Au Chili, la traque du castor, la plaie qui met en péril les forêts de Patagonie (L’Obs – AFP, 22/4/2020)

Publié le 22 avril 2020 à 10h00·Mis à jour le 22 avril 2020 à 13h00

Puerto Williams (Chili) (AFP) – Armé de son fusil, Miguel Gallardo fait face à une tâche colossale: traquer le castor, introduit dans la région dans les années 1940 et devenu depuis une plaie qui menace les forêts de la Patagonie chilienne.

A partir des 10 couples introduits en 1946, on compte aujourd’hui quelque 100.000 individus dans la zone de la Terre de feu, partagée entre le Chili et l’Argentine. Marcelo, lui, ne parvient à en abattre qu’une soixantaine à chaque saison.

« Le castor est très mignon, très intelligent, mais malheureusement, les dommages qu’il est en train de causer sur la végétation indigène et la faune sont énormes », déclare à l’AFP ce chasseur qui a 15 ans d’expérience et organise aussi des visites touristiques sur l’Ile Navarino, à proximité de Puerto Williams, à l’extrême sud du Chili.

Avec leurs puissantes dents et leurs talents de bâtisseurs, le castors se sont parfaitement acclimatés à ce nouvel habitat, totalement dépourvu de prédateurs.

« Il faut les éradiquer, mais il ne s’agit pas non plus d’arriver et de leur tirer dessus dans l’eau et qu’ils y pourrissent », ajoute ce chasseur, qui récupère les spécimens abattus pour utiliser leur fourrure « de très bonne qualité et assez chaude ».

En 1946, des militaires argentins ont rapporté d’Amérique du Nord dix couples de castors du Canada (castor canadensis) dans le but de monter une affaire de peaux et de fourrures en Terre de feu. Mais cela n’a finalement pas marché et ces castors ont été relâchés dans la nature.

Les deux pays voisins effectuent depuis les années 1980 des campagnes de contrôle pour tenter de réduire les populations de ces rongeurs, par des pièges ou des abattages. En face, les ONG de protection de l’environnement, comme l’Union de défense du droit animal de Punta Arenas, dénoncent la cruauté de ces méthodes ainsi que leur manque d’efficacité.

« Les défenseurs des animaux, je les comprends; je comprends que tuer un être vivant, un petit animal intelligent, c’est douloureux. Mais malheureusement, si nous ne prenons pas de mesures concernant le castor, nous allons nous retrouver sans forêt et sans végétation », met en garde Miguel Gallardo.

– 23.000 hectares dévastés –

« Penser à éradiquer le castor n’est en rien un combat contre le castor mais un besoin de protéger le patrimoine naturel de notre pays », abonde Charif Tala Gonzalez, responsable du département de conservation des espèces au ministère de l’Environnement.

En quelques années, ces rongeurs semi-aquatiques au pelage marron qui peuvent mesurer jusqu’à un mètre et peser 32 kilos ont fini par coloniser tout l’archipel de la Terre de feu.

Outre qu’il n’a pas de prédateurs naturels dans cette partie du globe, le castor vit en général longtemps, de 10 à 12 ans, durant lesquels il peut avoir 5 à 6 petits chaque année.

Cet animal est connu pour construire des barrages à partir de la végétation existante. Il installe ensuite sa tanière au milieu de la retenue qui se forme alors.

Cette montée des eaux fait mourir la végétation indigène et le peu d’arbres qui survivent sont abattus par les castors pour renforcer leur construction. Ils raffolent particulièrement des lengas centenaires, également appelés hêtres de la Terre de feu, et des coihues, connus sous le nom de hêtres de Magellan.

« La forêt ne peut pas se défendre (…) Tout ce qui reste au milieu de l’eau meurt, car nos forêts ne sont pas préparées à l’excès d’eau », explique Miguel, le chasseur.

