une échographie pour mesurer l’épaisseur de la couche de graisse des éléphants de mer, ce qui permet d’évaluer leur condition physique. Ils prélèvent des moustaches et des poils pour analyser l’écologie trophique des phoques et vérifier la présence de métaux lourds, et collectent des excréments pour rechercher des parasites.

Au cours de la saison la plus récente, les chercheurs ont également prélevé des échantillons pour confirmer la présence de la grippe aviaire dans la colonie. Ces échantillons sont actuellement en cours d’analyse.

« Le travail d’équipe nous permet d’optimiser les ressources, de partager les connaissances et de garantir la collecte de données précieuses qui contribuent à la compréhension et à la conservation de cette colonie d’éléphants de mer », explique Arredondo.

Les chercheurs surveillent la colonie d’éléphants de mer de la baie Jackson dans le cadre d’un projet de long terme depuis plus de 16 ans.

Chaque année, entre octobre et avril, une petite équipe parcourt toute la plage et la zone côtière. Lors de ces inspections, les chercheurs classent les éléphants de mer par âge et par sexe, ce qui les aide à comprendre la composition de la population de la colonie. Cependant, selon la position d’un phoque au sol, certains individus ne peuvent pas être identifiés ; dans ces cas, les scientifiques les placent dans la catégorie « sexe non déterminé », explique Constanzo.

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Chaque année entre octobre et avril une petite équipe de chercheurs parcourt toute la plage et la zone côtière pour recueillir des informations sur les éléphants de mer. Image avec l’aimable autorisation de la WCS

Les éléphants de mer passent la majeure partie de leur vie dans l’eau et ne viennent à terre que pour se reproduire et muer, un processus qui dure environ un mois. Pendant cette période, ils ne retournent pas à l’eau pour se nourrir. Cela signifie que tout changement qui augmente leur consommation d’énergie est problématique, selon Arredondo. C’est pourquoi les chercheurs veillent à garder une distance de sécurité avec les phoques afin de « ne pas perturber » leur comportement.

En plus de compter les éléphants de mer en personne, ils utilisent également des drones pour cartographier la zone. Cela aide les chercheurs à obtenir des images détaillées de l’emplacement des éléphants de mer.

Francisco Brañas, expert à l’unité des aires protégées du département régional de l’environnement, explique que le traitement de ces images permet aux chercheurs d’obtenir des informations supplémentaires, telles que les mesures individuelles. Les chercheurs peuvent estimer le poids corporel des éléphants de mer et évaluer leur condition physique pour déterminer s’ils disposent de suffisamment de nourriture, selon Brañas.

« Les images capturées par les drones nous offrent une vue plus complète et précise de la colonie », dit-il. La surveillance régulière a été essentielle pour évaluer le rétablissement de la colonie, qui a été décrite pour la première fois en 2006. Cette année-là, 46 individus ont été recensés. Depuis, les effectifs ont globalement augmenté.

L’augmentation spectaculaire de la population d’éléphants de mer dans la baie Jackson témoigne non seulement de la résilience de l’espèce, mais aussi des efforts de collaboration essentiels à la réalisation de ce suivi dans une zone isolée et soumise à des conditions météorologiques extrêmes.

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Les éléphants de mer passent la majeure partie de leur vie dans l’eau et ne viennent à terre que pour se reproduire et muer. Image avec l’aimable autorisation de Pablo Lloncón.

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Quel rôle joue le nouveau voilier de 20m dans la réalisation des activités de Karukinka ?

Quel rôle joue le nouveau voilier de 20m dans la réalisation des activités de Karukinka ?

Un camp de base flottant polyvalent en Patagonie insulaire

Milagro est un voilier d’expédition acquis par l’association Karukinka en 2023 grâce au soutien de ses membres. C’est un ketch Bruce Roberts de 20 mètres en acier qui joue un rôle fondamental dans la réalisation de nos activités associatives. Ce navire, construit en Suède et ayant déjà effectué deux tours du monde, est un véritable « camp de base flottant » permettant d’accueillir diverses initiatives qu’elles soient artistiques, scientifiques ou sportives. #voilier patagonie

Avec ses caractéristiques techniques adaptées (longueur de 20m, maître-bau de 5m25, tirant d’eau de 2m30, motorisation Cummins 180CV, voilure 180m² au près et 295m² au portant), le Milagro offre une plateforme robuste et adaptée pour nos expéditions en régions polaires et subpolaires, domaines d’activité privilégiés de Karukinka.

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Le voilier Milagro au pied d’un glacier de la Cordillère Darwin, Tierra del Fuego, canaux de Patagonie, Chili (Photographie: Diego Quiroga, du voilier Pic La Lune, Ushuaia)

Un navire support pour la logistique de nos expéditions scientifiques, sportives et artistiques

Une infrastructure adaptée aux recherches de terrain

Le Milagro constitue un support logistique essentiel pour les expéditions scientifiques et artistiques menées par Karukinka. Entièrement équipé et isolé, ce navire permet d’accueillir jusqu’à 12 personnes (10 personnes pour les projets de plus d’une semaine) grâce à ses cinq cabines (quatre doubles et une quadruple). Cette capacité d’accueil importante facilite la constitution d’équipes pluridisciplinaires, conformément à l’approche de notre association qui réunit des compétences sportives, artistiques et scientifiques.

L’autonomie considérable du navire (1500L de gasoil, 1000L d’eau + dessalinisateur, groupe électrogène, panneaux solaires…) lui permet d’atteindre des zones reculées et d’y séjourner suffisamment longtemps pour mener à bien nos travaux. Le navire est également équipé pour les télécommunications en zone A4 et d’un accès à internet, garantissant la sécurité et la connectivité même dans les régions les plus isolées comme les canaux de Patagonie (Terre de Feu, Cordillère Darwin, cap Horn, Antarctique…).

