Publié le 12/07/2015 à 09:30, mis à jour le 21/07/2015 à 10:01
En Argentine, une association a contacté le Ministère des Affaires Étrangères pour récupérer les ossements du fils d’un ancien membre de la tribu Tehuelche, originaire de Patagonie.
D’après la chaine de télévision d’information internationale française France 24, le vendredi 3 juillet, le Musée de l’Homme a reçu un mail d’une demande du Ministère des Affaires Étrangères. Une association argentine composée d’anthropologues, le collectif Guias, demande la restitution d’un crâne ramené en France par un explorateur, le comte Henry de La Vaulx.
D’après l’historien argentin Julio Vezub, le musée serait en possession d’une collection d’ossements dans laquelle se trouverait le crâne du fils de Cacique Liempichun Sakamata, l’un des chefs de la tribu Tehuelche, originaire de Patagonie.
France 24 nous explique que c’est pour des raisons de respect et de pratiques religieuses que les ancêtres et le collectif Guias, soutenus par les autorités argentines, souhaiteraient récupérer cet ossement. «Pour les Tehuelche, le cercle de la vie se ferme quand on revient à la terre mère. Sans le retour de leurs ancêtres, leur monde spirituel est incomplet», explique Fernando Miguel Pepe, coordinateur du collectif Guias. «En leur donnant le droit d’être enterré aux côtés de leurs êtres chers et dans leur terre, leurs descendants pourront réaliser les rituels mortuaires qui correspondent à leurs croyances.» Ainsi, une demande officielle a été déposée à la chancellerie française et transmise au Ministère des Affaires Étrangères.
Dérobé à la fin du XIXe siècle
Le Musée de l’Homme, qui est en rénovation depuis 2009 et dont la réouverture est prévue en octobre, affirme avoir bien reçu un mail de réclamation. Mais comme l’explique le directeur des collections, Michel Guiraud, «aucune identification n’a encore été effectuée et aucune décision finale n’a été prise. Une fois l’officialisation de la requête effectuée, et l’identification des ossements réalisée, l’établissement devrait suivre la procédure habituelle. Mais le musée n’a aucune raison de s’y opposer.»
C’est à la fin du XIXe siècle, que le crâne de Patagonie aurait été ramené en France. Entre mars 1896 et mai 1897, le comte Henry de La Vaulx, célèbre explorateur français, a fait le tour de l’Argentine à cheval. Il est allé de tribu en tribu, séjournant dans des communautés locales. C’est ainsi que le comte s’est créé une collection de plantes, de roches et d’ossements. «Une série de crânes et d’ossements garnissent déjà mes caisses. Étranges, ces débris de squelettes! Certains sont peints en rouge brique, d’autres en rouge clair», raconte-t-il le dans ses mémoires Voyage en Patagonie.
D’après France 24, ce n’est pas la première fois que le Musée de l’Homme se retrouve confronté à ce genre de situation. En effet, dernièrement, la communauté du Nunatsiavut, située au Canada, a demandé le retour des ossements de sept Inuits. Autre polémique: la dépouille de Saartjie Baartman, surnommé la «vénus Hottentote», exposée au Musée de l’Homme jusqu’au 1974 puis restituée à l’Afrique du Sud en 2002.
A la fin du 19ème siècle, un espagnol venu d’Asturie débarqua en Patagonie pour chercher fortune : José Menendez.
Déterminé, il devint assez rapidement le propriétaire de milliers d’hectares en Patagonie chilienne et argentine, et l’un des plus grands éleveurs de moutons, principalement destinés à la production de la laine exportée sur le marché mondial.
La véritable histoire de la construction de l’empire de José Menendez a été longtemps occultée par les histoires officielles du Chili et de l’Argentine. Après 6 ans d’investigations, l’historien asturien José Luis Antonio Marchante réalisa l’ouvrage Menendez, Rey de la Patagonia dans lequel il met en lumière les sombres détails de la conquête de la Patagonie par José Menendez.
Dans son livre, disponible à l’heure actuelle uniquement en langue espagnole ici en livre numérique, José L. Alonso Marchante témoigne du génocide des peuples natifs (Selk’nam, Kawésqar, Yágan et Haush) et de l’exploitation des travailleurs chiliens (peones) qui furent, tous deux, des moyens rapides et efficaces pour Menendez d’asseoir son pouvoir politique et financier en Patagonie. Il explique comment il usa de la corruption aux plus hauts niveaux des Etats pour parvenir à acquérir des milliers d’hectares de terres alors que leur concentration dans les mains de quelques familles était interdite par les lois argentine et chilienne. José Luis Antonio Marchante expose donc au grand jour la tolérance du Chili et de l’Argentine à l’égard de ces pratiques illégales réalisées sur leur sol et dissimulées des histoires officielles jusqu’à ce jour.