Les autorités chiliennes estiment que depuis leur introduction, les castors ont dévasté plus de 23.000 hectares de végétation indigène, entraînant un manque à gagner évalué à 62,7 millions de dollars à cause de la destruction du bois.

Ils ont également eu un effet sur l’ensemble de la flore et la faune de la zone, leurs barrages provoquant des inondations qui ont coupé des routes, des zones de pâturage et de culture.

« Les écosystèmes de la Patagonie sont uniques (…) Pour qu’ils redeviennent pleinement des forêts, nous parlons en centaines d’années, si les conditions sont réunies », souligne Charif Tala Gonzalez.

Source : https://www.nouvelobs.com/topnews/20200422.AFP5823/au-chili-la-traque-du-castor-la-plaie-qui-met-en-peril-les-forets-de-patagonie.html

Plusieurs sociétés accusées de «pollution massive» en Argentine (Le Figaro, 17/12/2018)

https://www.lefigaro.fr/sciences/2018/12/17/01008-20181217ARTFIG00151-plusieurs-societes-dont-total-accusees-de-pollution-massive-en-argentine.php

Plusieurs sociétés accusées de «pollution massive» en Argentine

Par Yohan Blavignat

Publié le 17/12/2018 à 14:00, mis à jour le 17/12/2018 à 18:54

EXCLUSIF – Greenpeace a publié, ce lundi, une enquête révélant un «scandale de pollution massive» opéré par des sous-traitants de cinq compagnies pétrolières, dont Total, au nord de la Patagonie. Une action en justice a été menée par les populations locales pour dénoncer le déversement de résidus d’hydrocarbure dans d’immenses bassins de stockage à l’air libre.

Une gigantesque «piscine de déchets toxiques» aurait poussé ces derniers mois au nord de la Patagonie argentine. Au terme d’une enquête de plusieurs mois publiée ce lundi, l’ONG de défense de l’environnement Greenpeace révèle «un scandale de pollution massive» opéré par des sous-traitants de cinq compagnies pétrolières, dont Total, au sud de l’Argentine, sur le site de Vaca Muerta, dans la région semi-désertique de Neuquen. Le groupe pétrolier français, de son côté, assure ne pas être au courant de l’existence de ces bassins et indique que des «vérifications complémentaires» vont être menées.

Près du village d’Añelo, non loin des sites pétroliers, où vivent des membres de la communauté autochtone des Mapuche, les compagnies pétrolières sont accusées de déverser des «résidus toxiques à l’air libre, dans de gigantesques piscines creusées sans aucune protection entre les déchets et le sol», révèle Greenpeace. Contactée par Le Figaro, la firme française assure que le traitement de résidus de… (la suite de l’article est malheureusement réservée aux abonnés)

La communauté yagan de la baie Mejillones publie un protocole des bonnes pratiques à son égard (13/5/2017)

Le 13 mai 2017 la Communauté Indigène Yagan de la Baie Mejillones a publié un protocole des bonnes pratiques détaillant, dans le cadre de la Convention 169 de l’OIT en vigueur au Chili depuis 2009 (mais toujours pas en France…), les différents points à respecter pour garantir leurs droits, la protection de leur patrimoine et, plus généralement tout ce qui permet des échanges constructifs ensemble.

Nous saluons l’édition de ce protocole qui permet à tous les interlocuteurs du peuple yagan, qu’ils soient passés, présents et/ou futurs, d’avoir une référence sur laquelle se baser pour se prémunir d’actions mal menées à son égard.

Nous vous invitons donc à consulter ce document essentiel et à vous y référer pour tout projet en lien avec le peuple yagan :

https://www.pueblosoriginarios.gob.cl/sites/www.pueblosoriginarios.gob.cl/files/2021-09/FolletoProtocolo_Yagán.pdf

Bonne lecture !