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Exploration d’un fjord de la Cordillère Darwin (Terre de Feu) où vèle l’un des nombreux glaciers de Patagonie (voilier Milagro, canaux de Patagonie, Chili, mars 2025)

Un outil pour les projets ambitieux

Grâce au Milagro, Karukinka a pu élargir considérablement ses actions et mettre en place des expéditions et résidences de recherches scientifiques et artistiques en toute indépendance. Le navire est mené par un équipage professionnel bénévole composé de deux à trois personnes diplômées du Brevet d’État Voile et de la Marine Marchande française.

L’acquisition de ce voilier a notamment permis la réalisation de l’expédition Cap Nord – Cap Horn (2023-2025), un projet majeur soutenu par le programme « Mondes Nouveaux » du Ministère de la Culture. Cette expédition, qui relie à la voile le cap Nord en Norvège au cap Horn en Patagonie, s’est conclut par une arrivée en Terre de Feu le 24 janvier 2025, après un voyage de plus de 15 000 milles nautiques et par le passage du cap Horn à la voile en mars et avril 2025.

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Milagro au mouillage dans une des nombreuses baies de la Réserve de Biosphère du Cap Horn (2025)

Financement des activités de l’association

Une section voile pour l’autofinancement

Depuis 2023, Karukinka dispose d’une section voile affiliée à la Fédération Française de Voile. L’association propose des stages de voile réservés à ses membres, ce qui permet de financer ses actions en faveur des peuples autochtones et de garantir la réalisation de projets ambitieux.

Compte tenu du budget nécessaire à la maintenance et à l’utilisation d’un voilier de 20 mètres, et de l’ampleur des projets à long terme de l’association (digitalisation de documents/archives, création de bases de données en ligne, financement de séjours en Europe pour des membres des communautés autochtones), Karukinka définit chaque année en Assemblée Générale la cotisation nécessaire pour participer aux différentes activités de navigation et ainsi pérenniser ses actions.


Un soutien pour la recherche indépendante

Consciente des difficultés rencontrées par les laboratoires et chercheurs pour obtenir des financements en milieux polaires et subpolaires, Karukinka met tout en œuvre pour soutenir des projets scientifiques, artistiques, sportifs et humanistes. Le voilier Milagro joue ainsi un rôle crucial dans cette stratégie d’autofinancement et de soutien à la recherche indépendante.

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Pêche artisanale dans les canaux de Patagonie avec José Germán Gonzalez Calderón (patron de pêche et artisan yagan, membre d’honneur de Karukinka et parrain du navire)

L’association propose également ses services pour la réalisation de missions de terrain à bord du Milagro pour des laboratoires, instituts et groupes de chercheurs et/ou artistes. Cette approche permet de mutualiser les ressources et de rendre accessibles des terrains d’étude difficiles d’accès.

Un outil de liberté pour les projets futurs

L’acquisition du Milagro a considérablement élargi les horizons de notre association. Grâce à ce navire nous avons désormais toute la liberté de poursuivre nos actions et recherches au sud du détroit de Magellan, pour commencer de 2025 à 2030 !

Le voilier permet à l’association de mener des projets pluridisciplinaires dans des régions difficiles d’accès, comme les canaux de Patagonie, l’Antarctique, la Géorgie du Sud… Il facilite également la poursuite des travaux avec les peuples autochtones selk’nam, haush et yagan du sud de la Patagonie, qui constituent l’un des axes principaux de travail de l’association.

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Arrivée du voilier Milagro dans le canal Beagle, Patagonie, après 15 000mn (photographie de José Germán González Calderón, à côte de Puerto Williams, île Navarino, région du Cap Horn, Chili, 2025)

Le voilier Milagro représente bien plus qu’un simple moyen de transport et n’est pas une fin sinon un moyen. Il constitue un véritable outil stratégique qui permet à l’association de réaliser pleinement sa mission d’exploration, de recherche scientifique et de création artistique en régions polaires et subpolaires.

Grâce à ce navire, Karukinka peut mener des projets ambitieux, autofinancer ses activités, soutenir la recherche indépendante et poursuivre son travail avec les peuples autochtones. Le Milagro incarne ainsi la philosophie de l’association : indépendance, bienveillance et engagement au service de la connaissance et de la préservation des cultures et des environnements des régions extrêmes de notre planète.

Départ du voilier Milagro au port de pêche de Puerto Williams avec un équipage international (Argentine, Chili et France) Aude, Lauriane, Sébastien, Clément, Alejandro, Shenü, Damien, Mirtha (marraine du navire), Alicia, Maria et Vaïna, filmé par José, le parrain de Milagro (janvier 2025)

Des scientifiques du CONICET ont détecté des microplastiques et des pigments dans l’atmosphère de l’Antarctique (13/12/2024, InfoFueguina)

Selon un rapport publié par le CONICET, l’air respiré dans la péninsule Antarctique contient une grande variété de polymères plastiques et de colorants principalement associés à l’industrie textile ; La composition la plus observée était le coton semi-synthétique, bien que du polyamide, du polyester, du polypropylène, des polyacrylates et des polyacrylonitriles aient également été trouvés.

Source : https://www.infofueguina.com/sustentable/2024/12/13/cientificos-del-conicet-detectaron-microplasticos-pigmentos-en-la-atmosfera-de-la-antartida-80049.html Traduit de l’espagnol par l’association Karukinka

Científicos del CONICET detectaron microplásticos y pigmentos en la atmósfera de la Antártida
Las partículas fueron analizadas durante 2023, aunque los resultados se dieron a conocer esta semana. Foto: CONICET La Plata

Par la Rédaction d’Infofueguina, vendredi 13 décembre 2024 · 09:45

Des chercheurs et spécialistes du CONICET La Plata ont analysé pour la première fois l’air de la péninsule Antarctique et ont détecté la présence de microplastiques et de pigments utilisés dans l’industrie textile.

Cette découverte est le résultat d’une surveillance continue effectuée à la station scientifique argentine Carlini Base – située sur l’île 25 de Mayo, au nord de la péninsule – à l’aide d’appareils qui prélevaient des échantillons de particules atmosphériques considérées comme « suspectes ».

L’analyse a confirmé que l’air que nous respirons contient une grande variété de polymères plastiques et de colorants principalement associés à l’industrie textile. Les particules capturées ont été analysées en 2023 avec deux techniques différentes pour déterminer la composition chimique de matériaux extrêmement petits : la microspectroscopie RAMAN et la microspectroscopie infrarouge.

