Au Chili, le majestueux spectacle des fjords les plus reculés de Patagonie par Sébastien Desurmont (Magazine Geo, 06/03/2019)

GEO a embarqué pour une semaine dans les fjords de la Patagonie chilienne. Une croisière épique, des quarantièmes rugissants aux cinquantièmes hurlants.

Ce matin, le capitaine Luis-Antonio Kochifas, 59 ans, est d’humeur radieuse. Un déluge d’eau et de grêle mêlées s’abat sur la ville côtière de Puerto Montt, au seuil de la Patagonie chilienne. Mais celui que l’équipage appelle simplement «Capi» a le sourire en coin du type qui en a vu d’autres. «C’est ainsi que cela doit être dans ce foutu bout du monde», rigole-t-il en narguant le ciel.

Ce petit homme trapu et jovial a le sourcil broussailleux, l’œil noir et rond comme celui du cormoran de Magellan, son oiseau de mer favori. Sur le quai détrempé, il dirige les opérations en vue du grand départ. Pendant que sa chapka se transforme en un étrange amas hirsute et dégoulinant évoquant un oursin géant, son navire, le Skorpios-III, fait le plein de fuel, de nourriture et de sacs vomitoires pour une semaine d’expédition. Et quand, à midi pile, il ordonnera de larguer les amarres, ce marin au caractère – forcément – bien trempé retrouvera son milieu naturel : la pire mer qui soit, étalée aux marges du monde, sans cesse oppressée par des vents tourbillonnants. Destination finale : Puerto Natales, autre port du littoral chilien, situé 2 000 kilomètres plus au sud, au-delà des cinquantièmes hurlants. Avant cela, il s’agira de se faufiler dans le dédale des fjords multipliés à l’infini, quasiment vides d’hommes (1,3 habitant par kilomètre carré) où tout n’est qu’entailles, culs-de-sac, îlots tarabiscotés. «La ligne droite n’est pas au programme», prévient le capitaine.

Le voici qui déroule la première des trente-trois cartes marines dont il se servira au cours de cette pérégrination. Sur le papier, des bouts de terre, par milliers. Cet antipode est un labyrinthe sans queue ni tête. A l’ouest, le seul repère est ce grand océan qui n’a de Pacifique que le nom. A l’est, la cordillère des Andes dresse sa muraille continue sur laquelle viennent s’abattre les lourdes nuées déboulant du large qui, au moins dix mois sur douze, précipitent sur les archipels en contrebas le crachin le plus tenace du globe : entre 4 000 et 7 000 mm de précipitations par an, selon les lieux (contre 350 mm/an à Santiago, la capitale). Et puis, il y a cette menace qui clignote sur le fond bleu layette de la carte : le bien nommé golfe des Peines. La patrie officielle du mal de mer ! «Il faudra bien y passer», grimace le capitaine comme s’il parlait d’une opération chirurgicale. Le vent semble chargé de rires lugubres. Le paysage se résume à une mer couleur d’étain pommelée d’écume. Les passagers quittent Puerto Montt le ventre noué. Non, décidément, on ne voit pas ce qui met le capitaine Kochifas de si belle humeur.

Jour 1 : Puerto Montt, Caguach

Au bout de trois heures de navigation, l’archipel de Chiloé émerge à tribord. Dans la brume, l’Isla Grande, cinquième île d’Amérique du Sud par la taille, ressemble à un gros pachyderme marin couvant sa portée, des petits îlots périphériques affublés de noms intriguants : Quenac, Mechuque, Quinchao… Ces toponymes sont les restes de la Patagonie des origines. Avant l’arrivée des premiers Espagnols dans le sillage de Magellan — le héros qui déflora cette Terra incognita en 1520 —, cette contrée était celle des Chonos , une tribu nomade amérindienne qui se déplaçait sans cesse dans de longs canoës faits de trois planches de mélèze calfatées. Les Chilotes d’aujourd’hui en ont gardé l’âme transhumante. Ils continuent de s’exiler à travers la Patagonie pour servir de main-d’œuvre docile et bon marché sur les bateaux ou dans les estancias (fermes d’élevage).

