“Patagonie, dernier refuge, de Christian Garcin et Éric Faye: à la recherche des fantômes” (Le Figaro, 12/05/2021)

https://www.lefigaro.fr/livres/patagonie-dernier-refuge-de-christian-garcin-et-eric-faye-a-la-recherche-des-fantomes-20210512

Patagonie, dernier refuge, de Christian Garcin et Éric Faye: à la recherche des fantômes

Par Bruno Corty

Publié le 12/05/2021 à 12:53, mis à jour le 12/05/2021 à 12:53

Les deux écrivains parcourent plusieurs milliers de kilomètres, à travers les paysages désolés et sublimes de la pampa. Une plongée dans l’histoire de ce bout du monde.

Romanciers, essayistes, Christian Garcin et Éric Faye adorent voyager. Ensemble, ils ont déjà écumé l’Extrême-Orient russe et en ont tiré En descendant les fleuves. Carnets de l’Extrême-Orient (J’ai lu) en 2013. Ils sont aussi partis en 2018 du Tibet au Yunnan pour en rapporter Dans les pas d’Alexandra David-Néel (Stock). Leur attelage fonctionne bien. On le voit encore cette fois avec Patagonie, dernier refuge, qui est sans doute la plus aboutie de leurs collaborations.

De Buenos Aires et Montevideo à Puerto Williams, juste au-dessus du Cap Horn, ils vont descendre plusieurs milliers de kilomètres vers le Sud, à travers les paysages désolés et sublimes de la pampa, de la Patagonie, côté argentin et chilien, des fjords et des glaciers, du détroit de Magellan au canal de Beagle.

À chaque étape de ce périple entamé au tout début 2020 et achevé juste avant le déclenchement de la pandémie de coronavirus, des noms qui font rêver: El Chalten, El Calafate, Puerto Natales, Rio Gallegios, Punta Arenas…

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Les sons du bout du monde de Lauriane Lemasson – France Musique (13 mai 2021)

https://www.francemusique.fr/emissions/musique-connectee/musique-connectee-du-jeudi-13-mai-2021-94975

A 31 ans, l’ethnomusicologue Lauriane Lemasson sillonne, depuis 2013, les étendues sauvages de Patagonie, ses micros à la main, à la rencontre des derniers descendants des populations natives.

La péninsule australe, l’immense Terre de feu, son « autre Finistère » comme l’aime l’appeler cette bretonne d’origine : c’est de ce territoire immense qu’est tombée amoureuse Lauriane Lemasson. Elle a 31 ans, elle est ethnomusicologue, c’est-à-dire qu’elle étudie notamment les relations que tissent les peuples avec leur environnement sonore. Et depuis qu’elle est enfant, Lauriane aime le vent et la montagne. A l’origine, elle est accordéoniste : elle a enseigné pendant dix ans dans des conservatoires de région parisienne, puis un accident l’a obligée à changer de cap. Lauriane s’est lancée avec feu dans l’ethnomusicologie et dans l’exploration de la Patagonie, terre du bout du monde, avec ses micros et son appareil argentique.

2000 kilomètres à pied

Depuis 2013, elle est chercheuse rattachée à la Sorbonne et elle a effectué une dizaine de missions en terre australe ; elle y reste à chaque fois entre deux et huit mois et sillonne, à pied ou en bateau, souvent seule, les fjords déserts, le dédale de canaux de la péninsule, les steppes couvertes de lichen ou encore le passage du Cap Horn… En plus des rafales qui sifflent parfois jusqu’à rendre fou, cet espace rude et immense est habité par mille petits bruits, perceptibles pour qui sait tendre l’oreille : les grincements des arbres dans la tempête, les cris d’oiseaux, le craquement lointain des glaciers, les grognements des lions de mer… 

Comprendre les liens des peuples autochtones à leur territoire

Mais Lauriane ne collecte pas les sons de la nature australe pour la seule beauté du geste. La jeune chercheuse est animée par une quête, une urgence : elle se rend en Patagonie pour débusquer les traces des populations amérindiennes qui arrivèrent en Terre de feu il y a plus de 10 000 ans, les Yagan, les Haush et les Selknam, des peuples natifs aujourd’hui hélas inconnus aux yeux et aux oreilles du grand public. A travers ses voyages, Lauriane cherche l’écho de ces populations dans les sons d’une nature qu’elles connaissaient mieux que personne. 

Retrouver l’environnement sonore des peuples natifs

Les descendants des Yagan, Haush et Selknam ont été soit exterminés par les colons européens, soit assimilés de force à la culture hispanique d’Argentine et du Chili. Pourtant, au fil de ses voyages et de ses rencontres, Lauriane a découvert que leur culture et leur langue, menacée de disparition imminente, étaient encore vives dans les mémoires. Elle s’est donné pour mission de les sauvegarder en retrouvant les traces d’occupations des peuples amérindiens qui vivaient là il y a près de 12 000 ans. Pour cela, elle multiplie les prises de sons, en reconstituant les environnements sonores des anciens lieux de vie et de culte de ces populations. En 2018, elle a notamment travaillé avec les archéologues du Centre austral d’investigation scientifique d’Ushuaia, avec lesquels elle s’est rendue sur les sites habités avec les premières tribus.

Des expéditions minutieuses 

Un travail de fourmi qui lui permet aujourd’hui de montrer que dans ces sociétés ancestrales tournées vers la nature, les chants et les rites s’inspiraient essentiellement des sons émis par les animaux, les arbres, les vagues et le vent… Lauriane constitue ainsi, petit à petit, une grande et riche base de données, une cartographie sonore de la Patagonie telle qu’elle était occupée par ses populations autochtones. Un travail qu’elle publiera peut-être un jour, avec leur accord. D’ici-là, ces recherches sont disponibles sur le site de l’association qu’elle a fondé, « Karukinka », qui signifie « la dernière terre des hommes » en langue selknam.