« Les échantillons que nous étudions sont des microplastiques, c’est-à-dire des plastiques dont les dimensions n’excèdent pas 5 millimètres. Dans ce cas, la plupart des objets trouvés mesuraient au maximum un millimètre de long et 20 microns de large. Nous parlons de minuscules morceaux, sachant qu’un micron équivaut à un millième de millimètre », a expliqué Lorena Picone, l’une des chercheuses du CONICET qui ont participé à l’analyse.

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Sur la base des résultats, ils ont trouvé des déchets d’origine plastique dans tous les échantillons, et 80 pour cent de ce qui a été analysé correspond à des microfibres synthétiques et semi-synthétiques utilisées dans la fabrication de vêtements. La composition la plus observée était le coton semi-synthétique, bien que du polyamide, du polyester, du polypropylène, des polyacrylates et des polyacrylonitriles aient également été détectés.

Ils ont également trouvé de l’indigo, du bleu réactif 238 et de la phtalocyanine de cuivre, trois pigments utilisés dans la fabrication de plastiques et de teintures pour vêtements, qui n’avaient jamais été signalés auparavant dans l’air de l’Antarctique.

« Bien que les résultats publiés suggèrent qu’en raison des niveaux et du type de pollution détectés, le transport sur de courtes distances de l’activité humaine locale joue un rôle important, l’influence des modèles atmosphériques à grande échelle transportant des particules de différents types n’est pas exclue. sur des milliers de kilomètres, et c’est pourquoi la prochaine étape sera d’étendre les tâches de surveillance à de nouvelles régions qui permettront de comparer les résultats et de compléter les conclusions », détaille le rapport.


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Dans les terres australes, une grippe décime les mammifères et oiseaux marins (Ouest France, 10/12/2024)

Les scientifiques le redoutaient depuis des mois. Un virus d’origine grippale décime les populations d’éléphants de mer et de manchots dans les Terres australes et antarctiques françaises (TAAF). Après être apparue ces dernières années dans d’autres régions du globe, la maladie touche des mammifères et oiseaux marins évoluant dans des écosystèmes uniques au monde.

Les tests antigéniques ont été rapidement réalisés sur les manchots de Crozet.
Les tests antigéniques ont été rapidement réalisés sur les manchots de Crozet. | TORNOS/LEJEUNE CNRS IPEV

Ouest-France Dans les Terres australes et antarctiques françaises, Valérie PARLAN.

Modifié le 10/12/2024 à 10h43. Publié le 10/12/2024 à 10h39

Des milliers d’éléphants de mer gisants morts sur les côtes, des dizaines d’albatros et de manchots royaux terrassés reposant sur les rochers… Les images de la grippe aviaire survenue ces derniers mois chez les mammifères et oiseaux marins dans les Terres australes et antarctiques françaises (TAAF) hantent encore ceux qui les ont découvertes. L’épizootie a d’abord été constatée en octobre dernier sur l’archipel de Crozet dans les colonies d’éléphants de mer, parmi les plus importantes au monde.

Crozet, tout comme ses « sœurs » australes de Kerguelen, Saint-Paul et Amsterdam, est inhabitée de manière permanente. Seuls des agents, militaires et chercheurs s’y relaient plusieurs mois d’affilée pour y mener des missions de souveraineté, d’observation et de protection des réserves naturelles. Ce sont eux qui ont alerté les autorités.

Éviter la contamination à l’homme

Trois semaines plus tard, c’est à Kerguelen qu’un éléphant de mer a été testé positif à ce même pathogène d’origine grippale. Sur le terrain, les observations se rejoignent : le virus cause de sévères troubles neurologiques, des tremblements, des convulsions et occasionne de graves hémorragies internes dans une grande partie des organes.

Rapidement, l’administration des TAAF, en concertation avec l’Institut polaire français Paul-Emile Victor (IPEV) 1,…

La suite de ce reportage est disponible sur le site du journal Ouest France : https://www.ouest-france.fr/outre-mer/reportage-dans-les-terres-australes-une-grippe-decime-les-mammiferes-et-oiseaux-marins-da6c9940-b6d2-11ef-ab9f-bc1b3bcb740d

Le feu sous la glace : le volcan le plus isolé du monde abrite un lac de lave (National Geographic, 3 décembre 2024)

Les scientifiques soupçonnaient depuis longtemps qu’une île volcanique de l’Atlantique Sud renfermait un lac de lave. Pour l’étudier, ils ont dû s’aventurer dans l’un des lieux les plus reculés de la planète.

Source : https://www.nationalgeographic.fr/sciences/expedition-scientifique-volcan-le-plus-isole-du-monde-abrite-lac-de-lave-magazine

De Freddie Wilkinson, National Geographic

Photographies de Renan Ozturk

Publication 3 déc. 2024, 14:58 CET

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Le mont Michael émerge du brouillard qui nappe l’île Saunders. Bien que située dans l’une des régions volcaniques les plus actives du monde – à environ 2400 km de la pointe de l’Amérique du Sud –, celle-ci est rarement visitée par les chercheurs.
PHOTOGRAPHIE DE Renan Ozturk

Sur une crête couverte de glace, à environ 900 m au-dessus de la houle furieuse de l’océan Atlantique Sud, Emma Nicholson prend une profonde inspiration derrière son respirateur, vérifie son baudrier et s’engage dans la bouche béante d’un volcan en activité. 

Il est un peu plus de 16 heures sur le sommet battu par les vents du mont Michael, point culminant de l’île Saunders. Située dans l’archipel inhabité des Sandwich du Sud, celle-ci est l’un des endroits les plus isolés de la planète – à environ 800 km de la station de recherche permanente la plus proche, en Géorgie du Sud, et à plus de 1 600 km du moindre trafic maritime. En fait, les personnes se trouvant le plus près de la jeune femme et de ses compagnons d’aventure sont les sept astronautes de la Station spatiale internationale, qui passe à quelque 400 km au-dessus d’eux toutes les quatre-vingt-dix minutes. Après des années de préparation et un voyage tortueux de 2 250 km dans des mers tumultueuses et truffées d’icebergs, la volcanologue de 33 ans est sur le point de devenir la première scientifique à explorer l’intérieur du cratère du mont Michael. Elle espère y recueillir de nouveaux indices sur les processus à l’œuvre dans les entrailles de la planète. Mais le volcan ne livre pas facilement ses secrets. 