Quand l’un de ces îliens revient au bercail, il ne manque jamais de faire un crochet par Caguach, une île bordée de sable noir où le capitaine a justement décidé de faire sa première escale. On y trouve ce qu’il affirme être «la basilique saint Pierre de Chiloé». Les jésuites débarquèrent ici au XVIe siècle. Et peu à peu, une religion étrange mêlant catholicisme, croyances populaires et mythologie précolombienne s’est forgée. Parmi les seize églises de bois de la région que l’Unesco a inscrites au patrimoine mondial, celle-ci est la plus impressionnante : 46 mètres de long pour 17 de large, un clocher qui pointe à 25 mètres de haut et, sous la nef en forme de coque de bateau renversée, des dizaines de bancs alignés pour accueillir les fidèles. Tout cela pour un caillou d’à peine 10 kilomètres carrés dont la population ne dépasse guère les 300 habitants ! Près de l’autel, le gardien des lieux, Heriberto Chávez, la quarantaine, explique : «Notre église, en réalité, n’est pas assez grande… En janvier, plus de 4 000 pèlerins arrivent ici par bateau pour le week-end.» Et cela dure depuis 1778. En effet, la légende raconte que cette année-là des missionnaires zélés avaient organisé une course de canoë entre cinq îles situées au cœur de l’archipel afin de désigner celle qui emporterait le droit de bâtir le monument où serait vénérée une effigie lilliputienne de Jésus de Nazareth rapportée d’Espagne. Les rameurs de Caguach furent les plus véloces, puis, le défi gagné, se révélèrent des menuisiers hors pair : tout en bois sculpté, assemblée sans un clou, leur cathédrale était trois fois plus vaste que celle d’aujourd’hui. Elle fut plusieurs fois remaniée avant d’être détruite par un incendie en 1919. Désormais, faute de place à l’intérieur de l’édifice reconstruit en 1925, les processionnaires envahissent le terrain de foot qui s’étend devant le parvis. «Beaucoup de marins viennent demander la protection de Dieu pour toute une année, raconte Heriberto Chávez. C’est bien le seul week-end où le village est en effervescence.» Après la messe, selon un rituel inchangé, bannières et statues sacrées sont promenées jusqu’au rivage pour une ultime prière face à ce qu’on appelle ici El Inmenso mar (l’immense mer), surnom donné par les Chilotes au remuant golfe Corcovado à travers lequel le Skorpios-III s’engouffre pour la nuit.

Jour 2 : Puerto Aguirre, Quitralco

Au réveil, il ne pleut plus, mais le ciel est si bas qu’on pourrait le toucher. Dans la brume apparaît Puerto Aguirre, dans le territoire d’Aysén, 1 800 habitants, une église, un gymnase en construction, une petite école et des rues boueuses. Le ferry ravitailleur ne passe que le lundi et le vendredi. A part cela, même les chiens errants ont l’air de trouver le temps long. Jusque dans les années 1990, pourtant, on ne s’ennuyait pas. Quelque 200 pêcheurs faisaient vivre la communauté. Depuis, ils préfèrent céder leurs quotas de pêche à de gros armateurs. Pour Luis Coloane, 54 ans, sept enfants, il n’y avait pas d’autre choix. «Cela me rapporte l’équivalent de 1 800 euros par an, explique celui qui fait office de représentant officiel à ces pêcheurs déchus. Bien sûr, cette somme est dérisoire quand on sait que les denrées alimentaires coûtent ici trois fois plus cher que sur le continent (le kilo de tomates vaut 2 000 pesos, soit 2,50 euros contre moins de 1 euro à Santiago), mais les normes de sécurité exigées pour nos petits chalutiers demandaient de plus en plus d’investissements, et à partir de 1992 le gouvernement a imposé des quotas si restrictifs que sortir en mer finissait par coûter plus cher que rester au port.» Le contrat avec les firmes de pêche industrielle est rediscuté chaque année. C’est l’un des problèmes. Les familles de Puerto Aguirre voudraient toucher d’un coup l’argent du rachat des droits de pêche pour au moins dix ans. De quoi obtenir des sommes suffisamment importantes pour investir dans d’autres activités, le tourisme, par exemple. De quoi surtout oublier le désœuvrement. Car, sur ces rivages désolés, on ne pratique même plus la pêche à pied, grâce à laquelle on pouvait assurer le repas du jour. La raison ? Cette satanée marée rouge qui envahit régulièrement la baie. Il s’agit d’une microalgue contaminant notamment les moules géantes, mollusques qui constituent la nourriture de base partout ailleurs en Patagonie chilienne, et ce, depuis des siècles. «La raréfaction du poisson, les algues toxiques, l’interdiction de ramasser des coquillages, tous nos ennuis ont débuté avec l’arrivée de la salmoniculture, grogne Luis Coloane. Beaucoup de gens ici en sont persuadés : les 600 fermes d’élevage de saumon qui occupent la Patagonie chilienne depuis trente ans ont forcément un impact, mais dans les ministères, à Santiago, on nous dit que les études manquent pour le prouver.» Et surtout, entretemps, le Chili est devenu le deuxième producteur mondial de saumon après la Norvège…