Le cap Horn, 400 années de légende (Le Figaro, 16/9/2016)

Par Guillaume de Dieuleveult

Publié le 16/09/2016 à 17:30, mis à jour le 26/09/2016 à 12:52

XVMe9fa32f0 750e 11e6 ac5c 63a934f078a7
Le cap Horn, 400 années de légende (Le Figaro, 16/9/2016) 6

EN IMAGES – Il y a quatre siècles un navire hollandais passait le cap le plus austral du globe et lui donnait un nom devenu symbole. Depuis la découverte du cap Horn, le vent et la mer ont tramé dans l’extrême sud de la Terre de Feu une histoire marine, grandiose et tragique. Voyage vers un caillou mythique.

La forêt magellanique est une dangereuse magicienne. Son chant attire à elle des voyageurs du monde entier et le philtre qu’elle leur administre est capable de changer l’enfer en paradis. Mais l’illusion ne fait généralement effet qu’un court instant, car la nature, dans ces parages, est singulièrement rétive aux charmes de l’enchanteresse. C’est ainsi qu’ayant débarqué dans la baie d’Ainsworth, au pied du glacier Marinelli, un des mille monstres froids qui, s’écoulant de la cordillère de Darwin, baignent les eaux glacées des canaux de Patagonie, par 55° de latitude sud, au cœur de ce fouillis d’îles par lequel le continent américain s’effrite dans l’océan Pacifique, un groupe de voyageurs modernes eut le sentiment d’avoir mis le pied au paradis: il faisait beau, des oiseaux gazouillaient dans le soleil. Au fond des bois, une falaise couverte de mousse laissait s’écouler, goutte à goutte, l’eau de la dernière averse dans une mare qui s’était formée à sa base. Cela donnait une musique d’une pureté absolue, comme un premier chant du monde. Là-dessus, les feuilles minuscules des coigües, les arbres patagons, laissaient passer suffisamment de lumière pour que du sol chauffé monte aux narines un parfum d’humus. Née de ces falaises, une rivière traversait la courte plaine séparant la forêt de la grève: sur ses berges poussaient des arbustes dont les fruits ressemblaient à des pommes miniatures, si petites qu’il aurait fallu à Adam et Eve en croquer beaucoup avant d’être expulsés de cet éden.

L’envoûtement dura le temps d’une promenade: dans l’après-midi, tout changea. En Terre de Feu, il suffit d’un nuage pour que cette beauté primitive de la terre laisse la place à un paysage d’une parfaite morosité: quelques heures plus tard, quand le Stella Australis quittait la baie d’Ainsworth, le ciel était devenu d’un gris insondable, un vent glacial se levait. Le navire, seul bateau d’expédition frayant dans ces parages, s’enfonçait dans un brouillard poisseux, entre deux séries de montagnes obscures, gluantes d’humidité, abritant une forêt compacte qui s’étalait jusqu’à l’eau verte du canal et qui, reculant lorsque la pente devenait trop abrupte, s’effaçait sur des rochers couverts de mousse orange, striés de cascades semblables à des voiles de mariée emportés par le vent.

XVM0e5434a2 750f 11e6 ac5c 63a934f078a7
Le beau, écrit Rilke, n’est que le premier degré du terrible… A l’approche de l’île de Horn, sous des rafales dépassant les 130 km/h, la nature illustre superbement les paroles du poète. SFautre pour le Figaro Magazine