À première vue, l’intérieur du cratère semble sans danger. Emma Nicholson et son partenaire de recherches, João Lages, descendent prudemment à l’aide d’une corde d’escalade – tous deux comprennent que, quelque part en contrebas, ce terrain apparemment sûr pourrait se transformer en une paroi de glace instable. Au fil de leur descente, le vent se calme et des pans de ciel bleu apparaissent. La volcanologue découvre à travers son masque un cercle de parois quasi verticales de roche et de glace recouvertes de cendres. 

Équipés d’un ordinateur et d’une caméra thermique, João Lages et Emma Nicholson s’enfoncent encore plus profondément dans la montagne. Au-dessous d’eux, la pente douce débouche brusquement sur le vide, sans qu’ils parviennent à distinguer le fond du cratère. En regardant autour d’elle, la scientifique prend toute la mesure de l’environnement où elle se trouve : un lieu qui porte les marques de l’une des plus grandes démonstrations de puissance de la nature. 

Des manchots peuplent les pentes couvertes de cendres de l’île Saunders, l’une des onze que compte ...
Des manchots peuplent les pentes couvertes de cendres de l’île Saunders, l’une des onze que compte l’archipel des Sandwich du Sud. Le site est un lieu de reproduction essentiel pour plus de 3 millions de manchots papous, Adélie et à jugulaire, et de gorfous macaronis.
PHOTOGRAPHIE DE Renan Ozturk

Pour un volcanogue, être le premier à plonger son regard dans un gouffre obscur menant vers les profondeurs de la planète représente le moment le plus attendu d’une carrière. Une seule chose échappe à la scientifique, celle-là même qui l’a amenée dans ce lieu perdu : où se trouve le lac de lave ? 

Une traction rassurante s’exerce sur son baudrier. La corde, Emma Nicholson le sait, est reliée à un point d’ancrage des plus fiables, au sommet : la guide de montagne Carla Pérez, devenue en 2019 la première femme à gravir l’Everest et le K2 la même année. La traction est un petit rappel à son adresse pour qu’elle fasse attention à elle et n’aille pas trop loin. 

Le 2 Février 1775, le capitaine britannique James Cook se tenait avec lassitude sur le bastingage de l’arrière de son navire, le Resolution, et contemplait une île morne et enneigée. Le navigateur était en mer depuis deux ans et demi pour sa deuxième expédition, et le paysage sinistre correspondait à son état d’esprit. « La plus horrible côte du monde », déclara-t-il à propos de l’archipel qu’il baptisa îles Sandwich du Sud, en hommage à l’un de ses soutiens, le comte de Sandwich. Ces îles, écrivit-il, sont « condamnées par la nature […] à ne jamais recevoir la chaleur des rayons du soleil ».

Il fallut attendre des décennies pour que les scientifiques comprennent que l’une d’entre elles, l’île Saunders, possédait sa propre source de chaleur. Et, même à cette époque, ce lieu glacé et balayé par les vents, situé au milieu de nulle part, n’intéressait personne. 

Depuis la timonerie de l’Australis, la volcanologue britannique Emma Nicholson observe le paysage à l’approche de l’île Saunders. ...
Depuis la timonerie de l’Australis, la volcanologue britannique Emma Nicholson observe le paysage à l’approche de l’île Saunders. Une tentative manquée de gagner le sommet de son volcan, en 2019, lui avait laissé le sentiment d’un « travail inachevé ». 
PHOTOGRAPHIE DE Renan Ozturk

« Comme les îles Sandwich du Sud sont difficiles d’accès et qu’il est compliqué d’y débarquer et d’y travailler, il faut vraiment avoir de bonnes raisons pour y aller », résume John Smellie, professeur de géologie à l’université de Leicester, en Angleterre. L’archipel, formé par le déplacement de la plaque tectonique sud-américaine sous la plaque des Sandwich, est pourtant l’un des environnements les plus simples du monde pour l’étude de la volcanologie. 

« C’est une véritable usine à croûte terrestre, poursuit l’universitaire. On peut examiner ce qui se passe dans les magmas depuis leur formation jusqu’à leur remontée à la surface… parce que les variables y sont très peu nombreuses. » 

John Smellie est l’une des rares personnes à avoir visité l’île Saunders. Lors d’une expédition en 1997, il était en train de prélever des échantillons à son extrémité nord, quand il a remarqué que le panache du mont Michael était anormalement dense. « On aurait dit qu’il soufflait et haletait, et ces caractéristiques m’ont surpris », raconte-t-il. Cela lui a rappelé le mont Erebus, un volcan en Antarctique abritant un lac de lave permanent. Le scientifique et un de ses amis du British Antarctic Survey ont cherché à identifier une signature thermique correspondant au cratère sommital du mont Michael, grâce à un radiomètre embarqué à bord d’un satellite. Ayant observé des températures moyennes de 300 °C, tous deux ont supposé qu’ils avaient bien affaire à un lac de lave, l’un des phénomènes les plus rares de la volcanologie. 