Il faut déjà repartir. Direction Quitralco, l’une des baies les plus étonnantes de la région. Cinq heures de zigzags dans des chenaux étroits sont nécessaires pour y arriver. Là-bas, une eau fumante s’échappe des profondeurs volcaniques pour ressurgir dans des bassins creusés dans la roche au cœur d’une végétation luxuriante. Baignade irréelle au crépuscule, sous une averse inextinguible, le visage fouetté par les bourrasques, mais le corps immergé dans un bouillon à 38 °C. La Patagonie est une contrée où l’on navigue sans cesse entre tristesse et ravissement.

Jour 3 : l’anse du Purgatoire, le golfe des Peines

Le roulis est venu cueillir le bateau bien avant l’aurore. Le bulletin météo du bord augure des creux de cinq mètres et 40 nœuds (75 km/h) de vent : à moins d’une heure de là, le golfe des Peines est déchaîné. Le capitaine préfère attendre. Juste à l’entrée de la baie en furie, il a repéré un fjord bien protégé dont le nom ne s’invente pas : l’anse du Purgatoire ! Au fond de cette crique, une langue de sable blond scintille. L’approche se fait avec les canots de secours. A bord des frêles esquifs, par une température de 6 °C, chacun devient silencieux, le menton enfoncé dans son gilet de sauvetage, songeur devant la beauté parfaite du paysage. Débarquement au ras des vagues. Impression d’être le nouveau Magellan. Quelques pas sur la plage immaculée, et voici les voyageurs sous les frondaisons d’une forêt primaire. Des arbres singuliers, comme le coihué, le lenga ou le ñirre, espèces australes à l’écorce sombre et aux branches tortueuses. Des entrelacs de troncs rongés par l’humidité permanente, couverts de lichens crépus, des fougères hautes comme des hommes et des mousses fluorescentes… Ce décor a 10 000 ans. A la dernière période glaciaire, le Sud chilien était en effet recouvert d’une chape de glace. Puis à la fin du quaternaire, celle-ci a reflué découvrant les fjords, lesquels se remplirent d’eau.

A 17 heures, décision est prise de quitter l’anse du Purgatoire. Moteurs à plein régime, le navire s’enfonce dans la tempête. Quelques minutes plus tard, une douloureuse contraction noue les entrailles et chacun sait qu’il vient d’entrer en enfer. Les vagues s’abattent sur le pont supérieur comme des cognées de bûcheron. La proue plonge dans un creux puis se relève blanchie d’écume pour se hisser au sommet de la déferlante suivante. Visibilité nulle. Nausées et vomissements. On finit cramponné à sa couchette. Le ventre en capilotade. A demi-conscient. Le capitaine, lui, est à la barre, tenant son cap douze heures d’affilée à travers ce maudit golfe. Une nuit sans sommeil à attendre la délivrance.