Parmi les autres conséquences dramatiques de sa conquête du Grand Sud, la faune et la flore fuégiennes furent également impactées. Le mouton prit la place du guanaco (lama patagon), diminuant drastiquement la principale source de nourriture des Indiens Selk’nam (chasseurs-cueilleurs) et, compte-tenu de la capacité du mouton à trouver de la nourriture en coupant très ras la végétation, c’est toute une flore qui s’est retrouvée ravagée.
Ce livre est le fruit de l’analyse de nombreux témoignages non-officiels et archives. Il ouvre la voie à une importante quête de vérité sur la vraie histoire de la Patagonie, région qui loue toujours l’héritage de la Famille Menendez-Braun. Nous citerons pour exemples les nouvelles infrastructures (palais, maison-musée) construites récemment et la rue qui porte leur nom à Punta Arenas, autant de symboles de la puissance de cette famille qui a particulièrement contribué à l’âge d’or de la Patagonie (1880-1920) avec l’exportation de la laine et la diffusion d’une histoire officielle modifiée dans leur intérêt.
Les corps de cinq d’entre eux, exhibés dans des zoos européens à la fin du XIXe siècle, viennent d’être rendus à leur terre, en Patagonie.
DE PUERTO ÉDEN (CHILI), Robert Mur pour la Vanguardia-Barcelone (Courrier International)
Ici, il n’y a pas de rues, juste une longue passerelle de bois face aux habitations précaires de l’une des localités les plus reculées du Chili. A une journée de bateau de Puerto Natales, Puerto Edén est situé sur l’île Wellington, au milieu des canaux patagoniens. Sa population n’atteint pas 300 habitants, parmi lesquels les onze derniers représentants d’un peuple en voie d’extinction, les Kawésqars.
Cette ethnie oubliée est sortie pendant quelques heures de son ostracisme : le 12 janvier, les squelettes de cinq de ses membres ont été rapatriés en avion depuis la Suisse vers Santiago, où ils ont été reçus en grande pompe [lors d’une cérémonie présidée par la présidente du Chili, Michelle Bachelet] avant d’être acheminés vers leurs terres ancestrales.
En 1881, onze Indiens Kawésqars étaient capturés comme des animaux par une expédition allemande et emmenés en Europe pour être exhibés au Jardin d’acclimatation de Paris et au zoo de Berlin. Après une tournée en Allemagne, ils ont fini leurs jours à Zurich, où ils n’ont pu survivre longtemps.
En 2007, des chercheurs travaillant sur ces “zoos humains” – qui firent florès en Europe au XIXe siècle – ont retrouvé la trace de cinq de ces Indiens à l’université de Zurich. Après de nombreuses démarches, leurs dépouilles ont été autorisées à regagner leur terre d’origine. Grethe, Lise, Piskouna, Henry et Capitan (des noms donnés par leurs ravisseurs) ont été emmenés en avion de Santiago à Punta Arenas. Dans la capitale de la Patagonie, la veillée funèbre a duré jusqu’au lendemain, puis les dépouilles ont été transportées à bord d’un bâtiment de la marine vers l’île Karukinka, dans le détroit de Magellan. Là, les membres de la communauté kawésqar, dans le cadre d’un rite réservé, sans témoins non indiens, les ont déposés au fond de cavernes, dans leurs paniers de joncs, comme le veut la tradition.
Angel Acuña, professeur d’anthropologie sociale à l’université de Grenade, étudie le peuple kawésqar sur le terrain. Il n’est pas optimiste quant à leur avenir. “Il n’y a pas plus de dix personnes qui peuvent se faire comprendre en kawésqar, explique-t-il. Et, hormis un couple qui la parle en privé, personne ne pratique cette langue au quotidien. […] Dans les institutions chiliennes, je n’ai vu aucune initiative vraiment efficace pour faire renaître la culture kawésqar. On ne peut même plus parler de préservation, car la culture de ce peuple autochtone a disparu il y a des années.”
Jusqu’à l’arrivée de l’exterminateur blanc, les Kawésqars naviguaient dans les fjords glacés de Patagonie. Ils y ramassaient des fruits de mer et capturaient des phoques dont ils tiraient leurs vêtements et leur combustible. Aujourd’hui, la peau de phoque sert à recouvrir artisanalement les petits canoës que des vieillards, les derniers Kawésqar, vendent comme souvenirs pour 2 000 pesos [moins de 3 euros], dans des échoppes installées sur la passerelle, aux touristes en croisière qui font escale une fois par semaine à Puerto Edén.