Le photographe Ryan Valasek nage en combinaison étanche, non loin de l’Australis. L’équipe a pu compter ...
Le photographe Ryan Valasek nage en combinaison étanche, non loin de l’Australis. L’équipe a pu compter sur cet équipement pour se protéger des eaux glaciales de l’Atlantique Sud, dont les températures peuvent plonger en dessous de zéro.
PHOTOGRAPHIE DE Renan Ozturk

Bien que le monde compte environ 1 350 volcans potentiellement actifs, la présence actuelle d’un lac de lave permanent n’est attestée que dans huit d’entre eux. En général, après une éruption, la lave exposée à l’atmosphère refroidit et forme un bouchon de roche compact, emprisonnant la chaleur et les gaz à l’intérieur (et risquant de déclencher une nouvelle explosion). Mais, dans les volcans à conduit ouvert, la cheminée qui relie la surface à la chambre magmatique en profondeur n’est pas obstruée. Pour qu’un lac de lave se forme, la pression doit être assez forte pour pousser la lave jusqu’à la surface. Et pour qu’il subsiste, la pression doit continuer à s’exercer, et le rapport entre la chaleur provenant de l’intérieur de la colonne de magma et le taux de refroidissement doit être parfaitement équilibré, afin de maintenir la lave en fusion. Pour John Smellie, c’est le mot « capricieux » qui décrit le mieux les niveaux de pression pompant la lave dans le cratère du mont Michael : « Elle va et vient, peut-être pendant des mois, mais nos recherches montrent qu’elle continue à s’exercer aussi pendant des mois. » 

Parce que ces volcans à conduit ouvert permettent aux scientifiques d’échantillonner et d’analyser les gaz et la lave, ils sont considérés comme un laboratoire essentiel pour mieux comprendre les éruptions volcaniques et aider à les prévoir et à en limiter les risques.

En 2019, une autre équipe de volcanologues a utilisé des données satellitaires à haute résolution pour actualiser la découverte de John Smellie et détecté une anomalie de plus de 9 940 mde large à la surface du cratère. Comme Smellie, ils en ont déduit qu’il s’agissait d’un lac de lave. Leur étude a attiré l’attention d’une nouvelle professeure de volcanologie de l’University College de Londres, Emma Nicholson. Qui savait très bien que, si précise que soit l’imagerie satellitaire, le seul moyen de confirmer – et d’étudier –la présence d’un lac de lave était de gravir le mont Michael et de collecter des échantillons dans le cratère. Le fait qu’aucun géologue de terrain n’ait travaillé sur l’île Saunders depuis vingt ans a nourri sa motivation.

L’équipe érige des murs de neige pour protéger les tentes des vents violents. L’eau potable représentait ...
L’équipe érige des murs de neige pour protéger les tentes des vents violents. L’eau potable représentait un plus grand défi pour elle, qui avait prévu de faire fondre de la neige. Or celle-ci s’est avérée souillée par des composés chimiques provenant du volcan.
PHOTOGRAPHIE DE Renan Ozturk

« Plus jeune, j’adorais me perdre, errer, explorer », raconte la volcanologue. Ses parents, tous deux de fervents randonneurs, l’ont encouragée à suivre sa passion pour l’aventure. Lors d’un séjour aux États-Unis avec sa famille, quand elle avait 6 ans, une excursion à la découverte du volcan du mont Saint Helens a été déterminante pour son parcours. « Tous les arbres étaient encore couchés dans une seule direction, se souvient-elle. Il y avait des cendres partout, même plus de dix ans après l’éruption. Je me rappelle avoir voulu comprendre quelles forces avaient bien pu créer ce paysage. »

En 2020, Emma Nicholson a rejoint une expédition d’étude des îles Sandwich du Sud. Après avoir jeté l’ancre au large de l’île Saunders, elle a tenté, avec d’autres scientifiques, la première ascension du mont Michael. Mais les mauvaises conditions météorologiques ont contraint l’équipe à faire demi-tour – un crève-coeur pour la volcanologue.

En novembre dernier, j’ai retrouvé celle qui était entre-temps devenue Exploratrice pour National Geographic dans les îles Malouines, pour un nouveau voyage sur l’île Saunders. La jeune femme avait monté une expédition pour réaliser la première ascension du mont Michael et la première étude de terrain de son cratère. L’Australis, voilier à moteur à coque en acier, nous attendait à quai à Port Stanley.

Notre expédition aurait semblé ridiculement petite au capitaine Cook. Ben Wallis, 43 ans, le capitaine australien, et deux autres membres d’équipage étaient à la manoeuvre. Emma Nicholson, avec ses collègues João Lages, 30 ans, géochimiste et volcanologue, et Kieran Wood, 37 ans, ingénieur en aérospatiale et spécialiste des drones déjà présent lors de l’expédition de 2020, formaient l’équipe scientifique. Le photographe Renan Ozturk, 43 ans, dirigeait une équipe de quatre personnes chargées de la communication. Enfin, Carla Pérez, 39 ans, alpiniste équatorienne et l’une des rares femmes à avoir atteint le sommet de l’Everest sans oxygène, devait conduire l’expédition pendant les phases d’ascension et de redescente du mont.

Le mont Michael crache un mélange de gaz, alors que l’équipe s’apprête à débarquer du matériel ...
Le mont Michael crache un mélange de gaz, alors que l’équipe s’apprête à débarquer du matériel sur l’île. Le capitaine de l’Australis suit de près la météo de l’Atlantique Sud, précisant qu’ils n’ont guère le droit à l’erreur : « Personne ne peut venir vous chercher en cas de problème. »
PHOTOGRAPHIE DE Renan Ozturk

Ben Wallis avait déjà emmené l’Australis dans les îles Sandwich du Sud. L’expérience avait été éprouvante. « Je préfère ne pas en parler », me dit-il sur le moment. Il n’était pas le seul à redouter cette partie de l’océan. Notre route frôlerait le passage de Drake, entre la pointe de l’Amérique du Sud et l’Antarctique, là où les océans Pacifique et Atlantique se rencontrent et forment les eaux les plus dangereuses de la planète. À cette latitude, aucune masse continentale ne vient entraver le vent ou les courants et la hauteur des vagues peut atteindre jusqu’à 12 m.

Des semaines après que je lui avais posé la question pour la première fois, le laconique capitaine a fini par me livrer un récit haletant : celui d’une traversée au cours de laquelle il avait survécu en pleine mer à une tempête dont les vents avaient dépassé les 145 km/h sur son anémomètre – avant qu’il cesse de le consulter.