Jour 4 : Caleta Tortel

Au bout du cauchemar pointe le répit de Caleta Tortel. Piaillement matinal des oiseaux, brise légère et soleil éclatant. Au fond d’un estuaire aux bleus laiteux, ce village inespéré de 600 habitants a la couleur du paradis. Le río Baker, plus long fleuve du Chili, vient se jeter dans la baie, lui donnant cette singulière teinte d’opaline qui est le résultat du mélange entre les eaux salées du large et celles, cristallines, descendues des glaciers andins. La localité a surtout pour particularité d’être entièrement perchée sur des échasses, hautes par endroits de trois à quatre mètres. Certes les maisons sur pilotis – manière ancestrale de se protéger des vagues et des marées – sont légion sur le littoral patagonien, mais c’est ici un incroyable réseau de plus de six kilomètres de pontons, de passerelles, d’escaliers et de ruelles suspendues au-dessus de l’eau, qui relie les maisons entre elles. Tout cela est taillé dans un beau bois blond. Des milliers de poutres, parfaitement régulières, lissées par les ans, patinées par les embruns. Le hameau vit de l’exploitation du bois, notamment des cyprès de Guaitecas, espèce endémique des régions australes. Des bûcherons moustachus s’y baladent le béret vissé sur la tête, la hache sur l’épaule. Les touristes, eux, commencent à venir, bravant la route – une voie caillouteuse sur laquelle les crevaisons sont proverbiales – qui ne relie les lieux au monde extérieur que depuis une quinzaine d’années. Un journal chilien a désigné Caleta Tortel comme plus beau village du pays, et quelques pensions se sont créées. On y resterait bien quelques jours… Hélas, le capitaine sonne la corne de brume : ordre de remonter à bord !

Jour 5 : le Pío XI

Une nouvelle nuit, plus clémente cette fois. Puis, soudain, le Pío XI surgit dans le rond des jumelles. Le plus vaste glacier de l’hémisphère Sud. Une mer de glace s’étalant sur 1 265 kilomètres carrés, soit l’équivalent de la ville de New York. Tel un brise-glace, le Skorpios-III avance en écartant des milliers de glaçons que le soleil fait miroiter. Une plage de sable noir sert de rampe d’accostage. Là, le nez sur la falaise, on se tord le cou pour admirer l’immense orgue bleu d’où sourd une musique d’outre-glace, faite de la respiration du vent dans les interstices, de craquements de maison hantée, du clapotis des torrents souterrains… Le Pío XI est, avec un autre colosse, le Perito Moreno, le seul glacier de Patagonie à continuer d’avancer : jusqu’à deux mètres par jour ! Un mystère. Ailleurs, tous perdent du terrain. Plus au sud, au cœur du parc national Bernardo O’Higgins, le sublime glacier Amalia, avec ses pointes gothiques et ses tourelles mutilées, a, par exemple, reculé de 1,7 kilomètre en quinze ans. «A chaque fois qu’on passe par ici, il faut actualiser nos plans, redessiner au crayon la nouvelle ligne du littoral», témoigne Marcos Cardenas-Vera, le second du navire.

Jour 6 : Puerto Natales

L’expédition s’achève au petit matin dans l’anse de l’Ultime Espérance où fut édifié Puerto Natales, à la fin du XIXe siècle. Retour à la civilisation. Dans ce modeste port de 18 000 habitants, les touristes déambulent en combinaison Gore-Tex dernier cri. Une route large et bitumée connecte le bourg au reste du pays. Surtout, le parc national Torres del Paine, site le plus visité de Patagonie, est tout proche. Ici, l’élevage extensif des moutons fut longtemps la ressource principale. Aujourd’hui, le grand abattoir s’est mué en un hôtel de luxe, et les fermes organisent des balades à cheval guidées par des gauchos (cavaliers travaillant dans les élevages). Les excursions s’arrêtent pour la plupart à la fameuse grotte du Mylodon, où l’explorateur allemand Hermann Eberhard découvrit en 1890 quelques restes informes de cet herbivore haut de quatre mètres, disparu il y a 10 000 ans. Un fragment de peau de l’animal retrouvé dans une vitrine de chez sa grand-mère, en Angleterre, fut pour l’écrivain Bruce Chatwin le déclencheur de son voyage dans cette contrée qu’il relate dans En Patagonie, publié il y a quarante ans. Le livre devint la Bible des bourlingueurs et fit, d’une certaine manière, renaître la bête… Dorénavant, on croise partout à Puerto Natales le mammifère antédiluvien : dressé sur ses pattes arrière, son mufle grotesque tendu vers le ciel, le mylodon figure sur toutes les plaques de rue, au centre des ronds-points, en peluche dans les vitrines… Chatwin reconnaîtrait-il ce Far West austral où la manne du tourisme remplace peu à peu l’âpre labeur des estancias ? «Il faut bien que les gens vivent, nous sommes tellement loin de tout ici», tempère notre capitaine. Ce dernier a revêtu sa vareuse d’apparat et son képi blanc. Une certaine Mimi l’attend sur le quai… «C’est ma mère, elle a 89 ans, précise-t-il. C’est l’heure d’aller à la messe.» Un dimanche matin comme les autres au sud du cinquantième parallèle.