Naguère encore, la seule évocation de ce lugubre paysage faisait frissonner les marins les plus expérimentés: les innombrables récits de voyage dans cette région inamicale fourmillent de descriptions toutes plus catastrophiques les unes que les autres. Mais les canons de l’esthétique ont singulièrement changé: dans un monde surpeuplé, en voie de surchauffe, la désolation, la solitude et les glaces sont devenues belles aux yeux des hommes. La centaine de passagers présents à bord n’avait donc de cesse d’admirer ce paysage funeste et gigantesque. Ils avaient embarqué deux jours plus tôt à Punta Arenas, au Chili, dans ce confortable navire de la compagnie chilienne Australis. But de ce voyage au bout du monde: le cap Horn, lieu redoutable dont on fête cette année le 400e anniversaire de la découverte. Découverte étant à vrai dire un bien grand mot puisqu’il ne s’est jamais vraiment laissé approcher et que les marins qui le croisent depuis 1616 n’ont généralement qu’une hâte, c’est de le laisser bien loin derrière eux et au plus vite. Miracle de la technique, on peut désormais débarquer sur l’île de Horn: c’était le but du voyage. Depuis quelques années, un officier de la marine chilienne y vit en compagnie de sa femme et de ses deux enfants, le courageux ermite ayant la noble tâche de surveiller le dernier caillou de l’Amérique. Comment peut-on vivre là? La rencontre avec l’Américain le plus austral du monde promettait d’être passionnante.

Embouquant le canal Magdalena, le Stella Australis s’apprêtait à naviguer toute la nuit dans le labyrinthe d’eau et de roches que composent les canaux de Patagonie. Hautes montagnes couvertes de glace, fjords profonds, récifs et écueils, tourbillons de vent: toujours plus au sud dans ces voies d’eau que les marins chiliens connaissent comme leur poche. Le solide navire ballotté par la longue houle du Pacifique lorsque, sortant du canal Cockburn, il quitte pour quelques heures l’abri des îles avant de se faufiler à nouveau entre deux murailles en direction du canal Beagle, lequel conduit à Ushuaia et à la baie de Nassau, dernière étape avant l’ultime confetti de montagnes émergeant de la mer. Là se trouve le cap Horn.

XVM102f94ba 750f 11e6 ac5c 63a934f078a7
Au sud de la grande île de Terre de Feu, sur la rive nord du canal Beagle, Ushuaia, la ville la plus australe du monde. SFautre pour le Figaro Magazine

L’été austral laisse peu de temps à la nuit. Au petit matin, alors qu’un soleil pâle brillait déjà dans un grand ciel délavé par le vent, le bateau se trouvait au pied de l’île de Horn. Bien plus grande que ne la dessinait l’imagination, elle était couverte d’une sorte de gazon vert émeraude qui brillait singulièrement dans la lumière. L’herbe se balançait harmonieusement, agitée par le vent terrible qui soufflait: 130 kilomètres-heure, force 12, la plus haute sur l’échelle de Beaufort qui l’assimile à un ouragan «au-delà du 40e parallèle»: de ce côté-ci, c’est chose courante, juste ce qu’il faut pour porter les pétrels géants, les albatros et les sternes arctiques qui jouaient à raser les falaises. A l’ouest, l’horizon était barré par une formidable muraille gris sombre que touchait du doigt un arc-en-ciel planté dans la mer. Des vagues courtes et dures battaient la coque du navire. Le vent leur enlevait des nuages d’écume: ils se mêlaient aux averses de grêle qui fouettaient brutalement le pont du bateau. Nul gardien de l’île à l’horizon: on pouvait simplement deviner sa petite maison blottie au pied du phare, imaginer l’homme avec sa femme et ses enfants, debout derrière la fenêtre de sa cuisine, une tasse de café fumant à la main, observant le lourd bateau qui tournait en rond au pied de son caillou. De peur qu’ils ne soient retournés par le vent, le capitaine décida de ne pas mettre les canots à la mer. Fidèle à sa terrible légende, le Horn se refusait aux visiteurs. Après l’avoir admiré, on alla prendre le petit déjeuner.