Depuis plus de vingt ans qu’il naviguait sur des petits bateaux autour de la péninsule Antarctique, il effectuait régulièrement quatre ou cinq traversées aller-retour du passage de Drake chaque été. Mais il lui avait fallu plusieurs années, reconnaissait-il, avant de se sentir prêt pour entreprendre un nouveau voyage vers les îles Sandwich du Sud.

« Ce qui [les] rend différentes, c’est qu’elles sont hors du monde », m’expliqua Ben Wallis. En d’autres termes, ce chapelet d’îles se trouvait hors de portée des avions basés à terre, et peu de navires traversaient la région. Ce qui signifiait qu’« il n’y a personne pour venir vous chercher en cas de problème », conclut-il.

Quand nous avons pris la mer, le premier jour, les vents étaient faibles. Nous en avons donc profité pour nous détendre sur le pont, simplement couverts de coupe-vent. Mais, chaque jour, la température fraîchissait légèrement et nous y passions moins de temps. Au cinquième jour de notre traversée, l’île de Géorgie du Sud était en vue. L’endroit était autrefois un centre prospère de chasse à la baleine.

La guide de montagne Carla Pérez conduit les membres de l’équipe sur les derniers mètres de ...
La guide de montagne Carla Pérez conduit les membres de l’équipe sur les derniers mètres de l’ascension qui fait d’eux les premiers à fouler le sommet du mont Michael. Derrière elle, Emma Nicholson transporte un appareil conçu pour échantillonner et mesurer les gaz volcaniques émis par le cratère.
PHOTOGRAPHIE DE Renan Ozturk

Après un bref arrêt au port de Grytviken, où nous nous sommes enregistrés auprès des autorités britanniques qui gèrent le sanctuaire marin de la Géorgie du Sud et des îles Sandwich du Sud, nous avons quitté l’abri protecteur des côtes géorgiennes pour nous enfoncer plus avant dans l’Atlantique Sud. Des icebergs commençaient à apparaître à l’horizon. À l’aide du radar et protégés par la coque en acier du voilier, nous avons zigzagué dans le dédale formé par ces énormes écueils luisants, jusqu’à ce que, dans l’après-midi de notre huitième jour en mer, l’île Saunders surgisse brusquement du brouillard.

Minuscule croissant de 8 km de long émergeant de l’océan Atlantique Sud, l’île ne présente aucun mouillage sûr. Notre meilleure option restait la baie Cordelia, qui offre une protection minimale contre le vent et la houle, mais qui est aussi bordée de hauts-fonds que les cartes marines qualifient de « mauvais » et de « non hydrographiés ».

Alors que nous nous dirigions vers la terre, les nuages qui enveloppaient l’île étaient en train de se dissiper et nous avons pour la première fois aperçu le mont Michael : l’apparence basse, ramassée et presque parfaitement symétrique d’une montagne qui, sans offrir un spectacle grandiose, n’en était pas moins imposante.

Ben Wallis a fait passer l’Australis sous les falaises qui surplombent l’extrémité nord de la plage et a jeté l’ancre. Notre temps était compté : selon lui, nous pouvions rester seize jours tout au plus avant que les conditions météo nous obligent à partir. La tonne d’équipement stockée en toute sécurité dans le gaillard d’avant a été répartie entre nos cabines exiguës ; le matériel serait transporté en canot pneumatique jusqu’à la plage le lendemain matin.

Enveloppés par le brouillard et fouettés par le vent et la neige au sommet du mont ...
Enveloppés par le brouillard et fouettés par le vent et la neige au sommet du mont Michael, Emma Nicholson (à gauche) et l’ingénieur en aérospatiale Kieran Wood utilisent un ordinateur portable connecté à une caméra thermique pour rechercher des indices de la présence de lave à l’intérieur du cratère.
PHOTOGRAPHIE DE Renan Ozturk

Pendant les préparatifs, le photographe Ryan Valasek poussa soudain un cri depuis le pont : « Regardez-moi ça ! » Nous avons tous rejoint la timonerie : un nuage scintillant en forme de soucoupe apparut dans le ciel nocturne au-dessus du mont Michael. Mes yeux ont d’abord distingué des taches rouges et violet foncé dans la nuit étoilée. Le Soleil s’était couché depuis déjà deux heures. J’ai alors réalisé lentement que la lumière provenait de l’intérieur du volcan. Tandis que nous scrutions le ciel, la palette de couleurs semblait changer graduellement : le rouge brique vira à l’écarlate, puis à l’orange, le violet foncé s’adoucissant jusqu’à devenir pourpre. Dehors, les mains agrippées au bastingage, Emma Nicholson tremblait à la fois de froid et d’excitation. Le spectacle incandescent auquel nous assistions, projeté sur la face inférieure d’un nuage, fut la première manifestation concrète de ce qu’elle était venue chercher à l’autre bout du monde : de la lave.

Le matin, nous nous sommes levés tôt et avons revêtu des combinaisons étanches par-dessus plusieurs couches de polaire, pour résister aux températures glaciales de l’eau. Bien que la mer fut suffisamment calme pour nous permettre de sortir du canot pneumatique de 4 m de l’Australis et d’atteindre le rivage sans difficulté, le ressac était encore assez puissant pour risquer de submerger le bateau chaque fois que nous débarquions notre chargement.

D’énormes éléphants de mer australs et des phoques de Weddell plus petits reposaient au ras de l’eau, tandis que des milliers de manchots papous, de manchots à jugulaire et de pétrels géants occupaient les collines brunes et grises désolées séparant la mer des pentes enneigées de la montagne. Une cacophonie de criaillements résonnait à nos oreilles. Pour éviter toute guerre de territoire avec la faune, nous avons décidé d’établir notre camp de base sur un champ de neige peu profonde, à 750 m de la plage.

Ce soir-là, l’île Saunders nous a révélé son premier obstacle. En bordure du camp, João et Emma testaient l’acidité de la neige, que nous avions l’intention de faire fondre pour obtenir de l’eau buvable. Les résultats ont laissé Emma sans voix. L’eau de l’île – du moins, dans les environs immédiats du camp – n’était pas potable.