Découvrez en images notre odyssée en terres australes dans les fjords de Patagonie

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Tomas Munita / Geo

Les conseils de nos reporters

Quand y aller ?
Entre octobre et avril. En dehors de cette période, les conditions météo, d’ordinaire très rudes, deviennent apocalyptiques.

Se rendre à Puerto Montt
Le port de départ des croisières se trouve à 1 h 40 en avion de Santiago du Chili (jusqu’à six vols par jour).

Faire la même croisière
Skorpios Cruise, le croisiériste local qui nous a aidés à réaliser ce reportage, est le seul à explorer la totalité des fjords. Deux départs par an (en octobre et avril) : huit jours, de 1 800 à 2 600 € par personne.

Faire une croisière plus tranquille
Pour éviter le terrible golfe des Peines, situé au milieu de l’itinéraire, il est possible de n’explorer que la partie sud des fjords ou la partie nord. Notre partenaire « Les Maisons du voyage » propose, par exemple, un voyage tout compris de huit jours au départ de France, avec navigation dans le champ de glace Sud. A partir de 3 450 € (vols, croisière en pension complète et hébergements).

➤ Odyssée en terres australes, un reportage de Sébastien Desurmont (texte) et Tomás Munita (photos) à découvrir dans le magazine GEO de janvier 2019 (n° 479, Cap-Vert).

Source : https://www.geo.fr/voyage/au-chili-le-majestueux-spectacle-des-fjords-les-plus-recules-de-patagonie-193884

Au Chili, la folle croissance de l’industrie du saumon, visée pour ses conséquences sur l’environnement (Le Monde, 7/2/2022)

Salmon cages in San Rafel Bajo, Calbuco On Thursday, September 8th. 2022. Puerto Montt. Chile. Cristóbal Olivares pour Le Monde
CRISTOBAL OLIVARES POUR « LE MONDE »

Par Flora Genoux (Cabulco, Pargua, Puerto Varas (Chili), envoyée spéciale) Publié le 07 octobre 2022 à 06h12, modifié le 07 octobre 2022 à 09h09

Le Chili est le deuxième producteur mondial de saumon, après la Norvège. Ses exportations ont bondi ces dix dernières années.

Sur l’océan gris, lisse comme un drap, quatorze enclos verts : des cages submergées où les saumons sont engraissés. De nouveau, après un bras de mer, sur une eau rendue bleue, cette fois, par un ciel patagonique aux revirements capricieux : dix, puis douze enclos, plus au large. Le long de la même côte, toujours, une usine de fabrication d’aliments pour poissons d’où émane une odeur âcre. Dans la région de Los Lagos (Les Lacs, 1 000 kilomètres au sud de Santiago), l’industrie du saumon d’élevage est omniprésente : la porte d’entrée de la Patagonie chilienne constitue son cœur historique et, en quête d’eaux pour asseoir sa croissance, elle a continué de s’étaler jusqu’à l’extrême sud, dans la région de Magallanes.

Colossal, le secteur représente près de la moitié des exportations alimentaires du pays, selon un rapport du Consejo del salmon (Conseil du saumon, l’une des organisations patronales du saumon). Il s’agit même du deuxième produit d’exportation, après le cuivre, la locomotive d’une économie chilienne aujourd’hui en perte de vitesse (la croissance est attendue à 1,8 % cette année puis 0 % en 2023, sur fond d’inflation). Le marché est florissant : les ventes à l’étranger de saumons et de truites ont bondi de 33 % entre 2012 et 2021, représentant près de 650 000 tonnes et plus de 5 milliards de dollars en 2021, selon Salmon Chile (Saumon Chili, l’autre organisation patronale du secteur, rassemblant 60 % de la production).