Etonnant contraste entre le confort du voyage et la rigueur de l’environnement qui, il y a quelques décennies, laissait déjà songeur Stefan Zweig. Dans la préface de la très belle biographie qu’il a consacrée à Magellan, l’écrivain viennois raconte que c’est dans l’ennui et le luxe d’une longue traversée de l’Atlantique à bord d’un paquebot que lui est venue l’idée de raconter la vie de l’illustre marin. «Rappelle-toi, écrit-il, dans quelles conditions on voyageait autrefois. Compare cette traversée avec celles des audacieux navigateurs qui découvrirent ces mers immenses.» L’ouvrage raconte comment la quête d’une route plus courte vers les îles aux épices poussa le navigateur portugais à convaincre le futur Charles Quint de lui confier une flotte de cinq navires. Persuadé qu’il existait un passage, quelque part au sud du continent américain, permettant de relier l’Atlantique au Pacifique, Magellan quitta Séville le 10 août 1519 en compagnie de 265 hommes dont peu connaissaient le vrai but du voyage, sinon qu’il durerait très longtemps…

XVMf5b40684 750e 11e6 ac5c 63a934f078a7
La compagnie chilienne Australis est une des seules à organiser des expéditions touristiques dans les canaux de Patagonie, jusqu’au cap Horn. Les descentes à terre sont fréquentes comme ici, au pied du glacier Pia. SFautre pour le Figaro Magazine

Son exploit accompli, Magellan alla mourir quelque part dans l’archipel des Philippines. Seuls 18 marins à bord d’un navire proche du naufrage parviendraient à relier Séville, le 6 septembre 1522. Le destin avait interdit à Magellan de recevoir en Europe le tribut du vainqueur. Le temps a réparé l’injustice: le nom de l’illustre marin est resté accolé au détroit qu’il a découvert. L’histoire maritime de la Terre de Feu pouvait commencer. Elle ne manquerait pas de panache, car ici croiseraient les navigateurs les plus intrépides.

Mais la difficulté des conditions de navigation allait considérablement ralentir le travail d’exploration de la région: il faudra attendre plusieurs siècles avant que les canaux de Patagonie soient correctement cartographiés. En 1578, le pirate anglais Francis Drake voguera dans les parages. Découvrant qu’il n’y avait pas de continuation terrestre entre la Terre de Feu et les terres australes, il franchira en premier le passage qui sépare les continents américain et antarctique. Quelques années plus tard, le 14 juin 1615, deux navires hollandais quittaient la rade du Texel. Affrétés par la Compagnie Australe, basée dans la ville de Hoorn, ils étaient commandés par Jacob Le Maire, le fils du fondateur de l’entreprise et Willem Schouten. Les marins avaient pour mission d’ouvrir une nouvelle voie maritime qui éviterait le détroit de Magellan, alors soumis à une restriction imposée par leur grand concurrent: la toute-puissante Compagnie néerlandaise des Indes. Huit mois plus tard, Willem Schouten franchissait le passage de Drake. Croisant au large de la dernière île de Terre de Feu, il lui donna le nom de Hoorn, double hommage à la cité où avait été conçue son expédition et au bateau qui l’avait accompagné jusque-là, la patache Hoorn ayant disparu dans les flammes quelques jours plus tôt.

XVMb42ee9a4 750e 11e6 ac5c 63a934f078a7
Le renard de Magellan est particulièrement adapté à la rudesse de la vie dans ces terres australes. SFautre pour le Figaro Magazine

Parmi les centaines d’expéditions qui allaient se succéder au fil des siècles, il faut garder en mémoire celles de Fitz Roy. Le capitaine britannique allait se rendre à deux reprises en Terre de Feu à bord du célèbre Beagle. En 1826, puis en 1832, en compagnie du naturaliste Charles Darwin, qui allait trouver dans l’observation des Indiens yaghans une confirmation de sa théorie de l’évolution des espèces. En 1882, c’est l’aviso français La Romanche qui se rendit là, dans le cadre d’une expédition scientifique dans les mers australes. Parallèlement, le passage de Drake s’imposait comme une des premières routes commerciales du monde. En 1892, plus de 1 200 voiliers croisaient le cap Horn: tout à leur course de vitesse, les grands clippers évitaient les tortueux canaux de Patagonie. Mais la navigation restait particulièrement périlleuse: en 1905, on dénombrait 53 naufrages au large du ténébreux rocher. C’est dire si l’ouverture du canal de Panamá, en 1914, fut accueillie avec soulagement. En 1949, le Pamir, vaisseau allemand, fut le dernier voilier de commerce à franchir le cap Horn. Fin de l’histoire. Après une courte éclipse qui l’avait placée au carrefour du monde, la Patagonie pouvait reprendre la place qui lui revenait dans l’ordre naturel des choses: loin de tout.