Une vague charriant des morceaux de glace déferle sur Renan Ozturk, alors qu’un canot l’attend pour ...
Une vague charriant des morceaux de glace déferle sur Renan Ozturk, alors qu’un canot l’attend pour le ramener vers l’Australis. La météo a en effet contraint des membres de l’équipe à nager au-delà des brisants pour quitter l’île.
 
PHOTOGRAPHIE DE Matt Irving

Lors de la première nuit sur place, alors qu’elle était allongée à côté de Carla dans leur tente, les idées n’ont cessé de trotter dans la tête d’Emma. L’absence d’eau potable obligerait à mettre fin à l’expédition si une autre source d’eau ne pouvait être trouvée. Mais cette neige souillée faisait aussi partie des raisons pour lesquelles elle était revenue sur l’île Saunders.

Environ un dixième de l’humanité vit dans un rayon de 96 km autour d’un volcan et est confronté à toute une série de risques potentiels liés à l’activité volcanique. Tout aussi menaçants que les éruptions, mais pourtant bien moins étudiés, figurent les effets à long terme de la consommation d’eau et de l’inhalation d’air contaminés par les volcans à conduit ouvert, qui expulsent souvent un mélange de gaz. La vapeur d’eau et les dioxydes de carbone et de soufre constituent en général plus de 90 % du panache d’un volcan. Mais, quand la lave est proche de la surface, elle émet aussi du fluor, du chlore et du brome – des éléments très acides. Les pentes de neige du mont Michael constituent une zone de prélèvements idéale pour évaluer l’impact de tels volcans sur la nappe phréatique. « Il n’y a pas de sources externes de pollution », a souligné Emma Nicholson, expliquant que presque « tous les produits chimiques mesurés dans la neige ou les eaux souterraines viennent du volcan ».

Une meilleure compréhension de ce processus pourrait permettre d’aider les populations vivant dans ces environnements à trouver des solutions à long terme, notamment en matière de traitement de l’eau et d’alertes ciblées sur la qualité de l’air. Mais, pour étudier correctement ce phénomène durant les quelques jours dont elle disposait sur l’île Saunders, la volcanologue devrait prélever systématiquement des échantillons sous le panache de fumée depuis l’intérieur du cratère jusqu’au sommet du volcan.

Le lendemain, Carla constitua une équipe pour remédier au problème d’eau potable. En canot pneumatique, l’équipage transporta près de 500 l d’eau produite par le dessalinisateur de l’Australis jusqu’à la plage, que l’équipe de Carla achemina sur 750 m jusqu’au camp. Pendant ce temps-là, Emma, Kieran et moi avons passé la journée à explorer la montagne et à prélever des échantillons de neige.

Cette nuit-là, dans sa tente, dont la toile claquait sous le vent, Emma Nicholson fit soigneusement fondre chaque échantillon de neige, y ajoutant ensuite de l’acide nitrique pour en préserver la composition en vue de son étude en laboratoire – une opération délicate avec un produit chimique hautement corrosif utilisé à l’intérieur d’un abri secoué par les rafales.

Sous sa tente, Emma Nicholson ajoute un stabilisateur chimique pour préserver les échantillons d’eau recueillis sous ...
Sous sa tente, Emma Nicholson ajoute un stabilisateur chimique pour préserver les échantillons d’eau recueillis sous le panache du volcan qu’elle étudiera dans son laboratoire. On en sait peu sur les risques sanitaires à long terme liés à l’exposition aux éléments à l’état de traces libérés par les volcans à conduit ouvert.
PHOTOGRAPHIE DE Renan Ozturk

Le lendemain, nous avons effectué notre première tentative d’ascension du mont Michael. Alors que nous nous trouvions à 60 m du sommet, un signal d’alarme aigu nous transperça les oreilles malgré le rugissement du vent. Emma et Carla portaient des capteurs pour nous avertir de la présence de dioxyde de soufre. Nous avons enfilé les encombrants respirateurs sous nos lunettes de ski et avons poursuivi l’ascension.

À mesure que nous grimpions, les conditions météo se détérioraient. Le vent se renforçait, et d’épais nuages recouvraient la montagne. Kieran tenta de lancer un drone équipé d’un capteur thermique, qui se retrouva immédiatement pris dans des vents tourbillonnants, avant d’être récupéré en hâte. D’autres équipements souffrirent aussi : plusieurs appareils photo rendirent l’âme et un GPS portable se dérégla.

« Nous devons nous encorder », m’a crié Carla, indiquant que l’opération était nécessaire au cas où des crevasses seraient dissimulées sous la neige. Nous nous sommes tous attachés à la corde et j’ai conduit le groupe dans la pénombre.

Après avoir tâtonné sur une trentaine de mètres dans la tempête, il m’a semblé trouver le bord du cratère, mais, entre les vents de 100 km/h et l’épais brouillard, je n’arrivais pas à voir plus loin que ma main. Le reste du groupe m’a rejoint. Emma a sorti de son sac un instrument de la taille d’une mallette auquel étaient fixés plusieurs petits bouts de tuyaux flexibles : il s’agissait d’un capteur qui enregistrerait les principaux gaz du panache. Kieran a poursuivi son ascension pour reconnaître les lieux.

Dix minutes après avoir disparu dans le nuage, il est revenu, tout sourire : « C’est beaucoup mieux là-haut. Je crois que j’ai trouvé le sommet. »

Emma Nicholson et João Lages observent l’intérieur du cratère du mont Michael. Les parois abruptes et ...
Emma Nicholson et João Lages observent l’intérieur du cratère du mont Michael. Les parois abruptes et les couches de cendres témoignent d’éruptions antérieures. « Il est clair qu’il a eu un passé bien plus explosif que ce que nous voyons aujourd’hui », note la volcanologue.
PHOTOGRAPHIE DE Renan Ozturk

Un peu plus tard, nous nous sommes tous serrés dans les bras, sur le point culminant de la montagne. Le ciel était bleu, mais d’épais nuages remplissaient le cratère, semblable à un chaudron de sorcière. L’idée d’en explorer l’intérieur dans ces conditions – ou d’attendre que le temps se lève – semblait absurde.