Une usine de saumon Aquachile, près du village de Pargua, le 8 septembre 2022.
Au Chili, la folle croissance de l’industrie du saumon, visée pour ses conséquences sur l’environnement (Le Monde, 7/2/2022) 3

La suite de l’article est réservée aux abonnés : https://www.lemonde.fr/economie/article/2022/10/07/au-chili-la-folle-croissance-de-l-industrie-du-saumon-visee-pour-ses-consequences-sur-l-environnement_6144772_3234.html

« Des nouvelles de demain » saison 4 (Agence Française du Développement) : interview de Lauriane Lemasson

Lauriane Lemasson est photographe, ethno-musicologue et chercheuse rattachée à la Sorbonne. Depuis une expédition scientifique réalisée en 2013 pour étudier les paysages sonores et les peuples ancestraux de la Grande Île de Terre de Feu, elle est animée par une quête : faire reconnaitre l’existence des peuples du détroit d’Hatitelem (les Yagan, les Haush et les Selknam), dont les représentants ont été exterminés par les colons européens, ou assimilés de force à la culture hispanique d’Argentine et du Chili. Il est urgent de faire reconnaitre la vérité sur ces peuples, de faire connaitre leur négation par l’histoire officielle, et la spoliation de leurs terres – Elle joue un rôle de passeur, d’accompagnateur de ces peuples; et utilise l’art comme moyen de sensibiliser, comme porte d’entrée pour faire naitre de l’empathie. Elle garde un espoir de changement avec la nouvelle génération, et le revouveau indigène à l’œuvre

Des Nouvelles De Demain Saison 4

« Argentine : «Napalpi», le procès d’un massacre d’indigènes un siècle après » (Le Figaro, 19/04/2022)

https://www.lefigaro.fr/flash-actu/argentine-napalpi-le-proces-d-un-massacre-d-indigenes-un-siecle-apres-20220419

Argentine : «Napalpi», le procès d’un massacre d’indigènes un siècle après

Par Le Figaro avec AFP

Publié le 19/04/2022 à 22:20

Près d’un siècle après, la justice argentine se penche sur le massacre de plus de 300 membres de peuples autochtones Qom et Moqoit, un procès sans «coupable», largement symbolique, mais un pas inédit vers une vérité indigène peu audible dans l’histoire du pays. Le «procès de la vérité», qui va s’étirer sur neuf audiences réparties sur un mois, a débuté mardi dans un tribunal de Resistencia (nord-est) dans la province du Chaco, où eut lieu, le 19 juillet 1924, ce qui est connu comme «le massacre de Napalpi».

Ce jour-là, une force d’une centaine de policiers, militaires et colons civils ouvrent le feu sur des membres des communautés Qom (ou Toba) et Moqoit (Mocovi) dans une réserve amérindienne, qui sert de fait de réservoir de main d’œuvre pour les champs de coton et où vient de se produire une révolte contre des conditions de vie de quasi-esclavage. Le massacre fit plusieurs centaines de morts, entre 300 et 500 selon des survivants, hommes, femmes, enfants dont les corps furent parfois mutilés, puis jetés dans une fosse commune. La répression se poursuivit pendant plusieurs mois, selon le secrétariat des Droits humains (gouvernemental).

«Ce procès pour la vérité cherche à approcher la réalité des faits. Il ne recherche pas une responsabilité pénale, mais à connaître la vérité, afin de réhabiliter la mémoire des peuples, panser les blessures, réparer et aussi activer la mémoire et la conscience que ces violations des droits humains ne doivent pas se reproduire», a déclaré la juge Zunilda Niremperger, en ouvrant le procès. «Nous allons démontrer de manière concrète et claire qui a participé, et qui était responsable de ce génocide», a déclaré le procureur fédéral Federico Garniel, en charge de l’accusation. La province du Chaco, le secrétariat des Droits humains et l’Institut de l’Aborigène Chaqueño sont co-plaignants dans la procédure.

Un drame «invisible qui réémerge»

Le massacre a été qualifié par la justice de crime contre l’humanité, lui conférant un caractère imprescriptible. La procédure a débuté en 2004, avec depuis le patient recueil d’indices et de témoignages et une volonté d’entendre toutes les parties, descendants des colons comme des communautés indiennes. Assez incroyablement après près d’un siècle, l’enquête a retrouvé des témoins oculaires. Aussi le procès a pu entendre le témoignage, filmé en 2014, de Pedro Valquinta, centenaire décédé depuis, puis de Rosa Grilo, qui aurait «approximativement» entre 110 et 114 ans, et pourrait aussi témoigner en personne à l’audience si sa santé le lui permet.