Une autre histoire, littéraire celle-ci, pouvait commencer. Les écrivains ferment souvent la marche des explorateurs. Dans les années 50, alors qu’il naviguait dans le détroit de Magellan, Jean Raspail fit une rencontre qui, raconte-t-il, allait déterminer son existence: un canot de bois avec, au fond, quelques silhouettes massées autour de trois braises scintillant dans le brouillard. C’étaient sans doute les ultimes Kaweskars: les «hommes», comme ils s’appelaient eux-mêmes, les derniers Indiens de canots. Restés bloqués à l’âge de pierre, ils ne survécurent pas à la rencontre de l’homme moderne. Raspail leur a livré un magistral hommage dans son livre Qui se souvient des hommes… Aujourd’hui, les hommes ont disparu. Quelques descendants, métisses d’Indiens et de marins européens, tentent vaguement de se réapproprier une culture dont le sort fut scellé le jour où un de leurs ancêtres vit passer, depuis son rocher, les bateaux de Magellan. Et pour les voyageurs qui aboutissent aujourd’hui dans l’ancien royaume de ces ombres, il ne reste plus qu’à songer, en contemplant l’eau sombre des fjords et les plages de galets où ils vivaient jadis, à l’étrange destin de ce peuple. Ces lieux s’y prêtent particulièrement bien.

https://www.lefigaro.fr/voyages/2016/09/16/30003-20160916ARTFIG00256-le-cap-horn-400-annees-de-legende.php

« Patagonie, terre d’exil et de jeu » (Le Figaro, 9 avril 2015)

https://www.lefigaro.fr/mon-figaro/2015/04/09/10001-20150409ARTFIG00405-patagonie-terre-d-exil-et-de-jeu.php

Patagonie, terre d’exil et de jeu

Par Etienne de Montety

Publié le 09/04/2015 à 19:47, mis à jour le 09/04/2015 à 21:36

L’œuvre romanesque de l’écrivain Jean Raspail a donné naissance à un royaume imaginaire : la Patagonie. Des milliers de Français, parmi lesquels Didier Decoin, Michel-Édouard Leclerc ou Jean-Laurent Cochet, revendiquent aujourd’hui cette nationalité. Une manière décalée de résister aux temps présents.

Dans le recueil de romans de l’écrivain Jean Raspail, que vient de réunir la prestigieuse collection «Bouquins», sous le titre Là-bas, au loin, si loin, on peut lire à la fin de son plus grand livre: «Par les temps qui courent et par les temps qui viennent, je tiens désormais pour honneur de me déclarer patagon. Du cimetière de Tourtoirac, en Dordogne, où Antoine de Tounens a transporté son gouvernement et siège pour la fin des temps, j’ai reçu mes lettres de créance, moi Jean Raspail, consul général de Patagonie…»

Une phrase de roman, dira-t-on, sans conséquence, donc. Et pourtant, aujourd’hui, ils sont environ 5000 à se revendiquer patagons, dans le sillage de Raspail. Dans la France de François Hollande, ils ne forment pas un parti, ni une association de 1901. Ils ne sont pas non plus un lobby mais sont bien plus puissants: car ils sont unis par un commun état d’esprit, une sorte de confrérie du cœur. La mythologie patagonne est née en 1976. Jusqu’alors, Jean Raspail était essentiellement…

(La suite de cet article est réservée aux abonnés)