Nous avions accompli la première ascension, mais nous n’avions toujours aucune idée de ce que le volcan renfermait.

Le jour suivant, nous nous sommes entassés dans une tente pour examiner les prévisions et discuter des options. Par radio depuis l’Australis, Ben nous informa qu’un système dépressionnaire arrivant dans quelques jours provoquerait des « conditions de mer dangereuses » – c’était la première fois que nous l’entendions utiliser cette expression. Nous espérions rester quelques jours de plus, mais il était temps de quitter l’île Saunders. Pourtant, Emma tenait absolument à retourner au sommet. Entre les pannes d’équipement et les conditions extrêmes, elle n’avait pu recueillir avec Kieran qu’une petite quantité de données. « Nous n’avons toujours pas résolu le mystère de l’existence d’un lac de lave au sommet du mont Michael », a souligné la volcanologue. Et puis elle n’avait pas collecté suffisamment d’échantillons de glace et de gaz pour pourvoir étudier l’influence du volcan sur l’eau.

Malgré tout, il restait une lueur d’espoir : une accalmie était prévue avant l’arrivée du prochain système dépressionnaire. Nous avons alors décidé de diviser l’équipe en deux : Kieran et moi lèverions le camp pendant que Carla reconduirait Emma, Renan et João au sommet. Si tout se passait bien, ils descendraient directement du sommet jusqu’à la plage, où le canot nous ramènerait à l’abri, à bord de l’Australis.

La traction de Carla sur la corde atteint Emma au moment où elle tente d’obtenir une vue dégagée du fond du cratère du mont Michael, espérant apercevoir une tache orange lumineuse en contrebas. Même si elle désire ardemment confirmer la présence du lac de lave, il reste d’autres tâches scientifiques importantes à accomplir, notamment les prélèvements de gaz. L’équipe a placé le dispositif d’échantillonnage dans la partie la plus épaisse du panache, afin d’enregistrer les concentrations de gaz les plus élevées, qui fourniront une mine de données.

Des collègues de João, à l’université de Palerme, ont mis au point le capteur pour un tel cas de figure et, alors qu’il installe le dispositif au bord du cratère, le chercheur, d’ordinaire réservé, pousse un hurlement perçant, entre cri d’extase et cri de guerre.

Carla Pérez regarde le coucher du soleil depuis l’Australis, alors que le voilier tangue dans des ...
Carla Pérez regarde le coucher du soleil depuis l’Australis, alors que le voilier tangue dans des vagues de 4,5 m. Le trajet retour de l’île Saunders à Port Stanley, dans les Malouines, aura duré onze jours. L’équipage a dû affronter les vents dominants et une mer agitée.
PHOTOGRAPHIE DE Renan Ozturk

Un peu avant, Renan Ozturk a décidé lui aussi de se risquer à faire voler le drone une dernière fois, malgré les vents imprévisibles. Alors qu’il s’efforce encore de manoeuvrer le petit appareil, l’écran du contrôleur de vol dévoile au même moment le fond noirci du cratère. Le vent s’est calmé, et voici qu’il apparaît : le neuvième lac de lave actif du monde.

L’ovale rougeoyant ressemble plus à une mare, mais Emma peut enfin pousser un soupir de soulagement : « C’est manifestement de la lave proche de la surface, explique la volcanologue, qui alimente le panache de gaz que nous sommes en train de mesurer. » Pendant ce temps, loin en contrebas, un reflet gris recouvre la mer. Des morceaux de banquise ayant dérivé au nord depuis l’Antarctique cernent la baie Cordelia. Certains ont la taille de petits rochers, d’autres sont aussi gros que des réfrigérateurs. « Il y a mieux comme conditions », commente par radio Dave Roberts, le second de Ben Wallis.

Comme il est trop dangereux de débarquer l’annexe sur la plage, Kieran et moi, vêtus de nos encombrantes combinaisons étanches, tirons notre matériel à travers les déferlantes jusqu’au canot pneumatique ancré non loin du rivage. Pendant des heures, l’équipage fait de nombreux allers-retours pour transborder nos équipements sur l’Australis. Enfin, Emma, Carla, Renan et João nous rejoignent sur la plage pour nous annoncer la nouvelle de la découverte du lac de lave. Mais nous n’avons pas le temps de célébrer l’événement.

Une heure avant le coucher du soleil, alors que la plage est plongée dans la pénombre, nous réalisons que nous allons devoir quitter l’île à la nage. Plus tôt pendant le voyage, j’avais plaisanté sur cette possibilité – mais à ce moment précis, cela ne faisait plus rire personne.

L’un après l’autre, les membres de l’équipe enjambent les morceaux de glace, puis, entre deux vagues aussi hautes qu’eux, tentent de nager jusqu’au canot pneumatique. Au moment où nous ne sommes plus que trois sur la plage, il fait nuit noire. Un petit point lumineux danse dans le noir d’encre : ce sont Ben et Dave qui nous attendent dans le canot, au-delà des brisants. Ils sont à moins de 30 m, mais, dans l’obscurité, avec les vagues et le champ de mines des morceaux de glace, j’ai l’impression que des kilomètres nous séparent.

« Nous sommes prêts à vous récupérer », grésille la voix de Ben dans la radio. Je glisse celle-ci dans ma combinaison étanche, puis nous nous prenons par les bras João, notre cameraman Matt Irving et moi, et entrons dans l’eau. Après quelques pas, une vague puissante nous renverse. Je bois la tasse. À peine remonté à la surface, me voilà embarqué par la houle vers la vague suivante. La tête de nouveau sous l’eau, j’espère ne pas me faire assommer par un bloc de glace. Le froid me mord le visage. En rouvrant les yeux, je distingue le mont Michael qui se dessine dans le ciel nocturne, mais le halo irréel qui l’entourait jusque-là a disparu.

Maladroitement, je nage comme je peux en direction du point lumineux. Puis je sens les mains de Dave, des mains de marin incroyablement fortes, m’extraire de l’eau et me déposer sur le fond du canot qui tangue. Ben remet alors les gaz et nous emmène. Direction l’Australis – et la maison.