«Pour moi c’est triste, ils ont tué mon papa. Je ne veux presque plus m’en souvenir. (Ces sont) des choses tristes. Beaucoup de gens, ils ont tués», a raconté Rosa Grilo dans un mélange d’espagnol et de sa langue qom, dans un témoignage filmé en 2018 dans le cadre de l’instruction et diffusé mardi, lors de l’audience en partie retransmise en ligne. «J’étais une enfant, mais pas si petite que ça (…) Mon grand-père et ma maman criaient ‘Courez, courez’, et nous avons fui vers la forêt. Là, nous avons vécu en mangeant des caroubes, buvant l’eau des chardons (..) je ne sais pas pourquoi ils ont tué des enfants, des vieux. Beaucoup de souffrance…», a raconté Rosa. Dans un autre document filmé, Juan Chico, historien d’origine qom décédé l’an dernier du Covid-19 a expliqué comment Napalpi est «un sujet qui nous est très cher, devenu invisible, mais qui ces dernières années a commencé à réémerger». «Il y a, dans les communautés, un souvenir culturel, qui doit être reçu par la justice», a-t-il estimé.

Les historiens rappellent régulièrement à quel point la construction de l’Argentine comme nation, tout au long du 19e siècle, est passée par une soumission des peuples indigènes relevant de l’extermination. Plus que tout autre, l’épisode dit de «la Conquête du Désert», pas désert du tout, qui incorpora la Patagonie à la nation argentine au prix d’au moins 14.000 morts parmi les ethnies les plus australes. Seuls un million environ d’Argentins, sur 45 millions d’habitants, se définissent aujourd’hui comme membre ou descendant d’une des 39 ethnies d’origine, selon le recensement de 2010. Depuis 1994, la Constitution reconnaît les droits des peuples autochtones.

Ils enseigneront les langues natives selk’nam et yagan dans les écoles de la province (La ContraTapa, 15/03/2021 « Enseñaran lenguas nativas, Selknam y Yagan en las escuelas de la provincia »)

Il s’agit du programme de l’Education Interculturelle Bilingue visant à planifier l’introduction des langues natives -selk’nam et yagan- dans les contenus de l’éducation formelle, avec la collaboration des peuples originaires de la province.

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Ils enseigneront les langues natives selk'nam et yagan dans les écoles de la province (La ContraTapa, 15/03/2021 "Enseñaran lenguas nativas, Selknam y Yagan en las escuelas de la provincia") 5

(Article traduit de l’espagnol par l’association Karukinka)

La secrétaire des Peuples Originaires Vanina Ojeda Maldonado et la secrétaire Pamela Altamirando ont eu une réunion avec Héctor Gustavo Novoa, Coordinateur Provincial des Modalités Educatives et Ramón Ortiz, de l’équipe technique de l’Education Interculturelle Bilingue, pour planifier l’introduction des langues natives –selk’nam et yagan- dans les contenus de l’éducation formelle, avec la collaboration des peuples originaires de la province.

La fonctionnaire a ajouté que « la proposition est d’obtenir des certifications pour les professeurs afin de permettre l’introduction de la modalité interculturelle depuis une autre perspective, dans laquelle les peuples arrêtent d’appartenir au passé et revendiquent leur présence, leur résistance et leur lutte ».

La modalité de l’Education Interculturelle Bilingue(EIB) a été mise en place à partir de l’instauration de la nouvelle Loi de l’Education Nationale de 2006, laquelle intègre cette modalité pour garantir le respect de l’identité ethnique, culturelle et linguistique des peuples indigènes.

De cette manière la reconstruction de l’identité nationale doit être menée et mettre en avant la richesse de sa diversité et de la préexistence des peuples originaires, témoins de cultures millénaires.

Source : https://lacontratapatdf.com/nota/12226/ensenaran-lenguas-nativas–selknam-y-yagan-en-las-escuelas-de-la-provincia/

Eclipse totale du soleil au Chili et en Argentine: et soudain, l’obscurité ! (L’Obs – AFP, 14/12/2020)

Publié le 14 décembre 2020 à 18h50·Mis à jour le 15 décembre 2020 à 12h35

Pucon (Chili) (AFP) – Le sud du Chili et de l’Argentine ont été plongés dans l’obscurité pendant plus de deux minutes lundi en début d’après-midi, quand la lune a totalement recouvert le disque solaire.

Le spectacle a été total en Argentine, dans la région de Bariloche (sud) où étaient rassemblés sous un ciel maculé de bleu des milliers de personnes portant des lunettes de protection contre les rayons solaires.

En revanche le spectacle a été en partie gâché au Chili, à 800 km au sud de la capitale Santiago, par une pluie tombée sans discontinuer, de gros nuages noirs empêchant de distinctement voir la partie de cache-cache entre le Soleil et la Lune.

Dans la ville touristique de Pucon, au pied du lac Villarrica, les averses n’ont cessé d’augmenter en intensité au cours de la matinée, laissant peu d’espoirs d’entrevoir l’alignement Terre-Lune-Soleil, prévu à 13H00 locales, soit 16H00 GMT, pendant précisément deux minutes et neuf secondes.

Mais au moment de l’éclipse, les nuages ont perdu en épaisseur au dessus de la plage du lac où étaient réunies des milliers de personnes couvertes de vêtements de protection contre la pluie.

« C’était magnifique, unique. On n’avait pas beaucoup d’espoir de la voir à cause des nuages, mais c’était unique quand le ciel s’est ouvert. Un miracle! », s’est enthousiasmé Matias Tordecilla, 18 ans, transcendé par le spectacle qu’il a vécu.

« C’est quelque chose que vous ne pouvez pas seulement voir avec vos yeux mais que vous pouvez sentir avec votre corps », a ajouté le jeune homme, qui a fait plus de 10 heures de route en famille pour vivre ce spectacle cosmique.

Cinthia Vega, une habitante de Pucon, dit avoir senti ses « poils se hérisser » sur sa peau au moment où l’obscurité s’est faite.

Des dizaines de scientifiques amateurs ou professionnels étaient arrivés depuis plusieurs jours pour installer leurs télescopes sur les flancs du volcan Villarrica, l’un des plus actifs du Chili, au milieu de la riche végétation du sud du pays.

Ils n’ont pas été récompensés comme en juillet 2019, lors de l’éclipse totale dans un ciel pur du nord du Chili, au milieu du désert de l’Atacama où se trouvent plusieurs observatoires astronomiques.

– Spectacle total –

A Carahue, plus proche de la côte pacifique, l’éclipse a été vécue en prières par les membres de la communauté indigène des Mapuches, la plus importante du Chili, qui voient dans ce phénomène la fin d’une époque et le début d’un nouveau processus.

Dans la région de la capitale Santiago, où vivent sept des quinze millions d’habitants frappés de restrictions de déplacement à cause de l’augmentation des cas de coronavirus, la pénombre a été passagère et la température a légèrement baissé.

La trajectoire de l’ombre lunaire, cette bande étroite de 90 km où le noir a été total, a débuté dans l’océan Pacifique, a atteint les terres chiliennes avant de traverser la Cordillère des Andes, puis a parcouru le sud de l’Argentine d’ouest en est avant de se poursuivre dans l’océan Atlantique sud.

Près de la ville touristique de Bariloche, en Patagonie, plusieurs familles ont attendu avec anxiété l’arrivée de l’éclipse. Un groupe de touristes américains espérait ne pas avoir effectué pour rien de complexes démarches administratives et de nombreux tests de détection du Covid-19 avant de bénéficier des autorisations pour atteindre la ville.

Mais le ciel est resté immaculé de nuages quand la lune a commencé à grignoter le soleil, plongeant les chanceux dans des sourires radieux derrières leurs lunettes de protection, jusqu’au point culminant où le soleil a disparu.

Chaque année, il y a deux éclipses totales du Soleil, mais selon la période de l’année et le moment de la journée elles sont plus ou moins visibles pour la population.

Source : https://www.nouvelobs.com/monde/20201214.AFP3480/eclipse-totale-du-soleil-au-chili-et-en-argentine-et-soudain-l-obscurite.html